CA Agen, 1re ch. civ., 1 juillet 2020, n° 19/00155
AGEN
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Souchon Location (SARL)
Défendeur :
Grand Port Maritime de Bordeaux, BVM (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Blum
Conseillers :
M. Segonnes, M. Faure
La SARL SOUCHON LOCATION dont l'activité est la location et la mise à disposition de matériel dans le cadre d'événements et réceptions, était titulaire depuis le 1er novembre 2008 d'une autorisation d'occupation temporaire sur les quais de Bordeaux (33) du hangar H 21 d'une surface de 1.574 m², sur le domaine public, concédée par le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX.
Dans le cadre du programme d'aménagement du secteur du bassin à flot, le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX informait la SARL SOUCHON LOCATION qu'elle ne renouvellerait pas l'autorisation d'occupation temporaire, laquelle prendrait fin le 31 décembre 2014.
En considération du maintien dans les lieux de la SARL SOUCHON LOCATION, le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX saisissait par acte du 12 juin 2015 le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, lequel par ordonnance du 19 juin 2015 :
- Enjoignait à la SARL SOUCHON LOCATION prise en la personne de son gérant, David D., d'évacuer le hangar 21 plus tard le 30 juin 2015,
- Autorisait le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX passé ce délai, à procéder à la libération des lieux avec le concours de la force publique, aux frais de la société.
Faute d'avoir respecté les termes de la décision, il était procédé à son expulsion par la SELARL BVM, huissiers à Bordeaux (33), les 26, 27 et 28 octobre 2015.
Par acte du 17 novembre 2017, la SARL SOUCHON LOCATION assignait devant le juge de l' exécution de Bordeaux le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX et la SELARL d'huissiers BVM aux fins de les voir condamner à indemniser son préjudice né du coût du déménagement, lequel par jugement du 12 juin 2018 renvoyait l'affaire au visa de l'article 47 du code de procédure civile devant le juge de l' exécution du tribunal d'instance d'Agen qui par jugement du 24 janvier 2019 :
- Condamnait le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX à restituer à la SARL SOUCHON LOCATION la somme de 729,20 euros au titre du procès-verbal de constat dressé le 18 novembre 2015
- Déboutait la SARL SOUCHON LOCATION du surplus de ses autres demandes
- La condamnait à payer au GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX la somme de 1 047,40 euros au titre du solde des factures d'évacuation des cuves de fioul et bombonnes de gaz,
- Déboutait la SELARL BVM de sa demande de dommages et intérêts
- Condamnait la SARL SOUCHON LOCATION à payer au GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la même somme au bénéfice de la SELARL BVM.
Par acte du 7 février 2019, la SARL SOUCHON LOCATION relevait appel sauf en ce qui concerne la condamnation à son profit de la restitution du montant de procès-verbal.
Le 26 février 2019, le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX se constituait.
Selon ordonnance du 6 mars 2019, l'affaire a été fixée à bref délai conformément aux articles 905, 905-1 et 905-2 du Code de procédure civile.
Le 12 mars 2019, dans le délai de dix jours de l'avis à bref délai, l'appelante signifiait la déclaration d'appel et l'avis à bref délai à la SELARL BVM.
