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Décisions

AMF, 11 décembre 2008, n° SAN-2009-13

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

AMF n° SAN-2009-13

11 décembre 2008

I. FAITS ET PROCEDURE

A. Faits

Créée en 1995 par M. G, la société Y, dénommée jusqu’en 1999 […], est spécialisée dans la conception et l’intégration des infrastructures systèmes, réseaux et télécoms. Au cours de l’exercice 2005, la société Y a réalisé un chiffre d’affaires de 35,9 millions d’euros. Inscrit au Marché Libre depuis mars 2000, il a rejoint le marché Alternext d’Euronext le 20 septembre 2005.

Jusqu’en juillet 2006, la majorité du capital de la société Y (à hauteur de 63,1 %) était répartie entre ses dirigeants qui en détenaient, M. G, directement ou indirectement, 26,9 %, M. [...] 24,1 % et M. [...], indirectement, environ 6 %1. Le reste était détenu, à hauteur de 8,3 %, par le FCPR […], fonds rattaché à la banque [...], ainsi que par M. [...], M. [...] et le public.

Au cours de l’année 2006, les actionnaires majoritaires de la société Y ont envisagé de céder la totalité de leur participation, qui représentait environ 74,7 % du capital. A cette fin, le 11 avril 2006, M. G a contacté le cabinet W, spécialisé en matière de fusions acquisitions, afin qu’il trouve un acquéreur. Ces démarches ont abouti, le 27 juillet 2006, à la signature d’un acte de cession et aux échanges de titres entre la société V et les actionnaires majoritaires de la société Y.

Le 28 juillet 2006, la société V, la société Y et la société W ont publié un communiqué commun annonçant le rachat des parts des actionnaires majoritaires de la société Y pour un montant global de 28,2 millions d’euros et un prix de 41,97 euros par action.

Le 20 juillet 2006, en raison de la hausse de son cours, la cotation du titre Y a été suspendue à la demande de M. G. Elle a repris le 13 novembre 2006 avec, de la part de la société V, une garantie de cours de 41,97 euros par action sur le flottant, représentant 28 % du capital.

B. Procédure

Le 21 novembre 2006, le Secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture, à compter du 1er janvier 2006, d’une enquête sur le marché du titre Y qui a fait l’objet d’un rapport de la Direction des Enquêtes et de la Surveillance des Marchés (ci-après « DESM ») du 22 octobre 2007.

Au regard des conclusions de ce rapport et sur décision de la Commission spécialisée n° 3 du 20 novembre 2007, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception du 19 décembre 2007, notifié les griefs qui leur étaient reprochés à :

- M. B, administrateur de la société Y, frère de M. G et gendre de Mme A ;

- Mme A, belle-mère de M. B ;

- la société X, représentée par sa gérante, Mme A ;

- M. C, directeur commercial de la société Z qui est une des filiales de la société Y ;

- M. D, gendre de M. E, ami proche de M. G ;

- M. E, beau-père de M. D ;

- M. F.

Ces notifications de griefs retiennent au titre d’une information privilégiée la cession à la société V, par les actionnaires majoritaires, de leur participation dans le capital de la société Y et reprochent en substance à :

- M. B, d’une part, d’avoir acquis, « le 28 juin 2006, 2000 actions Y, par l’intermédiaire de la Banque [...], au cours de 27,50 €, ce qui représentait un investissement total de 55 500 € », alors qu’il détenait cette information privilégiée, d’autre part, de l’avoir communiquée à Mme A;

- Mme A, alors qu’elle détenait l’information privilégiée, d’avoir acquis, entre le 28 juin et le 20 juillet 2006, 3 129 actions Y pour son compte, celui de son fils et celui de la Sarl X dont elle est la gérante, ce qui représentait un investissement total estimé à 95 193 € ;

- la société X, alors qu’elle détenait l’information privilégiée, d’avoir acquis, entre le 28 juin et le 20 juillet 2006, 1 753 actions Y pour son compte, ce qui représentait un investissement total d’environ 51 816 € ;

