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Décisions

Cass. crim., 15 avril 2008, n° 08-80.701

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farge

Rapporteur :

Mme Radenne

Avocat général :

M. Boccon-Gibod

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Papeete, du 11 déc. 2007

11 décembre 2007

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 145 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté Emile X... de sa demande d'annulation de la procédure et a confirmé la décision du juge des libertés et de la détention plaçant Emile X... en détention provisoire ;

"aux motifs que la décision du premier juge était motivée et n'entraîne aucune irrégularité procédurale, dans la mesure où l'affaire était, comme le dit l'ordonnance déférée, sur la place publique avant même la mise en examen, de sorte que la publicité des débats n'a entraîné aucune conséquence sur le secret de l'instruction ou la réputation d'Emile X... ;

"1°) alors que la personne mise en examen peut s'opposer à la publicité si elle est de nature à porter atteinte à la présomption d'innocence ou à la sérénité des débats ou à nuire à la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers ; qu'en estimant que le juge des libertés et de la détention était fondé à refuser d'ordonner le huis clos dans la mesure où l'affaire était « sur la place publique » avant même la mise en examen, la chambre de l'instruction, qui s'est bornée à constater la publicité donnée par la presse à l'«affaire » avant la mise en examen sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la publicité de l'audience n'était pas de nature à porter atteinte à la présomption d'innocence de la personne mise en examen ou à nuire à sa dignité, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

"2°) alors qu'Emile X... a fait valoir que le procureur de la République, par ses réquisitions, a fait part à une assemblée constituée de nombreux journalistes, des investigations qu'il considérait utiles, portant atteinte à la présomption d'innocence en exposant avec de nombreux détails le contenu du rapport de la chambre territoriale des comptes et de l'enquête préliminaire rendant désormais totalement inefficaces les investigations qu'il appelait de ses voeux puisque connues de tous ; qu'en se bornant à énoncer les motifs précités pour refuser d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, la chambre de l'instruction a, derechef, violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, lorsqu'il a comparu devant le juge des libertés et de la détention en vue du débat contradictoire prévu par l'article 145 du code de procédure pénale, Emile X... s'est opposé à la publicité des débats ; que le juge des libertés et de la détention, qui a statué en audience publique, après avoir refusé, par ordonnance motivée de faire droit à la demande de huis clos, a décerné mandat de dépôt ;

Attendu que, statuant sur l'appel de l'ordonnance de placement en détention provisoire, la chambre de l'instruction a rejeté l'argumentation du mis en examen contestant les motifs de l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention avait, conformément aux dispositions du sixième alinéa de l'article susvisé, statué sur la publicité des débats ;

Attendu que le demandeur ne peut être admis, à l'occasion de son appel de la décision l'ayant placé en détention provisoire, à critiquer les motifs de l'ordonnance, non susceptible de recours, par laquelle il a été statué sur son opposition à la publicité des débats ;

Que, dès lors, le moyen est irrecevable ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 80-2, 114, 116, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté Emile X... de sa demande d'annulation de la procédure et a confirmé la décision du juge des libertés et de la détention plaçant Emile X... en détention provisoire ;

