Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-21.361
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Vincent et Ohl
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'entre décembre 2006 et juin 2007, la société Wendel, ayant M. X... pour président du directoire, a conclu avec quatre établissements de crédit (les banques) des contrats de « Total Return Swaps » (TRS) ayant pour actif sous-jacent les actions de la société Saint-Gobain et dont le dénouement pouvait intervenir au terme prévu ou par anticipation, à l'initiative de la société Wendel ; que ces contrats, définissant des obligations réciproques exclusivement monétaires, conféraient à cette dernière une exposition économique à Saint-Gobain ; que pour constituer leur couverture, les banques ont acquis un total de 85 millions de titres Saint-Gobain ; que, parallèlement à la conclusion des TRS, la société Wendel a obtenu des banques et d'un autre établissement de crédit des concours financiers d'un montant total proche de celui des TRS ; que la société Wendel ayant décidé, le 3 septembre 2007, de dénouer progressivement les TRS, cette dernière, qui a acquis, entre cette date et le 27 novembre 2007, plus de 66 millions d'actions représentant 17, 6 % du capital de la société Saint-Gobain, a successivement déclaré à l'AMF, entre le 26 septembre 2007 et le 26 mars 2008, le franchissement des seuils de 5 %, 10 %, 15 % et 20 % du capital de Saint-Gobain ; que faisant notamment valoir que si le directoire de la société Wendel avait officiellement pris la décision de transformer l'exposition économique à Saint-Gobain en détention physique de titres de cette dernière société le 3 septembre 2007, les éléments contenus dans le rapport d'enquête et la concomitance entre la signature des contrats de TRS et l'obtention, par la société Wendel, de financements lui permettant, à terme, d'acquérir les titres Saint-Gobain cédés par les banques dans le cadre du dénouement des TRS, ont montré qu'une volonté d'une prise de participation significative dans le capital de la société Saint-Gobain existait dès l'origine et que c'est à cette fin que cette opération avait été mise en place, l'Autorité des marchés financiers (l'AMF) a reproché à la société Wendel et à M. X..., sur le fondement de l'article 223-6 de son règlement général, de ne pas avoir porté à la connaissance du public les principales caractéristiques de « l'opération financière » préparée par la société Wendel et « destinée à lui permettre d'acquérir une participation significative dans le capital de la société Saint-Gobain », « au plus tard le 21 juin 2007, date à laquelle l'ensemble des TRS avaient été conclus avec les établissements bancaires » et, sur le fondement de l'article 223-2 du même règlement, de ne pas avoir porté à la connaissance du public, avant d'être soumise à l'obligation de déclaration de franchissement à la hausse du seuil de 5 %, l'information privilégiée, ayant consisté en la « mise en place, par la société Wendel, de l'opération sus décrite, afin de pouvoir prendre une participation substantielle dans le capital de la société Saint-Gobain » ; que par décision du 13 décembre 2010, la commission des sanctions de l'AMF a retenu que chacun de ces griefs était établi, a prononcé une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Wendel et de M. X... et a ordonné la publication de sa décision ;
Attendu qu'aux termes de l'article 223-2 du règlement général de l'AMF, tout émetteur doit, dès que possible, porter à la connaissance du public toute information privilégiée définie à l'article 621-1 et qui le concerne directement, ce texte autorisant toutefois l'émetteur, sous sa propre responsabilité, à différer la publication d'une information privilégiée afin de ne pas porter atteinte à ses intérêts légitimes, sous réserve que cette omission ne risque pas d'induire le public en erreur et que l'émetteur soit en mesure d'assurer la confidentialité de ladite information en contrôlant l'accès à cette dernière ;
Attendu qu'aux termes de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, auquel renvoie l'article 223-2 s'agissant de la définition de la notion d'information privilégiée :
« Une information privilégiée est une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d'un ensemble de circonstances ou d'un événement qui s'est produit ou qui est susceptible de se produire et s'il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés est une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser comme l'un des fondements de ses décisions d'investissement » ;
Attendu que ce texte assure la transposition de l'article 1er, point 1, de la directive 2003/ 6/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et de l'article 1er, paragraphes 1 et 2, de la directive 2003/ 124/ CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive 2003/ 6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché ;
