AMF, 9 octobre 2008, n° SAN-2008-26
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
I. FAITS ET PROCEDURE
La société LOCINDUS (« LOCINDUS ») est un établissement de crédit agréé en qualité de société financière, sous la forme d’une société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Spécialisée dans le financement d’actifs immobiliers d’entreprises, l’intégralité de son activité est réalisée en France et se répartit entre une activité de crédit-bail et de location de longue durée. Créée en 1968, elle a été introduite sur la Bourse de Paris en 1970 et, en 2006, était cotée sur le compartiment B d’Eurolist Paris. Une de ses filiales, la société SIICINVEST (« SIICINVEST »), spécialisée dans la gestion locative d’actifs immobiliers d’entreprises, est également cotée, sur le compartiment C d’Eurolist, depuis le 30 juin 2006.
Par un communiqué du 22 novembre 2006, LOCINDUS et sa filiale SIICINVEST ont annoncé que le CREDIT FONCIER DE FRANCE (« CFF ») lançait une offre publique d’achat sur les titres de LOCINDUS, au prix de 37 € par action. Le même communiqué indiquait que le conseil de surveillance de LOCINDUS avait été « informé de la participation d’ICADE (…) à cette opération, qui souhaite se porter acquéreur, à l’issue de l’offre, du contrôle de SIICINVEST ».
Le 9 février 2007, le Secrétaire général de l’AMF a ouvert une enquête portant sur le marché des actions LOCINDUS et SIICINVEST ainsi que sur les titres obligataires LOCINDUS, depuis le 1er janvier 2006.
Il ressort du rapport d’enquête, établi par la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés (« DESM ») de l’AMF le 18 décembre 2007, que M. A aurait, entre les 4 octobre et 21 novembre 2006, acheté des titres LOCINDUS, sur la base d’une information privilégiée qui lui aurait été transmise par M. B, associé gérant de la société X (société de conseil en fusions acquisitions), en violation des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du Règlement général de l’AMF. M. A aurait fait procéder à ces achats alors qu’il avait connaissance de la conclusion d’un accord préliminaire de coopération entre le CFF et ICADE et de l’envoi d’une offre indicative en vue d’une prise de contrôle de LOCINDUS, information qui aurait présenté les caractéristiques d’une information privilégiée dès le 13 septembre 2006.
Conformément à l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, ce rapport d'enquête a été examiné par la Commission spécialisée n° 2 du Collège de l’AMF, lors de sa séance du 29 janvier 2008. Au vu du rapport d’enquête et sur décision de la Commission spécialisée n° 2, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception des 13 février et 19 mars 2008, respectivement notifié les griefs qui étaient reprochés à MM. A et B.
En substance, il est reproché à M. B d’avoir transmis à M. A, en violation des articles 621-1 et 622-1 du Règlement général de l'AMF, une information à caractère privilégiée « relative aux grandes chances d’aboutir d’un projet de prise de contrôle de la société LOCINDUS par LE CREDIT FONCIER DE FRANCE », ladite notification précisant que, selon un faisceau d’indices concordants, « les achats [entre le 4 octobre et le 21 novembre 2006] ne pouvaient s’expliquer que par la transmission de [M. B] à [M. A ]».
La notification de griefs adressée à M. A indique que ce dernier aurait, entre les 4 octobre et 21 novembre 2006, acquis 15 700 titres LOCINDUS, réalisant une plus-value brute de 52 019 €, alors qu’il détenait une information à caractère privilégiée telle que précédemment énoncée, qui lui aurait été transmise par M. B, en violation des articles 621-1 et 622-1 du Règlement général de l'AMF, étant précisé que la détention de ladite information serait établie au terme d’un faisceau d’indices concordants.
Copie des notifications de griefs a été transmise au Président de la Commission des sanctions, conformément à l’article R. 621-38 du Code monétaire et financier.
Mme Marielle COHEN-BRANCHE a été désignée en qualité de Rapporteur par décision du Président de la Commission des sanctions du 25 mars 2008, ce dont MM. B et A ont été informés par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception du 3 avril 2008, leur précisant la faculté d’être entendu, à leur demande, conformément à l’article R. 621-39-I. du Code monétaire et financier.
Le 13 mars 2008, Maître Thierry MAREMBERT a déposé des observations dans l’intérêt de M. A, dans lesquelles, notamment, il indiquait que son client souhaitait être auditionné, demande réitérée par lettre du 15 avril 2008. Le 14 avril 2008, Maîtres Pascaline DECHELETTE-TOLOT et Jean-Louis FORT ont transmis les observations rédigées dans l’intérêt de M. B, desquelles il ressortait également une demande d’audition. MM. A et B ont été entendus le 26 mai 2008, audition à laquelle ceux-ci avaient été convoqués par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception du 7 mai 2008.
Mme Marielle COHEN-BRANCHE a déposé son rapport le 23 juillet 2008, adressé le lendemain à MM. B et A par lettres recommandées avec demande d’avis de réception, qui les convoquait, en application de l’article R. 621-39 III. du Code monétaire et financier, à la séance de la Commission des sanctions du 9 octobre 2008.
