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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 6 septembre 2007, n° 05/03757

TOULOUSE

Arrêt

Autre

PARTIES

Défendeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Toulouse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Selmes

Conseillers :

M. Verde De Lisle, M. Belieres

Avoués :

Me de Lamy, SCP Boyer-Lescat-Merle

Avocats :

Me Lecomte, Me Decker

T. com. Toulouse, du 8 juin 2005

8 juin 2005

Le 9 octobre 2002 Noël PLATET et Alain BONNEL se sont portés avalistes de deux effets de commerce d'un montant respectif de 609.796,07 € tiré sur la SA FRANCE ACHEMINEMENT et de 762.245,09 € tiré sur la SARL ELS, à échéance du 10 décembre 2002.

Le premier s'est révélé impayé à hauteur de 158.314 € et le second en totalité alors que les sociétés garanties ont été mises en redressement judiciaire par jugements du tribunal de commerce de Toulouse respectivement en date du 17 décembre 2002 et du 7 janvier 2003 convertis en liquidation judiciaire le 22 avril 2003 et 11 février 2003

La banque a déclaré sa créance le 17 février 2003 et le 24 février 2003.

Les mises en demeure adressées le 20 août 2003 et 3 novembre 2003 aux deux avalistes sont restées infructueuses.

Par actes du 24 septembre et 6 octobre 2003 pour le premier effet de commerce et du 20 novembre 2003 pour le second, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE TOULOUSE ET DU MIDI TOULOUSAIN (CRCAM TMT) a fait assigner Noël PLATET et Alain BONNEL devant le tribunal de commerce de TOULOUSE en paiement, dommages et intérêts et remboursement des frais irrépétibles.

Par jugement du 8 juin 2005, cette juridiction a

- ordonné la jonction des deux instances

- condamné conjointement et solidairement Noël PLATET et Alain BONNEL à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE TOULOUSE ET DU MIDI TOULOUSAIN les sommes de 762.245,02 € et 158.134 € avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2002

- débouté cette banque du surplus de ses demandes

- condamné conjointement et solidairement Noël PLATET et Alain BONNEL

* à payer à cette banque la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

* aux entiers dépens.

Par acte du 4 juillet 2005Noël PLATET et Alain BONNEL ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 19 octobre 2006 la cour d'appel a ordonné la réouverture des débats et invité les parties à

- produire toute pièce justificative.

* de l'existence ou du défaut de vérification des créances chirographaires dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SA FRANCE ACHEMINEMENT EXPLOITATION et de la SARL ELS

* en cas de vérification effective, de ce que la créance de la banque envers ces deux sociétés a été admise et pour quel montant

- réservé les dépens.

La CRCAM TMT a alors versé aux débats des attestations d'irrecouvrabilité adressées le 28 décembre 2005 par le mandataire liquidateur.

MOYENS DES PARTIES

Noël PLATET et Alain BONNEL invoquent la nullité des lettres de change litigieuses au regard des dispositions de l'article L 511-1-6 du code de commerce puisque le nom du bénéficiaire n'y est pas désigné et qu'aucune régularisation n'est intervenue avant la présentation au paiement.

Ils font valoir qu'une lettre de change pouvant parfaitement être tirée sur le tireur lui-même sans perdre sa nature de lettre de change, cette seule circonstance est totalement impropre à permettre de la requalifier en billet à ordre.

Subsidiairement, ils soulèvent l'irrégularité des déclarations de créances effectuées par la CRCAM TMT au passif des procédures collectives concernées puisqu'elles ont été faites le 17 février 2003 par M. ROUSSELY ROUSSEAU qui n'est pas son représentant légal et qui ne justifie pas avoir reçu une délégation de pouvoir l'y autorisant.

Ils soulignent que la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions inhérentes à la dette que le débiteur principal peut lui-même opposer et, notamment, l'extinction de la dette et, affirment que la position prise par les organes de la procédure collective importe peu d'autant que la vérification des créances chirographaires n'a pas eu lieu en raison de l'absence de répartition envisageable à ce titre.

Encore plus subsidiairement, ils soutiennent que l'engagement de de M. BONNET n'est précédé d'aucune mention pouvant laisser supposer qu'il soit avaliste d'une lettre de change et qu'en toute hypothèse l'aval a été apposé au moyen d'un tampon humide, procédé non admis pour une lettre de change, de sorte qu'il ne saurait être obligé à régler quelque somme que ce soit.

