Livv
Décisions

CAA Versailles, 3e ch., 15 octobre 2019, n° 17VE02377

VERSAILLES

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

Imanes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bresse

Rapporteur :

Mme Deroc

Rapporteur public :

M. Huon

Avocat :

Selarl JTTB Avocats

TA Cergy-Pontoise, du 6 juin 2017, nº 15…

6 juin 2017

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) IMANES a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010 et, d'autre part, la mise à la charge de l'Etat de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement nº 1504970 du 6 juin 2017, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2017 et régularisée le 7 septembre suivant, et des mémoires, enregistrés les 23 mars 2018 et 5 avril 2019, la SARL IMANES, représentée par Me B..., avocate, demande à la Cour :

1º d'annuler ce jugement ;

2º de prononcer la réduction sollicitée ;

3º de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le service a, à tort, remis en cause l'application du régime des sociétés mères défini par l'article 216 du code général des impôts aux titres prêtés par la société Asinco, alors que ces titres prêtés ne relèvent pas de l'article 37 de la loi du 17 juin 1987 sur l'épargne excluant l'application de ce régime ;

- le ministre de l'action et des comptes publics ne peut, à titre subsidiaire, opposer l'absence de propriété des actions dès lors que la convention de prêt, qui constitue un prêt de consommation, a eu pour effet de lui transférer la pleine propriété, durant la durée du prêt, des actions de la SAS Pro Distribution avec détachement du droit à dividendes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code monétaire et financier ;

- la loi nº 87-416 du 17 juin 1987 ;

- la loi nº 99-1071 du 16 décembre 1999 ;

- l'ordonnance nº 2000-1223 du 14 décembre 2000 ;

- la loi nº 2003-591 du 2 juillet 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., avocate de la SARL IMANES.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL IMANES, qui a une activité de holding, a conclu, le 22 décembre 2008, un contrat de prêt par lequel la SAS Asinco, qui détenait 60 % du capital de la SAS Pro Distribution, lui a consenti un prêt de consommation portant sur 369 actions de cette société, soit 11 % du capital, dont elle détenait déjà elle-même 1 341 actions soit 40 % du capital. Elle a perçu de la SAS Pro Distribution des dividendes à raison de ces 1 710 titres d'un montant de 731 966 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2009 et de 3 594 762 euros au titre de celui clos le 31 décembre 2010. Faisant application du régime fiscal des sociétés mères, prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, elle a, après déduction de la quote-part pour frais et charges, retranché les dividendes versés par la SAS Pro Distribution de son bénéfice net imposable au titre des exercices 2009 et 2010. Toutefois, à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur ces exercices, l'administration fiscale a remis en cause l'application par la SARL IMANES de ce régime fiscal pour les dividendes provenant des 369 titres prêtés et assujetti en conséquence l'intéressée à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2009 et 2010, au motif que l'article 37 de la loi du 17 juin 1987 sur l'épargne exclut les titres prêtés du régime des sociétés mères. La SARL IMANES fait appel du jugement du 6 juin 2017 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires.

2. D'une part, en vertu des dispositions de l'article 216 du code général des impôts, les produits nets de participations touchés au cours d'un exercice par une société mère peuvent, après déduction d'une quote-part de frais et charges, être retranchés de son bénéfice net. Aux termes de l'article 145 du même code, dans sa rédaction applicable aux exercices litigieux :

" 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : / a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l'administration ; / b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; (...) / (...) / c. Les titres de participation doivent avoir été conservés pendant un délai de deux ans. (...) / (...) / Les titres prêtés, mis en pension ou remis en garantie dans les conditions prévues aux articles 38 bis à 38 bis-0 A bis ne peuvent être pris en compte par les parties au contrat en cause pour l'application du régime défini au présent article. De même, les titres mentionnés à l'article 38 bis A ne sont pas pris en compte pour l'application de ce régime. / (...) ". L'article 38 bis de ce code a trait aux titres financiers prêtés par une entreprise " dans les conditions prévues aux articles L. 211-22 à L. 211-26 du code monétaire et financier ", s'agissant de l'exercice clos en 2009 et " conformément aux premier à troisième alinéas de l'article L. 211-24 du code monétaire et financier ", s'agissant de l'exercice clos en 2010. Aux termes de l'article L. 211-22 susmentionné : " Les dispositions de l'article L. 211-24 sont applicables aux prêts de titres financiers qui remplissent les conditions suivantes : / 1. Le prêt porte sur des titres financiers ; / 2. Le prêt porte sur des titres financiers qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet, pendant la durée du prêt, du détachement d'un droit à dividende (...) ; / 3. Le prêt est soumis aux dispositions des articles 1892 à 1904 inclus du code civil ; / (...). ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 1892 du code civil : " Le prêt de consommation est un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité " et aux termes de l'article 1893 du même code : " Par l'effet de ce prêt, l'emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ; et c'est pour lui qu'elle périt, de quelque manière que cette perte arrive. ".

