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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 14 octobre 2019, n° 17/00662

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

La Ferme du Bouyssou (SCEA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chelle

Conseillers :

Mme Fabry, M. Pettoello

T. com. Bergerac, du 2 déc. 2016, n° 201…

2 décembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La SCEA La Ferme du Bouyssou, productrice de canards, a confié en 2006 à la société spécialisée Palmigord l'abattage des canards de sa production.

Les prestations ont cessé le 15 avril 2015, après un préavis de 9 mois.

Soutenant que le fruit de la gestion des « déchets » ou « sous-produits » d'abattage ne lui a pas été reversé pendant de nombreuses années, la SCEA a assigné le 2 novembre 2015 la société Palmigord devant le tribunal de commerce de Bergerac pour lui réclamer le paiement de 637 437,70 euros en principal, ou subsidiairement ordonner une expertise pour vérifier les revenus tirés de la valorisation des sous-produits

Par jugement du 2 décembre 2016, le tribunal de commerce de Bergerac a :

Déclaré la SCEA recevable mais mal fondée en toutes ses demandes,

Débouté la SCEA de sa demande d'une somme de 637 437,40 euros,

Jugé n'y avoir lieu à expertise,

Débouté la société Palmigord de sa demande de dommages-intérêts et d'amende civile,

Condamné la SCEA à payer à la société Palmigord 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

Condamné la SCEA aux dépens.

Par déclaration du 1er février 2017, la SCEA La Ferme du Bouyssou a interjeté appel de cette décision.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 24 juillet 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SCEA La Ferme du Bouyssou demande à la cour de :

Reformer la décision des premiers juges et

Déclarer la demande de ia Société LA FERME DU BOUYSSOU recevable et bien fondée, et en conséquence :

Condamner la Société PALMIGORD a lui verser la somme de 637 437.70 € correspondant aux coproduits valorisables à la quantité de canards abattus, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 18 juin 2015.

Subsidiairement ordonner une expertise pour vérifier les revenus tirés de la valorisation des sous-produits par la Société PALMIGORD.

Condamner la Société PALMIGORD à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Ordonner l' exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution, de la décision à intervenir.

Condamner la Société PALMIGORD aux entiers dépens en ce compris les frais de signification et d' exécution de la décision à intervenir.

L'appelante fait notamment valoir que lorsqu'elle a eu à assurer elle-même l'abattage de sa production après l'arrêt des relations commerciales, elle a accédé à la connaissance de la réglementation et de la valorisation significativement élevée des sous-produits, que lui avait tue la société Palmigord ; qu'elle invoque la réglementation pertinente quant à la notion de « déchet non valorisable » et celle de « sous-produit valorisé » ; que l'article 4654-5 du code rural dispost que l'exploitant d'un abattoir ne peut se livrer à la commercialisation des abats ou sous-produits qui ne son pas récupérés par les usagers de l'abattoir ; que la société Palmigord vendait « bien évidemment » la totalité des déchets à une filière spécialisée ; que l'affirmation que le prix de la prestation incluait nécessairement l'abandon des coproduits est totalement fausse ; que la société Palmigord conteste les chiffrages mais s'abstient de produire sa propre comptabilité.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 22 juillet 2019, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société D. Foie Gras, venant aux droits de la société Palmigord, demande à la cour de :

Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,

- Déclarer la SCEA LA FERME DU BOUYSSOU irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de BERGERAC sur ce point ;

- Condamner la SCEA LA FERME DU BOUYSSOU à payer à la société D. FOIE GRAS, venant aux droits de la société PALMIGORD, la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la procédure abusive, outre sa condamnation à une amende civil, et infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de BERGERAC sur ce point ;

- Condamner la SCEA LA FERME DU BOUYSSOU à payer à la société D. FOIE GRAS, venant aux droits de la société PALMIGORD, la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamner la SCEA LA FERME DU BOUYSSOU aux entiers dépens.

