CA Poitiers, 2e ch. civ., 30 novembre 2021, n° 20/00740
POITIERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Crédit Mutuel de Croix de Vie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
M. Chiron, M. Vetu
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte sous seing privé en date du 29 décembre 2015, la SARL Audéon a vendu à la SARL Bons Plats, ayant pour gérant M. Raymond M., et sous diverses conditions suspensives, dont celle obtention d'un financement par l'acquéreur, un fonds de commerce d'hôtellerie restaurant traiteur préparation et vente de plats à emporter, à l'enseigne Auberge du rocher, pour un prix de 140'000 euros.
Il était convenu entre les parties que l'acte réitérant la vente serait établi au plus tard le 1er mars 2016.
À la date de signature du compromis, la SARL Audéon se trouvait en phase d' exécution d'un plan de redressement selon jugement du tribunal de commerce de La Roche Sur Yon en date du 2 septembre 2015.
Par acte sous seing privé en date du 27 février 2016, la Caisse de crédit mutuel de Croix de vie a consenti à la SARL Bons plats, pour le financement de l'achat du fonds de commerce :
- un prêt dénommé CRED Opportunité d'un montant de 25'000 euros, remboursable au taux de 1.70 % l'an, à compter du 15 mai 2016, en 60 échéances de 434.92 euros,
-un prêt ordinaire professionnel d'un montant de 72'000 euros, remboursable au taux fixe de 2.10 % l'an, à compter du 15 mai 2016, en 7 annuités de 11 815.66 euros.
Le remboursement de ces prêts était garanti par une inscription du nantissement du fonds de commerce ainsi que par les engagements de caution solidaire souscrits à concurrence de 48'000 euros chacun par M. Raymond M. et par son épouse.
Par jugement en date du 2 mars 2016, le tribunal de commerce a prononcé la résolution du plan de redressement de la SARL Audéon, ainsi que sa liquidation judiciaire.
Sur requête déposée le 11 mars 2016 par Maître P., agissant en qualité de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la SARL Audeon, le juge-commissaire du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon a, par ordonnance en date du 12 mars 2016, autorisé la vente de gré à gré du fonds de commerce à la société Bons plats, pour un prix de 140'000 euros.
L'acte authentique de cession du fonds de commerce n'a jamais été régularisé, et par jugement en date du 13 juillet 2016, le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SARL Bons Plats.
La Caisse de crédit mutuel de Croix de vie a déclaré sa créance le 25 août 2016 entre les mains du mandataire liquidateur, Maître C., pour la somme de 96'200,43 euros à titre privilégié et 1200 euros à titre chirographaire.
Après vaines mises en demeure par lettres recommandées avec avis de réception en date du 19 septembre 2018, puis du 3 décembre 2018, la Caisse de crédit mutuel de Croix de vie a, par acte d'huissier en date du 23 mai 2019, signifié selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, fait assigner Mme M. devant le tribunal de grande instance des Sables d'Olonne en paiement de son engagement de caution.
Par jugement réputé contradictoire en date du 21 janvier 2020, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a :
- condamné Mme Catherine M. à payer à la Caisse de crédit mutuel de Croix de vie, au titre de son engagement de caution en date du 27 février 2016 et dans la limite de cet engagement, la somme de 48'000 euros,
- dit n'y avoir lieu à capitalisation annuelle des intérêts,
- condamné Mme Catherine M. à payer à la Caisse de crédit mutuel de Croix de vie la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Suivant déclaration en date du 16 mars 2020, Mme Catherine D. épouse M. a relevé appel/nullité de ce jugement, et appel/réformation, en ce que le jugement porte condamnation à paiement de la somme de 48'000 euros, en principal, et 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les sommes retenues par huissier en application du décret n°2016-230 du 26 février 2016 et de l'arrêté du 27 février 2018, fixant le tarif réglementé des huissiers de justice.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 février 2021, Mme M. demande à la cour:
-de déclarer son appel recevable et bien fondé,
-de prononcer la nullité de l'assignation du 23 mai 2019 délivrée par la Caisse du Crédit Mutuel de Croix de Vie, selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile.
