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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 2 février 2022, n° 19/09868

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Monoprix Exploitation (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Chanville

Conseillers :

Mme Blanc, Mme Marques

CA Paris n° 19/09868

1 février 2022

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. Sidi Mohammed M., né le 2 juillet 1977, a été embauché par la SAS Monoprix Exploitation selon contrat à durée indéterminée à temps partiel du 13 octobre 2005, en qualité de réassortisseur catégorie employé, niveau II, échelon 1.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des Grands Magasins et des Magasins Populaires.

Par avenant du 30 juillet 2007, le temps de travail a été porté à 35 heures par semaine, son lieu de travail étant déplacé à Arcueil et son emploi devenant celui de réceptionnaire, classification II 2.

A la suite d'une seconde visite du 3 novembre 2014, le praticien a émis l'avis suivant : 'Inapte au poste, apte à un autre : 2ème visite en rapport avec article R 4624-31 : pas de station debout ou de marches prolongées, pas de chaussures de sécurité, pas de charge lourdes. Nécessite un poste administratif'.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 décembre 2014, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 17 décembre 2014 en vue d'un éventuel licenciement.

Celui-ci a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 décembre 2014 dans les termes suivants :

' (...) Après une recherche active de reclassement menée en collaboration avec la DRH nous vous avons fait une proposition de reclassement en conformité avec les exigences du médecin du travail, sous réserve d'aptitude après visite médicale de reprise'.

Par courrier en date du 21 novembre 2014, nous vous avons fait une proposition de reclassement :

' un poste d'hôte de caisse à temps complet :

' statut employé

' niveau : 2

' échelon : 2

au sein du Monoprix Arcueil.

Par lettre du 24 novembre 2014, vous avez refusé la proposition de poste de reclassement ci-après détaillée.

Cette situation m'a conduit à vous convoquer à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement envisagée à votre encontre, fixé le 17 décembre 2014 (...).

En conséquence je vous notifie par la présente votre licenciement pour inaptitude signifié par le médecin du travail et impossibilité de reclassement'.

Contestant cette mesure, M. Sidi Mohammed M. a saisi le conseil des prud'hommes de Créteil aux fins de voir l'employeur condamné à lui verser les sommes suivantes :

- 35.400 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2.950 euros d'indemnité de préavis ;

- 295 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 1.500 euros de dommages-intérêts pour paiement tardif du salaire de décembre 2014 ;

- 4.432,41 euros de rappel de salaire au titre de l'égalité de traitement ;

- 443,24 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 2.000 euros de dommages-intérêts pour discrimination ;

- 1.500 euros d'indemnité en application de l'article 37 de la loi de juillet 1991 et les dépens.

Par jugement du 3 septembre 2019, la défenderesse a été condamnée à verser au demandeur les sommes suivantes :

- 2.950 euros d'indemnité de préavis ;

- 295 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 26.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1.300 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Les autres demandes ont été rejetées.

Appel a été interjeté par la SAS Monoprix Exploitation l 2 octobre 2019.

Par conclusions notifiées par le réseau virtuel privé des avocats le 28 avril 2020, l'appelante prie la cour d'infirmer le jugement, de rejeter l'ensemble des prétentions adverses et de condamner l'intimée à lui verser la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par le réseau virtuel privé des avocats le 3 septembre 2021, M. Sidi Mohammed M. sollicite la confirmation du jugement sur les sommes qui lui ont été allouées, l'infirmation pour le surplus et la condamnation de la partie adverse à lui payer la somme de 1.500 euros pour paiement tardif du salaire de décembre 2014, avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de l'arrêt à intervenir et celle de 4.432,41 euros de rappel de salaire outre l'indemnité de congés payés y afférents au titre de l'égalité de traitement. Il sollicite en sus la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il demande que les dépens soient mis à la charge de l'employeur, en prévoyant qu'ils comprendront les frais afférents aux actes de procédure d'exécution.

