CAA Nancy, ch. 4, 20 mars 2006, n° 04NC01012
NANCY
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roth
Rapporteur :
Mme Guichaoua
Commissaire du gouvernement :
M. Wallerich
Avocat(s) :
SCP Huglo Lepage & Associés
Vu le recours enregistré au greffe le 15 novembre 2004, complété par un mémoire enregistré le 12 septembre 2005, présenté par le MINISTRE DE l'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE ; le ministre demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 31 août 2004 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a annulé, à la demande de Me X, liquidateur judiciaire de la société Manufacture de rechapage de l'Est, l'arrêté du 26 mars 2003 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a mise en demeure de procéder à l'élimination du stockage de pneumatiques usagés situés 6, allée des Frênes à Velaine-en-Haye et a mis à sa charge la somme de 900 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative;
2°) de rejeter la demande présentée par Me X devant le tribunal administratif ;
Il soutient que :
- contrairement à l'appréciation portée par le tribunal administratif, l'arrêté préfectoral du 26 mars 2003 ne constitue que le rappel d'obligations préexistantes, s'imposant à l'exploitant par application de l'article 34-1 du décret du 31 septembre 1977 modifié, et de l'arrêté du 1er mars 1996, modifié, portant prescriptions générales applicables aux installations classées relevant de la rubrique n° 98 bis C ;
- la mise en demeure de procéder à l'évacuation de produits entreposés sur le site d'une ancienne usine ne constitue pas une prescription nouvelle qui relèverait de l'article L. 512-7 du code de l'environnement mais est au nombre des mesures susceptibles d'être exigées en application de l'article L. 514-1 du même code et n'excédant pas celles pouvant être légalement prescrites en application de l'article 34-1 du décret du 21 septembre 1977 ;
- pendant toute la durée de la liquidation judiciaire d'une société exploitant une installation classée, le liquidateur exerce les droits et actions concernant le patrimoine de la société ; les mesures imposées au liquidateur avant la clôture de la liquidation sont légales ;
- la circonstance que le liquidateur ne disposerait pas des sommes nécessaires à la réhabilitation du site ne fait pas obstacle à l'action du préfet ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les mémoires en défense, enregistrés le 11 juillet 2005 et le 22 février 2006, présentés pour Me X, par la SCP d'avocats Huglo-Lepage et associés conseils ;
Me X conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- contrairement à l'affirmation du ministre, les mesures prescrites ne peuvent être regardées comme le simple rappel d'obligations préexistantes ; elles s'analysent comme des prescriptions visant à la remise en état du site ;
- la liquidation des actifs de la société ayant été réalisée, la société n'a plus aucune existence ; au surplus, l'administration était parfaitement informée de l'inexistence de tout moyen permettant d'assurer l'élimination des pneus ;
- la mise en demeure n'a pas été précédée de la procédure contradictoire prévue, en matière de décision défavorable, par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977, modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 février 2006 :
- le rapport de Mme Guichaoua, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Wallerich, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement reprenant les dispositions de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 relative aux installations classées : «Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments» ; qu'aux termes de l'article L.514-1 du code de l'environnement, issu de l'article 23 de la loi du 19 juillet 1976 : «Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées et lorsqu'un inspecteur des installations classées a constaté l'inobservation des conditions imposées à l'exploitant d'une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé» ; qu'aux termes de l'article 34 du décret du 21 septembre 1977 susvisé, pris pour l'application de la loi du 19 juillet 1976 précitée : «Lorsqu'une installation cesse l'activité au titre de laquelle elle était autorisée ou déclarée, son exploitant doit en informer le préfet dans le mois qui suit cette cessation;... l'exploitant doit remettre le site de l'installation dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976. Le préfet peut à tout moment imposer à l'exploitant les prescriptions relatives à la remise en état du site, par arrêté pris dans les formes prévues à l'article 18 ci-dessus. (?) »;qu'aux termes de l'article 18 du même décret : «Des arrêtés complémentaires peuvent être pris sur proposition de l'inspection des installations classées et après avis du conseil départemental