Cass. com., 11 octobre 2011, n° 10-20.301
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Avocats :
Me de Nervo, SCP Baraduc et Duhamel, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Hémery et Thomas-Raquin
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 27 mai 2010), que, le 29 décembre 2000, les sociétés Ateliers de constructions du petit parc (la société ACPP), Chaudronnerie des mécaniques du Cotentin, Constructions métalliques de l'Ouest (la société CMO), Soccoma et Spie Thermatome, devenue la société Spie nucléaire (la société SN), ont constitué un groupement d'entreprises solidaires, dénommé AACSS, la société ACPP en étant désignée mandataire, pour exécuter un marché en date du 26 janvier 2001 pour le compte de la Direction des chantiers navals (la société DCNS) ; qu'à la suite de différends relatifs au règlement du chantier entre certaines de ces sociétés, les 19 août et 17 septembre 2003, la société CMO a été autorisée à pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la société DCNS, sur les sommes lui restant dues au titre du chantier à concurrence de 1 816 702, 70 euros, finalement cantonné à la somme de 1 118 983 euros TTC par arrêt du 8 janvier 2004 ; que, le 20 octobre 2003, la société CMO a saisi le tribunal d'une demande en condamnation de la société ACPP à lui régler les sommes de 1 892 211, 75 euros TTC au titre du solde du chantier et de 750 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que, les 24 février et 22 juin 2004, M. X..., expert comptable, et M. Y..., ingénieur Irs, ont été désignés expert judiciaire, leurs rapports étant déposés le 30 décembre 2006 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société CMO fait grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation des rapports d'expertise de MM. Y... et X... et rejeté son exception de nullité, alors, selon le moyen :
1°/ que la convocation par l'expert des tiers et donc des sachants doit être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que dans son rapport d'expertise l'expert a indiqué qu'il n'avait pas convoqué les sachants désignés par la société CMO sous prétexte qu'elle n'avait communiqué que les adresses et non pas les numéros de téléphone ; qu'en indiquant que la société CMO ne pouvait se plaindre de ce que ces sachants n'aient pas été entendus dès lors que leurs coordonnées étaient incomplètes, la cour d'appel a violé l'article 160 et l'article 16 du code de procédure civile et le droit de tout justiciable au procès équitable en violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que l'expert est tenu de prendre en considération les observations réclamations et renseignements donnés par les parties à moins qu'il ne leur ait donné un délai et qu'elles ne l'aient pas respecté ; qu'en indiquant que société CMO ne pouvait se plaindre de ce que l'expert n'ait pas convoqué ses sachants dès lors qu'il avait attendu plusieurs mois pour lui faire parvenir leurs coordonnées, sans relever que l'expert avait donné un délai aux parties pour faire parvenir les renseignements concernant les sachants, la cour d'appel a violé l'article 276 et l'article 16 du code du procédure civile et l'article 6 § 1 du code de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ que l'expert doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis et faire mention dans son avis de la suite qu'il aura donnée aux observations et réclamations des parties ; que l'expert Y... avait pour mission notamment de prendre connaissance des conventions formatrices du groupement, de se faire remettre les documents contractuels et les comptes rendus Codir et de vérifier s'ils avaient été ratifiés ; que la société CMO a déposé des dires insistant sur le fait que l'expert n'avait pas pris connaissance des documents contractuels et n'avaient pas vérifié le caractère contradictoire des comptes rendu Codir ; que la cour d'appel qui a relevé que l'expert avait rempli sa mission en se fondant sur les comptes rendus Codir, et répondu implicitement aux dires des parties, mais sans constater qu'il avait vérifié ces comptes rendus étaient bien ratifiés par les entreprises, a violé les articles 238 et 276 du code de procédure civile ;
