Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-15.393
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocats :
Me Descorps-Declère, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Spinosi
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° R 21-15.393 et S 21-15.808 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 avril 2021), le 12 juillet 2018, Mme [X] a cédé les actions qu'elle détenait dans le capital des sociétés anonymes [P] et Caviar [P] (les sociétés) à son oncle, M. [H] [P], qui les a cédées le lendemain à son fils, M. [O] [P].
3. Les sociétés, dont M. [F] [P] était le président directeur général, ont refusé d'inscrire ces cessions sur les registres des mouvements de titres et ont continué de considérer Mme [X] comme actionnaire, estimant que ces cessions étaient nulles pour violation de la clause d'agrément statutaire, adoptée en 1985, qui stipule que « sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration ».
4. MM. [H] et [O] [P] ont assigné les sociétés et M [F] [P] aux fins de voir ordonner l'inscription des cessions dans les livres des sociétés et prononcer la nullité des résolutions des assemblées générales du 27 septembre 2018. Les sociétés et M. [F] [P] ont assigné Mme [X] en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident n° R 21-15.393, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal n° R 21-15.393 et le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° S 21-15.808, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
6. Par leur premier moyen, pris en sa deuxième branche, MM. [O] et [H] [P] font grief à l'arrêt de dire que les statuts des sociétés contiennent des clauses d'agréments préalables des conseils d'administration en cas de cession entre actionnaires, sauf dans les cas limitativement énumérés par les statuts, et de prononcer la nullité desdites cessions, alors « que, conformément à l'article 1134, devenu 1103, du code civil, les statuts ont force obligatoire ; qu'en l'espèce, en jugeant les clauses d'agréments des sociétés applicables aux cessions consenties entre actionnaires, au motif pris de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, à la date d'adoption des statuts, les actionnaires desdites sociétés avaient eu pour intention de soumettre de façon anticipée, automatique et sélective le périmètre des clauses d'agrément des sociétés à toutes les modifications légales ultérieures, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article susvisé. »
7. Par son premier moyen, pris en sa première branche, Mme [X] fait grief à l'arrêt de dire que les statuts des sociétés contiennent des clauses d'agrément préalable des conseils d'administration en cas de cession entre actionnaires, sauf dans les cas limitativement énumérés par les statuts, de constater que les cessions des actions des sociétés consenties par Mme [X] à M. [H] [P] le 12 juillet 2018 et par M. [H] [P] à M. [O] [P] le 13 juillet 2018 sont entachées de fraude, de prononcer, en conséquence, la nullité desdites cessions, de dire n'y avoir lieu à inscrire ces cessions dans les livres des sociétés et de dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité des résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par les sociétés, alors « que l'article 7, alinéa 4, des statuts des sociétés, tel que modifié lors des assemblées générales extraordinaires de ces sociétés du 23 mars 1985, stipule que, "sauf dispense de la loi, toute cession ou transmission d'actions quelles qu'en soient la nature et la forme est soumise à l'agrément préalable du conseil d'administration", et que l'article 274 de la loi du 24 juillet 1966, devenu article L. 228-23 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur lors de la rédaction de la clause d'agrément précitée, précisait que, "sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant, la cession d'actions à un tiers à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts", de sorte que, comme l'a retenu la cour d'appel, "les clauses d'agrément prévues le 23 mars 1985, à l'article 7 des statuts, et donc conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance de 2004 (?) ne pouvaient valablement, à l'époque, soumettre les cessions entre actionnaires à agrément" ; qu'en jugeant que, compte tenu de la nature institutionnelle de la société, "il convient d'appliquer la loi en vigueur au jour de la cession, c'est-à-dire l'article L. 228-23 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 juin 2004, qui précise que la cession d'actions peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des statuts", et que, dès lors, "si Mme [X] entendait céder ses actions à un actionnaire qui ne soit pas un parent ou collatéral au deuxième ou troisième degré, elle devait préalablement obtenir l'autorisation du conseil d'administration", sans rechercher, comme il lui était demandé, si la volonté des actionnaires en 1985 n'avait pas été de contractualiser l'impossibilité légale alors en vigueur de soumettre les cessions d'actions entre associés à agrément préalable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
9. Pour dire que les statuts des sociétés contiennent des clauses d'agrément préalable des conseils d'administration en cas de cession entre actionnaires, sauf dans les cas limitativement énumérés par les statuts, constater que les cessions des actions des sociétés consenties par Mme [X] à M. [H] [P], le 12 juillet 2018, et par M. [H] [P] à M. [O] [P], le 13 juillet 2018, sont entachées de fraude, prononcer, en conséquence, la nullité desdites cessions, dire n'y avoir lieu à inscrire ces cessions dans les livres des sociétés et dire n'y avoir lieu à prononcer la nullité des résolutions des assemblées générales ordinaires tenues le 27 septembre 2018 par les sociétés, l'arrêt retient que, compte tenu de la nature institutionnelle de la société, il y a lieu d'appliquer la loi en vigueur au jour de la cession, c'est-à-dire l'article L. 228-23 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, dont il résulte que, contrairement à l'état du droit antérieur, la cession d'actions entre actionnaires peut être soumise à agrément par une clause des statuts.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants dès lors que l'article L. 228-23 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 comme dans celle issue de l'ordonnance n° 2009-80 du 22 janvier 2009, permet désormais, mais n'impose pas, de soumettre à agrément les cessions d'actions entre actionnaires, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, à la date d'adoption des statuts, les actionnaires des sociétés avaient eu l'intention de soumettre le périmètre des clauses d'agrément de ces sociétés à toutes les modifications légales ultérieures ou si, au contraire, prenant en compte l'impossibilité légale, alors en vigueur, de soumettre à agrément les cessions d'actions entre actionnaires, ils avaient entendu soumettre à agrément, sous réserve des dérogations expressément prévues dans les statuts, les seules cessions d'actions à des personnes non associées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et amende civile, l'arrêt rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.