Livv
Décisions

AMF, 12 novembre 2009, n° SAN-2010-03

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

AMF, du 2 sept. 2008

2 septembre 2008

I. FAITS ET PROCEDURE

A. Les faits

La société anonyme à conseil d’administration Z (ci-après « Z »), dont les titres ont été admis le 29 septembre 2000 aux négociations sur le Premier marché, est actuellement cotée sur l’EUROLIS, compartiment B, d’EURONEXT Paris. Elle est la société mère du groupe W, l’un des principaux développeurs et éditeurs mondiaux de logiciels de jeux.

Entre 2003 et 2006, Z a rencontré d’importantes difficultés financières et a connu une diminution importante de son chiffre d’affaires, essentiellement due à la chute du chiffre d’affaires réalisé aux Etats-Unis par W Inc, sa principale filiale.

Le 9 février 2006, à la clôture, Z a publié deux communiqués annonçant :

- un chiffre d’affaires consolidé de 479 millions d’euros pour les neuf premiers mois de l’exercice du 1er avril 2005 au 31 mars 2006, en baisse de 38 % par rapport à l’exercice précédent ;

- un chiffre d’affaires, pour le troisième trimestre de l’exercice, de 170,8 millions d’euros, en baisse de 20,8 % par rapport à la même période de l’exercice précédent ;

- l’arrêté des comptes semestriels au 30 septembre 2005, établis pour la première fois selon les normes IFRS ;

- l’enregistrement d’une provision de 21 millions d’euros pour dépréciation des goodwill.

Le Service de la surveillance des marchés de l’AMF a constaté de très importants mouvements de cession de titres Z dans les jours qui ont précédé ces communiqués de presse. C’est la raison pour laquelle le Secrétaire général de l’AMF a ouvert, le 30 mai 2006, une enquête sur l’information financière et le marché du titre Z à compter du 31 mars 2005.

L’enquête a été diligentée par la Direction des enquêtes et de la surveillance des marchés (ci-après la « DESM »), qui a rendu le 19 novembre 2007 son rapport, celui-ci ayant été examiné par la Commission spécialisée n°1 du Collège de l’AMF lors de sa séance du 18 décembre 2007. Conformément à l’avis de cette dernière, le Président de l’AMF a, par lettres recommandées avec demandes d’avis de réception en date du 25 janvier 2008, notifié les griefs reprochés, à savoir à :

- la société Y, (ci-après « Y ») d’« avoir utilisé l’information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 » en procédant, par le truchement de M. A, l’un de ses vendeurs actions, à la vente à découvert, entre le 8 et le 9 février 2006, de 1 200 000 titres Z ;

- M. A, d’« avoir utilisé dans le cadre de [ses] fonctions et pour le compte de la société Y (…), une information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 » en procédant, dans l’exercice de ses fonctions de vendeur actions au sein de Y, à la vente à découvert, entre le 8 et le 9 février 2006, de 1 200 000 titres Z ;

- M. B, d’« avoir communiqué à [son] collègue, M. C, vendeur actions au sein de la X, une information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 » ;

- M. C, d’« avoir utilisé dans le cadre de [ses] fonctions de vendeur actions au sein de la X, Succursale de Paris, une information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z

au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 » en procédant à la vente à découvert, entre le 7 et le 9 février 2006, de 2 275 115 titres Z, dont 2 236 932 pour le compte de la X ;

- la société X (ci-après « X »), d’« avoir utilisé une information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 », M. C, l’un de ses vendeurs actions, ayant procédé à la vente à découvert, entre les 7 et 9 février 2006, de 2 236 932 titres Z pour le compte de X ;

- M. D, d’« avoir utilisé une information privilégiée relative à la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 » en procédant à la vente à découvert, le 7 février 2006, de 85 300 titres Z.

Selon les notifications de griefs, les faits reprochés pourraient caractériser, à l’encontre de chacun des mis en cause, un manquement d’initié, au sens des articles 621-1 et suivants du Règlement général de l’AMF, et donner lieu à une sanction sur le fondement des articles L. 621-14 et L. 621-15 du Code monétaire et financier.

Conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du Code monétaire et financier, le Président de l’AMF a transmis, le 28 janvier 2008, copie des notifications de griefs au Président de la Commission des sanctions qui, le 17 mars 2008, a désigné M. Jean-Jacques SURZUR en qualité de Rapporteur.