Le 11 septembre 2008, MM. B et A ont été avisés de la composition de la Commission des sanctions et de leur possibilité de récuser, dans un délai de quinze jours, l’un de ses Membres.
Les 4 et 15 septembre 2008, Maîtres Pascaline DECHELETTE-TOLOT et Thierry MAREMBERT, respectivement pour MM. B et A, ont fait parvenir des observations en réponse au rapport du Rapporteur.
II. MOTIFS DE LA DECISION
Considérant qu’il résulte de l’article 622-1 du Règlement général de l’AMF, dans sa version issue de l’arrêté du 30 décembre 2005 applicable aux faits de l’espèce, que « toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés.
Elle doit également s’abstenir de : 1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ; 2° Recommander à une autre personne d’acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapportent cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés » ;
Qu’une information privilégiée est définie par l’article 621-1 du Règlement général, comme l’"information précise qui n’a pas été rendue publique" et "qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une incidence sensible sur le cours" du titre ;
1.Considérant que l’information considérée comme privilégiée par les notifications de griefs était celle relative aux « grandes chances d’aboutir d’un projet de prise de contrôle de LOCINDUS par le CFF » ; que, selon ces notifications, cette information aurait présenté les caractéristiques d’une information privilégiée dès le 13 septembre 2006, date à laquelle le CFF et ICADE ont conclu un accord préliminaire de coopération et à laquelle le CFF a envoyé à LOCINDUS une « lettre d’intention indicative » contenant une fourchette de prix, supérieure au cours de bourse de l’époque, en vue d’une prise de contrôle ;
Considérant que cet accord et cette lettre conféraient à cette offre des chances raisonnables d’aboutir, celle-ci présentant, par son caractère structuré et crédible en termes de prix, un caractère abouti dans l’esprit de l’acquéreur ; qu’en outre, il résulte des pièces du dossier que l’opération d’adossement était, eu égard au caractère dispersé de son actionnariat, une nécessité pour la société cible ; que l’existence de sondages d’autres acquéreurs par la société X, au cours du mois d’octobre, n’est pas, en l’espèce, de nature à relativiser les chances d’aboutir du projet d’adossement avec le CFF, puisqu’il résulte des pièces du dossier que ces sondages étaient avant tout destinés à peser dans la négociation du prix de l’offre et correspondaient, de la part de LOCINDUS, à une véritable volonté de voir se concrétiser l’offre du CFF ; que, s’il est soutenu devant la Commission qu’à la date de la commission des griefs reprochés, l’offre était caduque dans la mesure où les termes de la lettre du 13 septembre précisaient qu’elle expirait le 30 septembre 2006, cette argumentation est sans incidence, puisqu’il est établi que la société X s’attachait alors à négocier les termes de cette offre, tout en préparant l’ouverture de la phase de data-room, ce qui atteste que l’offre, quel qu’en soit le support formel, était en phase de concrétisation ; qu’ainsi, il résulte de ce qui précède que cette information était précise, dans la mesure où il pouvait en être tiré une conclusion quant à son effet possible sur le cours du titre LOCINDUS ;
Considérant qu’étant relative à une opération d’ampleur sur le capital de LOCINDUS, elle était de nature à avoir une influence sensible sur le cours ;
Considérant qu’il est avéré et non contesté que cette information était, au moment de la commission des griefs notifiés, inconnue du public ;
Considérant en conséquence que l’information précitée revêtait les caractères d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l'AMF ;
2. Considérant qu’il est reproché à M. A d’avoir utilisé l’information privilégiée précédemment définie en achetant, entre les 4 octobre et 21 novembre 2006, 15 700 titres LOCINDUS ;
Que la détention de l’information privilégiée doit être établie, soit par une preuve tangible soit, à défaut, par un faisceau d’indices concordants desquels il résulte que seule la détention de l’information privilégiée peut expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé ;
Considérant que selon la notification de griefs adressée à M. A, la détention de l’information privilégiée serait établie par un faisceau d’indices tenant :
• en premier lieu, au fait que celui-ci avait été, dès le mois de juin 2006, « informé des problématiques stratégiques et capitalistiques auxquels était confrontée la société LOCINDUS », ayant été « sondé par un représentant [d’une] banque d’affaires (…) en [sa] qualité d’administrateur du groupe bancaire Y, sur l’intérêt de [celui-ci] au sujet d’une éventuelle acquisition de LOCINDUS »,
• en deuxième et troisième lieux, à l’existence de « liens professionnels étroits entre MM. A et B », qui, en tant que responsable du dossier LOCINDUS au sein de la société conseil de l’opération, détenait nécessairement l’information, et à la date des premières interventions de M. A sur le titre LOCINDUS, intervenues quelques heures après avoir déjeuné avec M. B,
• en quatrième et cinquième lieux, aux montants investis, qualifiés de « considérables », et au fait que M.A n’avait jamais acquis de titres LOCINDUS auparavant ;
