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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 26 février 2019, n° 16/01593

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Arecia (SARL)

Défendeur :

Xavier Dorinet (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bareyt Catry

Conseiller :

M. Adrian

TGI Beauvais, 14 mars 2016

14 mars 2016

M. Olivier B. a été embauché par la société Lancry en contrat de travail à durée indéterminée le 1er février 2011.

Le 1er octobre 2011, son contrat de travail a été transféré à la société Arecia, société de sécurité privée.

Le 16 février 2012, il a été licencié pour faute grave après une période de mise à pied.

La société Arecia a été condamnée par le Conseil des prud'hommes de Rouen le 23 août 2012 à payer à M. B. les sommes suivantes :

- 6 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1920,39 € et 192,03 € au titre du préavis et des congés payés afférents,

- 2 167,32 € et 216,73 € au titre de rappel de salaire durant une mise à pied conservatoire du 9 janvier au 16 février 2012 et congés payés afférents,

- 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Rouen dans son arrêt du 19 mars 2013 sauf à réduire les dommages et intérêts à la somme de 2000 € et à y ajouter une nouvelle condamnation à 1600 € à titre de rappel de salaire pour la première période de mise à pied, du 15 décembre 2011 au 9 janvier 2012. La cour refusait toute indemnité d'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 10 décembre 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation n'a pas admis le pourvoi et a condamné Arecia à payer à M. B. la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Cet arrêt a été signifié le 23 juin 2015 et a fondé, pour un principal de 3000 €, une saisie attribution d'un montant de 3 959,35 € notifiée le 23 juillet 2015 par Maître Dorinet, huissier de justice, à la banque de la société Arecia.

Par voie d'assignation du 20 août 2015 dans le délai de contestation de la saisie, la société Arecia a attrait M. B. et l'huissier de justice instrumentaire, Maître Dorinet, devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Beauvais, afin de voir prononcer la nullité et/ou la mainlevée de la saisie, outre réduire certains frais excessifs.

Elle ne contestait pas le bien-fondé de la saisie attribution et son principal de 3000 € résultant du titre exécutoire que constituait l'arrêt signifié de la Cour de cassation, mais se prétendait créancière de M. B. pour une somme de 2 654,76 € du fait de deux saisies attribution précédentes excessives en frais et en principal comme partant de condamnations en salaire net, en date du 14 novembre 2012 et du 28 novembre 2013.

Par jugement en date du 14 mars 2016, dont la société Arecia a régulièrement relevé appel, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Beauvais a débouté la société Arecia de sa contestation principale en estimant que la compensation entre les deux sommes ne pouvait être admise que si la première résultait d'un titre exécutoire.

Par ailleurs, le juge de l'exécution faisait droit à la contestation des frais élevée par la société Arecia et validait la saisie pour un montant réduit à  3 356,94 €.

Une ordonnance de référé du Premier président de la cour d'appel d'Amiens du 13 juillet 2016, sur demande de la société Arecia, a suspendu le caractère exécutoire de ce jugement en admettant la vraisemblance de la créance de la société Arecia.

Une autre ordonnance, rendue par le conseiller de la mise en état le 15 novembre 2017, a déclaré les conclusions de M. B., signifiées le 10 novembre 2016, tardives et irrecevables.

Les dernières éconclusions n° 3" de l'appelant, la société Arecia, sont du 17 février 2018. La société sollicite :

- l'infirmation du jugement,

- la mainlevée partielle de la saisie du 23 juillet 2015 et la limitation de ses effets à la somme de 513,76 €,

- la condamnation de M. B. et de la Selarl Dorinet à lui verser 2000 € à titre de dommages et intérêts pour 'témérité fautive' et 'saisie abusive' outre 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Selarl Xavier Dorinet a conclu pour sa part en dernier lieu le 14 juin 2017.

Elle estime que les demandes de la société Arecia relatives aux saisies antérieures sont 'forcloses et prescrites' et, sur les frais, que la dernière saisie, du 23 juillet 2015, doit être validée pour un montant de 3 637,49 €.

