CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 15 avril 2021, n° 20/16876
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Euroclear France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillou
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
EXPOSE DU LITIGE
Le 31 janvier 2019, M. Nils J., résidant en Allemagne, indique être détenteur d'obligations au porteur , qu'il aurait acquises de M. M.. Selon lui, ces obligations arrivaient à échéance le 27 mars 2019 et étaient émises par la SA Société Générale.
Le 26 mars 2019, M. J. a demandé paiement à la Société Générale, paiement qui lui a été refusé.
Par lettre recommandée en date du 24 décembre 2019, M. J. a donc demandé à la SA Euroclear France, dépositaire central des titres financiers émis en France, de lui indiquer l'identité du teneur du compte-conservateur de ces obligations.
Par exploit du 20 mai 2020, il a fait assigner la société Euroclear France devant le juge des référés afin de lui demander de :
- rejeter les exceptions de nullité et d'absence d'intérêt à agir soulevées par la société Euroclear France ;
- juger ses demandes bien fondées et recevables ;
- ordonner à la société Euroclear de lui communiquer le nom du teneur du compte-conservateur des obligations émises par la Société Générale sous le numéro ISIN FR0010742908 et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'ordonnance.
En défense, la société Euroclear France avait demandé au premier juge de :
- in limine litis, juger nulle et de nul effet l'assignation pour défaut d'élection de domicile du demandeur résidant à l'étranger ;
- subsidiairement, juger irrecevable M. J. en ses demandes pour défaut d'intérêt à agir et rejeter en conséquence toutes ses demandes ;
- plus subsidiairement, juger n'y avoir lieu à référé ;
- débouter M. J. de ses demandes ;
- condamner M. J. à payer à la société Euroclear France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par ordonnance du 20 octobre 2020, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a:
- rejeté l'exception de nullité de l'assignation ;
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de M. J. ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de communication sous astreinte ;
- condamné M. J. à payer à la société Euroclear France la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Le premier juge a estimé que l'assignation n'était pas nulle, la constitution d'avocat de M. J. emportant élection de domicile en France. Il a également jugé que son action était recevable, la question de la preuve de la propriété des titres étant une question de fond mais sur le fond, puis que la société Euroclear France, à qui M. J. a simplement indiqué le code ISIN des titres qu'il détient, ne pouvait pas connaître l'identité du teneur de compte-conservateur sur la base de cette seule information et qu'il n'y avait donc pas lieu de la condamner à divulguer une information qu'elle ne détenait pas.
Par déclaration en date du 23 novembre 2020, M. J. a interjeté appel de cette décision, critiquant l'ordonnance en ce qu'elle a :
dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de communication sous astreinte ;
condamné M. J. à payer à la société Euroclear France la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par conclusions communiquées par la voie électronique le 17 décembre 2020, M. J. demande à la cour de :
'Vu les articles 455, 458 et 490 du code de procédure civile
Vu l'article L.441-1 du code monétaire et financier
Vu l'article 228-2 du code de commerce
Vu les articles 550-1 et suivants du règlement général de l'AMF
Vu la décision de l'AMF en date du 16 avril 2019
Vu la décision de l'AMF en date du 18 octobre 2007
Vu les Règles de fonctionnement du dépositaire central Euroclear France
CONFIRMER l'ordonnance de référé rendue en date du 20 octobre 2020, sauf en ce qu'elle a débouté monsieur Nils J. de sa demande de voir ordonner la société Euroclear France de lui communiquer le nom du teneur de compte-conservateur des obligations émises par la société Société Générale SCF sous le numéro ISIN FR0010742908 et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt attendu ;
Et, en statuant à nouveau sur ce chef,
CONDAMNER la société Euroclear France à communiquer à l'appelant le nom du teneur de compte-conservateur des obligations émises par la société Société Générale SCF sous le numéro ISIN FR0010742908 et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt attendu ;
DEBOUTER la société Euroclear France de l'ensemble de ses demandes ; '
M. J. expose notamment que:
- La société Euroclear France n'a pas prouvé qu'elle était dans l'incapacité de connaître l'identité du teneur de compte-conservateur,
- Au contraire, la société Euroclear France est tenue de connaître l'identité des teneurs de comptes-conservateurs afin de pouvoir procéder à la procédure de 'titre au porteur identifiable' prévu par l'article L. 228-2 du code de commerce,
- Elle est également tenue de les connaître au titre de ses fonctions statutaires, consistant à communiquer aux teneurs de comptes-conservateurs le relevé des opérations intervenues sur les comptes courants, de sorte qu'il est donc incontestable que la société Euroclear France connaît l'identité du teneur de compte-conservateurs,
- Elle devra donc être condamnée communiquer cette information, sous astreinte, à M. J., qui a un besoin urgent de connaître cette information pour obtenir paiement.