En conséquence, de prononcer la nullité du jugement du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne du 21 janvier 2020,
-de rejeter la demande d'évocation de la Caisse du crédit Mutuel de Croix de Vie
Subsidiairement,
-d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire des Sables D'Olonne du 21 janvier 2020,
ou évoquer,
Statuant de nouveau, ou par l'effet de l'évocation,
-de débouter la Caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie de toutes ses demandes
-de juger que la Caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie ne peut pas se prévaloir du cautionnement disproportionné de Madame Catherine M.,
A défaut, de juger que la Caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie a commis un manquement à son obligation de mise en garde,
En conséquence, de condamner la Caisse du crédit Mutuel de Croix de Vie à lui payer la somme de 40 000 euros pour la perte de chance de ne pas cautionner
-de juger que la Caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie a commis une faute enlibérant les fonds prématurément
En conséquence, de condamner la Caisse de Crédit Mutuel de Croix de Vie à lui payer la somme de 40 000 euros pour la perte de chance de ne pas pouvoir récupérer les fonds libérés trop tôt,
En tout état de cause, de condamner la Caisse de Crédit Mutuel de Croix de Vie à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 janvier 2021, la Caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie demande à la cour de:
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable au litige (actuel article 1103 du code civil),
Vu l'article 2288 du code civil,
Vu l'article 1343-2 du code civil,
Vu l'article 659 du Code de procédure civile,
Vu l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
-confirmer en tous points le jugement du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne en date du 21 janvier 2020,
Par l'effet dévolutif de l'appel, et statuant à nouveau,
- juger qu'elle est recevable et bien fondée en ses prétentions,
-juger régulière l'assignation de Madame Catherine M. devant le tribunal judiciaire en date du 23 mai 2019,
-juger le cautionnement de Madame Catherine M. du 27 février 2016 n'était pas disproportionné,
-juger que Madame Catherine M. ne peut se prévaloir d'aucun manquement au devoir de mise en garde de la part de la Caisse de Crédit mutuel de Croix de Vie,
-juger que Madame Catherine M. ne peut se prévaloir d'aucune perte de chance de ne pas avoir souscrit le cautionnement du 27 février 2016,
En conséquence,
-condamner Madame Catherine M. à lui payer la somme de 48.000,00 euros au titre de son engagement de caution du 27 février 2016, au 3 mai 2018, date du dernier décompte jusqu'à parfait paiement,
-débouter Madame Catherine M. de l'intégralité de ses prétentions, fins et conclusions,
- condamner Madame Catherine M. à lui verser une somme de 3 000 euros en cause d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
-condamner Madame Catherine M. aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Atlantic Juris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
-ordonner la capitalisation annuelle des intérêts, conformément à l'article 1343-2 du code civil,
-dire que dans l'hypothèse ou à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir, l' exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier en application du décret du 10 mai 2007 n°2007-774 portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 (tarif des huissiers) devront être supportés par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précités pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 février 2021.
MOTIFS DE LA DECISION:
1- sur la demande de nullité de l'assignation et de nullité du jugement.
Selon les dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.
Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification.
Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
Selon les dispositions de l'article 649 du code de procédure civile, la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.
Selon les dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
L'appelante soutient, à titre principal, que l'assignation du 23 mai 2019 est atteinte de nullité, puisque l'huissier a tenté de lui délivrer cet acte au [...], alors qu'elle avait alors son domicile au [...], adresse que la banque était en capacité de connaître au jour de l'assignation puisqu'elle était en relation avec le mandataire liquidateur de M. M., auprès duquel elle avait déclaré sa créance.
La banque intimée réplique que l'huissier instrumentaire a effectué toutes les diligences requises et a bien respecté les formalités nécessaires, mais n'a pu retrouver l'adresse de Mme M., et qu'elle n'avait aucune raison d'interroger le mandataire liquidateur.
Elle ajoute que Mme M. ne rapporte pas la preuve d'un grief.
La cour relève l'huissier s'est présenté à la dernière adresse connue de Mme M., au 7 rue du stade à Maché, et qu'il a relaté de manière précise et détaillée les différentes diligences accomplies pour tenter de retrouver l'adresse de la destinataire, une fois vérifiée l'absence de nom sur la boîte aux lettres, à savoir :
-rencontre avec le gardien qui lui déclare que les époux M. ont quitté les lieux sans laisser d'adresse depuis trois ans,
- renseignements en mairie où on lui répond que Mme M. n'est pas inscrite sur les listes électorales,
-inconnue en gendarmerie,
-inconnue de l'annuaire téléphonique,
-vérification infructueuses auprès d'un homonyme du mari, Raymond M. (dans le Nord)
- vérification infructueuse auprès du Crédit mutuel.