Elle sollicite en outre 2 000 € à titre de dommages et intérêts et 4 000 € à titre de frais irrépétibles.

MOTIFS

1. Sur la recevabilité de la demande de compensation formée par la société Arecia.

Les parties sont en contradiction directe dans leur interprétation du droit sur cette possibilité et le juge de l'exécution, pour sa part, a estimé que, si le juge de l'exécution est compétent pour statuer sur une exception de compensation au titre de sa compétence sur le fond de la créance exécutée, c'est à la condition que la créance réciproque soit fondée sur un titre exécutoire, ce qu'il a estimé ne pas être le cas en l'espèce.

L'article 213-6 al. 1 du code de l'organisation judiciaire dispose que :

'Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.'

Le texte ne suggère pas de restriction particulière.

De son côté, le code des procédures civiles d'exécution, article L 211-4 in fine, prévoit le cas où la saisie attribution n'a pas été contestée dans le délai d'un mois et permet alors au débiteur saisi de saisir le juge du fond 'à ses frais' en répétition de l'indu pour les sommes excessivement saisies.

La Cour de cassation en tire de manière constante le principe que le juge de l'exécution est compétent pour connaître des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, y compris celles tendant à la répétition de l'indû lorsqu'elles sont soulevées devant le juge de l'exécution, sans faire référence à la condition d'un titre exécutoire, ce qui serait en fait ruiner le dit principe.

Ainsi par un arrêt de la 2° chambre civile, le 23 février 2016 : 'il appartient au juge de l'exécution de vérifier le montant de la créance dont le recouvrement est poursuivi et de trancher la contestation relative à l'exception de compensation' (pourvoi n° 14-29.893).

Les saisies tendent à exécuter les décisions de justice relatives à un litige et il doit être permis lors de la deuxième ou de la dernière saisie de faire les comptes entre les parties au litige, sur le fond.

Il y a donc lieu de réformer le jugement sur ce point et de recevoir la société Arecia en son exception de compensation à l'encontre des causes de la saisie du 23 juillet 2015.

2. Sur la demande de main levée partielle de la saisie attribution du 23 juillet 2012.

En exécution du jugement prud'homal ne bénéficiant pas de l'exécution provisoire, Maître Dorinet, sur instruction du conseil de M. B., a saisi pendant l'instance d'appel, le 14 novembre 2012, pour les créances en principal de :

-1 920,39 € et 192,03 € au titre du préavis et des congés payés afférents,

- 2167,32 € et 216,73 € au titre de rappel de salaire durant une mise à pied conservatoire du 9 janvier au 16 février 2012 et congés payés afférents.

Lorsque l'arrêt du 19 mars 2013 a été rendu ; il a saisi, d'abord le 28 mai 2013 puis le 28 novembre 2013 pour un complément de frais (pièces Dorinet 2 et 10) les sommes suivantes en principal :

- l'article 700 du jugement : 1 500 €,

- les dommages et intérêts réduits à 2 000 € par la cour d'appel,

- la somme allouée en appel au titre de la première mise à pied : 1 600 € considérée comme des 'dommages et intérêts'.

La société Arecia se prétend titulaire d'une créance réciproque et connexe provenant des deux saisies antérieures en ce que ces saisies sont fondées, ainsi qu’on vient de le voir, sur des créances en principal comme si elles étaient des salaires nets alors qu'elle soutient que les condamnations prud'homales à des sommes ayant la nature de salaire doivent être considérées comme brutes et comme non nettes.

La première saisie pour 4 496,47 € aurait dû partir d'une créance de 3 501,29 € (conclusions page 14).

La seconde saisie aurait dû remplacer la somme de 1600 € par celle de 1 237,89 € (page 16).

Ces montants ne sont pas contestés dans leur quantum.

La société Arecia a édité deux bulletins de salaire correspondant (pièce 2 et 17) dont le premier aurait été adressé à M. B. après le jugement tandis que celui-ci faisait saisir sans mise en demeure.