La société D. fait notamment valoir que l'activité de traitement des déchets est inhérente à l'activité d'abattage, et donc, peu importe que certains déchets soient valorisables, aucun déchet n'est remis au client ; que les dispositions de l'article L. 654-5 du code rural ne s'appliquent pas aux abattoirs privés ; que les sous-produits animaux sont qualifiés de déchets et doivent être éliminés ou valorisés en fonction de leur type ; que l'obligation de traitement des déchets sur les sous-produits exclut tout paiement du produit de leur commercialisation ; que la SCEA n'a jamais demandé à récupérer les sous-produits ni la restitution du prix de leur commercialisation, car ils ne sont pas identifiables et n'ont aucune valeur économique en eux-mêmes ; que, producteur des déchets, elle faisait donc son affaire personnelle de leur traitement, comprenant la valorisation de certains à son seul profit ; que le prix des prestations d'abattage est fixé en fonction du coût de revient moyen de la gestion des sous-produits ; que les charges ne traitement des déchets n'ont pas été facturées à la SCEA ;

A titre subsidiaire, que la SCEA a accepté tacitement la valorisation des sous-produits à son seul profit ; à titre infiniment subsidiaire, que le montant du préjudice allégué est infondé ; à titre reconventionnel, que la SCEA fait preuve de mauvaise foi.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 août 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

Il n'est pas contesté que la société D. Foie Gras vient aux droits de la société Palmigord, intimée.

La SCEA appelante reprend en cause d'appel son argumentation tendant à soutenir qu'elle a été, pendant la durée des relations commerciales avec la société Palmigord, injustement privée de la valeur pécuniaire de sous-produits provenant des canards qu'elle remettait pour abattage, valorisation conservée exclusivement par la société Palmigord devenue D., et elle lui demande paiement d'une somme de 637 437,70 euros qui correspond au calcul qu'elle effectue de la valeur des sous-produits considérés pour la période non prescrite.

Il est à observer que l'appelante place à peine sa demande dans un cadre juridique précis, la SCEA se contentant de viser, et dans le seul en-tête du dispositif de ses conclusions, les articles 1109, 1134 et 1142 du code civil, sans véritablement s'en expliquer plus précisément en procédant à une démonstration juridique dans les développements de la parties discussion.

Il sera ici rappelé que l'article 1109 ancien du code civil est l'article général sur les vices du consentement, l'article 1134 ancien posait le principe de l'effet obligatoire des conventions, et l'article 1142 ancien prévoyait la possibilité de dommages-intérêts en cas d'inexécution du débiteur de l'obligation.

La SCEA expose qu'elle « a été trompée quant à la nature de la prestation effectuée pour son compte et le coût réel de cette dernière », et qu'elle a été « convaincue d'abandonner les coproduits valorisables en lui laissant penser qu'il s'agissait de déchets sans valeur ».

Elle ne développe toutefois pas d'analyse particulière sur le vice de son consentement, et ce n'est que par ces affirmations qu'elle apparaît ainsi invoquer un dol.

Pour autant, le vice du consentement ne peut se concevoir que lors de la conclusion du contrat. La SCEA ne vise pas expressément une quelconque réticence dolosive, alors pourtant qu'elle affirme n'avoir pris conscience de l'existence de sous-produits valorisables que longtemps après la conclusions du contrat, et même postérieurement à l'arrêt des relations commerciales.

De toute façon, la SCEA, éleveur, est un professionnel partie prenante de la filière de production de canards, et ne peut invoquer à son profit son ignorance de la réglementation et moins encore des processus d'abattage et de traitement des déchets et sous-produits.

Elle est donc mal fondée à se prévaloir d'un vice de son consentement.

La SCEA n'invoque pas expressément une conséquence de l'effet obligatoire des conventions à l'appui de sa demande.

Elle ne rapporte pas non plus la preuve d'une inexécution par la société Palmigord de ses obligations contractuelles.

Les parties n'avaient pas contracté par écrit, ce qui est possible, mais qui prive la SCEA de la possibilité d'établir qu'elle aurait bénéficié d'une clause contractuelle relative au reversement d'éventuels profits provenant de sous-produits.

La SCEA, malgré la liberté de la preuve en matière commerciale, n'établit pas, ni n'offre d'établir, qu'elle aurait été contractuellement fondée à percevoir des versements à ce titre.

Ainsi, la société appelante, qui en a pourtant l'obligation, échoue à justifier du fondement juridique de sa demande.

Il apparaît que la SCEA n'a jamais sollicité la société d'abattage pendant la durée des relations commerciales au sujet du devenir des déchets ou sous-produit, et n'a notamment jamais réclamé qu'il lui soit communiqué des conditions générales de vente dont elle se plaint aujourd'hui de l'absence.

En fait comme en droit, la société D. peut exposer sans être réellement, ou en tout cas utilement, démentie, qu'une réglementation européenne (règlement CE n° 1069/2009 du 21 octobre 2009) et nationale ( code de l'environnement, notamment ses articles L. 541 et suivants) contraignante pèse sur l'entreprise qui produit ou détient des déchets d'origine animale, et tout particulièrement les abattoirs.