- M. C, alors qu’il détenait l’information privilégiée, d’avoir acquis, les 17 et 19 juillet 2006, respectivement 1 000 et 335 actions Y, ce qui représentait un investissement total estimé à plus de 39 400 € ;

- M.​D,​d’avoir,​au​mois​de​juillet 2006,​communiqué​ à ​son ​beau-père, M. E, l’information privilégiée ;

- M. E, alors qu’il détenait l’information privilégiée, d’avoir acquis, le 18 juillet 2006, 1 000 actions Y pour un investissement total de 29 725 € ;

- M. F, alors qu’il détenait l’information privilégiée, d’avoir acquis, les 21 et 28 juin 2006, 720 puis 55 actions Y pour un investissement total de 20 168 €.

Les personnes mises en cause ont été avisées, par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception datées du 8 février 2006, de la désignation de M. Jean-Pierre Morin en qualité de Rapporteur et

de la possibilité d’être entendues, à leur demande, en application de l’article R. 621-39 du Code monétaire et financier.

En réponse aux notifications de griefs, des observations ont été déposées, le 7 janvier 2008 par M. C, le 18 janvier 2008 par Maître Jérémy Asta-Vola et Maître Annie David dans l’intérêt de M. B, le 22 janvier 2008 par Maître Jérémy Asta-Vola et Maître Annie David dans l’intérêt de Mme A et de la société X, le 1er février 2008, par Maître Elizabeth Maisondieu-Camus dans l’intérêt de M. D, le 6 février 2008 par Maître Eric Turcon dans l’intérêt de M. E, le 11 février 2008 par Maître Guillaume Kellner dans l’intérêt de M. F.

Les personnes mises en cause ont été convoquées devant la 2ème section de la Commission des sanctions par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 18 septembre 2008, auxquelles était annexé le rapport du Rapporteur, en date du 16 septembre 2008.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 29 septembre 2008, les mis en cause ont été informés, en application de l’article 2 du décret susvisé du 2 septembre 2008, de ce qu’ils disposaient de la faculté de demander la récusation du Rapporteur dans un délai d’un mois et dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.

Des observations en réponse au rapport du Rapporteur ont été déposées le 2 octobre 2008 par M. C, le 7 octobre 2008 par Maître Elisabeth Maisondieu-Camus dans l’intérêt de MM. D et E, le 9 octobre 2008 par Maître Jérémy Asta-Vola et Maître Annie David dans l’intérêt de Mme A et de la société X et le 17 octobre 2008 par Maître Guillaume Kellner dans l’intérêt de M. F.

Par lettres recommandées, avec demande d’avis de réception, du 21 novembre 2008, les mis en cause ont été informés de la composition de la formation de la Commission des sanctions lors de la séance, ces lettres leur précisant la faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite formation, en application des articles R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.

II. MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur l’existence d’une information privilégiée

Considérant qu’aux termes de l’article 621-1 du Règlement général de l'AMF, « Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés. Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés. Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement » ;

Considérant qu’en vertu de ce texte, pour être « privilégiée », une information doit être précise, non publique et, si elle était connue du public, susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre ;