Ainsi la société Arecia se prétend créancière pour la différence entre le brut et le net et sollicite la compensation avec les sommes saisies le 23 juillet 2015.

La Selarl Dorinet soutient que la jurisprudence est moins nette et même qu'elle est désormais en sens contraire. Mais elle ne cite qu'un seul arrêt de la Cour de cassation, du 9 novembre 2014, non publié, qui statue manifestement sur les termes utilisés par les décisions de l'espèce qui s'exprimaient de facto en net. Il est en effet constant en jurisprudence que les condamnations prud'homales à des sommes ayant la nature de salaire doivent être considérées comme brutes et non nettes, les parties doivent payer les cotisations sociales qui sont obligatoires correspondant à ces sommes dès lors qu'elles ont la nature de salaire.

Les sommes litigieuses ne relèvent pas de la catégorie des indemnités de rupture et aucune complication ne peut être tirées de certaines dispositions récentes sur l'assujettissement de certaines indemnités de rupture aux charges sociales.

Il convient donc d'admettre la compensation pour un montant de 995,18 (1ère saisie) + 362,11 € (2e saisie) = 1 357,29 € qui viendront en déduction des causes de la troisième saisie litigieuse.

3. Sur les contestations de frais des précédentes saisies.

Il n'appartient pas à la juridiction saisie de revenir sur le bien-fondé de tel ou tel poste de frais facturé lors des saisies précédentes dans le cadre de la contestation d'une saisie postérieure, en l'espèce celle du 23 juillet 2015, cette contestation devant être formée dans le mois de la saisie afférente.

La société Arecia doit être déboutée de ses demandes sur ce point.

4. Sur les frais liés à la saisie du 23 juillet 2015.

Relativement à la saisie attribution du 23 juillet 2015, les parties s'opposent également sur les frais à admettre en sus du principal de 3000 €, des frais de signification de l'arrêt et des intérêts et la juridiction doit reprendre la question.

Il y a lieu de se reporter à l'acte, pièce Dorinet 21.

La question doit être examinée à la lumière du principe posé par l’article L 111-8 du code des procédures civiles d'exécution selon lequel, si le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance, il reste que 'l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l' obligation' et de l'article 650 du code de procédure civile selon lequel 'les frais afférents aux actes inutiles sont à la charge des huissiers de justice qui les ont faits (...)'

Sous le principal de 3 000 €, est portée une somme de 460,83 € à titre de 'frais'.

Il n'y a pas lieu d'admettre les frais relatifs à un précédent procès-verbal de saisie mobilière complètement inutile alors que la même étude avait déjà fait prospérer intégralement trois saisies attribution contre le même débiteur, ni une tentative de saisie attribution auprès d'une autre banque qui n'a rien donné, le compte étant clôturé. Ne seront donc retenus que le coût de la signification (84,97 €) et de dénonciation de la saisie attribution (103,45 €) soit au total la somme de 188,42 €.

Il y a aura donc lieu de déduire 272,41 €.

Outre cette somme de 460,83 € de 'frais', le coût du présent acte, les intérêts, le droit de recouvrement article 8, Me Dorinet compte une provision de 330 € qui s'avère correspondre au certificat de non-contestation, à la signification dudit certificat et à la procédure de mainlevée de la saisie attribution.

Comme l'a relevé à bon droit le premier juge, la demande au greffe du certificat de non-contestation est une simple formalité administrative qui peut se faire par courrier, par courriel et qui relève du simple secrétariat. Ensuite, aucune disposition n'impose la signification même de ce certificat au tiers saisi dans la mesure où celui-ci procède au paiement sur simple présentation du certificat qui peut également se faire sans forme, et aujourd'hui, souvent, par courriel. Enfin, la mainlevée quittance au tiers saisi est un simple reçu sans effet juridique particulier et ne constitue pas une démarche nécessaire puisque la saisie perd de plein droit ses effets par le paiement, et là encore rien n'en impose la signification.