Attendu que pour rejeter le recours formé par M. X... à l'encontre de la décision de la commission des sanctions de l'AMF, l'arrêt, après avoir énoncé qu'est précise, au sens de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF, une information relative à l'existence d'un projet suffisamment défini pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, peu important l'existence d'aléas quant à sa réalisation effective, et constaté que tel était le cas de l'opération projetée par la société Wendel, retient qu'il n'est ni contesté ni contestable qu'une opération de cette ampleur était susceptible d'avoir une influence sensible sur le titre de cette société, sans qu'il y ait lieu, par surcroît, de déterminer, comme cela est soutenu, le sens, à la hausse ou à la baisse, de cette variation ;
Attendu que M. X... conteste cette décision en faisant valoir que l'information relative à des circonstances ou à un événement n'est précise au sens du deuxième alinéa de l'article 621-1 du règlement général de l'AMF que s'« il est possible d'en tirer une conclusion quant à l'effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés » ; qu'il s'en déduit, selon M. X..., que l'information n'est précise au sens de ce texte que si elle permet à celui qui la détient d'anticiper dans quel sens le cours du titre de l'émetteur concerné variera lorsque cette information sera rendue publique ; qu'en effet, seule une information permettant de prévoir si le cours du titre concerné va monter ou descendre permet à celui qui la détient de savoir s'il doit acheter ou vendre et, par conséquent, lui procure un avantage par rapport à tous les autres intervenants sur le marché qui l'ignorent ; que M. X... ajoute qu'en l'espèce, il était impossible d'anticiper quelles pouvaient être les conséquences, à la hausse ou à la baisse, sur le cours du titre Wendel, de la divulgation de l'information relative à une prise de participation de cette société dans le capital de la société Saint-Gobain, de sorte qu'en affirmant néanmoins qu'il n'y avait pas lieu, pour établir que l'information relative à la prise de participation par Wendel dans Saint-Gobain était privilégiée, de déterminer le sens, à la hausse ou à la baisse, de la variation du cours du titre Wendel qui résulterait de sa publication, la cour d'appel a violé l'article 621-1 du règlement général de l'AMF ;
Attendu que l'AMF réplique qu'une telle exigence va au-delà de la lettre du texte des directives 2003/ 6/ CE et 2003/ 124/ CE qui ne fait pas mention du sens de l'effet possible de l'information sur le cours des instruments financiers concernés ; qu'elle fait valoir que le critère de distinction entre l'information précise et l'information imprécise réside dans la potentialité de son effet sur le marché de sorte que toute information dont il est possible de conclure que, si elle était connue, elle serait susceptible d'entraîner une variation de cours, constitue de ce seul fait une information précise, ce caractère devant être complété par la démonstration de l'influence sensible que l'événement en cause serait susceptible d'avoir sur le cours du titre ; qu'ainsi, l'exigence d'un effet potentiel de l'événement sur le cours permet d'écarter dès la première étape de cette double vérification une information si peu précise qu'elle ne permettrait pas de conclure que sa révélation pourrait avoir un quelconque effet sur le cours du titre, cette condition étant logiquement préalable à celle qui permet d'écarter une information qui, pour être précise, ne serait pas de celles susceptibles d'être prises en compte par un investisseur raisonnable comme fondement d'une décision d'investissement ;
Attendu que se trouve ainsi posée la question de savoir si les articles 1er, point 1, de la directive 2003/ 6/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/ 124/ CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive 2003/ 6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doivent être interprétés en ce sens que seules peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions celles dont il est possible de déduire, avec un degré de probabilité suffisant, que leur influence potentielle sur les cours des instruments financiers concernés s'exercera dans un sens déterminé, une fois qu'elles seront rendues publiques ;
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante :
Les articles 1er, point 1, de la directive 2003/ 6/ CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/ 124/ CE de la Commission, du 22 décembre 2003, portant modalités d'application de la directive 2003/ 6 en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché, doivent-ils être interprétés en ce sens que seules peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions celles dont il est possible de déduire, avec un degré de probabilité suffisant, que leur influence potentielle sur les cours des instruments financiers concernés s'exercera dans un sens déterminé, une fois qu'elles seront rendues publiques ?
SURSOIT à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Réserve les dépens.