1. Sur le caractère précis de l’information

Considérant que pour être « précise » au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l'AMF, l’information peut ne pas être certaine ; qu’il suffit qu’elle porte sur un projet suffisamment défini entre les parties pour avoir des chances raisonnables d’aboutir, même si sa réalisation effective comporte des aléas ; qu’en l’espèce, le 22 avril 2006, les actionnaires majoritaires de la société Y ont donné mandat au cabinet W de trouver un acquéreur pour la totalité de leurs parts dans la société Y ; que parmi les douze acquéreurs potentiels contactés entre le 12 mai et le 5 juin 2006 par le cabinet W sur recommandation de la société Y, quatre, [...], la société V, [...] et [...], ont répondu favorablement ; que les responsables de la société Y les ont rencontrés, le premier les 2 et 9 juin, le deuxième le 13 juin, le troisième le 14 juin et le quatrième le 22 juin 2006 ; que, le 19 juin à 17 heures 42 et le 23 juin 2006 à 14 heures 53, la société Y a reçu, respectivement, de BT et de la société V des propositions indicatives de rachat valorisant la société, la première à 32 millions d’euros, la deuxième à 42 millions d’euros ; que le 10 juillet 2006, le comité d’investissement de la société V, souverain sur ce type de projet, s’est prononcé en faveur de l’opération de rachat ; que le 14 juillet 2006, le cabinet W et la société V ont finalisé par un échange de courriers cette offre, qui avait pour effet de valoriser le titre Y à un niveau supérieur d’environ 40 % au cours de bourse du moment ; que le 27 juillet 2006, la société V et les actionnaires majoritaires de la société Y ont procédé à la signature de l’acte de cession et aux échanges des titres ; qu’ainsi, le principe même de la cession des titres Y par les actionnaires majoritaires était arrêté et avait des chances sérieuses d’aboutir au bénéfice d’un grand opérateur de téléphonie, qu’il s’agisse de la société V ou de BT, au plus tard à partir du 19 juin 2006, date de la première proposition de rachat ; qu’à partir de ce moment, l’information avait atteint un degré de précision suffisant pour pouvoir être qualifiée de « privilégiée » ; que la cession au profit de la société V s’est d’ailleurs confirmée avec une quasi-certitude à compter du 10 juillet 2006 ;

2. Sur le caractère non public de l’information

Considérant que lors du Comité central d’entreprise de la société V du 18 juillet 2006, l’un de ses membres a évoqué le projet d’acquisition, qui était toutefois intitulé « projet NEEL », de sorte que le nom de la société visée n’était pas révélé ; que l’information parcellaire ainsi communiquée n’a pas acquis un caractère public, les dirigeants de la société V et les membres de son Comité central d’entreprise étant en outre tenus à une obligation de confidentialité ; qu’avant la date à laquelle la société Y, la société V et la société W ont publié un communiqué commun annonçant qu’ils avaient signé un « protocole d’accord portant sur l’acquisition par la société V de la totalité de leur actions, soit environ 72 % du capital, au prix de 41,97 € par action », aucun des éléments communiqués au marché ne lui a permis d’avoir une idée précise du projet, et encore moins d’en prendre la mesure ; qu’ainsi, jusqu’au 28 juillet 2006, le public n’était pas informé de la cession imminente de la participation, à hauteur de 72 %, des actionnaires de la société Y ;

3. Sur l’influence sensible sur le cours du titre Y que cette information était susceptible d’avoir

Considérant que l’information sur la cession d’une part significative du capital d’une société à un prix nettement supérieur à la cotation boursière est, par nature, susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre ; que tel est le cas en l’espèce, la cession par les actionnaires de leur participation à hauteur de 72 % dans le capital de la société Y à un grand opérateur de téléphonie pouvant constituer, pour tout investisseur raisonnable, l’un des fondements de sa décision d’investir ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ce projet de cession présentait, jusqu’au 28 juillet 2006, toutes les caractéristiques de l’information privilégiée au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF ;

B. Sur la détention, la communication et l’utilisation par les personnes mises en cause de l’information privilégiée

Considérant qu’il résulte de l’article 622-1 du Règlement général de l'AMF applicable aux faits de l’espèce que : « Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. Elle doit également s’abstenir de : 1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ; 2° Recommander à une autre personne d’acquérir ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapportent cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. Les obligations d’abstention posées au présent article ne s’appliquent pas aux opérations effectuées pour assurer l’exécution d’une obligation d’acquisition ou de cession d’instruments financiers devenue exigible, lorsque cette obligation résulte d’une convention conclue avant que la personne concernée détienne une information privilégiée » ; que l’article 622-2 du Règlement général de l'AMF précise en outre que : «Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : 1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de l’émetteur ; 2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ; 3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ; 4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou de délits. Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée (…) » ;