4°/ que lorsque l'avis d'un technicien spécialiste est demandé en plus de celui de l'expert, l'avis de ce spécialiste doit être porté à la connaissance des parties avant le dépôt du rapport final afin qu'elles puissent discuter les conclusions définitives du spécialiste avant que l'expert ne dépose lui-même son rapport ; qu'en l'espèce, les deux experts ont procédé à une réunion commune avant la clôture de leurs rapports respectifs le 15 décembre 2006 et ont tous deux déposé leur rapport le 30 décembre ; il en résulte que les parties n'ont pas pu discuter le rapport définitif de M. Y... devant le second expert M. X... avant qu'il ne dépose lui-même son rapport ; que la cour d'appel qui a considéré que les rapports avaient été régulièrement établis, déposés et discutés a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève le libre choix de ses auditions par M. Y... en qualité d'expert qui n'est pas tenu d'entendre toutes les personnes indiquées par la société CMO, dès lors qu'il estime que leur audition n'est pas nécessaire pour répondre à sa mission ; qu'il relève que son rapport d'expertise ne se fonde pas exclusivement sur les huit auditions de personnes qu'il a jugé utile d'interroger mais sur l'ensemble des documents fournis à lui par les parties elles-mêmes, dont ceux produits par la société CMO ; qu'il relève qu'il résulte du même rapport que les parties ont eu l'occasion de s'expliquer devant lui de sorte qu'il a répondu, même implicitement, à leurs nombreux dires ; qu'il relève enfin que le premier expert désigné le 24 février 2004, M. X..., n'a aucunement pris l'initiative de recueillir l'avis d'un sapiteur, mais que le tribunal a lui-même désigné un second expert, le 22 juin 2004, en la personne de M. Y... ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et deuxième branches, qu'il n'existait aucun motif d'annulation des rapports respectifs de MM. X... et Y... ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses deux premières banches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société CMO fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le solde dû par la DCNS au titre du marché en cause s'élevait à la somme de 1 118 983 euros TTC et qu'il était dû sur cette somme 228 344, 36 euros TTC seulement à la société CMO, alors, selon le moyen :
1°/ qu'il résulte de l'article 10 de la convention de groupement du 5 avril 2001 faisant la loi des parties que " les versements aux membres du groupement seraient opérés en rapport avec la facturation correspondant à l'avancement de la réalisation de la part de prestations qui leur est attribuée dans la limite de leur acceptation par le client " ; qu'en décidant que les versements affectés à chacune des sociétés ne pouvait se calculer qu'en fonction de sa propre participation et proportionnellement au montant de l'engagement réel de chacun des postes définis, c'est-à-dire en fonction des achats et du temps de travail consacré par les salariés des entreprises membres du groupement, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs de la convention de groupement et violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que de plus une convention de groupement réglant les relations des entreprises engagées sur un même marché ne peut être modifiée qu'avec l'accord de tous les membres du groupement ; que devant l'expert et devant la cour d'appel, la société CMO a toujours contesté la méthode de répartition du montant du marché revendiquée par ACPP et indiqué qu'elle n'avait pas a été ratifiée par les autres membres des groupement qui avaient à plusieurs reprises par courrier ou lors de Codir manifesté leur opposition ; qu'en décidant qu'il convenait d'appliquer la méthode de répartition des paiements revendiquée par ACPP en se fondant sur de simples notes d'information du groupement des 18 avril 2001 et 31 décembre 2001, et sans rechercher l'accord des membres du groupement, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'en toute hypothèse, dans ses conclusions d'appel, la société CMO a indiqué que pour le fonctionnement du groupement, le " Codir " réunissant les représentants des sociétés membres du groupement se tenait au moins une fois par mois sous la présidence du directeur de projet, et donnait lieu à un compte-rendu établi par le mandataire commun, (ACPP) ; elle a insisté sur le fait que sauf exception ces comptes rendus n'étaient pas soumis à la signature des membres et n'étaient pas diffusés ; que la société CMO a indiqué que l'expert avait reçu pour mission de vérifier si les comptes-rendu de Codir contenant les informations sur le déroulement du chantier étaient ratifiés par les parties ce qu'il n'avait pas fait ; que la cour d'appel qui a entériné le rapport d'expertise et relevé que l'expert s'était fondé sur ces Codir sans répondre au conclusions d'appel de la société CMO insistant sur le caractère non contradictoire de ces documents déterminants