Décisions

CJUE, 1re ch., 27 avril 2023, n° C-537/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

L Fund

Défendeur :

Finanzamt D, Bundesministerium der Finanzen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Arabadjiev

Juges :

M. Xuereb, M. von Danwitz, M. Kumin, Mme Ziemele

Avocat général :

M. Pitruzzella

Avocat :

Me Rohde

CJUE n° C-537/20

26 avril 2023

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant L Fund au Finanzamt D (bureau des impôts D, Allemagne) au sujet de l’assujettissement de L Fund à l’impôt sur les sociétés au titre des exercices 2008 à 2010 (ci-après les « exercices litigieux »).

Le cadre juridique

Le droit allemand

3 L’article 1er, paragraphe 1, point 5, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l’impôt sur les sociétés), dans sa version en vigueur pendant les exercices litigieux (ci-après le « KStG »), prévoit :

« Assujettissement total

1. Sont totalement assujettis à l’impôt sur les sociétés les personnes morales, les groupements de personnes et les masses de valeurs suivantes dont l’administration centrale ou le siège social sont situés sur le territoire national :

[...]

5) associations, institutions, fondations et autres patrimoines d’affectation de droit privé dénués de la personnalité juridique ».

4 L’article 2, point 1, du KStG dispose :

« Assujettissement partiel

Sont partiellement assujettis à l’impôt sur les sociétés :

1) les personnes morales, les groupements de personnes et les masses de valeurs dont ni l’administration centrale ni le siège social ne sont situés sur le territoire national, au titre des revenus qu’ils perçoivent sur ledit territoire ».

5 Aux termes de l’article 1er de l’Investmentsteuergesetz 2004 (loi de 2004 relative à l’impôt sur les investissements), dans sa version en vigueur pendant les exercices litigieux (ci-après l’« InvStG 2004 »), intitulé « Champ d’application et définitions » :

« Relèvent de la présente loi :

1) les placements collectifs de droit national, pour autant qu’ils soient constitués sous la forme d’un fonds commun de placement au sens de l’article 2, paragraphe 1, de l’Investmentgesetz [(loi sur les investissements, ci–après l’’“InvG”)] ou d’une société anonyme d’investissement au sens de l’article 2, paragraphe 5, [de l’InvG] (société d’investissement de droit national), ainsi que les parts détenues dans ceux–ci (parts détenues dans des placements collectifs de droit national) ;

2) les placements collectifs étrangers et les parts détenues dans ceux–ci au sens de l’article 2, paragraphes 8 et 9, [de l’InvG].

[...] »

6 L’article 2 de l’InvStG 2004, intitulé « Revenus des parts », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les revenus distribués au titre des parts détenues dans des placements collectifs et les revenus équivalents à une telle distribution ainsi que le bénéfice intermédiaire relèvent des revenus des capitaux au sens de l’article 20, paragraphe 1, point 1, de l’Einkommensteuergesetz [(loi relative à l’impôt sur le revenu, ci–après l’“EStG”)] [...] »

7 L’article 4 de l’InvStG 2004, intitulé « Revenus perçus à l’étranger », énonce, à son paragraphe 2 :

« Lorsque les revenus distribués au titre des parts détenues dans des placements collectifs et les revenus équivalents à une telle distribution incluent des revenus provenant d’un État étranger qui, dans cet État, sont soumis à un impôt déductible de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés au titre de l’article 34 quater, paragraphe 1, [de l’EStG] ou de l’article 26, paragraphe 1, [du KStG] ou en application d’une convention en vue d’éviter les doubles impositions, le montant de l’impôt étranger déterminé puis acquitté par l’investisseur totalement assujetti à l’impôt, lorsqu’il ne bénéficie d’aucune réduction, est imputé sur la partie de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés qui correspond à ces revenus étrangers augmentés du montant proportionnel de l’impôt étranger. [...] Lorsque les revenus distribués au titre des parts détenues dans des placements collectifs étrangers et les revenus équivalents à une telle distribution incluent des revenus soumis à l’impôt sur les revenus des capitaux en Allemagne, ces revenus ainsi que l’impôt prélevé sur ceux–ci en Allemagne sont assimilés, aux fins de leur déduction, dans le cadre de l’application de l’article 7, paragraphe 1, à des revenus et des impôts étrangers au sens de la première phrase. [...] »

