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Décisions

CA Colmar, 12e ch., 21 octobre 2021, n° 21/00333

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Blind

Conseillers :

Mme Robert-Nicoud, M. Roublot

CA Colmar n° 21/00333

20 octobre 2021

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard a apporté son concours financier à Madame Agnès T. épouse N. et à Monsieur Eric N. sous forme d'un prêt immobilier d'un montant de 310 000 euros destinés à l'acquisition de six appartements et à la réalisation de travaux d'amélioration, suivant acte authentique en date du 13 février 2006, passé par devant Maître C., notaire à Mulhouse.

Ce prêt était garanti notamment par une hypothèque de premier rang.

La banque a prononcé la déchéance du terme et l'exigibilité immédiate de la totalité des montants dus le 25 janvier 2014.

Elle a entrepris diverses mesures d'exécution qui n'ont pas permis d'apurer la créance.

A la requête de la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard en date du 17 septembre 2019, le tribunal d'instance de Mulhouse, statuant comme tribunal de l'exécution forcée immobilière a, par décision du 23 septembre 2019, ordonné la vente forcée par adjudication aux enchères publiques des biens immobiliers situés [...] appartenant à Monsieur Eric N. et Madame Agnès T. épouse N. en recouvrement de la somme de 133 719,50 euros en principal au 18 avril 2018, et ce en vertu d'un contrat de prêt avec affectation hypothécaire, signé le 13 février 2006, passé par devant Maître C., notaire à Mulhouse, et muni de la clause exécutoire le 8 juillet 2014, ainsi que d'un arrêté de compte établi par Maître C. en date du 8 février 2019, muni de la clause exécutoire le 8 février 2019, et signifié le 26 mars 2019 à l'époux et le 9 avril 2019 à l'épouse, et enfin d'un commandement aux fins de vente forcée immobilière délivré le 26 juin 2019 à Monsieur Eric N. et le 4 juillet 2019 à Madame Agnès T. épouse N..

Le tribunal a commis Maître Pierre-Yves T., notaire associé à Mulhouse, son remplaçant ou son successeur, pour procéder aux opérations d'adjudication.

Le 10 octobre 2019, Monsieur Eric N. et Madame Agnès T. épouse N. formaient pourvoi immédiat à l'encontre de cette décision en sollicitant que la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard soit déclarée irrecevable dans sa requête, que l'ordonnance du 23 septembre 2019 soit infirmée, que la requête soit rejetée et que la banque soit condamnée à leur payer la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils faisaient valoir que l'exécution forcée était poursuivie en l'absence de titre exécutoire et que le procédé de reconnaissance de la créance tel que mis en œuvre lors de l'établissement de l'acte notarié du 8 février 2019 était frauduleux.

Par conclusions en réponse du 30 octobre 2019, enregistrées au greffe le 4 novembre 2019, la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard concluait au débouté de l'intégralité des prétentions des demandeurs au pourvoi et au maintien de l'ordonnance d'exécution forcée.

Par ordonnance du 11 janvier 2021, le tribunal d'exécution forcée immobilière a déclaré le pourvoi recevable, a maintenu l'ordonnance d'adjudication forcée immobilière, dit n'y avoir lieu à indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ordonné la transmission du dossier à la cour d'appel de Colmar.

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard a transmis à la cour de nouvelles conclusions en date du 24 avril 2021, enregistrées au greffe le 27 avril 2021, tendant de même que précédemment au rejet du pourvoi immédiat et au débouté des demandes adverses.

Par arrêt du 27 mai 2021, la cour a ordonné la réouverture des débats en invitant la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard à justifier de la notification de ses conclusions du 24 avril 2021 selon les dispositions des articles 672 et 673 du code de procédure civile.

Les époux N. ont transmis à la cour et à la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard des conclusions récapitulatives le 6 juillet 2021, dont le dispositif est identique à celui du pourvoi immédiat, ainsi que de nouvelles pièces.

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard a sollicité un renvoi pour lui permettre d'en prendre connaissance et de pouvoir éventuellement y répliquer ; elle a justifié de la notification de ses conclusions et pièces le 21 juillet 2021.

Par arrêt du 22 juillet 2021, la cour a ordonné la réouverture des débats, invité les parties à répliquer, si elles le souhaitent, aux conclusions adverses, en justifiant avoir notifié ces éventuelles nouvelles conclusions en application des articles 672 et 673 du code de procédure civile, et ce avant le 15 septembre 2021.

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard a remis ses derniers écrits en date du 31 août 2021 le 2 septembre 2021, tendant au rejet du pourvoi immédiat et des prétentions des époux N., à la confirmation de l'ordonnance du 23 septembre 2019, et à la condamnation des demandeurs au pourvoi aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ses écrits ont été régulièrement communiqués à la partie adverse le 2 septembre 2021.