Par ailleurs, le Crédit mutuel fait valoir à juste titre qu'il n'avait aucune raison de prendre l'initiative de contacter le liquidateur de la société Bons plats, dont Mme M. n'était qu'associée, et qu'aucune conséquence ne peut être tirée du fait que le jugement a pu, huit mois plus tard, être signifié à la véritable adresse de Mme M..
L'assignation a donc été délivrée conformément aux dispositions de l'article 659 du code de procédure civile.
Il convient en conséquence de rejeter la demande tendant à voir constater la nullité de l'assignation, et, partant, celle du jugement, à l'encontre duquel aucun autre grief de nullité n'est formé
2- Sur la demande de réformation du jugement:
Selon les dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans leur rédaction en vigueur au jour de la signature de l'engagement de caution (devenu article L.332-1 du code de la consommation), un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation
Il appartient à la caution de démontrer la disproportion alléguée au jour de la conclusion de son engagement mais, en revanche, c'est au créancier qui se prévaudrait de la disparition de la disproportion au moment où la caution est appelée d'en rapporter la preuve.
Au sens de ces dispositions, la disproportion s'apprécie, lors de la conclusion du contrat de cautionnement, en fonction de tous les éléments du patrimoine de la caution, actifs comme passifs, incluant l'actif constitué par les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d'associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée, mais non au regard des revenus escomptés de l'obligation garantie, et en prenant en considération l'endettement global de la caution y compris celui résultant d'engagements de caution, sans avoir à tenir compte de ses engagements postérieurs,. Cette appréciation concerne tant les biens propres que les biens communs, incluant les revenus du conjoint sous le régime de la communauté cosignataire de l'engagement.
Au vu de l'avis de situation déclarative à l'impôt sur le revenu 2017, le foyer fiscal de M. Raymond M. et de son épouse Mme Catherine M. a perçu en 2016 :
-pour Monsieur : 8122 euros de salaires
-pour Madame : 9546 euros de salaires et assimilés
-153 euros de revenus de capitaux mobiliers
soit un total de 17821 euros
ce qui représentait un revenu moyen mensuel de 1485 euros durant l'année 2016.
À la date de signature de son engagement en qualité de caution solidaire, Mme M. était sans emploi et inscrite à Pôle emploi depuis le 8 septembre 2015 (fin de période d'inscription le 31 mai 2016), ainsi que cela résulte du relevé délivré par Pôle emploi le 2 avril 2020.
Il est constant que les époux M. avaient à charge une fille mineure (ainsi que cela résulte de l'avis d'imposition), et devait payer un loyer (dont le montant n'est pas précisé). L'appelante ne précise pas ses autres charges courantes.
Toutefois, ainsi que la banque le fait valoir à juste titre, il ressort de la fiche patrimoniale signée le 1er mars 2016 par M. Raymond M. que le couple, marié sous le régime de la communauté légale en l'absence de contrat, disposait des valeurs mobilières suivantes:
-110 000 euros au CIC,
-20 000 euros à la Banque postale
- 4282 euros au titre de l'épargne salariale (au Crédit mutuel)
soit un total de 134'282 euros, sans passif déclaré.
L'appelante relève que cette fiche patrimoniale n'a pas été signée par ses soins, mais uniquement par M. M..
Mais cet argument est inopérant, dès lors que la fiche patrimoniale n'est pas un acte juridique soumis à des conditions de forme ou de validité, et, qu'au surplus, Mme M. ne conteste ni la véracité des indications chiffrées mentionnées dans la fiche patrimoniale, ni la nature de biens communs de ses valeurs d'épargne, devant, à ce titre, être pris en compte pour l'appréciation du caractère manifestement disproportionné de l'engagement de Mme M. (étant seulement précisé sur ce point que l'épargne salariale de l'époux constitue bien un bien commun, contrairement à ce que soutient l'appelante).
Mme M. fait valoir que la somme de 134 282 euros provient du solde du prix de vente d'un bien immobilier, déduction faite des emprunts en cours, et que sur cette somme, 60 000 euros ont été utilisés pour l'achat du fonds de commerce.
Mais dans l'appréciation des biens et revenus de la caution, il est indifférent de connaître l'origine de l'épargne (étant relevé, au demeurant, que Mme M. n'a pas justifié du prix de vente de son bien immobilier, ni du solde exigible après paiement des emprunts immobiliers), ou l'utilisation de l'épargne après l'engagement de Mme M. comme caution.
