Cass. com., 18 janvier 2023, n° 21-13.647
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Brahic-Lambrey
Avocats :
SARL Le Prado - Gilbert, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2021), l'association de service et de soins d'aide à domicile de [Localité 3] (l'ASSAD), dont Mme [S] était la présidente jusqu'au 20 septembre 2017, et Mme [D], la directrice, a été mise en redressement judiciaire le 23 janvier 2018, la procédure étant convertie en liquidation judiciaire le 26 juin 2018.
2. La société [J] [V]-Denis Hazane, désignée liquidateur, a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de Mme [D], en qualité de dirigeante de fait, et demandé que soit prononcée contre elle, une sanction personnelle.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Mme [D] fait grief à l'arrêt de prononcer à son égard une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de deux ans, alors « que dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6 du code de commerce, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale ; qu'elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiement, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la mesure prononcée à l'encontre de Mme [D] était justifiée par les "griefs tenant à la poursuite d'une activité déficitaire et l'absence de suivi juridique de l'association" ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence de suivi juridique du débiteur ne constituait pas une faute pouvant être sanctionnée par le prononcé d'une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, la cour d'appel a violé l'article L. 653-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [J] [V]-Denis Hazane, ès qualités, conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, Mme [D] ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, le moyen, qui est de pur droit peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du code de commerce :
8. Il résulte de ces textes que l'interdiction de gérer ne peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale que pour sanctionner les fautes qu'ils prévoient.
9. Pour prononcer une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de deux ans, l'arrêt retient que Mme [D] n'a pas procédé au suivi juridique de l'association.
10. En statuant ainsi, alors que l'énumération des fautes susceptibles d'être sanctionnées par une interdiction de gérer est limitative et que l'absence de suivi juridique n'y figure pas, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen relevé d'office
11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 653-4, L. 653-5, L. 653-6 et L. 653-8 du code de commerce :
12. Il résulte de ces textes que l'interdiction de gérer ne peut être prononcée contre le dirigeant d'une personne morale que pour sanctionner les fautes qu'ils prévoient.
13. Pour prononcer une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de deux ans, l'arrêt retient également qu'est caractérisée, contre Mme [D], la poursuite abusive d'une activité déficitaire sans qu'il soit nécessaire que soit démontré l'intérêt personnel de la dirigeante de fait de l'association.
14. En statuant ainsi, alors que l'énumération des fautes susceptibles d'être sanctionnées par une interdiction de gérer est limitative et que la poursuite abusive d'une activité déficitaire n'est sanctionnée à ce titre que lorsqu'elle est effectuée dans un intérêt personnel et que l'exploitation déficitaire ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce à l'égard de Mme [D] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de deux ans, ordonne en application des articles 768 et R. 69, 9° du code de procédure pénale la transmission de la décision au greffier du tribunal au service du casier judiciaire après visa du ministère public et dit qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.