8 L’article 7 de l’InvStG 2004, intitulé « Impôt sur les revenus des capitaux », prévoit, à son paragraphe 1, point 1 :

« Font l’objet d’une retenue à la source sur les revenus des capitaux :

1) les revenus distribués au sens de l’article 2, paragraphe 1[...] »

9 L’article 11 de l’InvStG 2004, intitulé « Patrimoine d’affectation, exonération d’impôt et contrôle fiscal », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les placements collectifs statutaires de type ouvert régis par le droit national sont assimilés aux patrimoines d’affectation au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 5, [du KStG]. Ils sont exonérés de l’impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle. La deuxième phrase est également applicable aux sociétés anonymes d’investissement. [...] »

10 L’article 15 de l’InvStG 2004, intitulé « Placements collectifs statutaires spécialisés de type ouvert régis par le droit national », dispose, à son paragraphe 2 :

« Les revenus de la location et de la location-gérance d’immeubles et de droits réels assimilés à des immeubles situés sur le territoire national ainsi que les bénéfices tirés d’opérations de vente privées portant sur de tels immeubles et droits font l’objet d’une comptabilisation distincte. Ces revenus sont assimilés à des revenus perçus directement par l’investisseur partiellement assujetti au sens de l’article 49, paragraphe 1, point 2, sous f), de l’article 49, paragraphe 1, point 6, ou de l’article 49, paragraphe 1, point 8, [de l’EStG]. Il en est de même pour l’application des dispositions des conventions en vue d’éviter les doubles impositions. L’article 7 est applicable, mutatis mutandis, avec un taux d’imposition de 25 pour cent des revenus et une retenue à la source, par la société d’investissement, de la taxe sur les revenus des capitaux. [...] »

11 L’article 2, paragraphes 8 et 9, de l’InvG, dans sa version en vigueur pendant les exercices litigieux, est libellé comme suit :

« 8. Les placements collectifs étrangers sont des placements collectifs, au sens de l’article 1er, seconde phrase, régis par le droit d’un autre État. Ils sont considérés comme respectant le principe de la répartition des risques même s’ils sont constitués, dans une proportion non négligeable, de parts détenues dans un ou plusieurs autres placements et que ces autres placements sont placés directement ou indirectement en application dudit principe.

9. Les parts détenues dans des placements collectifs étrangers sont des parts détenues dans des placements collectifs étrangers émises par une entreprise sise à l’étranger (société d’investissement étrangère) dont l’investisseur peut demander le remboursement en contrepartie de leur restitution, ou dont il ne peut exiger le rachat, la société d’investissement étrangère étant dans ce cas soumise à une surveillance prudentielle des actifs destinés au placement collectif dans l’État dans lequel a son siège social. »

Le droit luxembourgeois

12 La loi du 13 février 2007 relative aux fonds d’investissement spécialisés (Mémorial A 2007, no 13) prévoit, à son article 66, paragraphe 1, que, « [e]n dehors du droit d’apport frappant les rassemblements de capitaux dans les sociétés civiles et commerciales et de la taxe d’abonnement mentionnée à l’article 68 [de cette loi], il n’est dû d’autre impôt par les fonds d’investissement spécialisés visés par la présente loi ».

Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

13 Le requérant au principal, L Fund, est un fonds de placement immobilier constitué sous la forme d’un fonds d’investissement spécialisé, de droit luxembourgeois, dont ni le siège social ni l’administration centrale ne sont situés en Allemagne.

14 L Fund est un fonds de type fermé, qui ne compte que deux investisseurs institutionnels, dont ni le siège social ni l’administration centrale ne sont situés en Allemagne.

15 Conformément au droit luxembourgeois, en tant que fonds d’investissement spécialisé, L Fund n’est pas imposable au Luxembourg, sauf en ce qui concerne l’impôt frappant les rassemblements de capitaux dans les sociétés civiles et commerciales ainsi que la taxe d’abonnement prévue à l’article 68 de la loi relative aux fonds d’investissement spécialisés. En vertu de ce droit, les dividendes distribués par L Fund ne font pas l’objet d’une retenue à la source au Luxembourg et ne sont pas imposables au niveau des investisseurs non–résidents.