En outre, la banque fait valoir à bon droit qu'il convient d'ajouter, au titre des valeurs de patrimoine :
- la valeur des parts sociales détenues par Mme M. et son époux dans le capital de la SARL Bons plats, constituée le 13 mai 2015, soit 7500 euros (Mme M. détenant 48% du capital social),
-celle des parts sociales de la SARL CCM Antilles, au capital de 7500 euros (non valorisée par l'appelante, qui détenait 40 % du capital social),
-celle de la SCI O des Iles, enregistrée au greffe du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre constituée pour acquérir des immeubles (non valorisée par l'appelante, qui détenait 50 % du montant du capital).
Par ailleurs, l'appelante n'a pas donné de précisions sur les sommes inscrites en compte courant individuelle d'associés pour la SARL CCM Antilles, alors qu'il est fait état de ces sommes en page trois du procès-verbal de délibération de l'assemblée générale ordinaire du 30 décembre 2015 (cette SARL ayant une activité de travaux de rénovation de travaux publics, construction).
Aucun document comptable n'est produit concernant la SARL CCM et la SCI O des Iles.
Il en résulte que même si l'on prend en considération l'engagement distinct souscrit par M. M., à concurrence de la somme de 48'000 euros, l'appelante échoue à rapporter la preuve du caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution à hauteur de la somme de 48'000 euros.
3- Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde :
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en la cause, la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Il convient dès lors d'écarter le moyen totalement inopérant soulevé par la banque, selon lequel le manquement de la banque à son devoir de mise en garde constituerait une exception purement personnelle au débiteur, que la caution ne pourrait invoquer.
3.1- L'appelante soutient qu'elle était simplement l'épouse du gérant de la SARL cautionnée, et n'avait à titre personnel aucune connaissance en matière entrepreneuriale, commerciale et devait donc être considéré comme une caution non-avertie; et que cependant la caisse de crédit Mutuel de Croix de Vie ne l'a pas mis en garde :
- sur le fait que le montant de son engagement en qualité de caution solidaire n'était pas adapté à ses capacités financières ni à celles de son conjoint, de sorte qu'il existait un risque d'endettement lié à l'octroi du prêt,
-sur les risques d'endettement de la société cautionnée, dès lors que cette dernière, récemment constituée avec les économies du ménage , faisait l'achat d'un fonds de commerce d'hôtellerie, restauration, traiteur, exploité précédemment par la SARL Audéon à Givrand, qui était sous plan de redressement depuis le 2 septembre 2015 (et donc au moment des négociations préalables à la vente du fonds de commerce).
Mais, ainsi que précédemment indiqué, Mme M. disposait, avec son conjoint, d'un patrimoine d'environ 130 000 euros, de sorte qu'elle était en capacité de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, dans la limite de son engagement.
La banque n'était donc pas débitrice à son égard d'une obligation de mise en garde.
3.2- Sur le moyen tiré de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur:
Il incombait à Mme M. de rapporter la preuve du risque de l'endettement qui serait né de l'octroi du crédit à la SARL Bons Plats, puisqu'il s'agit là de la condition de l'existence de l'obligation de mise en garde de la banque.
Il est constant que seul un risque caractérisé, excédant celui inhérent à toute entreprise, implique un devoir de mise en garde.
Ainsi que cela résulte des mentions non discutées de son curriculum vitae (pièce 13 de l'appelante), Mme M. dispose d'un diplôme d'hôtesse d'accueil, et son expérience professionnelle a été acquise en qualité de secrétaire, de vendeuse, et d'hôtesse de caisse ou d'accueil.
Au moment de son engagement, elle n'avait donc ni formation ni expérience en matière de gestion d'entreprise, de prêt bancaire ou de cautionnement.
Seul son époux était gérant de la SARL Bons plats, comme auparavant de la SARL CCM Antilles, et de la SCI O des Iles.
Elle devait donc être considérée comme une caution non-avertie, et il convient d'écarter, comme indifférente, la circonstance évoquée par la banque, selon laquelle Mme M. a été associée des sociétés précitées et a consulté un expert-comptable lors de la constitution de la SARL Bons plats.
Il ressort de l'acte de cession de fonds de commerce sous conditions suspensives du 29 décembre 2015 (pièce 10 de la banque) que le fonds de restaurant, traiteur, préparation et vente de plats à emporter exploité par la SARL Audéon avait généré, durant les trois dernières années, un chiffre d'affaires en forte baisse (441 227 euros en 2012 et 295020 euros en 2014), et des résultats déficitaires sur deux années consécutives (-24111,95 euros en 2013 et -92783 euros en 2014).