Le ministère public s'en est remis, par une note du 23 mars 2021, communiquée le 24 mars aux parties.

MOTIFS

Sur la recevabilité du pourvoi

La décision ordonnant l'exécution forcée immobilière est susceptible d'un pourvoi immédiat dans un délai de 15 jours à compter de sa notification, conformément aux dispositions de l'article 8 de l'Annexe du code de procédure civile applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

La décision a été régulièrement notifiée à Monsieur Eric N. et à Madame Agnès T. épouse N. par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 26 septembre 2019.

Le pourvoi immédiat introduit le 10 octobre 2019 est donc recevable.

Sur l'exécution forcée immobilière

Les époux N. affirment que l'acte notarié ne peut constituer un titre exécutoire puisque la créance à ce stade est seulement déterminable et non déterminée. Ils exposent que le Crédit Mutuel ne saurait se prévaloir du revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 25 juin 2020, l'action introduite étant antérieure, et que d'autre part, la nouvelle rédaction de l'article L.111-5 ne s'applique pas aux actes reçus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

Ils soutiennent également que la clause de l'acte de prêt par lequel ils donnent mandat à un représentant habilité du prêteur à l'effet de reconnaître le solde de la dette par acte authentique, et se soumettent à l'exécution forcée immédiate, doit être réputée non écrite comme étant abusive.

Ils font valoir que cette clause, rédigée dans le seul intérêt de la banque, a pour effet de priver l'emprunteur, mais également les cautions, du droit de faire valoir leurs éventuelles observations ou réclamations quant à l'arrêté de compte à intervenir qui sera édité par la banque et transmis au notaire à leur insu. Ils estiment ainsi que le procédé employé pour fixer la créance réclamée est frauduleux et méconnaît le respect du contradictoire. Ils se prévalent de l'article R. 212-1 du code de la consommation.

Les époux N. en déduisent que l'exécution forcée est poursuivie en l'absence de titre exécutoire.

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard soutient que l'acte de prêt reçu le 13 février 2006 constitue un titre exécutoire, conformément à la dernière jurisprudence de la Cour de cassation et à l'article L 111-5 du code des procédures civiles d'exécution, tel qu'issu de la loi du 23 mars 2019.

Elle expose que le mandat d'intérêt commun donné par acte notarié ne constitue nullement un procédé frauduleux et que les articles R 212-1 et R 112-2 du code de la consommation sont inapplicables en l'espèce puisque les époux N. ne peuvent être considérés comme des consommateurs, que le caractère éventuellement abusif d'une clause ne peut pas porter sur la définition de l'objet principal du contrat, et que de plus, les dispositions contractuelles ne sont en rien visées par les articles précités qui prévoient les cas dans lesquels une clause peut être déclarée abusive.

Sur l'absence de titre exécutoire

En application des articles 141 et 143 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et de la jurisprudence s'y rapportant, un créancier est fondé à voir ordonner l'ouverture d'une procédure d'exécution forcée immobilière à la condition de disposer d'un titre exécutoire préalablement signifié par voie d'huissier.

La procédure doit en outre être précédée de la délivrance d'un commandement de payer aux fins d'exécution forcée immobilière.

L'article L. 111-5 1°du code des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction antérieure à la loi 2019-222 du 23 mars 2019, prévoit que constituent des titres exécutoires les actes établis par un notaire de ces trois départements ou du ressort des cours d' appel de Colmar et de Metz, lorsqu'ils sont dressés au sujet d'une prétention ayant pour objet le paiement d'une somme d'argent déterminée ou la prestation d'une quantité déterminée d'autres choses fongibles ou de valeurs mobilières et que le débiteur consent dans l'acte à l'exécution forcée immédiate.

Conformément à la dernière jurisprudence de la Cour de cassation (2e Civ., 25 juin 2020 pourvoi n°19 -23219), il convient de considérer que dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, constitue un titre exécutoire, au sens de l'article L.111-5 du code des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction antérieure à la loi 2019-222 du 23 mars 2019, un acte notarié de prêt qui a mentionné, au jour de sa signature, outre le consentement du débiteur à son exécution forcée immédiate, le montant du capital emprunté et ses modalités de remboursement permettant, au jour des poursuites, d'évaluer la créance dont le recouvrement est poursuivi.

D'autre part, l'article 108 de la loi du 23 mars 2019 a modifié les dispositions de l'article L. 111-5 en ajoutant que la prétention peut avoir pour objet le paiement d'une somme d'argent déterminable et non pas seulement déterminée.

Cette nouvelle disposition, entrée en vigueur le 25 mars 2019, est applicable aux actes d'exécution pratiqués après cette date, quelle que soit la date de l'acte notarié.

L'acte notarié de prêt signé le 13 février 2006, passé par devant Maître C., notaire à Mulhouse, mentionne le montant du capital emprunté, soit 310 000 euros, le taux d'intérêt applicable, et de manière précise ses modalités de remboursement par échéances mensuelles de 1 995,44 euros sur 240 mois.