Par courrier en date du 11 février 2008, il a été accordé à M. D une prolongation du délai qui lui avait été donné pour présenter ses observations. Le même délai a été accordé le 19 février 2008 à M. B et à la X, puis le 26 février 2008à M. C ainsi qu’à la société Y qui a bénéficié, le 13 mai 2008, d’une nouvelle extension de délai.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 mars 2008, M. D a fait connaître ses observations en réponse à la notification de griefs par l’intermédiaire de son avocat Maître Guillaume PIERSON.

Le 21 mars 2008, la société Y a demandé que lui soient communiqués certains documents auxquels des éléments du dossier faisaient référence.

Le 28 avril 2008, M. B a déposé ses observations par l’intermédiaire de son conseil, Maître Dominique BORDE.

Le 30 avril 2008, la X a adressé ses observations, par le truchement de ses conseils, Maîtres Thierry GONTARD et Eric BOILLOT. Le même jour, M. C a déposé des observations écrites par l’intermédiaire de ses avocats Maîtres Olivier GUTKES et Marie GUIMARD.

Enfin, le 23 mai 2008, Y et M. A ont fait connaître leurs observations par le truchement de leurs avocats, Maîtres Jean-François PRAT et Eric DEZEUZE.

Par courriers recommandés avec demandes d’avis de réception en date du 6 octobre 2008, les mis en cause ont été informés de leur faculté de demander la récusation du Rapporteur, dans les conditions prévues aux articles R. 621-39-2 et suivants.

Par courrier du 13 mars 2009, le Rapporteur a fait une demande de versement à la procédure de pièces complémentaires auprès de la DESM, qui les lui a adressées le 25 mars suivant.

Les personnes mises en cause ont été informées du versement de pièces complémentaires par un courrier du 23 avril 2009 leur signifiant également qu’elles bénéficiaient d’un nouveau délai de deux mois pour présenter des observations.

Maitres Jean-François PRAT et Eric DEZEUZE ont déposé des observations complémentaires en date du 27 mai 2009 pour le compte de M. A et de Y ; Maître Guillaume PIERSON a fait de même le 23 juin 2009 pour le compte de M. D.

A leur demande, le Rapporteur a entendu la X le 4 mars 2009, M. B le 4 septembre 2009 et M. A le 17 septembre2009.

MM. B, C, A, D et les sociétés X et Y ont été convoqués devant la 2ème Section de la Commission des sanctions par un courrier en date du 29 septembre 2009, auquel était joint le rapport du Rapporteur du 24 septembre 2009. Ce même courrier les informait de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance et de leur faculté de demander la récusation de l’un des Membres de ladite commission, en application des articles

R. 621-39-2, R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du Code monétaire et financier.

Des observations écrites en réponse au rapport du Rapporteur ont été déposées le 19 octobre 2009 par Maitres Jean-François Prat et Eric DEZEUZE pour le compte de Y et M. A, et par Maîtres Thierry GONTARD et Eric BOILLOT pour le compte de la X. Il en a été de même le 21 octobre 2009 de Maître Guillaume PIERSON pour le compte de M. D.

II. MOTIFS DE LA DECISION

A. CARACTERISATION DE L’INFORMATION PRIVILEGIEE

Considérant que les griefs notifiés à l’ensemble des personnes mises en cause concernent la communication ou l’utilisation de l’information relative à « la très importante baisse du chiffre d’affaires de la société Z (-20,80 %) au troisième trimestre de son exercice 2005/2006 (soit entre octobre et décembre 2005), par rapport au troisième trimestre de son exercice précédent » ;

Considérant qu’aux termes de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF, « une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés » ;

Considérant, tout d’abord, que, par son objet, peut être regardée comme « précise » toute information suffisamment circonstanciée portant sur la baisse du chiffre d’affaires du troisième trimestre de l’exercice 2005/2006 d’Z ; que pour apprécier, dans chacun des cas visés par les notifications de griefs, le degré de précision de l’information donnée ou reçue, il conviendra d’en déterminer exactement le contenu et la portée en examinant, notamment, les circonstances dans lesquelles celle-ci a été transmise ;

Considérant, ensuite, qu’avant d’être portée à la connaissance du public par le communiqué de presse publié par Z, le 9 février 2006, l’information demeurait inconnue du public ; que les articles de presse invoqués par les mis en cause portaient, d’une part, sur les difficultés structurelles qui affectaient alors l’industrie des jeux vidéo, d’autre part, sur les résultats et les avertissements publiés par les concurrents directs d’Z, confirmant les difficultés du secteur, ainsi que sur les déclarations, faites plusieurs mois auparavant, par les dirigeants d’Z à propos des prévisions de baisse de résultats ; qu’en conséquence ni le montant du chiffre d’affaires pour le troisième trimestre de l’exercice d’Z ni, corrélativement, sa baisse par rapport à celui de l’exercice précédent n’étaient connus du public avant le communiqué d’Z ;