Par conclusions communiquées par la voie électronique le 15 janvier 2021, la société Euroclear France demande à la cour de :
' Vu l'article 753 du Code de procédure civile,
Vu les articles 30 et s. du Code de procédure civile,
Vu l'article 560-1 du règlement de l'AMF,
Vu les articles 211-3, 211-7, 211-16 et 211-17 du Code Monétaire et financier,
Vu l'article 228-2 du Code de commerce,
Vu les articles 834 et 835 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 131-1 et suivants du code de procédures civiles d'exécution,
Vu la sommation de communiquer,
Vu l'Ordonnance du 20 octobre 2020,
Réformer l'Ordonnance déférée en ce que :
- L'exception de nullité de l'assignation a été rejetée,
- La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir a été rejetée,
Et statuant à nouveau :
In limine litis,
Juger nulle et de nul effet l'assignation pour défaut d'élection de domicile du demandeur résident à l'étranger.
Subsidiairement,
Juger irrecevable M. J. en ses demandes pour défaut d'intérêt et de qualité à agir,
Rejeter en conséquence toutes ses demandes, fins et conclusions.
Plus subsidiairement,
Confirmer l'Ordonnance en ce :
- Qu'il a été jugé n'y avoir lieu à référé sur la demande de communication sous astreinte,
- Condamné M. J. aux dépens,
- Condamné M. J. à payer à la société EUROCLEAR France la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du CPC.
Dans tous les cas, Y ajoutant :
Débouter M. J. de toutes ses demandes, fins et conclusions, en ce compris la demande d'astreinte, et dire n'y avoir lieu à référé,
Condamner M. J. à payer à EUROCLEAR FRANCE la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du CPC pour les frais engagés devant la Cour d'appel ;
Condamner M. J. aux entiers dépens d'appel avec distraction au profit de Me A. J., avocat constitué. '
La société Euroclear France expose notamment que :
S'agissant de la nullité de l'assignation :
- L'article 753 du code de procédure civile dispose que, lorsque la représentation par avocat n'est pas obligatoire, l'assignation est nulle, si le demandeur résidant à l'étranger n'a pas élu domicile en France,
- En l'espèce, M. J. réside en Allemagne et n'a pas élu domicile en France,
- Le premier juge n'a pas prononcé la nullité au motif que, en application de l'article 760, la constitution avocat emporte élection de domicile alors que cette disposition ne s'applique pas en l'espèce, la procédure n'étant pas avec représentation obligatoire.
S'agissant de la fin de non-recevoir :
- M. J. n'apporte pas la preuve de ce qu'il serait propriétaire des titres , il prétend qu'il a acheté ses titres à un certain M. M., mais n'établit pas que ce M. M. était lui-même propriétaire de ces titres ,
- En effet, en matière de valeurs mobilières, le transfert de propriété découle de l'inscription en compte et du paiement du prix, alors qu'en l'espèce, il n'est pas prouvé que M. M. a réalisé ces opérations,
- La société Société Générale indique par ailleurs qu'elle ne connaît aucun compte ouvert à ce nom.
- M. J. n'a donc pas d'intérêt à agir et sa demande est irrecevable,
- de la sorte, il s'agit bien d'une question de recevabilité et non de fond puisque M. J. n'a pas prouvé la qualité dont il se prévaut pour agir en justice.
S'agissant du mal fondé de la demande :
- La condition de l'urgence n'est pas remplie, M. J. ayant attendu plus de 8 mois après le prétendu refus de payer de la société Société Générale pour s'adresser à la société Euroclear France,
- il ne peut s'appuyer sur la procédure prévue à l'article L. 228-2 du code de commerce qui est réservée à l'émetteur de titres ,
- Il ressort des articles L. 441-1 du code monétaire et financier et 560-1 et suivants du règlement de l'AMF que la société Euroclear France ne peut pas identifier un teneur de compte-conservateur à la demande d'un détenteur de titres ,
- Elle ne détient donc pas l'information demandée par M. J.
- Enfin, quand bien même la société Euroclear France détiendrait cette information, elle ne pourrait la divulguer, car elle est tenue au secret professionnel sur le fondement de l'article L. 511-33 du code monétaire et financier.
Il sera renvoyé aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
- sur la nullité de l'assignation
L'article 760 du code de procédure civile prévoit que 'les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire. La constitution de l'avocat emporte élection de domicile.'
Il est constant que l'acte d'assignation délivré précise bien la constitution d'avocat au profit de M. J..
Il s'en déduit, les dispositions de l'article 760 du code de procédure civile étant seules applicables à l'espèce, qui exige une représentation obligatoire par avocat,
et la demande, certes indéterminée, n'ayant pas pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros, que le moyen de nullité soulevé par la société Euroclear doit être rejeté, et l'ordonnance entreprise confirmée sur ce point.
- sur la fin de non recevoir
L'article 31 du code de procédure civile dispose que : 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.'
L'article 32 de ce code dispose que: 'Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.'