Considérant qu’il y a lieu pour la Commission des sanctions d’examiner chacun de ces indices avant de rapprocher les conclusions qui pourraient en être retenues ;
2.1. Considérant qu’il est établi qu’au mois de juin 2006, M. A a été, au terme d’une démarche informelle ne résultant d’aucun mandat, sondé par un représentant d’une banque d’affaires sur l’intérêt du groupe bancaire auquel il appartenait à acquérir LOCINDUS ; que toutefois, à cette époque, antérieure au 13 septembre 2006, l’information considérée comme privilégiée n’existait pas ;
Considérant qu’ainsi que le relève la notification de griefs, il ressort des pièces du dossier que MM. B, – dont il est établi et non contesté qu’il détenait l’information privilégiée – et A entretenaient des relations professionnelles et personnelles régulières ; qu’à ce titre, MM. A et B ont déjeuné ensemble quelques heures avant le début des achats reprochés ;
Considérant que la position prise à l’achat sur le titre LOCINDUS par M. A représentait 37,5 % de la valeur de son portefeuille ; que si ces achats, au regard de leur montant (528 880,73 €), étaient près de deux fois plus importants que les opérations qui les ont précédés ou suivis la même année, ils ne revêtaient pas, eu égard aux sommes en jeu et à la nature du risque encouru sur un titre tel que LOCINDUS, un caractère atypique par rapport au mode de gestion du portefeuille de M. A, et ce même si ce dernier n’avait jamais acquis de titres LOCINDUS auparavant ;
2.2. Considérant que M. A, tant dans ses observations écrites qu’à l’occasion de la séance de la Commission des sanctions, a entendu présenter une explication des opérations reprochées, en se référant :
• à sa connaissance avérée du secteur du crédit-bail immobilier ;
• aux éléments en fonction desquels il envisageait depuis plusieurs mois de prendre une position sur le titre : caractère inéluctable d’un adossement de LOCINDUS, société qui apparaissait comme étant saine d’un point de vue financier, rendement de l’ordre de 5 % ;
• aux données – baisse du cours, dans un marché haussier, à un niveau qui selon lui était stabilisé, publication des résultats semestriels de LOCINDUS le 28 septembre 2006 ne venant pas remettre en cause son analyse – qui, à partir de cette analyse stratégique, non contestée par les analyses publiées, l’avaient conduit à une décision d’achat le 4 octobre 2006 ;
2.3. Considérant qu’il ne résulte pas du rapprochement entre, d’une part, la portée qu’il y a lieu d’attribuer aux indices invoqués par la notification de griefs – observation étant faite que le seul fait que MM. A et B entretenaient des relations professionnelles et personnelles régulières et ont déjeuné ensemble quelques heures avant les interventions à l’achat de M. A, ne saurait, en lui-même, revêtir une valeur probante suffisante – et, d’autre part, les indications données par M. A, que seule la détention d’une information privilégiée puisse expliquer l’opération à laquelle M. A s’est livré sur le titre LOCINDUS ;
Considérant dès lors que le grief notifié à M. A doit être écarté ;
3. Considérant que, pour imputer à M. B la transmission à M. A de l’information privilégiée précédemment définie, la notification de griefs invoque un faisceau d’indices desquels il résulterait que les achats réalisés par ce dernier alors qu’il détenait ladite information ne pouvaient s’expliquer que par cette transmission ;
Mais considérant que dès lors qu’ainsi qu’il vient d’être dit, il n’est pas établi que M. A ait détenu l’information privilégiée tenant aux « grandes chances d’aboutir d’un projet d’acquisition de LOCINDUS par le CFF », la notification de griefs ne peut pas utilement invoquer une telle détention pour soutenir que M. B aurait transmis cette information à M. A ;
Considérant qu’au surplus, les éléments, retenus par la notification de griefs, relatifs d’une part aux caractéristiques des opérations d’achat réalisées par M. A, et, d’autre part, au seul fait que MM. B et A aient déjeuné ensemble le 4 octobre 2006, quelques heures avant les premières interventions de M. A sur le titre LOCINDUS, ne sauraient établir que M. B a transmis l’information privilégiée en cause ;
Considérant dès lors que le grief notifié à M. B doit être écarté ;
4. Considérant que l’article L. 621-15-V du Code monétaire et financier dispose que « la commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu permettre à la Commission de tenir compte des exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent son pouvoir de sanction ainsi que de l’intérêt qui s’attache pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès à ses décisions, connaître son interprétation des règles qu’ils doivent observer ; qu’aucune circonstance de l’espèce n’est de nature à faire obstacle à ce que la décision à intervenir soit publiée, dans des conditions garantissant l’anonymat des personnes mises en cause ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Daniel LABETOULLE, par MM. Pierre LASSERRE et Guillaume JALENQUES de LABEAU, Membres de la 1ère section de la Commission des sanctions, en présence de la Secrétaire de séance.
DECIDE DE :
- mettre hors de cause MM. A et B ;
- publier la présente décision au « Bulletin des annonces légales obligatoires », ainsi que sur le site internet et dans la revue de l’Autorité des marchés financiers, dans des conditions garantissant l’anonymat des personnes mises en cause.