16 Au cours des exercices litigieux, L Fund a perçu des revenus au titre de la location de ses biens immobiliers situés en Allemagne ainsi que de la vente de certains d’entre eux.

17 Au mois de juillet 2013, il a déposé des déclarations d’impôt sur les sociétés pour les exercices litigieux, au titre de son assujettissement partiel à cet impôt, tout en précisant que, selon lui, il n’était pas assujetti à l’impôt sur les sociétés en Allemagne.

18 Cependant, le bureau des impôts D a estimé que L Fund était partiellement assujetti à l’impôt sur les sociétés et émis des avis d’imposition pour les exercices litigieux.

19 L Fund a contesté ces avis devant le Finanzgericht Münster (tribunal des finances de Münster, Allemagne) qui a, par un jugement du 20 avril 2017, confirmé, en substance, ces avis.

20 L Fund a introduit un pourvoi en Revision contre ce jugement devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne) qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

21 Cette juridiction fait observer que, conformément à l’article 2, point 1, du KStG, L Fund, dont ni le siège social ni l’administration centrale ne sont situés en Allemagne, serait partiellement assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre des entiers revenus qu’il a perçus sur le territoire de cet État membre. Il ne bénéficierait d’aucune exonération de nature personnelle ou réelle. En effet, contrairement aux fonds communs de placement de type ouvert régis par le droit national, L Fund ne pourrait pas bénéficier de l’exonération de l’impôt sur les sociétés prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004, dès lors que, en vertu de l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de l’InvStG 2004, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 8, de l’InvG, dans sa version en vigueur pendant les exercices litigieux, L Fund est un fonds étranger.

22 Dans ce contexte, ladite juridiction se demande si l’exclusion d’un fonds étranger du bénéfice de cette exonération est compatible avec le droit de l’Union.

23 À cet égard, tout en faisant état de l’existence de positions divergentes, elle indique que, en raison des spécificités du droit fiscal allemand, cette exclusion pourrait être compatible avec l’article 63 TFUE.

24 En ce qui concerne ces spécificités, la juridiction de renvoi explique que l’exonération de l’impôt sur les sociétés des fonds de droit national prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 constitue la mise en œuvre du principe de transparence, en vertu duquel les revenus ne sont imposés qu’une seule fois, au niveau des investisseurs. Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de l’InvStG 2004, ceux-ci doivent payer des impôts sur les dividendes qui leur sont distribués, ou sur les revenus équivalents à une telle distribution, s’il s’agit d’un fonds qui thésaurise les produits qu’il perçoit.

25 Dans le cas des fonds de placement immobilier spécialisés de droit national réunissant exclusivement des investisseurs non-résidents, conformément à l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004, les revenus immobiliers perçus par un tel fonds sur le territoire allemand seraient directement attribués aux investisseurs non-résidents concernés, en tant que revenus propres et partiellement imposables. Afin d’assurer l’imposition des investisseurs non-résidents, le fonds aurait l’obligation de procéder à une retenue à la source en vertu de l’article 15, paragraphe 2, quatrième phrase, de l’InvStG 2004.

26 La juridiction de renvoi indique que la mise en œuvre du principe de transparence correspondrait à la volonté du législateur allemand d’empêcher que les investisseurs non-résidents qui, s’ils investissaient directement dans des biens immobiliers situés sur le territoire national, auraient été partiellement assujettis à l’impôt, évitent un tel assujettissement à l’impôt en procédant à un tel investissement par l’intermédiaire d’un fonds de placement immobilier spécialisé. Le principe de transparence conduirait à imposer les investisseurs non-résidents comme s’ils avaient procédé aux investissements directs.

27 En revanche, dans le cas des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents, les revenus immobiliers perçus sur le territoire allemand seraient imposables auprès du fonds, assujetti à l’impôt sur les sociétés dans la mesure où il ne bénéficie pas de l’exonération prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004, tandis que les investisseurs non-résidents de ce fonds ne seraient pas imposés, dès lors que l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 ne s’applique qu’aux fonds de placement immobilier spécialisés de droit national.