Dans le délai d'un mois de l'avis à bref délai, l'appelante déposait le 3 avril 2019 ses conclusions. Par dernières écritures du 27 mai 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, la SARL SOUCHON LOCATION au visa de l'article L 122-2, L 111-7 et L 121-2 du Code des procédures civiles d' exécution conclut à l'infirmation du jugement et demande de :
- Condamner in solidum la SELARL BVM et le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX à la somme indûment mise à sa charge de :
- 39'000 € au titre des frais de déménagement
- 1 164 € au titre des frais de serrurier
- 2 476,80 € au titre des frais d'évacuation du fioul
- 2 964 € et 4 338,40 € au titre des frais de stockage
- 4 044,70 € HT soit 4 853,64 € TTC au titre du matériel endommagé lors des manipulations sur site à l'occasion des opérations d'expulsion,
- 19'253,34 € HT soit 23'104 € TTC au titre du matériel endommagé du fait du manque de protection lors de nos opérations d'expulsion
- 57'616,44 € HT soit 69'139,72 € TTC au titre du matériel abandonné lors des opérations d'expulsion
- 30'539,31 € HT soit 36'647,18 € TTC au titre des racks abandonnés lors des opérations d'expulsion
- 20'000 € au titre de son préjudice économique
- 5 000 € au titre de son préjudice moral
- 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir :
- que dès le mois de janvier 2015, les parties étaient en contact pour trouver une solution, (pièce 48)
- que ce n'est que par correspondance du 15 avril 2015 que le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX lui a notifié pour la première fois son souhait de mettre définitivement un terme au titre de l'occupation temporaire,
- qu'elle a été alors confrontée à de grandes difficultés pour trouver un local qui puisse correspondre à ses besoins,
- que suite à la décision du tribunal administratif elle a continué ses démarches amiables afin de s'aménager le temps nécessaire à la mise en œuvre de l'expulsion, qu'elle a pris l'initiative d'une procédure de conciliation qui a été ordonnée par le tribunal de commerce de Bordeaux le 2 mai 2015, Me Bernard B. ayant été désigné à ce titre pour une mission de 4 mois,
- que les discussions ont brutalement été rompues et l'expulsion mise en œuvre, (pièces 25 et 26 du GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX)
- qu'un protocole de transaction a été établi dans le courant de l'été, accompagné d'un devis de la société Valette, (pièces 43 44)
- qu'une date de départ était prévue au plus tard au 30 octobre, les frais de déménagement revenant à la société KAUFMAN & BROAD GIRONDE
- que le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX a brusquement changé de position et mis en oeuvre l'expulsion entre le 26 et le 28 octobre 2015, sous la direction de Maître Marie-Laure V., associée de la SELARL Pascal B., Marie Laure V., Dominique M., Alexandre M., huissiers à Bordeaux (33)
- que lors de l'expulsion le matériel a été transporté dans les locaux de la société de DETEXIAL, que nombre de meubles ont toutefois été laissés dans les locaux promis à la destruction,
- que malgré les différentes démarches orales entreprises par M.D., l'huissier instrumentaire n'a jamais accepté de les sortir du local, le courrier adressé le 5 novembre 2015 au GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX n'a pas eu plus de réponse,
- qu'une partie des biens lui ont été restituée le 18 novembre 2015, qu'il a pu constater qu'ils avaient été entreposés dans un état déplorable,
- qu'elle a dû payer sous contrainte les frais d'expulsion pour un montant de 92'006,35 €, afin de pouvoir lever la saisie conservatoire du 28 octobre 2015 portant sur son matériel
- qu'elle est restée sans explications de la SELARL BVM sur sa demande du 5 novembre 2015 quant au montant des frais.
Le 10 avril 2019, la SELARL BVM se constituait.
Dans le délai d'un mois des premières conclusions de l'appelante, le GRAND PORT MARITIME DE BORDEAUX déposait le 29 avril 2019 ses écritures. Par dernières conclusions du 16 septembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions il conclut à la confirmation du jugement et sollicite en outre une indemnité de procédure de 10.000 euros.
A l'appui de ses prétentions, il fait valoir :
- que la SARL SOUCHON LOCATION a été informée dès l'année 2012 que son autorisation avait vocation à ne pas être renouvelée, qu'il a été confirmé à la société SOUCHON LOCATION la fin de son titre au 31 décembre 2014,
- qu'elle s'est obstinée à refuser de quitter les lieux, après diverses démarches amiables comprenant notamment des propositions de relogement (pièce 1), qu'il a été contraint de solliciter en référé son expulsion,
- que la SARL SOUCHON LOCATION a sollicité par l'intermédiaire de son mandataire un délai pour déménager progressivement entre le 1er août et le 25 octobre 2015 date à laquelle elle s'est engagée à un 'déménagement intégral effectif' (pièce 3)