Par conséquent, les obligations résultant du contrat de prêt sont déterminées dans l'acte initial de prêt, au sens de l'article L. 111-5.

Par ailleurs, le contrat de prêt muni de la clause exécutoire comporte le consentement des débiteurs à l'exécution forcée immédiate. Il a été signifié le 26 mars 2019 à Monsieur Eric N. et le 9 avril 2019 à Madame Agnès T. épouse N.. Le commandement aux fins de vente forcée a été délivré le 26 juin 2019 à Monsieur N. et le 4 juillet 2019 à Madame T. épouse N..

Certes, le contrat de prêt comporte une clause selon laquelle l'emprunteur et, s'il y a lieu la caution, donnent mandat à un représentant habilité du prêteur, à l'effet de, en son nom et pour son compte, reconnaître le solde de leur dette par acte authentique en l'étude du notaire soussigné, ou de ses successeurs, les obliger au remboursement avec tous intérêts, frais et accessoires, en la soumettant à l'exécution forcée immédiate dans tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir, conformément aux dispositions légales.

Il est précisé que le mandat est donné dans l'intérêt commun du mandant et du mandataire et ne peut être révoqué que par consentement mutuel des parties.

Mais ce mandat conféré « en tant que de besoin » n'a vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse d'une créance non déterminée et non déterminable, telle la créance résultant d'une ouverture de crédit en compte devant donner lieu à établissement d'un arrêté de compte.

Tel n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant d'un prêt remboursable en 240 mensualités dont le solde est déterminé.

Indépendamment de la validité ou non de la clause de mandat, la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard dispose bien d'un titre exécutoire, au titre du seul contrat de prêt, lui ayant permis d'engager régulièrement la procédure d'exécution forcée immobilière.

Sur la contestation de la créance

La créance invoquée par la banque au soutien de sa requête aux fins d'exécution forcée immobilière résulte d'un décompte arrêté au 18 avril 2018 laissant apparaître un solde restant dû de 133 719,50 euros.

Les demandeurs au pourvoi affirment que la créance dont se prévaut le Crédit Mutuel n'est ni certaine, ni liquide, ni exigible.

Ils font valoir que l'exécution forcée poursuivie l'a été en l'absence de titre exécutoire.

Ils en déduisent qu'aucun frais d'exécution ne saurait être mis à leur charge.

D'autre part, ils assurent que la banque n'a pris en compte qu'une partie des remboursements intervenus depuis le 25 janvier 2014, et non la totalité des montants résultant notamment des saisies pratiquées entre les mains des différents locataires des appartements dont ils sont propriétaires, de même que des saisies pratiquées entre les mains de la CAF qui réglait directement auparavant une grande partie des loyers.

La Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard rétorque qu'il appartient aux époux N. de justifier de ce qu'elle aurait omis de prendre en considération des remboursements effectués par eux et souligne que les frais d'exécution, exposés en raison des impayés, sont en tout état de cause à la charge des débiteurs.

Il a été démontré ci-dessus que la banque disposait bien d'un titre exécutoire.

L'article L 111-8 du code des procédures civiles d'exécution pose le principe selon lequel les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés.

Les débiteurs ne justifiant pas d'une telle circonstance, il n'y a pas lieu de déduire ces frais du montant de la créance.

S'agissant de remboursements non pris en compte, les époux N. se contentent de verser au dossier un relevé établi par l'huissier le 22 novembre 2017 relatif à des virements 'ILONA CARMEN', entre le 1er avril 2015 et le 3 avril 2017, pour un montant total de 6 176 euros, dont rien n'indique qu'ils n'ont pas été pris en compte dans les remboursements retenus par le Crédit Mutuel s'élevant à 133 194 euros.

Ils font par ailleurs référence à une procédure initiée par eux devant le tribunal judiciaire de Belfort, à une date qui n'est pas connue, aux termes de laquelle ils sollicitent avant-dire droit l'organisation d'une expertise judiciaire comptable aux fins de voir établir un décompte rectifié de la créance résiduelle de la Caisse de Crédit Mutuel tenant compte de toutes les sommes payées postérieurement au 25 janvier 2014 et jusqu'à ce jour.

La cour constate qu'en l'état, la créance de la banque est certaine, liquide et exigible.

Sur les frais et dépens

Les époux N., qui ont succombé en leur recours, seront condamnés aux dépens.

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.

PAR CES MOTIFS

Déclare la requête de la Caisse de Crédit Mutuel de Montbéliard en exécution forcée immobilière recevable ;

Confirme l'ordonnance du 23 septembre 2019 du tribunal de l'exécution de Mulhouse ;

Rejette les demandes respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur Eric N. et Madame Agnès T. épouse N. in solidum aux dépens.