CE, 8e et 3e ch. réunies, 31 mai 2022, n° 453175
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chantepy
Rapporteur :
M. Airy
Rapporteur public :
M. Victor
Avocat :
SCP Duhamel, Rameix, Gury et Maître
Vu la procédure suivante :
La société anonyme (S.A.) Dassault Systèmes, devenue la société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt mises à sa charge au titre des exercices clos en 2008, 2009, 2010 et 2011 ainsi que des pénalités correspondantes et, à titre subsidiaire, d'ordonner la compensation des montants mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2009 avec une perte de change. Par des jugements n° 1506821 du 26 janvier 2017 et n° 1605795 du 5 octobre 2017, le tribunal administratif a rejeté les demandes de la société Dassault Systèmes.
Par un arrêt nos 17VE000935, 17VE003622 du 2 avril 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les appels formés par la société Dassault Systèmes contre ces jugements.
Par une décision n° 431283 du 9 septembre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cet arrêt et renvoyé les affaires à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par un arrêt nos 20VE002388, 20VE002389 du 1er avril 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a de nouveau rejeté les requêtes de la société Dassault Systèmes.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire rectificatif et un mémoire en réplique, respectivement enregistrés les 1er juin, 26, 29 juillet 2021 et 26 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Dassault Systèmes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses appels ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Dassault Systèmes SE ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la société anonyme Dassault Systèmes, devenue ultérieurement la société européenne Dassault Systèmes, société mère d'un groupe fiscalement intégré, portant sur les exercices clos en 2008, 2009, 2010 et 2011, l'administration fiscale a estimé que l'opération par laquelle cette société avait acquis auprès de sa filiale Dassault Système Corp Inc (DS Corp), établie aux Etats-Unis, des actions de préférence dans les sociétés Abaqus et Dassault Systèmes America Corp (DSAC), également établies aux Etats-Unis, puis conclu avec la société DS Holdings, elle aussi établie aux Etats-Unis et intégralement détenue par la société DS Corp, des pactes d'actionnaires en vertu desquels la société DS Holdings s'engageait à lui racheter les actions litigieuses dans un délai maximum de sept ans à un prix fixé à l'avance, avait eu pour seul but de permettre à la société Dassault Systèmes de faire bénéficier les dividendes qui lui avaient été versés par les sociétés Abaqus et DSAC du régime des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts. L'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de ce régime en mettant en œuvre la procédure de répression des abus de droit. Après avoir vainement réclamé, la société Dassault Systèmes a notamment demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés mises à sa charge, ainsi que des pénalités correspondantes. Par deux jugements des 26 janvier et 5 octobre 2017, le tribunal administratif a rejeté ces demandes. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er avril 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après l'annulation d'un premier arrêt par une décision du Conseil d'Etat du 9 septembre 2020, a rejeté les appels qu'elle avait formés contre ces jugements.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article 223 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " Une société peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital, de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire des sociétés du groupe. / (...) / Les sociétés du groupe restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés dans les conditions prévues par les articles L. 13, L. 47 et L. 57 du livre des procédures fiscales. La société mère supporte, au regard des droits et des pénalités visées à l'article 2 de la loi n° 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières, les conséquences des infractions commises par les sociétés du groupe. / (...) ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Lorsqu'en application des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts la société mère d'un groupe est amenée à supporter les droits et pénalités résultant d'une procédure de rectification suivie à l'égard d'une ou de plusieurs sociétés du groupe, l'administration adresse à la société mère, préalablement à la notification de l'avis de mise en recouvrement correspondant, un document l'informant du montant global par impôt des droits, des pénalités et des intérêts de retard dont elle est redevable. L'avis de mise en recouvrement, qui peut être alors émis sans délai, fait référence à ce document ".
3. En premier lieu, s'il résulte de la lettre même du quatrième alinéa de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales que le document comportant les informations qu'il mentionne doit en principe être fourni à la société mère avant la notification de l'avis de mise en recouvrement des impositions correspondantes, la remise de ce document concomitamment à cette notification, qui ne prive pas le contribuable de la garantie protégée par cet article et ne saurait ainsi avoir d'influence sur la décision d'imposition, demeure sans conséquence sur la régularité et le bien-fondé de celle-ci.