- que cependant la SARL SOUCHON LOCATION n'a exécuté aucun de ses engagements, s'est maintenue dans les lieux tout en s'abstenant de payer les loyers
- qu'il n'a eu d'autre choix que de procéder à son expulsion
- que s'agissant de l'évacuation d'un hangar de 1 200 m², 11 camions ont été nécessaires dont un poids lourd de 36, qui ont tous effectués environ 75 rotations entre le local et celui de stockage,
- que les opérations d'expulsion avaient un caractère tout à fait exceptionnel par leur importance, leur ampleur,
- que le décompte et le détail des frais ont été produit aux débats, que le poste le plus important est celui de la société des déménagements aquitains pour un total de 70'000 €
- qu'il convient de rappeler que le déménagement a duré 3 jours pour évacuer plus de 1 300 m³ de mobiliers matériels divers,
- que parallèlement à la procédure d'expulsion, des discussions sont intervenues entre la SARL SOUCHON LOCATION et la société KAUFMAN & BROAD, acquéreur de l'immeuble, qui n'ont donné lieu en réalité qu'à une seule réunion organisée le 29 juin 2015,
- que si la SARL SOUCHON LOCATION produit un 'projet de protocole' (pièce), non daté et tronqué, il laisse toutefois apparaître que le départ effectif est prévu au 30 septembre 2015, ce qui démontre bien que l'expulsion n'est pas à l'origine de la rupture des négociations,
- que les demandes indemnitaires de la SARL SOUCHON LOCATION quittant les lieux faisant obstacle à tout arrangement amiable, l'huissier instrumentaire a fort légitimement entrepris la mesure d'expulsion,
- que ce n'est que sur la base du volume déclaré par la SARL SOUCHON LOCATION de 500 m³ qu'un devis de 31'800 € a été établi, sauf que les opérations ont finalement nécessité 1 300 m³, ce qui explique largement le surcoût du déménagement au regard de l'estimation initiale,
- que les locaux de stockage représentant la plus grande partie de la surface occupée étaient équipés de Racks palettes lesquels permettaient de stocker jusqu'à 4 niveaux de palettes,
- que la SARL SOUCHON LOCATION ne rapporte nullement la preuve que du matériel aurait été endommagé lors de l'expulsion, qu'elle aurait d'ailleurs elle-même pu l'endommager lorsqu'elle l'a récupéré,
- que le procès-verbal de restitution des biens du 18 novembre 2015 ne porte aucune réserve,
- que la demande relative au mobilier soi-disant abandonné est sans objet puisque aucun actif mobilier n'a été abandonné à l'occasion de la mesure d'expulsion,
- quant aux racks laissés sur place, une seule partie était démontable, le surplus fixé aux éléments d'ossature du hangar ne permettait pas d'être retiré sans risque d'effondrement, qu'ils répondaient à la qualification de d'immeubles par destination.
Dans le délai d'un mois des premières conclusions de l'appelante, la SELARL BVM déposait le 2 mai 2019 ses écritures. Par dernières conclusions du 3 octobre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions. Elle conclut au visa des articles L 111-2, L 111-7, L 111-8 du Code des procédures civiles d' exécution et R 411-1 et suivants, R 411 et suivants du même code à la confirmation du jugement et sollicite en outre une indemnité de procédure de 6.000 euros.
A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir :
- que la SARL SOUCHON LOCATION ne critique nullement la régularité de la procédure d' exécution dont les frais sont restés à sa charge conformément aux dispositions des articles L411-1 et suivants et R 411-1 et suivants du Code des procédures civiles d' exécution
- qu'il a été impossible à l'huissier instrumentaire, compte tenu de la mauvaise volonté de l'expulsée, de pénétrer dans les locaux afin de se faire une idée précise de la volumétrie à déménager
- que les devis ont été réalisés sur une estimation de volumétrie qui s'est avérée fausse et très largement sous-estimée
- que lors de la mesure d'expulsion à l'ouverture des portes du hangar il a été constaté que ce dernier était entièrement rempli, de sorte qu'il a été nécessaire d'émettre des factures complémentaires
- que le stock très important était composé de matériels disparates et variés, se trouvant soit sur les racks palettiers soit à même le sol, que sur chaque camion de déménagement a été apposée une étiquette portant un numéro pour un meilleur suivi et contrôle des opérations dont l'ampleur était exceptionnelle, qu'une fois les camions remplis, ils partaient les uns après les autres successivement pour se rendre sur le lieu de stockage, que les départs se sont succédés sur 3 jours,
- qu'il n'appartient pas à huissier de commenter un devis mais uniquement d'en solliciter du créancier plusieurs pour se faire un avis et choisir le plus adapté à sa mission.
SUR CE, LA COUR
La SARL SOUCHON LOCATION n'entend pas revenir sur le principe de son expulsion mais sur les modalités de sa mise en œuvre, estimant en substance que nombre de frais sont injustifiés ou présentent un caractère excessif, que du matériel a été endommagé, que d'autres ont été laissé sur place comme les racks.