Considérant, d’une part, que la preuve de la détention et de l’utilisation d’une information privilégiée peut être rapportée au moyen d’un faisceau d’indices précis et concordants desquels il résulte que les opérations auxquelles la personne mise en cause a procédé ne peuvent s’expliquer autrement ;

Considérant, d’autre part, que l’obligation d’abstention pesant sur le détenteur d’une information privilégiée revêt un caractère absolu ;

1. Les manquements reprochés à M. B, à Mme A et à la société X

Considérant que M. B était, au moment des faits, membre du Conseil d’administration de la société Y dont son frère, M. G, était le Président Directeur Général ; qu’il a acquis des titres Y le 28 juin 2006 ; que cette date doit être rapprochée du 23 juin 2006, jour où l’offre d’achat de la société V valorisant la société à 42 millions d’euros est parvenue, à 14 heures 53, à la société Y, qui, à 17 heures, a réuni son conseil d’administration,

M. B étant, selon le procès-verbal, présent à cette réunion (cote 00037) ; que si celui-ci prétend, sans en rapporter la preuve en ce qui le concerne, qu’il n’aurait pas assisté à ce conseil d’administration, il demeure qu’il a, le 23 juin 2006 en fin de matinée, eu une conversation téléphonique de trois minutes et vingt secondes avec M. G (cote 00044) ;

Considérant, ensuite, que cette acquisition de 2 000 titres Y constitue le seul investissement boursier réalisé par M. B, qui a attendu le 28 juin 2006 pour affecter à cet achat une part du produit de la vente de sa société […], dont il disposait depuis la fin de l’année précédente ;

Considérant, enfin, que M. B a déclaré, lors de son audition par les enquêteurs qui lui demandaient comment il avait été informé de la « vente du bloc majoritaire à la société V » : « En juin, j’avais acheté des parts en étant persuadé que la société Y allait se vendre, mais je ne m’attendais pas à ce que cela se fasse si vite » ;

Considérant que, compte tenu de leur date et des circonstances dans lesquelles elles se sont produites, les acquisitions de 2 000 titres Y réalisées le 28 juin 2006 par M. B pour un montant total d’environ 55 000 euros ne peuvent s’expliquer autrement que par sa connaissance de la cession imminente de leur participation par les actionnaires majoritaires de la société Y ;

Considérant, par ailleurs, qu’il est établi que Mme A a commencé à acquérir des titres Y le 28 juin 2006, le jour même de l’achat de son gendre, M. B, et peu de temps après avoir déjeuné avec lui ; que M. B a déclaré avoir probablement, lors de ce déjeuner, fait part à sa belle-mère « de sa propre décision d’investir »;

Considérant que Mme A a, du 28 juin au 20 juillet 2006, acquis en tout 3 129 titres, tant pour son fils et pour elle-même, à hauteur de 1 376 actions, que pour le compte de la société X pour le reste ; qu’elle a passé ses ordres le 20 juillet 2006 à tout prix, ce qui manifestait sa volonté de les voir absolument exécuter ; que ces acquisitions, dont les premières ont été réalisées en concomitance avec celles de M. B, ne peuvent être expliquées que par la détention des informations que ce dernier lui a données ;

Considérant que l’ensemble de ces éléments établit que M. B a communiqué, lors du déjeuner du 28 juin 2006, l'information privilégiée qu'il détenait à Mme A, la circonstance que cette dernière ait déjà effectué par le passé quelques investissements en bourse, dont certains en titres Y, étant indifférente à la caractérisation du manquement ;

Considérant que M. B a ainsi contrevenu, en utilisant une information privilégiée et en la communiquant à un tiers, aux prescriptions de l'article 622-1 du Règlement général de l'AMF ;