"aux motifs que, sur la nullité au regard de l'article 114 du code de procédure pénale, après l'interrogatoire de première comparution, les conseils d'Emile X... ont fait mentionner au procès-verbal que le dossier ne comportait pas le rapport de la chambre territoriale des comptes qui servait de base aux poursuites ; que le juge d'instruction a porté cette mention sans faire de commentaire de sorte que l'affirmation du conseil d'Emile X... ne peut être vérifiée ; que le procès-verbal – dernière ligne de la page 2 de la cote D 38 - comporte l'indication que le dossier a été remis aux avocats ; que cette mention fait foi jusqu'à inscription de faux ; qu'à défaut de preuve contraire, dont la charge incombe à Emile X..., il est de jurisprudence constante que le dossier est présumé avoir été complet au moment de la transmission ; qu'enfin, le rapport de la chambre territoriale des comptes figure aux pièces D1 et D4, qui sont les premières pièces de fond du dossier, et y figuraient nécessairement ; qu'Emile X... a accepté de s'expliquer lors de cette première audition, et a été entendu précisément sur ces faits par le juge d'instruction ; qu'il a pu y répondre librement, sans jamais prétendre qu'il ignorait de quoi il s'agissait et sur quoi il s'expliquait, ce qui établit qu'il disposait de ce rapport, qui au demeurant était sur la place publique bien avant la décision du juge d'instruction de le mettre en examen ; que dès lors, quand bien même le rapport de la chambre territoriale des comptes aurait été absent de la copie du dossier remise aux avocats (qui n'ont pas élevé de protestation au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation – crim 3 septembre 1986 – mais fait une simple déclaration), il n'est pas démontré que cette absence a pu porter atteinte aux droits de la défense, ce rapport étant de notoriété publique et déjà connu d'Emile X... qui avait été expressément entendu sur les points qu'il contient pendant sa garde-à-vue ;

"1°) alors que le dossier de la procédure mis à la disposition de l'avocat du mis en examen doit, à peine de nullité, être complet et porter sur toutes les pièces de la procédure ; qu'en énonçant que le procès-verbal de l'interrogatoire de première comparution comportait l'indication que le dossier a été remis à l'avocat de la personne mise en examen et était dès lors complet, et en constatant tout à la fois qu'il était fait mention dans ce même procès-verbal d'interrogatoire de ce que l'avocat n'a pas eu communication du rapport de la chambre territoriale des comptes qui servait de base aux poursuites, la chambre de l'instruction qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision ;

"2°) alors que, de même, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans se contredire, énoncer que le rapport de la chambre des comptes figurait nécessairement dans le dossier, tout en énonçant que l'absence de ce rapport dans le dossier remis à l'avocat de la personne mise en examen ne pouvait être vérifiée, ce dont il se déduit que sa présence ne pouvait pas non plus être vérifiée ;

3°) alors que, lorsqu'une pièce, sur laquelle se fondent les poursuites, n'a pas été jointe au dossier de la procédure, il en résulte nécessairement que l'exercice des droits de la défense a été affecté pendant toute la période d'instruction où le dossier ne comportait pas toutes les pièces ; qu'en considérant que l'absence du rapport de la chambre territoriale des comptes n'a pas pu porter atteinte aux droits de la défense dès lors que la pièce était de notoriété publique, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'à l'occasion d'un appel en matière de détention provisoire, la personne mise en examen ne peut formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel ;

D'où il suit que le moyen est irrecevable ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 137-3, 144, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a débouté Emile X... de sa demande d'annulation de la procédure et a confirmé la décision du juge des libertés et de la détention plaçant Emile X... en détention provisoire ;

"aux motifs que, contrairement à ce que fait plaider Emile X..., l'information n'est nullement achevée et il convient de rechercher les personnes qui ont profité des largesses de l'intéressé et donc d'éviter qu'il ne tente de faire pression sur elles pour minimiser son rôle et l'ampleur des détournements ; qu'il convient aussi d'éviter une dissimulation de preuves, de nombreux objets mobiliers n'ayant pas été retrouvés ; que de plus, en liberté, Emile X... pourrait être tenté de faire disparaître des biens provenant de détournements non encore découverts, l'enquête n'étant pas terminée ; qu'enfin, il convient d'éviter le renouvellement de l'infraction : l'intéressé est déjà en campagne électorale, et les usages politiques locaux comme les pratiques personnelles d'Emile X... pourraient le conduire à user à nouveau des moyens dont il dispose en sa qualité de maire et d'élu à l'assemblée de Polynésie française pour favoriser ses réélections ; qu'à cet égard, il faut rappeler qu'Emile X... a déjà été poursuivi pour des faits identiques qui n'ont pas été jugés au seul motif qu'ils étaient prescrits ; que, par ailleurs, il a été condamné par le tribunal correctionnel le 31 août 2004 pour des faits de prise illégale d'intérêts commis entre 1993 et 2000, les poursuites ayant débuté avant sa prise de fonctions à l'OPT en 2005 ; que le jugement a été confirmé par cette Cour le 26 janvier 2006 ; qu'il a toutefois été dispensé de la sanction d'inéligibilité qui aurait pu assortir sa condamnation ; qu'enfin, un dossier du même ordre est actuellement en délibéré devant la chambre des appels correctionnels ; qu'il est donc constant que, depuis 1996 au moins, Emile X... est amplement informé que le fait de profiter des facilités pécuniaires offertes par des fonctions publiques à des fins personnelles constitue un délit et, compte tenu de l'ancienneté de ses mandats électifs et de sa carrière politique, il ne peut pas sérieusement soutenir l'ignorance ou la naïveté ; que le renouvellement de l'infraction en période électorale est donc un risque non négligeable et il importe peu à cet égard que l'intéressé ne soit plus en charge de l'OPT ou d'un autre ministère ; qu'enfin, il convient, compte tenu de l'ampleur du préjudice pour l'OPT, de garantir la représentation de l'intéressé, qui ne présente en l'état aucune garantie, en le maintenant en détention ;