Considérant, enfin, que l’information était, par nature, susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Z ; qu’en effet, tout investisseur raisonnable informé d’une dégradation importante du chiffre d’affaires de la société Z, correspondant de surcroît à la période déterminante des fêtes de fin d’année, aurait pu utiliser cette information comme fondement de sa décision de ne pas investir dans cette société ou de s’en désinvestir ;

Considérant, en conséquence, que l’information était susceptible de revêtir un caractère « privilégié » au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF ;

B. LES GRIEFS NOTIFIES A MM. B ET C AINSI QU’A LA X

Considérant qu’il est reproché à M. B, analyste au sein de la X Paris chargé de la valeur Z, d’avoir communiqué à M. C, trader au sein de la X Paris, l’information privilégiée en cause ;

Considérant qu’il est reproché à M. C et à la X d’avoir utilisé cette information en procédant à la vente à découvert, entre le 7 et le 9 février 2006, de 2 275 115 titres Z, dont 2 236 932 pour le compte propre de cet établissement ;

Considérant que l’article 622-1 dispose que « toute personne [qui détient une information privilégiée] doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés./ Elle doit également s’abstenir de : / 1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée » ; que l’article 622-2 précise que : « Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : / (…) 2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ; / 3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière. (…) / Lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations d’abstention s’appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à l’opération pour le compte de la personne morale en question » ;

Considérant que pour établir à la fois la communication de l’information privilégiée par M. B à M. C et l’utilisation de celle-ci par M. C et par la X, les notifications de griefs se fondent sur un même faisceau d’indices ;

Considérant qu’il est tout d’abord retenu que M. B s’entretenait régulièrement avec M. E, trésorier d’Z, qui a indiqué qu’il « affinait le chiffre d’affaires » que les analystes pensaient annoncer, en essayant « de les amener à dire eux même le chiffre d’affaires qui se rapprochait de la réalité » ;

Considérant, cependant, qu’il est de l’essence des fonctions d’un analyste de s’entretenir avec l’émetteur dont il suit la valeur ; que M. E a indiqué qu’il ne donnait pas d’informations très précises sur le chiffre d’affaires, mais se bornait à amener les analystes à lui « dire eux-mêmes le chiffre d’affaires qui se rapprochait de la réalité et qu’ils pensaient communiquer au marché » ; qu’il a précisé que « lorsque M. […] annonce 175 M€ de chiffre d’affaires dans son preview du 9 février 2006, il va de soi que ce chiffre a été affiné au cours de notre discussion » ; que ce dernier a confirmé avoir fait porter ces échanges sur la validation de ses hypothèses de travail, et notamment sur ses estimations de vente des jeux à succès ainsi que sur la répartition entre les ventes de ces jeux, du « fond de catalogue » et des jeux édités par des éditeurs tiers et distribués par Z ; qu’il a précisé qu’il élaborait alors une analyse complexe, dont il justifie et qui lui a permis de parvenir lui-même à estimer le chiffre d’affaires d’Z, pour le troisième trimestre de son exercice, aux environs de 175 millions d’euros ; que la proximité entre les propres estimations de M. B et le montant réel du chiffre d’affaires réalisé par Z au cours de ce trimestre ne permet pas d’établir que M. E, qui semble s’être borné à ne pas démentir les prévisions de son correspondant, ait pu lui transmettre une « information privilégiée » au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF ;

Considérant qu’il est également énoncé, au titre du faisceau d’indices, que MM. B et C intervenaient sur le même espace de travail au sein de la X Paris ; qu’il ressort toutefois du constat d’huissier transmis par la X que leurs bureaux étaient éloignés l’un de l’autre de près de 40 mètres et que M. B travaillait au sein d’un espace clos destiné aux analystes, de sorte que ces deux salariés ne pouvaient ni se voir ni s’entendre lorsqu’ils étaient à leurs postes de travail respectifs ;

Considérant qu’il est, en outre, relevé que les opérations de ventes à découvert ont été ordonnées par M. C « moins d’une dizaine de minutes » après que M. B a eu une conversation téléphonique avec M. E ; que, toutefois, il résulte des relevés téléphoniques et des pièces figurant au dossier que les ventes à découvert initiées par M. C sont intervenues pendant la conversation téléphonique de MM. B et E, et non pas quelques minutes après ;