En considération de l'ampleur du déménagement, de la technicité de la logistique à mettre en place pour satisfaire à un déplacement d'une aussi importante volumétrie, il convient de donner à la cour les éléments techniques pour apprécier le litige, par suite il y a lieu d'ordonner une expertise dont la mission est fixée au dispositif afin éclairer la cour dans un domaine de compétence spécifique.
Dans l'attente du dépôt du rapport, il est sursis à statuer sur les demandes.
Les dépens sont réservés.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt avant dire droit prononcé par mise à disposition au greffe,
Ordonne une expertise confiée à
M. Jean F., architecte,
expert inscrit sur la liste de la cour d'appel d'Agen
[...]
' [...] Fax [...]
courriel : [...]
avec pour mission de :
- Se faire remettre tous documents utiles : plans, photographie des lieux, inventaire des matériels, devis initiaux...
- Evaluer la surface de stockage du Hangar 21
- Donner à la cour tous éléments permettant de dire si les moyens qui ont été mise en oeuvre pour procéder au déménagement étaient adaptés à la situation,
- Donner à la cour tous éléments permettant de juger si les devis initiaux étaient adaptés au déménagement du local, dans la négative en préciser les raisons,
- Donner à la cour tous éléments permettant de juger si le coût de la prestation de déménagement est conforme aux tarifs habituellement pratiqués, dans la négative en chiffrer le coût en général et en particulier celui des postes contestés (transport des matériels, facture d'évacuation du fioul, frais de stockage...)
- Donner à la cour tous éléments permettant de juger si la prestation de stockage et son prix étaient conforme aux usages,
- Donner un avis sur la possibilité de démonter les racks palettiers qui sont au final restés sur place, en chiffrer le coût,
- Faire toutes observations utiles,
Dit que cette expertise sera réalisée conformément aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284 du code de procédure civile ;
Dit qu'à cet effet l'expert commis, saisi par le greffe, devra accomplir sa mission contradictoirement en présence des parties ou elles dûment convoquées, les entendre en leurs observations et déposer rapport de ses opérations avec son avis dans un délai de SIX MOIS à compter du jour où il aura été saisi de sa mission par le greffe après consignation de la provision, sauf prorogation des opérations dûment autorisée par le magistrat chargé du contrôle sur demande de l'expert ;
Dit que l'expert déposera son rapport au greffe de la Cour dans le délai sus-indiqué, et en adressera une copie aux avocats des parties en mentionnant cette remise sur l'original de son rapport,
Plus spécialement rappelle à l'expert :
qu'il devra annexer à son rapport ceux des documents ayant servi à son établissement, ceux qui le complètent ou contribuent à sa compréhension, et restituera les autres, contre récépissé, aux personnes les ayant fournis ;
qu'il ne pourra concilier les parties mais que si elles viennent à se concilier, il constatera que sa mission est devenue sans objet ; qu'en cas de conciliation partielle, il poursuivra ses opérations en les limitant aux autres questions exclues de l'accord ;
qu'il devra remplir personnellement sa mission et qu'au cours d'une ultime réunion d'expertise, il devra informer les parties du résultat de ses opérations et de l'avis qu'il entend exprimer, en les invitant à lui présenter leurs observations écrites dans un délai de 30 jours ; qu'il consignera ces observations à la suite de son rapport initial en apportant, à chacune d'elles, la réponse appropriée en la motivant ;
Dit que la SARL SOUCHON LOCATION fera l'avance des frais d'expertise ;
Fixe, sous réserve de consignation complémentaire si la provision allouée devient insuffisante, à la somme de 5 500 euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert que la SARL SOUCHON LOCATION devra consigner au secrétariat-greffe de cette Cour dans le délai d'UN MOIS à compter du prononcé de la présente décision, à défaut de quoi il sera fait application de l'article 271 du Code de Procédure Civile ;
Dit que l'expert, si le coût probable de l'expertise s'avère beaucoup plus élevé que la provision fixée, devra communiquer à la Cour et aux parties l'évaluation prévisible de ses frais et honoraires en sollicitant, au besoin, la consignation d'une provision complémentaire ;
Rappelle que l'expert peut faire appel si nécessaire à un sapiteur dans un domaine de compétence qui n'est pas le sien,
Dit que cette mesure d'expertise sera effectuée sous le contrôle du conseiller de la mise en état, à qui il en sera référé en cas de difficulté ;
Réserve les dépens.