4. Enfin, selon l'article 31 de la loi du 17 juin 1987 sur l'épargne, abrogé à compter du 1er janvier 2001 : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables au régime fiscal des prêts de titres et au régime juridique et fiscal des prêts de titres relevant de l'article 33 qui remplissent les uns et les autres les conditions suivantes : / b) Le prêt porte sur des titres qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet, pendant la durée du prêt, du détachement d'un droit à dividende ou du paiement d'un intérêt soumis à la retenue à .... de l'article 119 bis ou à l'article 1678 bis du code général des impôts ou ouvrant droit à un crédit d'impôt prévu au b du 1º de l'article 220 du même code, d'un amortissement, d'un tirage au sort pouvant conduire au remboursement ou d'un échange ou d'une conversion prévus par le contrat d'émission ; / (...) " et selon l'article 37 de cette même loi : " Les parties à un tel contrat [de prêt] ne peuvent pas tenir compte de ces titres pour l'application du régime défini aux articles 146 et 216 du même code [général des impôts]. ".

5. Si le dernier alinéa du c) du 1. de l'article 145 du code général des impôts limite l'absence de prise en compte des titres prêtés par les parties à un contrat de prêt, pour l'application du régime fiscal des sociétés mères prévu à cet article, aux seuls prêts qui ne sont notamment pas susceptibles de faire l'objet, pendant leur durée, du détachement d'un droit à dividende, tel n'est pas le cas du second alinéa de l'article 37 de la loi du 17 juin 1987 qui exclut la prise en compte des titres prêtés sans distinguer selon qu'ils sont ou non susceptibles de faire l'objet du détachement d'un droit à dividende et dont le champ d'application n'est plus limité par l'article 31 de cette même loi depuis son abrogation par l'article 4 de l'ordonnance du 14 décembre 2000 relative à la partie Législative du code monétaire et financier et sa codification à l'article L. 432-6 devenu L. 211-22 de ce code. Toutefois, il résulte tant de l'article 1er de la loi du 16 décembre 1999 susvisée portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie Législative de certains codes, que du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance du 14 décembre 2000 relative à la partie Législative du code monétaire et financier, laquelle a été ratifiée sans modification par le 2º du I de l'article 31 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, que ni le législateur, ni le pouvoir règlementaire qui était habilité à opérer une codification à droit constant des dispositions en vigueur au sein du code monétaire et financier, n'ont entendu modifier la portée de l'article 37 de la loi sur l'épargne, lequel doit donc être regardé, comme le prévoyait l'article 31 de cette loi et à l'instar de l'article L. 211-22 du code monétaire et financier qui en a repris les termes, comme ne visant que les contrats de prêt de titres insusceptibles de faire l'objet, pendant la durée du prêt, du détachement d'un droit à dividende, interprétation au demeurant seule compatible avec les exigences de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents qui ne comporte aucune exclusion des titres prêtés de son champ d'application. Dans ces conditions, l'administration fiscale ne pouvait, pour ce motif, remettre en cause le bénéfice de l'exonération prévue par le régime fiscal des sociétés mères pour les dividendes perçus par la SARL IMANES à raison des 369 actions de la SAS Pro Distribution qui lui ont été prêtées par la SAS Asinco par un contrat de prêt de consommation, lequel n'entre par ailleurs pas dans le champ des articles L. 211-22 et suivants du code monétaire et financier.

6. Par ailleurs, le ministre de l'action et des comptes publics ne saurait opposer, à titre subsidiaire, à la SARL IMANES, l'article 54 de l'annexe II au code général des impôts selon lequel le bénéfice du régime des sociétés mères est réservé aux seuls titres détenus en pleine propriété, dès lors que, d'une part, il est constant que la convention de prêt conclue par la société requérante, qui opère le " transfert des actions prêtées " (point 2.1), selon laquelle l'emprunteur sera propriétaire des actions prêtées et en aura la jouissance " (point 2.1) et par laquelle l'emprunteur s'engage notamment à céder au prêteur " tous droits autres que les droits de vote et les droits à dividendes versés en numéraires, attachés aux actions prêtées " (point 6.2), opère un transfert de propriété du prêteur vers l'emprunteur, pour la durée du prêt, conformément à l'article 1893 du code civil précité et, d'autre part, qu'est sans incidence à cet égard la circonstance que ce transfert ne revêt qu'un caractère provisoire et doit conduire, à son terme, à la restitution des titres.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL IMANES est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL IMANES et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement nº 1504970 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 6 juin 2017 est annulé.

Article 2 : La SARL IMANES est déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010 à raison de la remise en cause de l'application du régime des sociétés mères aux dividendes issus du prêt des 369 actions de la SAS Pro Distribution par la SAS Asinco.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à la SARL IMANES en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.