CA Colmar, 4e ch. a, 28 février 2023, n° 21/04227
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Flender Graffenstaden (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dorsch
Conseillers :
M. Pallieres, M. Le Quinquis
Avocats :
Me Zimmermann, Me Delanchy
FAITS ET PROCÉDURE
Par contrat à durée déterminée du 05 novembre 2007 puis par contrat à durée indéterminée du 28 octobre 2008, M. [T] [Z] a été embauché par la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN en qualité d'agent professionnel de fabrication.
Par courrier du 11 mai 2020, M. [T] [Z] a été convoqué pour un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 18 mai 2020.
Par courrier 25 mai 2020, la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN a notifié à M. [T] [Z] son licenciement pour faute. L'employeur reproche au salarié d'avoir, le 16 avril 2020, stationné son véhicule en dehors des places de stationnement matérialisées et dans une zone avec affichage d'interdiction de stationner pour permettre l'accès au site pour les véhicules d'urgence, de n'avoir accepté de le déplacer qu'après de multiples demandes, de longues explications accompagnées de réactions agressives de la part du salarié pour se stationner dans une autre aire de stationnement non autorisée gênant l'accès logistique.
Le 27 août 2020, M. [T] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg pour contester le licenciement.
Par jugement du 1er septembre 2021, le conseil de prud'hommes a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ainsi qu'aux dépens et au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [T] [Z] a interjeté appel le 29 septembre 2021.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 novembre 2021, M. [T] [Z] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts et, statuant à nouveau, de :
- proposer la réintégration de M. [T] [Z] avec maintien des avantages acquis,
- à titre subsidiaire, condamner la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN au paiement de la somme de 31 659,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN aux dépens y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de la décision à intervenir par voie d'huissier et en particulier tous les droits de recouvrement ou d'encaissement sans exclusion du droit de recouvrement ou d'encaissement à la charge du créancier.
Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 décembre 2021, la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter M. [T] [Z] de ses demandes et de le condamner aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 06 avril 2022. L'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 13 décembre 2022 et mise en délibéré au 28 février 2023.
MOTIFS
Sur le licenciement
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Dans la lettre de licenciement du 25 mai 2020, l'employeur reproche au salarié d'avoir stationné son véhicule dans l'enceinte de l'entreprise en dehors des places matérialisées dans une allée destinée à l'accès aux véhicules de sécurité incendie.
La S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN expose qu'à 10h00, un agent de maîtrise a demandé à M. [T] [Z] de déplacer son véhicule, que, face au refus du salarié, le responsable de la fabrication est intervenu auprès de M. [T] [Z] qui a réitéré son refus malgré les explications fournies sur la nécessité de permettre le passage des véhicules de secours, qu'il est ensuite revenu accompagné du directeur des ressources humaines et d'un représentant du personnel au CHSCT. L'employeur indique que M. [T] [Z] s'est alors emporté et que ce n'est qu'à l'issue de longues explications et après des réactions agressives de la part du salarié que celui-ci a finalement accepté de déplacer son véhicule vers 10h50, pour se stationner sur un autre emplacement non autorisé où il gênait l'accès logistique. L'employeur en justifie en produisant une photographie montrant le véhicule de M. [T] [Z] stationné en dehors des emplacements prévus à cette fin et le long d'une voie servant d'accès aux véhicules de secours (pièce n°19).
Pour contester son licenciement, M. [T] [Z] fait valoir qu'un autre véhicule était stationné sur le même emplacement, que les places à l'intérieur de l'entreprise étaient en nombre insuffisant et que l'accès par le parking situé à l'extérieur du site était condamné après deux semaines d'interruption dans le contexte de la crise sanitaire. Il relève qu'aucune interdiction n'était matérialisée aux deux endroits où il a stationné son véhicule et que la place était suffisante pour permettre le passage des véhicules de secours. Il conteste toute agressivité ou obstruction à l'égard de ses supérieurs hiérarchiques.
