CA Nancy, 2e ch. com., 23 mars 2011, n° 09/02695
NANCY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Donnais (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cunin
Conseillers :
Mme Zecca-Bischoff, M. Bruneau
Avoués :
SCP Leinster Wisniewski Mouton, SCP Merlinge Bach Wassermann et Faucheur Schiochet
Avocats :
Me Dulucq, Me Lyon
EXPOSE DU LITIGE
Par jugement en date du 17 janvier 2006, le Tribunal de commerce de Nancy a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de Monsieur E., qui exerçait en nom propre une activité artisanale de maçon, et a désigné Maître Donnais en qualité de liquidateur. La date de cessation des paiements a été fixée au 1er juillet 2005.
Les époux E. avaient acquis le 10 décembre 2003 une maison d'habitation située à Chanteheux et, pour financer cet achat, avaient contracté un prêt auprès de la Caisse de Crédit Agricole, outre deux crédits destinés à financer des travaux de rénovation.
Les époux E. ont formalisé par acte notarié en date du 3 novembre 2005 une déclaration d'insaisissabilité de leur maison d'habitation, conformément aux dispositions de l'article L 526-1 du code de commerce. Cette déclaration a été publiée à la Conservation des Hypothèques le 22 décembre 2005.
Maître Donnais, ès qualité, a saisi le 16 juin 2008 le Tribunal de commerce pour voir juger nulle la déclaration d'insaisissabilité formée par les époux E. et pour voir publier le jugement à intervenir.
Par jugement en date du 6 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Nancy a débouté Maître Donnais, ès qualité, de ses demandes.
Maître Donnais, ès qualité, a relevé appel de ce jugement et demande à la Cour de l'infirmer en déclarant nulle la déclaration d'insaisissabilité faite par les époux E. et en ordonnant la publication de l'arrêt. Subsidiairement elle demande à la Cour de dire la déclaration d'insaisissabilité inopposable aux créanciers de Monsieur E.. Elle réclame une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait observer que la déclaration d'insaisissabilité a été effectuée pendant la période suspecte, le Tribunal ayant fixé au 1er juillet 2005 la date de la cessation des payements. Elle ajoute que l'article L 632-1 du code de commerce déclare nulle toute mesure conservatoire, à moins que l'inscription ou l'acte de saisie ne soit antérieur à la date de la cessation des paiements. Elle demande donc que soit constatée la nullité de cet acte intervenu pendant la période suspecte.
Subsidiairement, elle fait valoir que la déclaration d'insaisissabilité a été faite en fraude des droits des créanciers, puisque Monsieur E., qui avait cessé ses activités en juin 2005 ne pouvait pas ignorer qu'il était en état de cessation des paiements et a agi pour soustraire l'immeuble commun à ses créanciers. Elle estime donc que cette déclaration est inopposable aux créanciers.
Les époux E. font observer que la plus grosse part du passif est constituée par la charge des prêts contractés pour l'achat et la rénovation de la maison commune, le passif professionnel étant limité à 66.000 euros. Ils déclarent que les emprunts sont régulièrement remboursés et que la Caisse de Crédit Agricole est un créancier hypothécaire, de sorte que l'action de Maître Donnais n'a pas d'intérêt.
Ils prétendent que la déclaration d'insaisissabilité n'est pas une mesure conservatoire au sens de l'article L 632-1 du code de commerce, de sorte que la nullité de cet acte n'est pas encourue. Ils ajoutent que le fait de vouloir soustraire la maison d'habitation au risque d'une liquidation judiciaire ne caractérise pas une fraude, mais constitue l'exercice d'un droit reconnu par la loi.
Les époux E. demandent donc à la Cour de déclarer irrecevable l'action diligentée par Maître Donnais, ès qualité, de confirmer le jugement déféré et de condamner Maître Donnais, ès qualité, à payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le dossier a été communiqué au Parquet général.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité :
Attendu que les époux E. font valoir que Maître Donnais n'a pas d'intérêt à agir en l'absence de litige entre les créanciers et en raison du fait qu'ils règlent les échéances mensuelles des prêts au profit de la Caisse de Crédit Agricole, créancier hypothécaire, de sorte que le passif global n'est pas affecté ;
Attendu que Maître Donnais fonde son action sur les dispositions de l'article L 632-1 du code de commerce et de l'article 1167 du code civil ;
Attendu que Maître Donnais, ès qualité de liquidateur de Monsieur E., est recevable à exercer l'action prévue par l'article L 632-1 du code de commerce par application des dispositions de l'article L 632-4 et des articles L 641-4 et L 641-5 de ce code ; qu'en outre l'action de l'article 1167 du code civil lui est ouverte, dans la mesure où elle agit au nom et dans l'intérêt des créanciers ;
Attendu qu'il convient en conséquence de déclarer recevable l'action diligentée par Maître Donnais, ès qualité ;
Sur la nullité de la période suspecte :
Attendu que sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements' toute mesure conservatoire, à moins que l'inscription ou l'acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation des paiements ;
Attendu que Maître Donnais fait valoir que la déclaration d'insaisissabilité relève de la catégorie des actes conservatoires, puisqu'elle tend à protéger l'entrepreneur et sa famille, et que la loi n'exclut pas qu'une telle mesure puisse être prise à l'initiative du débiteur ;
Attendu qu'il est certain que les époux E. ont formalisé le 3 novembre 2005 une déclaration d'insaisissabilité de leur maison d'habitation, soit postérieurement au 1er juillet 2005, date de la cessation des paiements fixée par le Tribunal de commerce ; que cet acte a donc été passé pendant la période suspecte ;
Attendu que l'article L 526-1 du code de commerce dispose que, par dérogation aux articles 2092 et 2093 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ;
Attendu que la déclaration d'insaisissabilité prévue par cet article ne constitue pas une mesure conservatoire au sens de l'article L 632-1 du code de commerce ; que dès lors Maître Donnais, ès qualité, n'est pas fondée à en demander la nullité ;
Sur l'action paulienne :
Attendu que l'article 1167 du code civil dispose que les créanciers peuvent en leur nom personnel attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits ;
Attendu que Maître Donnais, ès qualité, fait valoir que Monsieur E. ne pouvait pas ignorer qu'il se trouvait en état de cessation des paiements, puisqu'il avait arrêté son activité en juin 2005 et prétend que celui-ci a tardé à effectuer sa déclaration des paiements dans le seul but de faire échapper l'immeuble à ses créanciers ;
Mais attendu que l'article L 526-1 du code de commerce donne la possibilité à un entrepreneur individuel de déclarer insaisissable l'immeuble dans lequel est fixée sa résidence principale ; que la loi n'interdit pas que cet acte soit passé pendant la période suspecte, de sorte que la fraude alléguée n'est pas démontrée ;
Attendu que Maître Donnais sera en conséquence déboutée de sa demande tendant à voir déclarer inopposable aux créanciers la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble commun des époux E. ;
Sur les autres demandes :
Attendu que Maître Donnais ès qualité, qui succombe en son appel, sera déboutée de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux dépens d'appel ; qu'elle sera en outre condamnée à payer aux époux E. la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Et ceux non contraires des premiers Juges.
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en date du 6 octobre 2009 du Tribunal de commerce de Nancy ;
Déboute Maître Donnais, ès qualité, de ses demandes, notamment de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les époux E. du surplus de leurs demandes ;
Condamne Maître Donnais, ès qualité, à payer aux époux E. la somme de MILLE DEUX CENTS EUROS (1.200 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Maître Donnais, ès qualité, aux dépens d'appel et autorise la SCP Merlinge Bach Faucheur, avoués associés, à les recouvrer directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.