28 Dans les deux cas, les revenus perçus en Allemagne par des investisseurs non-résidents ne seraient donc imposés qu’une seule fois, mais à des niveaux différents. Cette différence de traitement fiscal serait due au fait que, dans le cas des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents réunissant des investisseurs non-résidents, en raison du principe de la territorialité de la puissance publique, le législateur allemand ne peut garantir, par une retenue à la source, le droit de la République fédérale d’Allemagne, en tant qu’État membre sur le territoire duquel sont situés les biens immobiliers en cause, d’imposer ces investisseurs non-résidents.

29 Ainsi, en l’occurrence, L Fund, en tant que fonds de placement immobilier spécialisé étranger, serait assujetti à l’impôt sur les sociétés au titre des revenus qu’il tire des biens immobiliers situés en Allemagne, tandis que ses deux investisseurs institutionnels non-résidents ne seraient pas imposables dans cet État membre.

30 En revanche, un fonds de placement immobilier spécialisé de droit national comparable réunissant deux investisseurs institutionnels non-résidents ne serait pas assujetti à l’impôt sur les sociétés en Allemagne au titre de ces revenus en raison de l’attribution de ceux-ci à ces investisseurs.

31 Au vu de ce qui précède, la juridiction de renvoi se demande, en premier lieu, si l’exonération prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 constitue une restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE. D’une part, cette juridiction doute que cette exonération puisse dissuader des investisseurs non-résidents d’investir dans des biens immobiliers situés sur le territoire allemand, dès lors que les revenus immobiliers perçus de tels biens seraient imposés une seule fois tant en ce qui concerne les fonds de placement immobilier spécialisés résidents que non-résidents, mais cette imposition interviendrait à des niveaux différents.

32 D’autre part, il ne serait pas non plus certain que ladite exonération ait pour effet de dissuader les investisseurs nationaux d’acquérir des parts dans les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents. La double imposition résultant de l’imposition partielle de ces fonds au titre de l’impôt sur les sociétés et de l’assujettissement de ces investisseurs à l’impôt sur les revenus des capitaux au titre des dividendes distribués par lesdits fonds, serait en grande partie supprimée en application de la déduction prévue à l’article 4, paragraphe 2, septième phrase, de l’InvStG 2004. En outre, dès lors qu’un fonds spécialisé servirait d’instrument d’investissement à un cercle très restreint d’investisseurs institutionnels, aux fins de l’investissement dans un objet spécifique, la présence d’investisseurs institutionnels nationaux potentiels pourrait apparaître comme une possibilité purement théorique.

33 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi se demande si les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents et les fonds de placement immobilier spécialisés de droit national se trouvent dans une situation comparable. Selon cette juridiction, les fonds de placement immobilier spécialisés de droit national réunissant des investisseurs institutionnels non-résidents ne seraient pas imposés au titre de l’impôt sur les sociétés en raison de l’attribution directe des revenus immobiliers aux investisseurs non-résidents, prévue à l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004, et l’assujettissement partiel exprès de ces revenus à l’impôt sur les sociétés, ce qui démontrerait que le législateur national a retenu la situation fiscale des investisseurs comme critère de distinction pour déterminer le traitement fiscal applicable et que l’imposition des revenus immobiliers serait déterminée non pas au niveau du fonds, mais en fonction du lieu de résidence des investisseurs.

34 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande si l’exonération des seuls fonds résidents prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

35 D’une part, selon cette juridiction, la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres pourrait être invoquée afin de justifier l’exclusion des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents de cette exonération, puisque l’imposition au niveau de ces fonds des revenus immobiliers tirés de biens immobiliers situés sur le territoire d’un État membre permettrait de garantir le droit d’imposition de cet État membre sur ces biens, ce droit ne pouvant être garanti au niveau de l’imposition de ses investisseurs non-résidents.

36 D’autre part, selon ladite juridiction, l’exclusion de L Fund du bénéfice de ladite exonération pourrait être justifiée par la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal, la même exonération des fonds de placement immobilier spécialisés de droit national étant compensée par l’imposition directe des investisseurs institutionnels non-résidents de ces fonds, conformément à l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004.