La société Palmigord était donc responsable, en sa qualité de producteur des déchets, de la gestion et de l'élimination dans les normes de ces déchets provenant de l'abattage des canards de la SCEA La Ferme du Bouyssou, comme de ceux de ses autres clients.

Il est constant, et en tout cas non contesté, que la gestion et l'élimination des déchets au sens des textes susvisés génère un coût important à la charge de l'abattoir.

En l'absence de stipulation contractuelle contraire, que, comme analysé ci-dessus, la SCEA échoue à établir, le produit de la valorisation par commercialisation d'une partie des déchets produits, qui après recyclage et valorisation peuvent alors devenir des sous-produits ou co-produits, aurait dû lui revenir contrairement à l'usage mis en avant pas la société D. (sa pièce n° 10).

La société D. peut utilement faire valoir que ces sous-produits, au demeurant de faible valeur et non individualisables par producteur, viennent en réalité en déduction du coût du traitement des déchets, et, surtout, que le prix des prestations d'abattage est fixé notamment en fonction du coût de revient moyen de la gestion des sous-produits, traitement et enlèvement des déchets d'une part, et vente des sous-produits valorisables d'autre part (note de service ministérielle, sa pièce n° 8).

Il est enfin à relever que les taxes payées par la SCEA, qu'elle évoque incidemment (p. 4) pour reprocher au tribunal de commerce d'avoir évoqué un argument non soulevé par les parties, n'étaient pas des taxes portant sur l'élimination des déchets, mais dues par l'éleveur, et de toute façon n'étaient pas destinées à la société Palmigord mais seulement collectées par elle.

Ainsi, la demande de la SCEA La Ferme du Bouyssou n'apparaît fondée ni en droit ni en fait, et le jugement qui l'a déboutée de sa demande sera confirmé.

Sur les autres demandes

La SCEA ne renouvelle pas devant la cour d'appel la demande d'expertise qu'elle présentait en première instance.

La société D., qui ne précise pas qu'il s'agirait d'un appel incident de ce chef, demande comme devant le tribunal la condamnation de la SCEA à lui payer 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre une amende civile, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Aux termes de ce texte, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

Toutefois, la liberté d'agir en justice ne peut dégénérer en abus qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol, notamment quand elle est caractérisée par une intention de nuire.

En l'espèce, et si la preuve de l'obligation dont elle poursuit le paiement est manquante, il n'est pas démontré que l'action de la SCEA résulterait d'une erreur grossière équipollente au dol, ou aurait été introduite malicieusement, de mauvaise foi et dans l'intention de nuire, de sorte que cette demande doit être rejetée.

La demande relative aux frais d' exécution présentée par la SCEA La Ferme du Bouyssou en même temps que celle relative aux dépens dont elle est pourtant distincte, qui est en l'état purement hypothétique, rien ne laissant ici présumer une volonté de résistance de son adversaire nécessitant la mise en œuvre d'une procédure d' exécution forcée, est au surplus superfétatoire, puisque la loi, notamment par les dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d' exécution , met déjà par principe les frais de signification et ceux d'une exécution forcée nécessaire à la charge du débiteur, sous le contrôle du juge de l' exécution .

La SCEA La Ferme du Bouyssou demande aussi à la juridiction d'ordonner l' exécution provisoire de sa décision, ce qui est privé de pertinence devant la cour d'appel, les arrêts des cours d'appel statuant au fond étant immédiatement exécutoires comme ayant force de chose jugée au sens de l'article 500 du code de procédure civile, et les recours à leur encontre dépourvus de tout effet suspensif qui pourrait justifier que soit prononcée une exécution à titre provisionnel qui n'est d'ailleurs, pour cette raison, prévue par aucun texte.

Partie tenue aux dépens d'appel, la SCEA La Ferme du Bouyssou paiera à la société D. Foie Gras la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bergerac le 2 décembre 2016,

Déboute la société D. Foie Gras de sa demande de dommages-intérêts et d'amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile,

Condamne la SCEA La Ferme du Bouyssou à payer à la société D. Foie Gras la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la SCEA La Ferme du Bouyssou aux dépens d'appel.

Dit n'y avoir lieu à statuer ici ni sur l' exécution provisoire, ni sur des frais d'une exécution forcée hypothétique, contrairement à ce que demande la SCEA La Ferme du Bouyssou.