Considérant, enfin, que le dernier indice tiré du fait que l’ensemble des ventes à découvert a été enregistré dans un compte « client facilitation » de la X, est d’effet neutre ;

Considérant, en conséquence, qu’aucune pièce du dossier ne permet d’établir que M. B ait détenu l’information privilégiée et l’ait communiquée à M. C ; qu’en outre, ni celui-ci ni la X ne paraissent pouvoir avoir eu connaissance de cette information par un autre canal ;

Considérant que les griefs formulés à l’encontre de M. B, de M. C et de la X ne peuvent donc qu’être écartés ;

C. LES GRIEFS NOTIFIES A Y ET A M. A

Considérant qu’il est reproché à M. A, gestionnaire d’actifs au sein de Y, et à cette dernière d’avoir utilisé l’information privilégiée en procédant, les 8 et 9 février 2006, à la vente à découvert de 1 200 000 titres Z pour le compte de Y, ce qui aurait entraîné une plus-value latente estimée à 179 280 euros ;

Considérant que, pour établir la détention de l’information privilégiée à l’encontre M. A et, corrélativement, de Y, les notifications de griefs se fondent sur la méthode du faisceau d’indices concordants, desquels il résulterait que seule cette détention pourrait expliquer les opérations auxquelles il a été procédé ;

Considérant qu’un premier indice est pris de ce que M. B s’entretenait régulièrement avec M. E, trésorier d’Z, qui a indiqué qu’il « affinait » les prévisions que les analystes pensaient annoncer ;

Considérant, cependant, qu’ainsi qu’il a été dit (II. B.), rien ne permet de retenir qu’en s’abstenant de démentir les prévisions, très proches de la réalité, de M. B, M. E ait pu lui transmettre une information privilégiée ;

Considérant qu’il est également énoncé, au titre du faisceau d’indices, qu’entre le 7 et le 9 février 2006, MM. D et Bont été en contact, par téléphone ou par messagerie, avec M. A ou d’autres représentants de Y ;

Considérant toutefois que les échanges de mails sur la messagerie Bloomberg ne permettent pas d’établir la moindre transmission de l’information privilégiée et montrent que les protagonistes échangeaient au sujet de nombreuses valeurs dans le secteur du jeu vidéo ; qu’il résulte des relevés téléphoniques que, le 7 février 2006,

M. A ne s’est entretenu ni avec M. B ni avec M. D ; que si, le lendemain, il a eu M. B au téléphone, c’est avant cette conversation qu’il a donné les ordres de vente à découvert qui lui sont reprochés ;

Considérant, enfin, qu’un dernier indice est tiré de ce que, si Y intervenait à la vente depuis plusieurs jours sur la valeur Z dans une optique de couverture de positions obligataires, les ventes à découvert reprochées à M. A différaient de ces interventions par leur volume et la concentration de leur exécution ;

Considérant que ces opérations s’inscrivaient néanmoins dans le mouvement général d’investissement à la baisse sur le titre Z initié depuis quelques jours par Y ; qu’elles correspondaient en outre au mode de gestion opportuniste du compartiment « Event Driven » de Y –fondé sur la survenance de certains événements ou sur l’anticipation de cette survenance- au sein duquel travaillait M. A ; que les volumes investis restaient très faibles en proportion des fonds gérés au sein de Y ;

Considérant que la preuve de ce que la détention de l’information privilégiée pourrait seule expliquer les ventes à découvert auxquelles a procédé, pour le compte de Y, M. A est d’autant moins rapportée que celui-ci justifie s’être livré lui-même à une analyse complexe, qui serait à l’origine de ses interventions ; que les griefs notifiés à

M. A et à Y ne sont pas caractérisés, de sorte que, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens de procédure que ceux-ci ont présentés, ils seront mis hors de cause ;

D. LE GRIEF NOTIFIE A M. D

Considérant qu’il est reproché à M. D d’avoir utilisé l’information privilégiée en vendant à découvert, le 7 février 2006, sur le compte inscrit au nom de son père, M. D’, dans les livres de V, 85 300 titres Z, dégageant ainsi une plus-value estimée à 26 417 euros ;

Considérant que, pour établir la détention de l’information privilégiée à l’encontre M. D, la notification de griefs se fonde sur la méthode du faisceau d’indices concordants, desquels il résulterait que seule cette détention pourrait expliquer l’opération à laquelle il a été procédé ;