Infiniment subsidiairement, ils prétendent que la CRCAM TMT a commis une faute en leur faisant signer les effets de commerce litigieux en contrepartie du maintien pendant la durée du préavis des facilités de caisses accordées aux deux sociétés FRANCE ACHEMINEMENT et ELS dénoncées en septembre 2002 alors que leur patrimoine propre ne pouvait en aucune manière répondre de leur règlement, ce qui justifie l'octroi de dommages et intérêts d'un montant équivalent aux condamnations qui pourraient être prononcées contre eux.

Ils exigent, en toute hypothèse, de se voir allouer la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE TOULOUSE ET DU MIDI TOULOUSAIN conclut à la confirmation du jugement déféré avec capitalisation des intérêts moratoires et octroi d'une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en cause d'appel.

Elle prétend que chacun des documents produits à l'appui de la créance, bien qu'intitulé lettre de change est en réalité une opération entre deux personnes, la banque et les sociétés SA FRANCE ACHEMINEMENT et SARL ELS, sur lequel Noël PLATET et Alain BONNEL ont simplement apposé leur signature en qualité d'avalistes, de sorte qu'il doit être qualifié de billet à ordre régi par les dispositions de l'article 183 du code de commerce qui n'exige pas la mention du domicile ou de l'adresse du bénéficiaire et, en l'absence de nom de ce dernier, vaut comme titre au porteur .

Elle soutient que sa validité ne peut être mise en cause dès lors que le document contient une clause à ordre, l'indication de l'échéance, du lieu de paiement, de la date du lieu de souscription et de la signature du souscripteur qui a émis le titre.

Elle fait valoir que Noël PLATET et Alain BONNEL n'ont pas qualité pour soulever au nom et pour le compte du liquidateur la nullité des déclarations de créance, d'autant qu'un état de créance a été établi et acquis a autorité de chose jugée, la créance ayant été régulièrement admise et qu'ainsi ils ne peuvent se prévaloir d'aucune exception à ce titre.

Elle ajoute que les attestations d'irrecouvrabilité adressées par le liquidateur le 28 décembre 2005 ne sont communiquées que lorsque celui-ci a vérifié le passif et que les créances concernées ont été admises mais sans espoir d'être désintéressées compte tenu de l'insuffisance d'actif.

Elle affirme que si les billets à ordre produits sont, au regard d'Alain BONNEL, entachés de nullité en l'absence de signature manuscrite et ne peuvent produire aucun effet au plan cambiaire, ils constatent, à l'évidence, une promesse de paiement et font donc preuve de l'engagement souscrit par le signataire conformément aux droits et obligations, d'autant que ce procédé de signature était habituel pour lui.

Elle conteste toute faute de sa part, rappelle que les avals sont intervenus sur la base du pré-rapport de Me CAVIGLIOLI désigné en qualité de mandataire ad hoc chargé de négocier le maintien des concours bancaires en parfaite connaissance de la trésorerie de chacune des sociétés et souligne qu'aucun défaut de proportionnalité de leur engagement ne peut être sérieusement invoqué dès lors que les intéressés ne fournissent aucune pièce justificative de la réalité de leur revenus et patrimoine.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la validité des effets de commerce et leur portée

Aucun des deux effets de commerce du 9/10/2002 ne répond à toutes les exigences de forme d'une lettre de change puisqu'ils ne mentionnent pas le nom du bénéficiaire, en violation des dispositions de l'article L 511-1-6 du code de commerce prévues à peine de nullité, d'ordre public, et qu'aucune régularisation n'est intervenue avant sa présentation au paiement.

Même si, à leur lecture, ils ne mettent en cause que deux personnes puisque le tireur est également le tiré, ils ne peuvent davantage valoir comme billet à ordre dès lors que le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait est, également, exigé par l'article L 512-1 du code de commerce.

Ils ne valent que comme billet au porteur .

Leur paiement peut donc être exigé par la personne qui les détient mais dans les termes du droit commun ; en effet, par ces titres qui revêtent la forme au porteur , le débiteur a accepté d'avance pour créancier celui qui en deviendra porteur par tradition.

Ceux qui ont apporté leur garantie ne sont pas des donneurs d'aval mais des cautions ordinaires.

*

Aux termes de l'article 2036 du code civil la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui sont inhérentes à la dette, telle les règles relatives à la déclaration de créance qui mettent en jeu l'existence de la créance et peuvent conduire à son extinction.