Lors de la vente du fonds de commerce, la SARL Audéon se trouvait en phase d' exécution d'un plan de redressement sur 10 ans, selon jugement du tribunal de commerce de la Roche sur Yon du 2 septembre 2015.
En outre, M. M., gérant de la SARL Bons plats, n'avait pas d'expérience dans le domaine de la restauration puisqu'il était auparavant entrepreneur en bâtiment.
Mme M. précise en outre que plusieurs établissements bancaires avaient été sollicités en vain pour le financement, notamment car M. M. était fiché au FICP jusqu'au 1er juin 2019.
Au regard de ces éléments, et même si les financements ne présentaient pas par eux-mêmes un caractère complexe, il existait bien un risque d'endettement né de l'octroi des prêts garantis par la caution, d'un montant de 97000 euros, de sorte que la banque était tenue, sur ce point, à une obligation de mise en garde à l'égard de Mme M., caution non-avertie.
Il est constant que cette mise en garde n'a pas été délivrée à Mme M..
Le préjudice né du manquement de la banque à son obligation de mise en garde réside dans le perte de chance de ne pas contracter en qualité de caution.
Pour l'appréciation de la perte de chance, la cour tiendra compte du fait que l'acquisition du fonds de commerce (qui ne pouvait être financée qu'avec un crédit partiel) correspondait à un projet bien arrêté des époux M., qui souhaitaient revenir en métropole afin d'accompagner leur fille venue faire ses études, en permettant à M. M. de créer une nouvelle entreprise (alors qu'il ne pouvait que difficilement trouver un emploi salarié à presque cinquante ans, ainsi que l'indique l'appelante).
Par ailleurs, le montant de l'engagement de Mme M. comme caution (48000 euros) était relativement limité par rapport au financement total de 97000 euros.
Il convient en conséquence d'évaluer à 10 000 euros le préjudice subi par Mme M. au titre de la perte de chance de renoncer à son engagement de caution solidaire, si elle avait mise en garde par la banque sur le risque d'endettement né de l'octroi du prêt.
Le jugement sera donc réformé sur ce point; et la Caisse de Crédit Mutuel sera condamnée à payer à Mme M. la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance.
4- sur la demande de dommages-intérêts au titre de la faute de la banque lors de la libération des fonds:
L'appelante soutient que la banque a commis une faute engageant sa responsabilité, en débloquant le montant des prêts de manière prématurée, avant même la signature de l'acte authentique portant cession du fonds de commerce (qui n'est jamais intervenue), de sorte que les époux M. 'n'ont jamais pu récupérer entre les mains du mandataire liquidateur le prix de cession.'
La banque n'a pas répondu à cet argument.
Il incombe toutefois à l'appelante de rapporter la preuve que les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies, sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil.
Il ressort des conditions générales des deux prêts (page 6) que 'dans le cas où le crédit est destiné à financer une acquisition d'immeuble ou de fonds de commerce, le déblocage sera effectué et les intérêts commenceront à courir à la date à laquelle le prêteur procédera au virement des fonds au compte du notaire ou de l'avocat.'
Selon les stipulations de l'acte de cession de fonds de commerce (page 19), le prix devait être payé comptant lors de la réitération de la vente, laquelle devait intervenir au plus tard le 1er mars 2016.
Il ressort de la déclaration de créance de la banque en date du 26 aout 2016 (pièce 3) que l'ouverture de crédit est intervenue le 2 mars 2016, pour les deux financements.
Il n'est pas démontré que la SARL Bons plats ait adressé à la banque, avant le 2 mars 2016, des indications précises concernant les modalités de virement des capitaux prêtés.
C'est seulement le 14 mars 2016 qu'un courrier a été adressé par le cabinet d'avocats SAJE, informant le Crédit Mutuel que la signature aurait lieu le mercredi 16 mars 2016 et qu'il convenait de préparer un chèque de banque d'un montant de 140 000 euros à l'ordre de la CARPA (le chèque devant être remis à Monsieur M.).
En réalité, la réitération par acte authentique de la vente du fonds de commerce n'est pas intervenue le 16 mars 2016, ni à une date postérieure.
Toutefois, l'appelante ne démontre pas que la banque ait versé les capitaux, le 2 mars 2016, 2016, à une personne n'ayant pas qualité pour les recevoir ou qu'elle ait contrevenu à cette occasion à des indications expresses concernant les modalités de paiement.