Ces actes, s'ils sont accomplis, doivent faire partie des frais généraux de la saisie rémunérés par les actes tarifés et n’ont pas à faire l’objet d’une facturation supplémentaire.

C'est à bon droit que le premier juge les a soustraits des sommes saisies et a réduit d'autant les causes de la saisie.

5. Décompte final.

Il convient donc de déduire des causes de la saisie, 3959, 35 €, la somme de 1357, 29 € admise au point 2 du présent arrêt et les sommes de 272, 41 € et 330 € admises au point 4 pour arriver au montant de 1999, 65 €, montant auquel sera cantonné la saisie.

Le dépositaire des sommes qui semble être la Selarl Dorinet selon ses conclusions devra reverser le surplus à la société Arecia,

6. Sur la demande de dommages et intérêts formulée par la Selarl Dorinet (4000 €).

Il est suffisamment fait droit aux demandes de la société Arecia pour que la Selarl Dorinet ne se croit pas autorisée à obtenir des dommages et intérêts au motif que la société Arecia 'multiplie les procédures', et ce alors même qu'elle lui reproche de ne pas avoir contesté les saisie attributions antérieures en leur temps.

7. Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Arecia (2000 €).

La présente décision montre, contrairement à ce qu'allègue la société Arecia, que cette quatrième saisie n'était pas inutile à strictement parler et il n'y a pas lieu d'annuler la saisie dans son principe.

Toutefois, il faut déplorer que les demandes d'explications de cette société n'ait pas reçu un accueil qui aurait permis en amont de faire paisiblement les comptes et d'éviter finalement tout ou partie de l'exécution forcée.

A cet égard, la juridiction observe que le gérant d'Arecia écrivait le 6 juillet 2015 à l'étude de M° Dorinet pour lui indiquer qu'à son avis sa société ne devait plus rien et qu' il n'a pas reçu de réponse.

La seule correspondance de la Selarl Dorinet à la société Arecia produite aux débats est celle faite le 27 août 2015 qui consiste dans une production des décomptes des trois premières saisies sans aucun commentaire ni raisonnement.

Surtout, en amont, aucune mise en demeure préalable n'est produite avant les saisies attribution qui ont manifestement, à chaque fois, fait réagir le gérant, sans que l'étude cherche un terrain d'entente.

Celui-ci a au moins écrit trois fois à l'étude (pièces Arecia 6, 7, 8) sans recevoir de réponse.

Il n'est pas difficile, en outre, pour un professionnel du droit comme un huissier de justice de savoir si les condamnations prud'homales qui tiennent lieu de salaires doivent être comprises en net ou en brut, et tout au moins de s'en enquérir auprès de l'avocat du salarié qui le mandate comme en l'espèce (pièce Dorinet 5, lettre de Maître Poirot Bourdain à la Selarl Dorinet en amont de la première saisie).

La faute de l'huissier de justice est donc certaine.

Toutes ces démarches et complications représentent un souci pesant pour un chef d'entreprise et le préjudice est avéré. Il sera alloué une somme de 1500 € à la société Arecia en compensation de son préjudice.

7. Sur les demandes accessoires relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

La société Arecia a été condamnée en première instance à la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile alors qu'elle obtenait gain de cause en partie et que son action, le présent arrêt le montre, était parfaitement fondée en son principe. Comme le sollicite la société Arecia, cette disposition sera réformée.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la Selarl Dorinet.

Au titre de ses frais de procès non compris dans les dépens, il sera alloué une somme de 1000 € par M. B. et une somme de 2000 € par la selarl Dorinet.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu le 14 mars 2016 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Beauvais y compris sur les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau,

Prononce la mainlevée partielle de la saisie attribution du 23 juillet 2015, réduit la saisie à la somme de 1 999,65 € et dit que le dépositaire des sommes en surplus les reversera à la société Arecia,

Condamne la Selarl Dorinet à payer à la société Arecia la somme de 1 500 € à titre de dommages et intérêts,

Condamne la Selarl Dorinet aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. B. à payer la somme de 1 000 € à la société Arecia au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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