Considérant qu’il est relevé, en premier lieu, que M. D est intervenu sur la valeur Z qu’il suivait depuis longtemps, en sa qualité d’analyste financier chez U, ce qui lui était interdit par le Règlement général de l’AMF et par le règlement intérieur d’U ; qu’il a en outre utilisé le compte de son père, sur lequel il n’avait pas procuration ;

Considérant qu’il est établi que cet analyste financier, décrit par M. E comme l’un de ses interlocuteurs habituels, suivait la valeur Z depuis près de trois ans pour le compte d’U ; que M. D a transgressé l’interdiction qui lui était faite, tant par le Règlement général de l’AMF que par celui de son employeur, d’intervenir sur ce titre ; qu’il l’a fait en utilisant le compte ouvert chez V par son père, sur lequel il n’avait pas procuration ; que, n’ayant pas déclaré ce compte à la société U, il lui a caché son intervention ; que les circonstances de cette vente à découvert sont donc révélatrices d’une volonté de dissimulation et pas seulement, comme ce professionnel averti a tenté de le soutenir, d’un manque de discernement ;

Considérant qu’est également évoquée, au titre du faisceau d’indices, la concomitance entre les premiers ordres passés par M. D, le 7 février 2006 à 10H41, et sa conversation avec M. E, intervenue juste auparavant ;

Considérant que le mis en cause a tenté, dans ses écritures (cote D 769), de contester cette concordance, motif pris de ce que les relevés téléphoniques des sociétés U et Z différaient de près d’une heure, l’appel litigieux étant enregistré à partir de 10H05 sur le premier, mais à partir de 11H03 sur le second ; qu’il résulte toutefois du dossier que le même décalage existe entre les données de la X et celles d’Z, ce qui permet de conforter les conclusions du Rapporteur selon lesquelles cette dernière société, dès lors qu’elle présente un écart temporel identique avec les deux autres, se réfère à un horaire inexact, qu’il convient d’amputer de 58 minutes pour obtenir l’heure véritable ;qu’aucun élément n’ayant été produit, notamment à propos des horaires de la société U dont M. D était l’employé, pour apporter la preuve contraire, on peut, par suite, retenir avec un degré raisonnable de certitude que la conversation téléphonique qui s’est déroulée pendant 9 minutes 16 secondes entre M. E et M. D a bien eu lieu de 10H05 à 10H14 et s’est donc terminée peu de temps avant que celui-ci passe les ordres de vente qui lui sont reprochés ; qu’au demeurant, lors de sa première audition par les enquêteurs, le 4 mars 2007, M. D avait admis l’antériorité de cet échange téléphonique par rapport à ses interventions (cote R486) ; que cette circonstance est d’autant plus troublante qu’aucun autre appel téléphonique n’a été émis ou reçu par le mis en cause avant les ventes à découvert (cote R 101) ;

Considérant qu’il convient dès lors de s’interroger sur le caractère privilégié de l’information que M. D a pu recevoir lors de son entretien avec M. E ; que, dans ses écritures, le mis en cause a indiqué que, pour sa part, il s’attendait à un chiffre d’affaires de 210 M€, comme en témoignerait son commentaire sur Z, figurant d’après lui dans les archives d’U (cote D 765) ; que, comme on l’a vu plus haut (II. B.), M. E a déclaré que, s’il ne donnait pas d’informations très précises, il amenait les analystes à lui « dire eux même le chiffre d’affaires qui se rapprochait de la réalité et qu’ils pensaient communiquer au marché » ; que l’écart de plus de 39 M€ qui existait entre les estimations de M. D (210 M€) et le montant réel du chiffre d’affaires réalisé par Z au cours du dernier trimestre de l’année 2005 (170,8 M€) permet de conclure que M. E, en « affinant » les prévisions de son interlocuteur qu’il a essayé d’amener au « chiffre d’affaires qui se rapprochait de la réalité », a donné à M. D une information suffisamment inattendue et précise, au regard des hypothèses de travail de ce dernier, pour être « privilégiée » au sens de l’article 621-1 du Règlement général de l’AMF ;

Considérant qu’il résulte en outre du dossier que le 22 novembre 2005, alors qu’il avait communiqué avec M. E la semaine précédente et que les résultats trimestriels d’Z devaient être publiés le lendemain, M. D avait déjà acheté, sur le compte de son père, 505 900 titres de cette société et dégagé ainsi une plus-value de 54 562 euros ; qu’informé, lors de son audition, de ces interventions des 22 novembre 2005 et 7 février 2006, M. E a manifesté sa surprise et a estimé une telle « attitude déontologiquement incompréhensible » de la part d’un analyste ;