Considérant qu'en faisant ainsi usage de cette information, dont elle ne pouvait - en raison de sa proximité avec M. B et du rôle que celui-ci jouait en sa qualité de membre du Conseil d’administration de la société Y dirigé par son frère, M. G - ignorer le caractère privilégié, Mme A a commis le manquement d’initié qui lui est reproché ; que la circonstance qu’elle n’ait pas acquis de titres Y du 30 juin au 19 juillet 2006, ou encore qu’elle ait ignoré, le 20 juillet 2006, que le cours allait être suspendu, sont indifférentes à la caractérisation du manquement, dont les éléments constitutifs sont objectivement réunis, et ne sauraient l’exonérer de sa responsabilité ;

Considérant que Mme A était la gérante de la société X dont, à l’époque des faits, elle détenait avec son mari la totalité du capital ; que c’est en sa qualité de gérante qu’elle a, entre le 28 juin et le 30 juillet 2006 et pour le compte de la société, investi 51 816 euros appartenant à celle-ci en lui faisant acquérir 1 753 titres Y;

Considérant que la personne morale X a, dans les circonstances de l’espèce, commis le manquement d’initié reproché par l’intermédiaire de sa dirigeante, qui détenait une information privilégiée et qui a agi au nom et pour le compte de cette société ;

Considérant, en conséquence, que le manquement d’initié est constitué à l’encontre de Mme A et de la société X ;

2. Les manquements reprochés à MM. D et E

Considérant que M. D est un ami de M. G et a été informé de la cession imminente de la société Y à la société V par un courriel de ce dernier, en date du 14 juillet 2006 à 11 heures 34, qui indiquait : « J’étais toute la matinée et le début d’am chez Orange, ai signé la cession de la société Y Très confidentiel, je pourrais avoir des ennuis sinon » ; que M. D a répondu à ce courriel, à 19 heures 44, en ces termes :

« Félicitations… Tu sais très bien que je n’achèterais pas d’actions par principe … » ; que M. G a alors rétorqué : « Je ne parlais pas d’acheter mais même de le dire avant la présentation au CCE de FT le 30 juillet » (cote 00004) ;

Considérant qu’il est établi et non contesté que M. D détenait l’information privilégiée le 14 juillet 2006 ; Considérant que, le 18 juillet 2006, M. E a acheté 1 000 actions Y pour un montant total de 29 725 € ;

Considérant que M. E a été entendu le 4 juillet 2007 par les enquêteurs de l’AMF ; qu’à la question posée de sa connaissance de la société Y, il a répondu : « C’est mon gendre, M. D, qui m’a présenté M. B, qui n’est pas pour moi une relation d’affaires. M. D m’a également fait connaître le titre Y, puisque c’est lui qui m’a indiqué en juillet 2006 qu’il y avait une plus-value à faire parce que la société Y allait être vendue à la société V » ; qu’interrogé ensuite sur le point de savoir quel avait été l’élément déclencheur de son achat de 1 000 actions Y le 18 juillet 2006, il a indiqué : « C’est mon gendre qui me l’a suggéré (…). Vous me demandez si j’ai craint de mettre autant d’argent sur le titre, mais j’étais relativement confiant. Mon conseiller de clientèle ne m’a rien indiqué de particulier lors de cet ordre de bourse. De plus, le rachat se faisait par la société V, ce qui m’a rassuré »; qu’enfin, M. E a ajouté que M. D l’avait fortement incité à acheter des titres Y en précisant : « Il ne s’agissait pas d’un conseil, car mon gendre est quelqu’un de prudent : c’était plutôt une information. Je lui ai d’ailleurs demandé s’il avait acheté des titres, il m’a répondu que non » (cotes 00399 et 00400) ;

Considérant qu’ensuite, M. E a prétendu avoir reçu cette information, non pas en juillet comme il l’avait déclaré tout au long de son audition, mais lors du week-end du 1er ou du 8 mai 2006 ; que sa nouvelle version, outre qu’elle n’explique pas pourquoi il aurait attendu plus de deux mois avant d’acquérir les actions, est invraisemblable puisqu’au début du mois de mai, aucun des acquéreurs potentiels n’avait encore été contacté par le cabinet W, de sorte que M. E ne pouvait alors avoir été informé, comme il l’a pourtant indiqué de lui-même aux enquêteurs, que « le rachat se faisait par la société V » ;