Il résulte de ces éléments que l'employeur établit la réalité de la faute imputée à M. [T] [Z], à savoir le fait d'avoir stationné son véhicule en dehors des emplacements autorisés, alors que le règlement intérieur fait obligation aux salariés d'utiliser ceux réservés à cet effet (pièce n°21), et de ne pas avoir déplacé immédiatement son véhicule lorsque la demande lui en a été faite. L'examen des photographies produites montre toutefois qu'aucune signalisation d'interdiction de stationner n'était visible à l'endroit où se trouvait initialement le véhicule du salarié (pièce n°7 de l'appelant et 19 de l'intimée) ni à celui où il a ensuite été déplacé (pièce n°20 de l'intimée).
Il apparaît par ailleurs à la lecture du compte-rendu de l'entretien préalable produit par M. [T] [Z] (pièce n°4) que celui-ci a expliqué que c'était la première fois qu'il stationnait son véhicule à cet endroit et qu'il ne savait pas qu'il s'agissait d'un accès utilisé par les véhicules de secours. Le délégué syndical accompagnant le salarié a également précisé qu'en temps normal, M. [T] [Z] stationnait son véhicule à l'extérieur du site mais que cela n'était alors plus possible du fait de la crise sanitaire. Le salarié a reconnu qu'il avait adopté un comportement virulent à l'égard de ses interlocuteurs mais en précisant que ceux-ci s'étaient adressés à lui sur le même ton et qu'il n'était à ce moment-là pas dans son état normal compte tenu de difficultés personnelles et du contexte sanitaire.
Il y a lieu en outre de relever que la faute reprochée à M. [T] [Z] constitue un fait unique et que l'employeur ne mentionne à son égard d'aucune sanction disciplinaire au cours des années précédentes.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la faute reprochée à M. [T] [Z] ne présente pas une gravité suffisante pour justifier à elle seule son licenciement. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de dommages et intérêts
Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur.
En l'espèce, M. [T] [Z] demande à la cour de proposer sa réintégration avec maintien des avantages acquis. Dès lors que la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN n'a pas acquiescé à la demande de réintégration il convient de statuer sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient à ce titre de prendre en compte l'âge et l'ancienneté du salarié dans l'entreprise à la date du licenciement (12 ans) ainsi que sa rémunération. M. [T] [Z] justifie par ailleurs qu'il recherchait un emploi au mois de février 2021. Pour évaluer le préjudice subi par celui-ci, il convient également de prendre en compte le fait qu'au moment du licenciement, il était engagé dans un processus de reconversion professionnelle puisqu'il avait bénéficié d'un congé individuel de formation du 05 février 2019 au 29 novembre 2019 pour suivre une formation dans le domaine de l'horlogerie.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé à 20 000 euros le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le remboursement des indemnités versées par Pôle emploi
Aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Dès lors qu'il a été jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner le cas échéant le remboursement des indemnités qui auraient été versées par Pôle emploi dans la limite de 3 mois, conformément aux dispositions légales.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN aux dépens et à verser à M. [T] [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de l'issue du litige, il convient de condamner la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN aux dépens de la procédure d'appel. Il n'appartient en revanche pas à la cour d'appel de statuer sur la charge des frais liés à une éventuelle exécution forcée du présent arrêt, comme demandé par M. [T] [Z], ces frais étant régis par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code des procédures d' exécution et relevant de la compétence exclusive du juge de l' exécution en cas de litige sur ce point.
Par équité, la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN sera en outre condamnée à payer à M. [T] [Z] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de la demande présentée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Strasbourg du 1er septembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu de proposer la réintégration de M. [T] [Z] ;
ORDONNE le remboursement par la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN à PÔLE EMPLOI GRAND EST des indemnités de chômage versées le cas échéant à M. [T] [Z] , dans la limite de 3 mois à compter de la rupture ;
CONDAMNE la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN aux dépens de la procédure d'appel ;
RAPPELLE que le sort des frais de l' exécution est fixé par les dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d' exécution ;
CONDAMNE la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN à payer à M. [T] [Z] la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la S.A.S. FLENDER GRAFFENSTADEN de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.