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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 11, 29 mars 2021, n° 19/15996

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Easyjet Airline Company Limited, Sécurité Sociale des Indépendants

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gilly-Escoffier

Conseillers :

Mme Touati, Mme Bardiau

TGI Paris, du 28 juin 2019, n° 18/14920

28 juin 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Le 13 avril 2014, lors de l'embarquement à bord d'un vol EasyJet entre Paris (France) et Venise (Italie), M. Gilles A. s'est blessé au niveau du pouce droit en plaçant son bagage dans un gabarit destiné à en vérifier les dimensions.

Une expertise médicale amiable contradictoire a été réalisée le 26 octobre 2016, par les docteurs C. et R..

Par acte du 8 décembre 2017, M. Gilles A. et son épouse, Mme Joyce H. épouse A., ont assigné la société EasyJet Airline Company Limited (la société EsayJet) en responsabilité et indemnisation de leurs préjudice, en présence de la caisse du Régime social des indépendants d'Ile-de-France.

Par jugement du 6 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré la société EasyJet responsable de l'accident dont a été victime M. A. et a renvoyé l'affaire pour liquidation des préjudices.

Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

- condamné la société EsayJet à payer à M. Gilles A. la somme de 46 142,50 euros, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en réparation des préjudices suivants :

* 175 euros au titre des dépenses de santé actuelles,

* 1 040 euros au titre des frais divers,

* 39 120 euros au titre des pertes de gains professionnels,

* 427,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

* 2 000 euros au titre des souffrances endurées,

* 2 880 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

* 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

- dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,

- débouté Mme Joyce H. épouse A. de sa demande indemnitaire,

- déclaré le jugement commun à la caisse du Régime social des indépendants d'Ile-de-France,

- condamné la société EasyJet aux dépens dont distraction au profit de Me I. et à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 1 500 euros aux époux A., ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- ordonné l' exécution provisoire du jugement à concurrence de la moitié de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclarations du 31 juillet 2019 et du 28 août 2019, M. Gilles A. a relevé appel de ce jugement en critiquant les dispositions par lesquelles le tribunal l'a débouté de ses demandes au titre des pertes de gains professionnels, au titre du point de départ des intérêts légaux et de sa demande tendant à mettre à la charge de la société EsayJet l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement et de sa demande au titre des dépens liés à la procédure de référé.

La caisse locale déléguée à la sécurité sociale des indépendant d'Ile de France, venue aux droits de la caisse du Régime spécial des indépendants d'Ile-de-France, bien que destinataire de la déclaration d'appel qui lui a été signifiée le à personne habilitée n'a pas constitué avocat.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

•            Vu les dernières conclusions de M. A., notifiées le 20 janvier 2020, aux termes desquelles il demande à la cour de :

- dire M. A. recevable en son appel et bien fondé en ses demandes, fins et conclusions,

- prononcer la jonction des procédures engagées en parallèle devant la cour et enregistrées sous les numéros de RG 19/15996 et 19/17156 compte tenu de leur connexité,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de M. A. au titre des pertes de gains professionnels, du point de départ des intérêts légaux et visant à mettre à la charge de la société EsayJet l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement que le demandeur serait amené à supporter,

En conséquence, statuant à nouveau

- évaluer le préjudice professionnel de M. Gilles A., à la somme, sauf à parfaire, de 133 509,75 euros,

- condamner la société EsayJet à payer à Monsieur Gilles A. à ce titre la somme, sauf à parfaire, de 133 509,75 euros,

- condamner la société EsayJet au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

- condamner la société EsayJet aux entiers dépens, en ce compris ceux du référé, dont distraction au profit de Me Cyril I., avocat aux offres de droit,

- dire que les condamnations porteront intérêts à compter du 4 mai 2017, avec anatocisme,

- mettre à la charge de la société EsayJet l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement que les époux A. seraient amenés à supporter,

- déclarer la décision commune au RSI de l'Ile-de-France.

Vu les dernières conclusions de la société EasyJet, notifiées le 20 janvier 2020, aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 28 juin 2019 en toutes ses dispositions,

En conséquent,

- débouter M. Gilles A. de l'ensemble de ses fins, demandes et conclusions,

- condamner M. Gilles A. à payer à la société EasyJet la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont le montant pourra être recouvré par Me B. conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le préjudice corporel de M. A.

Les Docteurs C. et R. indiquent dans leur rapport d'expertise amiable que M. A. a présenté à la suite de l'accident du 13 avril 2014 une plaie au niveau du pouce ayant justifié des soins jusqu'à la fin du mois de juin 2014 ainsi que de la rééducation.