Pour plus ample exposé sur le litige, la cour se réfère aux conclusions des parties en application de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

1 : Sur l'exécution du contrat

1.1 : Sur le paiement en retard du salaire du mois de décembre 2014

M. Sidi Mohammed M. demande l'allocation de la somme de 1.500 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice né du paiement tardif du salaire du mois de décembre 2014, c'est-à-dire de la rémunération de la période de maintien de salaire qui a commencé un mois après l'avis d'inaptitude définitive. Il rappelle que ce salaire n'a été versé que sur réclamation du salarié par lettre du 12 mai 2015. Il expose qu'il lui a fallu multiplier les démarches et efforts pour ne parvenir à ses fins qu'en juin 2015.

L'employeur reconnaît le retard mais oppose qu'aucun préjudice n'est établi.

Sur ce

Aux termes de l'article 1231-6 du code du travail, les dommages-intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de sommes d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Le créancier auquel son débiteur en retard a causé par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts de l'intérêt dilatoire.

La seule plainte du salarié figurant au dossier relative à ce retard tient dans une lettre du 12 mai 2015, à laquelle l'employeur a répondu favorablement dès le 26. La mauvaise foi de la SAS Monoprix Exploitation n'est pas démontrée et dès lors la demande de dommages-intérêts ne peut qu'être rejetée.

1.2 : Sur l'inégalité de traitement

Sur le fondement de l'inégalité de traitement, M. Sidi Mohammed M. sollicite le paiement de la somme de 4.432,41 euros de rappel de salaire au titre de la période écoulée du 22 janvier 2012 au 3 novembre 2014 et du 4 décembre 2014 au 24 décembre 2014. Il expose qu'il a remplacé M. K. aux fonctions de 'chargé de réception' à compter du départ de celui-ci de l'entreprise, soit le 22 janvier 2012, pour un salaire de 1.475 euros brut par mois, alors que la personne remplacée était rémunérée à hauteur de 1.606,11 euros par mois.

La SAS Monoprix Exploitation répond que M. K. ne se trouvait pas dans la même situation que M. Sidi Mohammed M. puisque celui-ci occupait auparavant les fonctions de responsable de réception, d'un plus haut niveau de responsabilité, mais qu'à la suite de la réorganisation de la société du fait de l'insuffisance de son chiffre d’affaires, son poste a été supprimé, seul l'emploi de 'réceptionnaire' ayant été maintenu. Elle soutient que si M. Sidi Mohammed M. a bien assisté M. K., ils n'exerçaient que des fonctions de réceptionnaire. Après le départ de M. K., M. Sidi Mohammed M. n'aurait donc occupé qu'un emploi de réceptionnaire comme auparavant, mais avec une moindre charge de travail.

Sur ce

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles'L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9, L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

En application de l'article'1315 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

Dés lors que la différence de rémunération critiquée est faite par comparaison avec un autre salarié à une autre époque dans l'entreprise et non avec un autre salarié employé en même temps que lui, la règle 'A travail égal, salaire égal' n'a pas lieu de jouer, sauf à interdire à un employeur de faire évoluer sa politique de rémunération, fût dans un esprit égalitaire.

La demande de rappel de salaire sera donc rejetée.

2 : Sur le licenciement

2.1 : Sur la licéité du licenciement

M. Sidi Mohammed M. soutient que les recherches de reclassement n'ont pas été loyales, en ce qu'elles ont été menées de manière désordonnée, puisque la société a adressé sa demande de recherche de reclassement aux autres entités du groupe, avant même d'avoir reçu le questionnaire envoyé au salarié le 4 novembre 2014 destiné à recueillir toutes les informations utiles à la procédure de reclassement. De plus, la société n'aurait pas joint aux demandes envoyées aux autres sociétés du groupe l'avis d'inaptitude in extenso et aurait notamment omis de transmettre l'exigence formulée par le médecin du travail d'un poste administratif. Il ajoute que son sexe n'était même pas mentionné. Enfin la proposition de poste faite au salarié, à savoir un emploi de caissier, n'était pas sérieux, puisqu'il impliquait le port de charges lourdes en contradiction avec les préconisations du médecin du travail, tandis que le médecin du travail avait émis des réserves sur le trajet domicile travail qu'impliquait cet emploi.