4. Il en résulte qu'en jugeant que la circonstance que le document du 16 décembre 2013 informant la société Dassault Systèmes, en sa qualité de société mère d'un groupe fiscalement intégré, des conséquences financières du contrôle fiscal diligenté à son encontre en tant que société membre de ce groupe fiscal au titre de l'exercice clos en 2008, lui avait été remis en main propre en même temps que l'avis de mise en recouvrement correspondant, et non préalablement, ainsi que le prévoit l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, n'était pas susceptible d'entraîner la décharge des impositions supplémentaires correspondantes, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit.
5. En second lieu, il résulte de l'article 223 A du code général des impôts qu'alors même que la société mère d'un groupe fiscal intégré s'est constituée seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, celles-ci restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats et que c'est avec ces dernières que l'administration fiscale mène la procédure de vérification de comptabilité et de rectification, dans les conditions prévues par les articles L. 13, L. 47 et L. 57 du livre des procédures fiscales. Les rectifications ainsi apportées aux résultats déclarés par les sociétés membres du groupe constituent cependant les éléments d'une procédure unique conduisant d'abord à la correction du résultat d'ensemble déclaré par la société mère du groupe, puis à la mise en recouvrement des rappels d'impôt établis à son nom sur les rehaussements de ce résultat d'ensemble. L'information qui doit être donnée à la société mère peut être réduite à une référence aux procédures de rectification qui ont été menées avec les sociétés membres du groupe et à un tableau chiffré qui en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, sans qu'il soit nécessaire de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de rectification concernés. Elle doit toutefois comporter, en ce qui concerne les pénalités, l'indication de leur montant, comme le prévoit l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, et des modalités de détermination mises en œuvre par l'administration, lesquelles constituent une garantie permettant à la société mère de contester utilement les sommes mises à sa charge.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le document du 26 janvier 2015 informant la société Dassault Systèmes des conséquences financières du contrôle fiscal portant sur l'exercice clos en 2011 et faisant l'objet de la proposition de rectification du 27 septembre 2013, à laquelle il fait référence, mentionne le montant des pénalités pour abus de droit, lequel résulte de l'application du taux de 80 % au montant des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale et de contribution additionnelle assignées à la redevable au titre des opérations " Repo Abaqus " et " Repo Matrix One " tels qu'indiqués dans un tableau intitulé " Liste des rappels ", lequel précise, pour chaque chef de redressement, les pénalités appliquées. Par suite, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas dénaturé le contenu de ce document en estimant qu'il comportait une information suffisante pour permettre à la société Dassault Systèmes de contester utilement la pénalité mise à sa charge et a pu, sans erreur de droit, en déduire que celle-ci n'avait pas été privée de la garantie protégée par le quatrième alinéa de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales en matière de sanctions fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
Sur l'existence d'un abus de droit :
7. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. (...) ".
8. En vertu des dispositions combinées du 1 de l'article 38 et de l'article 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges ".
9. En vertu du premier alinéa de l'article L. 432-12 du code monétaire et financier devenu, à compter du 10 janvier 2009, l'article L. 211-27 du même code, la pension de titres est définie comme l'opération par laquelle, d'une part, et moyennant un prix convenu, des titres financiers sont cédés en pleine propriété, d'autre part, le cédant et le cessionnaire s'engagent respectivement et irrévocablement, le premier à reprendre les titres, le second à les lui rétrocéder pour un prix et à une date convenus. Selon les dispositions des articles L. 432-18 et L. 432-19 du même code, reprises aux articles L. 211-32 et L. 211-33, la pension entraîne, chez le cédant, le maintien à l'actif de son bilan des titres financiers mis en pension et l'inscription au passif du bilan du montant de sa dette vis-à-vis du cessionnaire, tandis que les titres financiers reçus en pension ne sont pas inscrits au bilan du cessionnaire, qui enregistre à l'actif de son bilan le montant de sa créance sur le cédant. Aux termes de l'article L. 432-17, repris à l'article L. 211-31 : " La rémunération du cessionnaire, quelle qu'en soit la forme, constitue un revenu de créance. Elle est traitée sur le plan comptable comme des intérêts. / Lorsque la durée de la pension couvre la date de paiement des revenus attachés aux titres financiers donnés en pension, le cessionnaire les reverse au cédant qui les comptabilise parmi les produits de même nature ".
10. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'en 2005 et 2006, la société Dassault Systèmes a octroyé des prêts de 310 et 354 millions de dollars à sa filiale DS Corp, établie aux Etats-Unis, afin que celle-ci procède, respectivement, aux acquisitions des sociétés Abaqus et Matrix One. Le 16 mai 2006, la société DS Corp a créé, aux Etats-Unis, la société DS Holdings dont elle détenait l'intégralité du capital. Elle lui a apporté 90 % des actions ordinaires d'Abaqus. La société DS Corp a ensuite cédé à la société requérante des " actions de préférence A " dans la société Abaqus pour un montant de 310 millions de dollars. Le 27 juillet 2006, la société DS Corp a apporté l'ensemble des titres qu'elle détenait dans la société Matrix One à la société DSAC, filiale établie aux Etats-Unis intégralement détenue par la société DS Holdings. La société DS Corp a ensuite cédé à la société requérante des " actions de préférence A et B " de la société DSAC, pour un montant de 354 millions de dollars.
11. Il ressort également des énonciations de l'arrêt attaqué que tout en acquérant les actions en cause des sociétés Abaqus et DSAC, la société requérante a conclu des pactes d'actionnaires avec la société DS Holdings, en vertu desquels celle-ci s'engageait à lui racheter ces actions dans un délai maximum de 7 ans, à un prix fixe et garanti, indépendamment des résultats des sociétés Abaqus et DSAC. La société requérante a également conclu des pactes de stabilité avec la société DS Corp, en vertu desquels cette dernière s'engageait à ne pas vendre les actions qu'elle détenait dans la société DS Holdings et à maintenir ses ratios de solvabilité afin que celle-ci soit en mesure de respecter son engagement de rachat des actions de préférence.
12. Il ressort enfin des énonciations de l'arrêt attaqué que les actions de préférence de classe A de la société Abaqus comprenaient un dividende annuel fixe de 6 % et les actions de préférence de classes A et B de la société DSAC des dividendes annuels fixes minimums de 7 et 7,25 %, indépendamment des performances des sociétés émettrices. La société requérante était, en outre, assurée de percevoir ces dividendes dès lors, en premier lieu, que toute échéance impayée faisait l'objet l'année suivante d'un rattrapage, en deuxième lieu, que le défaut de versement de ces dividendes constituait, en application de l'article 2.1 des pactes d'actionnaires, un " cas de défaillance " permettant à la société Dassault Systèmes d'exiger de la société DS Holdings qu'elle procède sans délai au rachat des titres et, en troisième lieu, que le prix de rachat des titres par la société DS Holdings incluait, le cas échéant, l'ensemble des droits à dividendes non payés à la date de la cession.
13. La cour a jugé que par la succession des opérations rappelées ci-dessus aux points 10 à 12, qu'elle a décrites sans entacher son arrêt de dénaturation, la société Dassault Systèmes avait mis en place un montage lui permettant, par l'interposition de la société DS Holdings, d'entrer artificiellement dans les prévisions des articles 145 et 216 du code général des impôts, ce qui lui avait permis d'être dispensée, à l'exception d'une quote-part de frais et charges de 5 %, de tout impôt sur les sociétés dû en France à raison des produits attachés aux " actions de préférence A " dans la société Abaqus et aux " actions de préférence A et B " dans la société DSAC, alors que ces produits ne pouvaient être regardés comme des produits de participation dès lors que leur versement n'était soumis à aucun aléa mais que l'opération, une fois écartée l'interposition de la société DS Holdings, avait la nature d'une prise de pension de titres au sens des dispositions citées au point 9. La cour n'a, ce faisant, ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
14. Elle a par ailleurs jugé que l'interposition de la société DS Holdings ne répondait à aucune justification économique sérieuse et que la mise en place de ce montage ayant pour effet de dissimuler, sous l'apparence d'une prise de participation dans les sociétés Abaqus et DSAC, une prise en pension de titres, n'obéissait à aucun but autre que celui d'éluder la charge fiscale qui aurait été normalement due. En statuant ainsi, la cour administrative d'appel, qui n'a pas jugé, contrairement à ce qui est soutenu, que la création elle-même de la société DS Holdings répondait à un but exclusivement fiscal, n'a ni dénaturé les faits de l'espèce, ni entaché son arrêt d'insuffisance de motivation ou d'erreur de qualification juridique des faits. A cet égard, si la requérante soutient qu'il lui était loisible de confier à une société holding établie aux Etats-Unis l'ensemble des participations détenues par le groupe Dassault dans des sociétés américaines spécialisées dans la gestion des cycles de vie des produits, cette circonstance ne saurait conférer de justification économique sérieuse au fait que les titres litigieux aient, avant leur rachat par la société DS Holdings, été cédés par sa mère, la société DS Corp, à la société requérante.