Ils concluent leur rapport commun dans les termes suivants :

- début du sinistre : le 13 avril 2014

- date de consolidation : le 1er juillet 2014

- déficit fonctionnel temporaire :

* total : aucun

* à 25 % du 13 avril 2014 au 14 juin 2014

- puis à 10 % du 15 juin 2014 au 1er juillet 2014

- souffrances endurées :

* selon le Docteur C. : 1,5/7

* selon le Docteur R. : 2/7

- préjudice professionnel :

* arrêt de travail du 13 avril au 25 mai 2014 et du 12 juin au 27 juin 2014

* attendre les justificatifs [de perte de salaire]

- IPP : 2 %

- tierce personne : aucune

- préjudice d'agrément : «préjudice allégué mais non retenu par les médecins experts»

- préjudice sexuel : aucun.

Seule est discutée en cause d'appel l'évaluation des pertes de gains professionnels de M. Gilles A. consécutives à l'accident dont il a été victime le 13 avril 2014.

M. A., qui exerce une activité libérale d'architecte en systèmes d'informations, fait valoir qu'il avait conclu le 7 avril 2014, peu de temps avant l'accident, un contrat de prestation de services d'une durée d'un an avec la société C.Génial.com qui lui avait confié la mission de diriger de grands projets en tant qu'architecte et directeur de projets pour elle-même et ses clients, moyennant une rémunération de 980 euros par jour ouvré.

Il expose que la date de démarrage des prestations, fixée au 22 avril 2014, n'ayant pu être reportée, il a été contraint, à la suite de l'accident, de rompre ce contrat ; il précise qu'il n'a pu signer un nouveau contrat de prestation de services qu'en septembre 2014 pour une mission débutant le 15 septembre moyennant une rémunération inférieure de 550 euros par jour.

Il demande ainsi, en infirmation du jugement, une indemnité de 133 509,75 euros correspondant à ses pertes de gains professionnels entre le 22 avril 2014 et le 21 avril 2015, date prévue pour la fin du contrat perdu, calculée sur la base d'une perte journalière brute de 980 euros jusqu'au 14 septembre 2014 et de 430 euros (980 euros - 550 euros) entre le 15 septembre 2014 et le 21 avril 2015, dont il déduit un taux de charges évalué à 17,5 %.

La société EasyJet, qui conclut à la confirmation du jugement, conteste la réalité du contrat de prestations de service du 7 avril 2014 en relevant que la société C.Genial.com était radiée depuis plus de sept ans du registre du commerce et des sociétés à cette date et n'avait plus ni existence juridique ni activité.

Elle fait observer que la rémunération prévue par ce contrat est largement supérieure aux recettes habituelles de M. A., telles qu'elles résultent de ses comptes de résultats des années 2012 et 2013 et qu'elle est deux fois plus importante que celle prévue par le contrat conclu le 15 septembre 2014.

Elle estime que les pertes de gains de M. A. doivent être fixées par référence au montant de ses recettes habituelles avant l'accident, qui s'élevaient au vu de ses déclarations fiscales en 2012 et 2013 à la somme de 16 000 euros par mois.

Elle chiffre ainsi la perte de recettes de la victime à la somme de 48 000 euros pendant trois mois, soit une perte de bénéfices de 39 120 euros après déduction d'un pourcentage de charges de 18,5 %.

M. A. objecte que la radiation d'une société du registre du commerce et des sociétés pour cessation d'activité n'affecte pas sa personnalité morale et que le gérant de la société C.Génial.com s'explique très clairement sur le fait que sa société, alors en sommeil, aurait, si le contrat avait pu être mis en oeuvre, repris normalement son activité.

Sur ce, M. A. verse aux débats un contrat intitulé «contrat de service» daté du 7 avril 2014, aux termes duquel la société C.Genial.com lui confie la mission de «diriger de grands projets en tant qu'architecte et directeur de projet pour C.Genial.com et ses clients» moyennant une rémunération de 980 euros HT par jour : il est précisé que le contrat est conclu pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, à compter du 22 avril 2014,date prévue pour le début des prestations.

Il résulte des extraits Kbis versés aux débats par la société EasyJet que la société C.Genial.com a été radiée du registre de commerce et des sociétés le 6 novembre 2007 pour cessation d'activité et qu'elle n'a fait l'objet d'une nouvelle immatriculation que le 30 mai 2016 avant d'être dissoute le 31 décembre suivant.