d'hygiène. Ils peuvent fixer toutes les prescriptions additionnelles que la protection des intérêts mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976 susvisée rend nécessaires (?) » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SA manufacture de rechapage de l'Est qui exploitait une activité de stockage, rechapage et réparation de pneus, a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 10 juillet 2001;qu'à la suite d'une visite du site par l'inspecteur des installations classées, le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par arrêté du 26 mars 2003, mis en demeure Me X, mandataire judiciaire désigné en tant que liquidateur des biens de la SA, de procéder à l'élimination des pneumatiques usagés stockés sur le site ; qu'une telle prescription n'est pas une prescription additionnelle au sens de l'article 18 précité du décret du 21 septembre 1977, mais figure au nombre des prescriptions générales imposées à tout exploitant d'une activité relevant, comme en l'espèce, de la rubrique 98 bis de la nomenclature des installations classées, et dont la SA avait reçu notification en même temps que son récépissé de déclaration ; qu'elle pouvait, par suite, être légalement prise sur le fondement de l'article L. 514-1 précité du code de l'environnement, sans donner lieu à consultation préalable de la commission départementale compétente ; qu'ainsi, c'est donc à tort que le Tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 mars 2003 au motif qu'il était intervenu au terme d'une procédure irrégulière;
Considérant toutefois qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Me X devant le Tribunal administratif de Nancy ;
Considérant, en premier lieu, que l'arrêté du préfet énonce dans les visas ainsi que dans la lettre de notification, produite par Me X et datée du même jour que l'arrêté, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, d'ailleurs déjà exposées par l'administration dans sa lettre du 11 décembre 2002, adressée au syndic liquidateur ; que la mise en demeure critiquée est ainsi régulièrement motivée ;
Considérant, en deuxième lieu, que, dans sa lettre du 11 décembre 2002, à laquelle se trouvait joint le projet de mise en demeure, le préfet a demandé à Me X, qui a d'ailleurs usé de cette faculté, de lui faire part des observations que suscitaient, le cas échéant, les mesures envisagées ; que le liquidateur a été ainsi, et en tout état de cause, mis en mesure d'exercer les droits qu'il tient du respect du principe du contradictoire ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985, reprises à l'article L. 622-9 du code de commerce, alors en vigueur, qu'à dater du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, le débiteur est dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens et que ses droits et actions concernant son patrimoine sont exercées pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur ; qu'il résulte de l'instruction qu'à la date de la mise en demeure, la clôture de la liquidation judiciaire des biens de la SA manufacture de rechapage de l'Est n'était pas prononcée ; que Me X représentait dès lors la société, laquelle n'était pas dépourvue d'existence ; que, par suite, le préfet a pu, sans commettre d'erreur de droit, lui imposer de procéder à l'élimination du stock de pneus usagés détenu sur le site;
Considérant, en quatrième lieu, que les mesures énumérées à l'article L. 514-1 du code de l'environnement ont été instituées pour contraindre les exploitants à prendre les dispositions nécessaires à la sauvegarde des intérêts visés à l'article L. 511-1 du même code; qu’aussi longtemps que subsiste l'un des dangers ou inconvénients mentionnés à cet article, le préfet peut mettre en oeuvre, indifféremment et, le cas échéant, successivement, les mesures prévues par cet article; que, par suite, en sa qualité de représentante de la SA manufacture de rechapage de l'Est, Me X, pouvait, sans détournement de procédure, faire l'objet de la mise en demeure contestée;
Considérant, en cinquième lieu, que la circonstance que le liquidateur n'aurait pas les moyens financiers de réaliser les mesures prescrites par l'arrêté est inopérante ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DE l'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 26 mars 2003 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Me X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nancy en date du 31 août 2004 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Me X, en qualité de liquidateur de la SA manufacture de rechapage de l'Est devant le Tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de Me X devant la Cour tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DE L'ECOLOGIE ET DU DEVELOPPEMENT DURABLE, et à Me X, en sa qualité de liquidateur de la SA manufacture de rechapage de l'Est.