15. En déduisant de l'ensemble de ces circonstances l'existence d'un abus de droit ayant consisté à avoir fait bénéficier les produits des titres litigieux du régime des sociétés mères alors qu'ils ne pouvaient, eu égard à leurs caractéristiques propres et à l'interposition de la société DS Holdings, être regardés comme des produits de participation, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
16. En outre, il ressort des écritures produites devant la cour administrative d'appel de Versailles que, dans les propositions de rectification du 21 septembre 2011 et 27 septembre 2013, le ministre de l'économie, des finances et de la relance se fondait, pour établir le caractère purement artificiel du montage litigieux, sur ce que l'opération qui avait conduit à ce que la société requérante perçoive des dividendes des sociétés Abaqus et DSAC qu'elle avait placés sous le bénéfice du régime des sociétés mères prévu à l'article 216 du code général des impôts n'avait pas, eu égard aux caractéristiques des titres litigieux et à l'absence de justification économique de l'interposition de la société DS Holdings, la nature d'une prise de participation mais celle d'un prêt de titres. En jugeant que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'avait sollicité aucune substitution de motif auprès du juge de l'impôt en qualifiant ces faits, dans ses écritures devant le juge d'appel, de montage artificiel, la cour administrative d'appel de Versailles ne s'est pas méprise sur la portée de ces mêmes écritures et n'a pas entaché son arrêt de dénaturation. En écartant en conséquence le moyen de la société requérante tiré de ce qu'elle aurait été privée, en raison d'une telle substitution, de la garantie tenant à la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal, la cour n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce, alors même que l'administration avait soutenu pour la première fois devant juge d'appel que les sommes en litige devaient être regardées, une fois écartés les actes constitutifs d'abus de droit, comme revêtant une qualification différente de celle qu'elle avait précédemment retenue.
Sur la qualification des sommes en litige :
17. Ainsi qu'il a été dit, la cour administrative d'appel a jugé, sans entacher son arrêt de dénaturation ni d'erreur de droit, que la société DS Corp avait cédé en pleine propriété les titres de préférence litigieux à la société requérante, moyennant un prix convenu, et que - une fois écartée l'interposition de la société DS Holdings en application de la procédure de répression des abus de droit - DS Corp et la société requérante s'étaient engagées respectivement et irrévocablement, la première à reprendre ces titres, la seconde à les lui céder à un prix et à une date convenus, ce qui caractérise une prise de pension de titres au sens des dispositions, citées au point 9, de l'article L. 432-12 du code monétaire et financier, devenu l'article L. 211-27.
18. La cour a ensuite relevé, par une appréciation souveraine des faits non entachée de dénaturation, que la rémunération que la société DS Corp, via sa filiale DS Holdings, devait verser au titre de cette opération de prise en pension incluait le montant des dividendes attachés aux actions de préférence ainsi prises en pension, que la société requérante n'était pas tenue de reverser à l'issue de l'opération. En en déduisant que ces dividendes constituaient un élément de la rémunération perçue par la société requérante en tant que cessionnaire des titres pris en pension et qu'ils devaient ainsi être regardés comme des revenus de créance et non comme des dividendes pouvant, en application du I de l'article 216 du code général des impôts, être retranchés du bénéfice total de la société mère, la cour administrative d'appel n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dassault Systèmes n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui dans la présente instance n'est pas la partie perdante, la somme que demande la société Dassault Systèmes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le pourvoi de la société Dassault Systèmes est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société européenne Dassault Systèmes et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.