"1°) alors que la détention provisoire ne peut être motivée qu'au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure ; que la détention provisoire en vue d'empêcher une pression sur les témoins et victimes et une concertation frauduleuse entre coauteurs ou complices ne se justifie qu'autant que cette pression ou concertation est possible ; qu'en se bornant à énoncer qu'il convient de rechercher les personnes qui ont profité des largesses de l'intéressé et donc d'éviter qu'il ne tente de faire pression sur elles pour minimiser son rôle, alors même que, comme le soulevait le mis en examen, Emile X... avait connaissance depuis plusieurs semaines que des investigations étaient menées par la chambre territoriale des comptes et par les gendarmes de la brigade de recherches et que, dans ce laps de temps, Emile X... n'avait commis aucune pression sur M. Y..., la chambre de l'instruction, qui n'a pas répondu à l'argument du mis en examen et n'a pas précisé les personnes en cause ni dès lors si une pression était possible, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

"2°) alors que la chambre de l'instruction ne peut se prononcer par des motifs d'ordre général et abstrait ; que le mis en examen soulevait l'absence de risque de disparition d'éléments probatoires dès lors que l'enquête était menée depuis plusieurs semaines et que le dossier était achevé par la mise en examen d'Emile X..., éléments ne laissant aucune place à d'autres investigations ; que la chambre de l'instruction qui s'est bornée à énoncer qu'il convenait d'éviter une dissimulation des preuves, l'instruction n'étant pas achevée, s'est prononcée par un motif général consistant à justifier toute détention provisoire dès lors qu'une instruction est en cours, sans répondre à l'argument péremptoire du requérant ;

"3°) alors que la condition de cessation définitive des infractions et de leur non renouvellement ne peut se concevoir que concernant les infractions pour lesquelles le mis en examen est poursuivi et placé en détention provisoire ; qu'en relevant qu'Emile X... a été poursuivi et condamné pour d'autres faits similaires, la chambre de l'instruction, qui s'est fondée sur des faits antérieurs, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"4°) alors que l'article 144 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire peut être justifiée lorsqu'elle constitue l'unique moyen de mettre fin au trouble à l'ordre public provoqué par « l'importance du préjudice qu'elle a causé » ; que cette justification est exclue en matière correctionnelle ; qu'en se déterminant par la circonstance de l'importance du préjudice causé par l'infraction, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé" ;

Attendu que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ordonnant le placement en détention provisoire d'Emile X..., l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient, notamment, que sa détention provisoire est l'unique moyen d'éviter des pressions sur les témoins, de conserver les preuves et indices matériels, alors que doivent être recherchés les personnes ayant bénéficié des détournements ainsi que le matériel disparu ; que les juges, après avoir rappelé les antécédents judiciaires du mis en examen, énoncent que cette mesure est également l'unique moyen de mettre fin à l'infraction et de prévenir son renouvellement ; qu'ils ajoutent que ces objectifs ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui a répondu aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a justifié sa décision par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale ;

Que dès lors, le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.