La CRCAM TMT justifie avoir déclaré sa créance entre les mains de Me REY représentant des créanciers par lettres du 17 février 2003 en ce qui concerne la SA FRANCE ACHEMINEMENT et du 24 février 2003 en ce qui concerne la SARL ELS, soit dans les délais légaux

Noël PLATET et Alain BONNEL contestent la régularité de ces déclarations au motif qu'elles n'ont été pas été signées par le représentant légal de la personne morale créancière mais par le Directeur des risques et du contentieux, M. Roussely Rousseau sans justifier bénéficier d'une délégation de pouvoir lui permettant d'accomplir un tel acte qui équivaut à une demande en justice.

En raison du caractère accessoire du cautionnement, le juge du cautionnement saisi d'une action en paiement par le créancier contre la caution est tenu de respecter la décision passée en force de chose jugée rendue par le juge compétent de la procédure collective dans les rapports entre le créancier et le débiteur principal concernant l'existence et le montant de la créance.

En revanche, tant qu'une telle décision n'est pas intervenue le juge du cautionnement est juge de l'exception par application de l'article 49 du nouveau code de procédure civile et, par suite, doit statuer sur toutes les exceptions inhérentes à la dette invoquées par la caution, sa décision ne s'imposant que dans les rapports entre le créancier et la caution.

La CTCAM TMT se borne à invoquer l'absence de contestation de sa déclaration de créance de la part du représentant des créanciers devenu liquidateur et l'autorité de chose jugée attachée à l'état des créances qui a été dressé.

Mais, malgré l'invitation qui lui en a été faite par le précédent arrêt, elle ne communique pas la moindre donnée de nature à établir que sa créance a été vérifiée et définitivement admise au passif, alors que la charge de la preuve pèse sur elle et que seule une telle admission qui, en vertu de l'article L 621-104 du code de commerce émane du juge commissaire, étend à la caution l'autorité de chose jugée attachée à cette décision et la prive du bénéfice des exceptions inhérentes à la dette.

La production des certificats émanant de Me REY en sa qualité de liquidateur de la SA FRANCE ACHEMINEMENT et de la SARL ELS, attestant que 'les créance de la CRCAM TMT produites à hauteur respectivement de 158.314,31 € et de 762.245,09 € sont totalement irrecouvrables', délivrée dans le cadre des dispositions de l'article 271 du code général des impôts, comme expressément précisé sur ce document, est dépourvue de toute portée juridique sur ce point.

Un courrier émanant du greffe du tribunal de commerce signé du juge commissaire en date du 6 avril 2007communiqué par Noël PLATET et Alain BONNEL suivant bordereau du 19 avril 2007 établit que le liquidateur n'a pas été dispensé de vérifier le passif chirographaire en application de l'article L 621-102 du code de commerce, comme initialement soutenu et qu'à ce jour 'l'état des créances déposé au greffe n'est pas définitif....certaines contestations n'ont pu être évacuées bien qu'un grand nombre de créances chirographaires aient déjà fait l'objet de décisions, dans la mesure où le mandataire liquidateur était dans l'attente de la communication d'éléments complémentaires'.

En raison de l'importance des sommes en jeu et du fait que la procédure de vérification des créances est en voie d'achèvement, il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer sur l'exception soulevée par les deux cautions jusqu'à la décision du juge commissaire sur la créance de la banque envers les débiteurs principaux, le juge du cautionnement conservant cette faculté discrétionnaire ouverte par les articles 378 à 380-1 du nouveau code de procédure civile.

Les dépens et demandes présentées au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent être réservés en fin d'instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Dit que les deux lettres de change du 9/10/2002 ne valent que comme billets au porteur.

- Dit que les deux garants, Noël PLATET et Alain BONNEL, ne sont pas tenus comme avalistes mais comme cautions.

Avant dire droit au fond,

sur la demande en paiement formulée par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE TOULOUSE ET DU MIDI TOULOUSAIN à l'égard de Noël PLATET et Alain BONNEL et sur l'exception d'irrégularité de la déclaration de créance invoquée par ces cautions.

- Sursoit à statuer jusqu'à la décision définitive du juge commissaire sur l'admission de la créance de cette banque à l'encontre de la SA FRANCE ACHEMINEMENT et de la SARL ELS, débiteurs principaux.

- Renvoie l'affaire à la mise en état du 8 novembre 2007 à 8 H 30.

- Réserve les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.