La SAS Monoprix Exploitation répond qu'au contraire elle a effectué une recherche loyale, puisque le courriel adressé aux différentes filiales du groupe comprenait tous les renseignements utiles et que le poste d'hôte de caisse proposé par lettre du 24 novembre respectait bien les exigences de l'avis d'inaptitude.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1226-2 du Code du travail dans sa version en vigueur à la date du présent litige, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident ou à une maladie non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; que cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise, que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail.

Les possibilités de reclassement doivent être recherchées au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

C'est à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyen et de rapporter la preuve de l'impossibilité de reclassement qu'il allègue.

La société a envoyé aux différentes filiales du groupe une lettre suffisamment circonstanciée pour manifester une recherche de reclassement allant même au-delà de la limite fixée par l'avis d'inaptitude qui enfermait le reclassement dans un poste administratif. En effet, l'employeur n'a pas fixé cette limite dans cette recherche.

Le poste d'hôte de caisse proposé par lettre du 14 novembre 2014 au salarié a été jugé par le médecin du travail 'compatible avec l'état de santé de M. Sidi Mohammed M. avec une incertitude : la difficulté de trajet'.

Certes, le salarié a refusé par lettre du 24 novembre 2014. Il appartenait cependant à la SAS Monoprix Exploitation de poursuivre sa recherche d'emploi au sein de l'entreprise.

Elle ne justifie pas l'avoir fait.

Dans ces conditions, le reclassement a été déclaré à juste titre dénué de cause réelle et sérieuse.

2.2 : Sur les conséquences du licenciement

M. Sidi Mohammed M. sollicite le paiement de la somme de 26.000 euros de dommages-intérêts en réparation des conséquences de la rupture, au motif que depuis le licenciement il a alterné périodes de chômage et emplois précaires. Il calcule ses demandes d'indemnité de préavis, d'indemnité de congés payés y afférents et d'indemnité de licenciement sur la base d'un salaire de 1.475 euros par mois.

La SAS Monoprix Exploitation objecte que son adversaire ne justifie pas de son préjudice. Elle ajoute que l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version entrée en vigueur postérieurement au licenciement litigieux, et donc inapplicable à l'espèce, ne permettrait d'accorder à M. Sidi Mohammed M. que la somme de 8.850 euros au maximum.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1235-3 du Code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. Sidi Mohammed M., de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme 15.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les indemnités de rupture seront accordées.

En application de l'article L 1235-4 du Code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement, dès lors qu'il ne s'agit pas du licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

3 : Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile d'allouer au salarié qui triomphe sur l'essentiel, la somme de 1.300 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel. L'employeur qui succombe sera débouté de ces chefs et condamné aux dépens.

Les frais d' exécution ne sauraient être inclus dans les dépens, car l'article L 111-8 du code des procédures civiles d'exécution prévoit la répartition des frais d' exécution forcée et de recouvrement entre le créancier et le débiteur et le recours au juge chargé de l' exécution dans certains cas et il n'appartient pas au juge du fond de mettre à la charge de l'un ce que la loi a prévu de mettre à la charge de l'autre.

PAR CES MOTIFS :

La Cour statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré uniquement sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau

Condamne la SAS Monoprix Exploitation à payer à M. Sidi Mohammed M. la somme de 15.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

Condamne la SAS Monoprix Exploitation à payer à M. Sidi Mohammed M. la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Rejette la demande de la SAS Monoprix Exploitation au titre des frais irrépétibles ;

Ordonne le remboursement par la SAS Monoprix Exploitation à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement ;

Condamne la SAS Monoprix Exploitation aux dépens d'appel.