En l'espèce, M. J. agit en qualité de propriétaire des titres financiers et s'il est soutenu par la société Euroclear que M. J. ne démontre pas être propriétaire des titres financiers qu'il invoque, force est bien de constater qu'il s'agit, ainsi que l'a parfaitement apprécié le premier juge, d'une condition de succès de son action, donc d'une défense au fond, et non d'une recevabilité, la revendication de cette qualité suffisant à établir son intérêt à agir..
L'ordonnance sera confirmée de ce chef.
- sur la demande
L'article 834 du code de procédure civile dispose que : 'Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.'
L'article 835 de ce code prévoit pour sa part que : 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'
En l'espèce, il apparaît que :
- M. J. produit une notice d'émission ISIN FR 0010742908 ainsi qu'une convention de cession de créances à son profit, émanant de M. M. en date du 31 janvier 2019, M. M. ayant lui-même acquis lesdits titres de M. S., le 30 décembre 2013,
- toutefois la société Générale, à qui paiement des dites obligations au porteur a été demandé répond le 18 avril 2019 à M. M. lui-même : 'nous ne pouvons donner suite à votre demande puisque la Société Générale ne connaît aucun titre ouvert à votre nom ni au nom de M. S. depuis 2013 et jusqu'à ce jour.
Il s'en déduit à tout le moins que la demande de M. J., tendant à voir condamner la société Euroclear France à communiquer à l'appelant le nom du teneur de compte-conservateur des obligations émises par la Société Générale SCF sous le numéro ISIN FR0010742908 et ce sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt attendu se heurte à une première contestation sérieuse, celle de la propriété des titres financiers et de son origine, laquelle ne peut être tranchée par le juge des référés.
Mais de plus, l'article 560-1 du règlement général de l'autorité des marchés financiers, dont l'applicabilité n'est discutée en l'espèce, dispose que :
'Le dépositaire central, dans le cadre des émissions dont il assure la fonction notariale :
- enregistre dans un compte spécifique les titres financiers admis à ses opérations ;
- lorsque son agrément comprend le service accessoire 2 b) de la section B de l'annexe du règlement n 909/2014 du 23 juillet 2014, prend toutes dispositions nécessaires pour permettre l'exercice des droits attachés aux instruments financiers enregistrés en comptes courants ;
- transmet les informations nominatives relatives aux titulaires d'instruments financiers entre les personnes ayant accès au dépositaire central de titres et les personnes morales émettrices ;
- émet des certificats représentatifs d'instruments financiers de droit français à destination de l'étranger'.
Ainsi, seuls les teneurs de compte- conservateur sont en mesure de connaître les porteurs de titres et en relations avec leurs clients, ce que ne conteste pas M. J..
L'article 228-2 du code de commerce prévoit pour sa part que :
'1 -En vue de l'identification des propriétaires des titres au porteur , les statuts peuvent prévoir que la société émettrice ou son mandataire est en droit de demander, à tout moment et contre rémunération à sa charge, soit au dépositaire central qui assure la tenue du compte émission de ses titres , soit directement à un ou plusieurs intermédiaires mentionnés à l'article L. 211-3 du code monétaire et financier, les informations concernant les propriétaires de ses actions et des titres conférant immédiatement ou à terme le droit de vote dans ses propres assemblées d'actionnaires. Dans les sociétés dont des actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cette faculté est de droit, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.
Lorsque la demande est adressée au dépositaire central, celui-ci recueille les informations auprès des teneurs de comptes qui lui sont affiliés. Lorsque la demande est directement adressée à un intermédiaire mentionné au même article L. 211-3, celle-ci est limitée aux informations concernant les propriétaires des titres inscrits dans un compte- titres tenu par l'intermédiaire interrogé.'
L'article L 211-7 du code monétaire et financier dispose encore que : 'Les titres financiers admis aux opérations d'un dépositaire central peuvent être inscrits dans un compte- titres tenu par un intermédiaire mentionné à l'article L. 211-3, sauf décision contraire de l'émetteur. '
Dès lors, il en ressort, avec l'évidence requise en référé, que :
- M. J. n'a pu a fortiori acquérir la propriété de valeurs mobilières dès que la preuve de ladite propriété ne pourrait résulter que de l'inscription en compte des titres au porteur après paiement,
- la société Euroclear démontre bien, ainsi que l'a parfaitement constaté le premier juge, qu'elle ne peut connaître l'identité du teneur de compte conservateur sur la base de l'identité du porteur de titres et d'un code d'identification ISIN.
La demande de M. J. se heurte donc à plusieurs contestations sérieuses, de sorte qu'il n'y a pas lieu à référé la concernant. L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.
- sur les autres demandes
Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement tranché par le premier juge.
M. J. qui succombe sera condamné aux dépens de l'appel ainsi qu'à payer à la société Euroclear une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Condamne M. Nils J. aux dépens, dont distraction au profit de Me A. J., avocat, au sens de l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne M. Nils J. à payer à la société Euroclear la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.