Considérant, enfin, qu’au cours de son audition du 4 mars 2007, M. D a déclaré : « concernant l’ordre particulier du 7 février 2006, je suppose que mon père, fidèle à son habitude de jouer en amont des publications, m’avait donné l’instruction de passer un ordre de vente à découvert sur Z. Il n’est pas impossible que l’appel de E m’ait simplement fait penser à l’instruction que mon père avait dû me donner peu de temps auparavant » ; qu’il ressort toutefois de l’audition de M. D’ que celui-ci, après avoir prétendu que son fils était un simple exécutant des ordres qu’il lui demandait de passer, a été incapable de citer la plupart des valeurs qu’il avait en portefeuille et de donner les raisons des opérations faites sur Z ; qu’il a en effet déclaré : « Je reconnais que l’intégralité des ordres [sur la valeur Z] passés sur le compte V ouvert à mon nom sont des opérations passées par mon fils D … Je ne me rappelle plus les raisons exactes de cet investissement … Je n’ai aucune explication à vous donner sur les raisons de mon placement … Je ne sais pas si j’ai demandé à mon fils de suivre particulièrement la valeur Z au regard de la spéculation qui existait sur cette valeur » ; qu’ainsi, il apparaît que M. D, qui était le véritable gestionnaire de ce compte, a donné de fausses justifications de l’ordre de vente à découvert qu’il a passé le 7 février 2006 pour un montant de 98 236 euros représentant 57 % du portefeuille investi ;

Considérant, en définitive, qu’il se déduit de ce qui précède que seule la détention de l’information privilégiée peut expliquer les ventes à découvert du 7 février 2006 de M. D sur la valeur Z, intervenues en violation du Règlement général de l’AMF et du règlement intérieur d’U, clandestinement, quelques minutes seulement après sa conversation téléphonique avec M. E et sans qu’il ait pu expliquer, autrement que par des déclarations mensongères, le fondement de sa décision ; que le grief est dès lors caractérisé en tous ses éléments à l’égard de M. D ;

III. SANCTION ET PUBLICATION

 

A. Sanction

Considérant qu’aux termes de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, dans sa version applicable à l’époque des faits : « II. La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre [de] (…) / c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié (…) / III. - Les sanctions applicables sont : / (…) c) Pour les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l'article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c et d du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés(…) Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements. »;

Considérant qu’il convient de tenir compte, tout à la fois, de l’extrême gravité des faits, commis par un professionnel qui a abusé des facilités que lui procurait sa fonction, et de la plus-value réalisée, estimée à 26 417 euros ; que sera donc prononcée à l’encontre de M. D une sanction de 60 000 euros ;

B. Publication

Considérant que l’article L. 621-15 V du Code monétaire et financier, dans sa dernière rédaction applicable en l’espèce, précise que « La Commission des sanctions peut rendre publique sa décision dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, à moins que cette publication ne risque de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause » ; que le législateur a entendu, d’une part, mettre en lumière les exigences d’intérêt général relatives à la loyauté du marché, à la transparence des opérations et à la protection des épargnants qui fondent le pouvoir de sanction de la

Commission, et prendre en compte l’intérêt qui s’attache, pour la sécurité juridique de l’ensemble des opérateurs, à ce que ceux-ci puissent, en ayant accès aux décisions rendues, mieux appréhender le contenu des règles qu’ils doivent observer, d’autre part, éviter qu’une telle mesure n’entraîne pour les mis en cause des conséquences par trop dommageables ; qu’en l’espèce, il y a lieu d’ordonner la publication, tout en préservant l’anonymat des personnes mises hors de cause ;

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré sous la présidence de Mme Claude NOCQUET, par MM. Jean-Claude HASSAN, Jean-Pierre MORIN et Antoine COURTEAULT, Membres de la 2ème Section de la Commission des sanctions, en présence de la Secrétaire de séance,

DECIDE DE :

- mettre hors de cause MM. A, B et C ainsi que les sociétés X et Y,

- prononcer à l’encontre de M. D une sanction pécuniaire de 60 000 € (soixante mille euros) ;

- publier la présente décision, sous une forme préservant l’anonymat des personnes mises hors de cause, au Bulletin des annonces légales obligatoires, ainsi que sur le site Internet de l’AMF et dans le recueil annuel des décisions de la Commission des sanctions.