a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé qu'il résultait des dispositions de l'article 10 de la convention de groupement que, si chacune des sociétés co-traitantes se voyait attribuer un pourcentage théorique des paiements effectués par la société maître d'ouvrage, les versements affectés à chacune ne pouvaient se calculer qu'en fonction de sa propre participation à la réalisation de l'ouvrage en cause et qu'une note d'information du groupement du 18 avril 2001 précisait d'ailleurs que " le montant à répartir sera éclaté proportionnellement au montant de l'engagement réel de chacun des postes définis " et que " le montant des paiements sera réparti en fonction des pourcentages réels des engagements de chaque société à l'intérieur de chacun des postes ", l'arrêt retient que la société CMO, étant mal venue de réclamer automatiquement 23, 96 % du montant total du marché, doit se voir attribuer une somme correspondant à sa participation effective dans les travaux ; que l'arrêt retient en outre qu'il résulte d'une note d'information du 31 décembre 2001 que la répartition des parts de marché entre les différentes sociétés prévue par l'article 10 de la convention susmentionnée est prévisionnelle et théorique ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui se trouvait dans la nécessité, exclusive de toute dénaturation, d'interpréter un contrat dont les termes n'étaient ni clairs, ni précis et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a décidé que les versements affectés à chacune des sociétés ne pouvait se calculer qu'en fonction de sa propre participation et proportionnellement au montant de l'engagement réel de chacun des postes définis, c'est-à-dire en fonction des achats et du temps de travail consacré par les salariés des entreprises membres du groupement ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société CMO fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande tendant à la condamnation de la société ACPP à lui payer 50 % de la part de marché de la société ACMC, alors, selon le moyen :
1°/ que l'article 13 de la convention de groupement prévoyait que " aucun membre du Groupement ne peut transférer ou céder tout ou partie de ses droits ou obligations dans la présente convention ou substituer un tiers dans l'exécution de ses obligations sans le consentement préalable et écrit des autres membres . " ; qu'en ne recherchant pas si en concluant un protocole transactionnel afin de reprendre à son compte, la part de marché de la société ACMC, sans en informer ni solliciter l'accord des autres membres du groupement, la société ACPP n'avait pas manqué à ses engagements contractuels vis-à-vis du groupement et de ses membres, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1134 du code civil ;
2°/ qu'en toute hypothèse, la convention de groupement ne prévoit en aucun cas le versement d'une indemnité en cas de retrait d'un membre du groupement ; que dans ses conclusions d'appel, la société CMO a fait valoir que le versement d'une indemnité à ACMC n'était en rien justifiée ; qu'en déboutant la société CMO de sa prétention à reprendre la moitié de la part de marché d'ACPP, au motif que la société CMO aurait été dans l'incapacité de payer l'indemnité de 261 000 euros nécessaire à la reprise, sans préciser en vertu de quoi, une telle indemnité était nécessaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'à l'occasion du retrait de la société ACMC, la société ACPP a repris seule le lot dévolu à cette dernière après le protocole transactionnel du 1er juillet 2003 contre versement d'une somme de 261 000 euros ; qu'il relève qu'il ressort du rapport de l'expert comptable, M. X..., que la société CMO, qui ne parvenait pas à cette époque à régler ses dettes échues, était dans l'incapacité de régler la moitié des 261 000 euros versés à la société ACMC nécessaires à la reprise des droits de celle-ci ; qu'il relève que la société CMO a d'ailleurs déclaré son état de cessation des paiements dès le 9 juillet 2003, n'ayant plus de personnel sur le lot tuyauterie depuis plusieurs jours ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir qu'il s'agissait d'une somme correspondant au coût des fournitures et prestations déjà accomplies par la société ACMC, la cour d'appel, qui n'avait pas à examiner une stipulation contractuelle qui concernait exclusivement la cession de parts du marché à un tiers et non le remplacement d'un co-traitant défaillant, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur les quatrième et cinquième moyens :
Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.