Si la radiation d'office d'une société pour cessation d'activité en application de l'article R. 123-136 du code de commerce, constitue une simple mesure administrative qui n'a pas pour effet de faire perdre à la société radiée sa personnalité morale et sa capacité juridique de conclure un contrat, il convient de constater qu'à la date à laquelle la société C.Genial.com aurait confié à M. A. la mission de diriger de grands projet pour elle-même et pour ses clients, la société était «en sommeil» depuis sept ans et n'avait ni siège social ni clientèle et que la rémunération de 980 euros HT par jour ouvré, soit 19 500 euros par mois, est supérieure aux recettes mensuelles de l'intéressé déclarées fiscalement en 2012 et 2013, lesquelles représentent une moyenne de 16 300 euros et presque deux fois plus importante que la rémunération de 550 euros HT par jour fixée dans le contrat de prestation de service conclu par M. A. en septembre 2014 avec la société Proxiat.

L'attestation dactylographiée établie par le gérant de la société C.Genial.com. M. T., le 26 juillet 2017aux termes de laquelle celui-ci indique que le contrat conclu avec M. A. le 7 avril 2014 avec démarrage des travaux au 22 avril 2014 aurait dû donner lieu à une «réouverture» de la société prévue à cette date et que l'accident de M. A. en «l'incapacitant» et en rendant impossible le démarrage rapide des travaux dont il était «une pièce maîtresse» a fait avorter l'opportunité escomptée, non conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et rédigée en termes généraux et imprécis concernant l'opportunité escomptée, ne présente pas de garantie suffisante de crédibilité.

Elle apparaît, en outre, en contradiction, avec la lettre adressée le 5 mai 2014 à M. A. par M. T. dans laquelle il explique la résiliation du contrat par le fait qu' «en raison de l'urgence du besoin et des engagements commerciaux de la société C. Genial, la date de démarrage des prestations ne pourra pas être décalée en attente de votre capacité à assurer les prestations».

Au vu de ces éléments, il existe des indices graves et concordants permettant de retenir que le contrat de prestation de services prétendument conclu le 6 avril 2014 entre M. A. et une société sans activité, ni clientèle depuis sept ans, est en réalité fictif.

Le jugement qui a alloué à M. A. une indemnité au titre des pertes de gains professionnels de M. A. correspondant au montant de l'offre formée par la société EsayJet pour une perte de revenus nette de trois mois calculée sur la base des recettes déclarées à l'administration fiscale au cours des deux années précédant l'accident sera confirmé.

Sur le point de départ des intérêts moratoires

M. A. demande que le point de départ des intérêts moratoires soit fixé à la date de la réclamation adressée au conseil de la société EasyJet, le 4 mai 2017.

La société EsayJet conclut à la confirmation du jugement qui a fixé le point de départ des intérêts moratoires à la date de sa décision.

Sur ce, aux termes de l'article 1153-1, devenu 1231-7 du code civil, « En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.»

Aucune circonstance ne justifiant que les intérêts moratoires soient fixés à une date antérieure à la décision des premiers juges, le jugement sera confirmé.

Sur la charge des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement

M. A. demande que conformément aux «dispositions de l'article L. 141-6 du code de la consommation» l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement soit mise à la charge de la société EasyJet, en exposant que rien ne s'oppose, et en particulier pas l'équité, à une telle demande, d'autant que son droit à indemnisation est établi et qu'il a été contraint de saisir les juridictions pour obtenir son indemnisation.

Les premiers juges, bien qu'ayant rappelé les termes de cette demande dans l'exposé du litige, ont omis de l'examiner et de statuer sur son bien fondé.

La société EasyJet ne formule aucune observation sur ce point dans ses conclusions d'appel.

Aux termes de l'article R. 631-4 du code de la consommation auquel l'appelant fait implicitement mais nécessairement référence en dépit d'une erreur matérielle relative au texte applicable, « Lors du prononcé d'une condamnation, le juge peut, même d'office, pour des raisons tirées de l'équité ou de la situation économique du professionnel condamné, mettre à sa charge l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement prévus à l'article L. 111-8 du code des procédures d' exécution .»

Ces dispositions qui concernent les litiges civils entre professionnels et consommateurs ont vocation à s'appliquer dans les rapports entre M. A., qui a conclu un contrat de transport aérien à des fins purement privées et la société EasyJet.

Compte tenu de l'équité, il convient de prévoir que la société EasyJet devra supporter l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement des indemnités mises à sa charge par le jugement confirmé.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Compte tenu de la solution du litige, il convient de laisser à charge de chaque partie les dépens par elle exposés devant la cour.

L'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel, publiquement, par arrêt réputé contradictoire et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement,

Y ajoutant,

Dit que la société EasyJet Airline Company Limited devra supporter l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement en application de l'article R. 631-4 du code de la consommation,

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que chaque partie conservera la charge des dépens par elle exposés devant la cour.