Considérant qu’en outre, ces acquisitions de titres Y ne correspondaient pas aux habitudes d’investissement de M. E, qui a déclaré n’avoir réalisé « qu’exceptionnellement des opérations en bourse » ; que, pour les financer, il a « vidé » les deux livrets A qu’il détenait à la banque [...] ;

Considérant que M. E ne pouvait ignorer le caractère privilégié de l’information que lui avait transmise son gendre sur la « plus-value à faire parce que la société Y allait être vendue à la société V » ; que, tenu à une obligation d’abstention, il s’en est donc affranchi en connaissance de cause ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments :

- que M. D a transmis à M. E l’information dont il savait parfaitement qu’elle était privilégiée et ne devait être communiquée à quiconque, de sorte qu’il a délibérément agi en violation des dispositions de l’article 622-1 1° du Règlement général de l'AMF ;

- que M. E a utilisé cette information en achetant, le 18 juillet 2006, 1 000 actions Y et a ainsi contrevenu aux dispositions des articles 622-1, 1er alinéa, et 622-2, avant-dernier alinéa, du Règlement général de l'AMF, l’absence d’ «intention délictueuse » dont il se prévaut, à la supposer établie, étant sans incidence sur la caractérisation du manquement ;

3. Le manquement reproché à M. F

Considérant que le 20 juin 2006, soit la veille des premières acquisitions de titres Y qu’il a effectuées,

M. F, chargé chez IBM de l’étude préalable des opérations de rachat, a eu à 18 heures 54 un entretien téléphonique professionnel avec M. G, qui a indiqué aux enquêteurs que lors de cette conversation, il lui avait précisé que « nous voulions négocier rapidement notre projet de cession avant le 31 juillet 2006, qui était la date limite que nous avons fixée à chacun des acquéreurs potentiels » ; que, le même jour, ce dernier a reçu du dirigeant de la société W un courriel lui indiquant qu’avait bien été envoyé à M. F, « comme convenu le NDA », c’est à dire l’accord de confidentialité concernant la situation de l’entité cédante, la société Y ;

Considérant que M. F a indiqué lors de l’enquête que « M. B était euphorique. Il me disait que la société V regardait le dossier ce qui m’a paru invraisemblable (…). J’ai appelé la société W pour m’assurer de l’existence de ce mandat, ce que M. SALABI, le dirigeant, m’a confirmé » ; que M. David SALABI a effectivement déclaré avoir alors dit à M. F que « le process était déjà bien avancé, mais que s’il souhaitait s’y joindre, il devait signer un NDA » (cote 00388) ;

Considérant qu’ainsi, à la date du 20 juin 2006, M. F était informé :

- de l’existence du projet de cession,

- du fait que l’opération était bien avancée,

- de sa date limite, fixée au 31 juillet 2006,

- de l’intérêt manifesté par la société V ;

Considérant que les indications données étaient d’autant plus fiables qu’elles émanaient de M. G lui-même​et​du​cabinet​W​chargé​de​la​cession ; ​que M. F ne saurait donc contester le caractère privilégié d’une information qui, contrairement à ce qu’il soutient, était loin de se limiter à la simple transmission de l’accord de confidentialité ;