L'existence d'une faute de la banque n'est donc pas démontrée.
Au surplus, il n'est pas démontré que la société Bons plats ait effectué des diligences pour restituer ou faire restituer les fonds à la banque, lorsqu'il s'est avérée que l'acte de vente du fonds de commerce ne pourrait être réitéré, et en tous cas avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de la SARL Bons plats, par jugement du 13 juillet 2016.
Il n'existe donc pas de lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice personnel de la caution.
La demande de dommages-intérêts formée de ce chef sera rejetée.
5 - sur la demande en paiement du Crédit Mutuel:
L'appelante n'a présenté aucun moyen permettant de réformer le jugement, en ce qui concerne la créance de la banque, sur le fondement du contrat de cautionnement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 aout 2016, Le Crédit Mutuel a effectué une déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Bons Plats pour un montant de :
-24200,43 euros au titre du prêt Cred Opportunité de 25000 euros, outre intérêt à compter du 13 juillet 2016 pour mémoire,
-72000 euros au titre du prêt de pareille somme (prêt ordinaire professionnel), outre intérêts à compter du 13 juillet 2016.
Ces créances ont été inscrites au passif et par courrier en date du 13 juin 2018, le mandataire liquidateur a délivré à la banque des certificats d'irrecouvrabilité.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement, en ce qu'il a condamné Mme M. à payer au Crédit Mutuel la somme de 48000 euros, en qualité de caution solidaire de la SARL Bons plats.
Les intérêts au taux légal dont dûs par Mme M. sur cette somme à compter du 23 mais 2019, date de l'assignation.
La capitalisation annuelle des intérêts est de droit en application de l'article 1343-2 du Code civil et sera donc ordonnée, comme précisé au dispositif. Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
Il convient par par ailleurs d'ordonner la compensation entre les créances réciproques.
6- sur les demandes accessoires :
Dès lors que l'appel était partiellement fondé, il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposés devant la cour.
Chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.
L'article L.111-8 du code des procédures civiles d' exécution , anciennement article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 dispose qu'à l'exception des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement qui peuvent être mis partiellement à la charge des créanciers dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, les frais de l' exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés; les contestations sont tranchées par le juge de l' exécution .
Selon l'article L.141-6 du code de la consommation, issu de la loi n°2010-1609 du 22 décembre 2010, devenu article R.631-4 du même code , lors du prononcé d'une condamnation, le juge peut, même d'office, pour des raisons tirées de l'équité ou de la situation économique du professionnel condamné, mettre à sa charge l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus à l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d' exécution , anciennement article 32 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d' exécution .
En l'espèce, en l'absence d'application de l'article R.631-4 du code de la consommation, eu égard à la qualité des parties et à l'absence de succombance d'un professionnel dans un litige l'opposant au consommateur, le droit d'encaissement prévu par ces articles est à la charge du créancier, de sorte que rien ne justifie d'en faire supporter le coût par le débiteur en cas d' exécution forcée sur laquelle la cour n'a pas à se prononcer.
Il n'y a donc pas lieu de mettre cette somme à la charge de Mme M..
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Déclare l'appel recevable,
Rejette la demande tendant à voir prononcer la nullité de l'assignation signifiée le 23 mai 2019 à Madame M.,
Rejette la demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne en date du 21 janvier 2020,
Confirme le jugement, en ce qu'il a :
- condamné Madame Catherine M. à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel de Croix de vie, la somme de 48000 euros, en sa qualité de caution solidaire de la SARL Bons plats,
-condamné Madame Catherine M. à payer à la société Caisse de Crédit Mutuel de Croix de vie, la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné Madame Catherine M. aux dépens de première instance,
Infirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Dit que la condamnation au paiement de la somme de 48000 euros produira intérêts au taux légal à compter du 23 mais 2019, date de l'assignation,
Ordonne la capitalisation des intérêts dûs pour une année entière,
Dit que la société Caisse de Crédit Mutuel de Croix de vie a manqué à son devoir de mise en garde,
Condamne en conséquence la société Caisse de Crédit Mutuel de Croix de vie à payer à Madame Catherine M. la somme de 10000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation de la perte de chance de ne pas contracter en qualité de caution solidaire de la SARL Bons plats,
Ordonne la compensation entre la créance de la la société Caisse de Crédit Mutuel de Croix de vie et celle de Madame Catherine M. ;
Rejette les autres demandes,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.