Considérant qu’alors qu’il était en possession de toutes les indications ci-dessus énumérées, M. F a, les 21 et 28 juin 2006, acquis respectivement 720 puis 55 actions Y ; que s’il détenait effectivement en portefeuille des valeurs portant sur le même secteur technologique, il n’avait toutefois jamais acheté de titres Y ; que les investissements qu’il a effectués sur cette valeur étaient significatifs, puisqu’ils représentaient 10 % des actifs de son portefeuille ; qu’au surplus, la justification qu’il invoque, selon laquelle il aurait fait cette acquisition en raison des analyses disponibles sur le titre Y n’est pas crédible ; que celles-ci sont en effet antérieures, pour certaines de plusieurs mois, à ses interventions, tandis que les plus récentes n’expriment explicitement aucune recommandation à l’achat du titre Y ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les acquisitions de 775 actions Y réalisées les 21 et 28 juin 2006 par M. F ne peuvent s’expliquer que par les informations qu’il avait reçues sur l’imminence d’une cession de la participation des actionnaires majoritaires de la société Y ; qu’en conséquence, que le manquement d’initié est caractérisé à son égard ;

4. Le manquement reproché à M. C

Considérant que M. C, qui était à l’époque des faits responsable commercial dans l’une des filiales de la société Y, la société Z située à Toulouse, a acquis 1 335 titres Y, les 17 et 19 juillet 2006, pour un montant total de 39 400 € ;

Considérant que l’investissement réalisé par M. C représentait l’intégralité de la prime d’atteinte d’objectif qu’il venait de recevoir ; qu’avant d’y procéder, celui-ci ne disposait d’aucun compte titres ; qu’il en a spécialement ouvert un afin de réaliser les achats en cause ;

Considérant que Mme X, chargée de clientèle chez [...], a en effet indiqué aux enquêteurs que M. C l’avait appelée, le 13 juillet 2006, pour lui faire part de son souhait d’investir sur des actions ; qu’il avait, le même jour, décidé d’ouvrir un compte titres et de clôturer par fax son plan d’épargne-logement pour libérer des liquidités ; que Mme X a précisé : « Il était pressé d’acheter au plus tôt parce qu’il savait que l’action Y allait monter (…). Il m’a rappelée après avoir passé tous les fax de clôture du PEL et d’ouverture du compte titres joint revêtu de la signature de lui et de sa femme. Il aurait préféré souscrire dès ce soir-là plutôt que le 17 juillet (…). Il m’a appelée le lundi pour savoir si l’ordre avait été exécuté, ce dont il a été satisfait. Il m’a alors dit qu’il allait en acheter encore » ;

Considérant que le caractère inhabituel, massif et précipité de cet investissement dans un titre qu’il n’avait jamais acquis auparavant ne paraît pouvoir s’expliquer que par le fait que M. C était précisément informé de la cession imminente de leur participation par les actionnaires majoritaires de la société Y ; que celui-ci soutient que l’ensemble des salariés du groupe estimait cette cession fortement probable ; que cependant, à la supposer connue, une telle information, qui ne portait que sur un projet et n’identifiait ni le nom de la société qui devait être acquise ni celui de l’acquéreur, et encore moins la date de réalisation, n’aurait pas suffi à donner à M. C la certitude, dont il a fait part à Mme X, que l’action allait rapidement monter ;

Considérant que les circonstances particulières et la date des achats incriminés constituent donc autant d’indices que ceux-ci résultent de la détention de l’information privilégiée ; que ces indices sont en outre confortés par le fait qu’en l’espèce, il a été loisible à M. C de prendre connaissance de l’information ;

Considérant que, d’une part, sa position de cadre au sein du groupe a pu, de manière générale, faciliter l’accès du mis en cause aux informations, même confidentielles, sur les projets de cession ; que, d’autre part, les enquêteurs ont établi un déplacement de M. G au siège de la société Z le 12 juillet 2006 ; que c’est à cette date que M. C a pu compléter les renseignements dont il disposait et, ainsi, accéder à l’information privilégiée dont il a entrepris de faire usage dès le lendemain ; que cette quasi simultanéité entre les évènements du 12 juillet et les instructions données le 13 juillet 2006 par M. C tend à démontrer que celui-ci a fait en sorte d’exploiter au plus vite l’information qu’il venait de recevoir ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le manquement est constitué à l’encontre de M. C ;

III. SUR LES SANCTIONS

Considérant que, sur le fondement de l’article L. 621-15 II. c) du Code monétaire et financier dans sa version applicable à l’époque des faits visés par la notification de griefs, la Commission des sanctions peut prononcer à l’encontre des personnes physiques ayant commis une opération d’initié « une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés » ; que le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements ;

Considérant qu’en l’espèce, il y a lieu de prendre en compte :

- pour M. B, sa qualité d’administrateur de la société Y ainsi que, d’une part, la plus-value que l’utilisation de l’information privilégiée lui a permis de dégager sur le prix d’acquisition des titres, correspondant à une somme de 28 940 €, d’autre part, la circonstance qu’il a commis un deuxième manquement en transmettant cette information à Mme A ;

- pour Mme A, d’une part, la plus-value de 2 086 € qu’elle a dégagée au profit de son fils, d’autre part, la plus-value de 12 287 € qu’elle a dégagée à son profit ;

- pour la société X, la plus-value que l’utilisation de l’information privilégiée lui a permis de dégagersur le prix d’acquisition des titres, correspondant à une somme de 13 696 € ;

- pour M. D, la circonstance que la communication d’une information privilégiée appelle une particulière sévérité, afin d’éviter qu’elle ne devienne une modalité ordinaire d’utilisation d’une telle information ;

- pour M. E, la plus-value que l’utilisation de l’information privilégiée lui a permis de dégager sur le prix d’acquisition des titres, correspondant à une somme de 12 245 € ;

- pour M. F, la plus-value que l’utilisation de l’information privilégiée lui a permis de dégager sur le prix d’acquisition des titres, correspondant à une somme de 12 358 € ;

- pour M. C, sa qualité de cadre de la société Y et la plus-value que l’utilisation de l’information privilégiée lui a permis de dégager sur le prix d’acquisition des titres, correspondant à une somme de 16 595 € ;

IV. SUR LA PUBLICATION DE LA DECISION

Considérant que l’article L. 621-15-V du Code monétaire et financier dispose que « La commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause » ; que, par ces dispositions, le législateur a entendu, d’une part, mettre en lumière les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la Commission et prendre en compte l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès aux décisions rendues, mieux appréhender le contenu des règles qu’ils doivent observer, d’autre part, éviter qu’une telle mesure n’entraîne pour les mis en cause des conséquences par trop dommageables ; qu’aucune circonstance de l’espèce n’est de nature à démontrer que la publication de la décision entraînerait, compte tenu de ces exigences, des conséquences disproportionnées sur la situation de MM. B, D, E, F, C, de Mme A et de la société X ; qu’elle sera donc ordonnée ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude Nocquet, par MM. Antoine Courteault et Jean-Jacques Surzur, Membres de la 1ère Section de la Commission des sanctions, en présence du Secrétaire de séance,

DECIDE DE:

- prononcer à l’encontre de M. B une sanction pécuniaire de 70 000 € (soixante dix mille euros) au titre de l’utilisation de l’information privilégiée et de 60 000 € (soixante mille euros) au titre de la transmission de l’information privilégiée ;

- prononcer à l’encontre de Mme A une sanction pécuniaire de 30 000 € (trente mille euros) ;

- prononcer à l’encontre de la société X une sanction pécuniaire de 30 000 € (trente mille euros) ;

- prononcer à l’encontre de M. D une sanction pécuniaire de 60 000 € (soixante mille euros) ;

- prononcer à l’encontre de M. E une sanction pécuniaire de 30 000 € (trente mille euros) ;

- prononcer à l’encontre de M. F une sanction pécuniaire de 30 000 € (trente mille euros) ;

- prononcer à l’encontre de M. C une sanction pécuniaire de 35 000 € (trente cinq mille euros) ;

- publier la présente décision au « Bulletin des Annonces Légales Obligatoires » ainsi que sur le site Internet et dans la Revue mensuelle de l’Autorité des Marchés Financiers.