37 En quatrième et dernier lieu, la juridiction de renvoi se demande si le refus d’accorder le bénéfice d’une exonération aux fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire afin de garantir la cohérence du régime fiscal allemand en matière d’investissements.

38 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 56 CE (devenu article 63 TFUE) s’oppose-t-il à une législation d’un État membre aux termes de laquelle les fonds de placement immobilier spécialisés de droit national réunissant exclusivement des investisseurs étrangers sont exonérés de l’impôt sur les sociétés, tandis que les fonds de placement immobilier spécialisés étrangers réunissant exclusivement des investisseurs étrangers sont partiellement assujettis à l’impôt sur les sociétés au titre des revenus locatifs qu’ils perçoivent sur le territoire national ? »

39 À la suite de la signification à cette juridiction de l’arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN (C 545/19, EU:C:2022:193), ladite juridiction a informé la Cour, par une lettre du 25 avril 2022, qu’elle souhaitait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

Sur la question préjudicielle

40 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui assujettit partiellement les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents à l’impôt sur les sociétés, au titre des revenus immobiliers qu’ils perçoivent sur le territoire de cet État membre, tandis que les fonds de placement immobilier spécialisés résidents sont exonérés de cet impôt.

41 Selon la jurisprudence de la Cour, les États membres doivent exercer leur compétence en matière de fiscalité directe dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE [arrêt du 29 avril 2021, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Revenus versés par des OPCVM), C 480/19, EU:C:2021:334, point 25].

42 L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de manière générale les entraves aux mouvements de capitaux entre les États membres. Les mesures interdites par cette disposition, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non–résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents de cet État membre d’en faire dans d’autres États [arrêt du 29 avril 2021, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Revenus versés par des OPCVM), C 480/19, EU:C:2021:334, point 26].

43 Cela étant, en vertu de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.

44 Cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité FUE. En effet, la dérogation prévue à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE est elle-même limitée par l’article 65, paragraphe 3, TFUE, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 [TFUE] » (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 41 et jurisprudence citée).

45 La Cour a également jugé qu’il y a lieu, dès lors, de distinguer les différences de traitement permises au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations interdites par l’article 65, paragraphe 3, TFUE. Or, pour qu’une législation fiscale nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement qui en résulte concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 42 et jurisprudence citée).

46 Il convient donc d’examiner, tout d’abord, l’existence d’une différence de traitement, ensuite, la comparabilité éventuelle des situations et, le cas échéant, enfin, la possibilité de justifier le traitement différencié.

Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

47 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de la législation allemande en cause au principal, les fonds de placement immobilier spécialisés résidents sont exonérés de l’impôt sur les sociétés, tandis que les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents ne bénéficient pas d’une telle exonération.

48 Ainsi, les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents et ceux résidents sont soumis, en ce qui concerne les règles d’imposition qui leur sont applicables, à un traitement différent, qui est défavorable aux fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents.

49 Une telle différence de traitement fiscal est susceptible de dissuader, d’une part, les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents de procéder à des investissements dans des biens immobiliers situés en Allemagne et, d’autre part, les investisseurs résidant en Allemagne de faire appel à des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents pour de tels investissements (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2012, Santander Asset Management SGIIC e.a., C 338/11 à C 347/11, EU:C:2012:286, point 17, ainsi que du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a., C 480/16, EU:C:2018:480, point 44).

50 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par une prise en compte de l’imposition applicable aux dividendes distribués aux investisseurs des fonds de placement immobilier spécialisés résidents, dans la mesure où la législation allemande en cause au principal ne subordonne pas l’exonération de ces fonds à la condition que l’intégralité des revenus immobiliers soit imposée au niveau de leurs investisseurs.

51 En effet, dans le cas des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents ayant des investisseurs résidant en Allemagne, il ressort de cette décision que, outre l’imposition partielle de ces fonds au titre de l’impôt sur les sociétés, ces investisseurs, qui sont totalement assujettis à l’impôt sur les sociétés, sont également assujettis à l’impôt sur les revenus des capitaux au titre des dividendes distribués par lesdits fonds.

52 Certes, la déduction prévue à l’article 4, paragraphe 2, septième phrase, de l’InvStG 2004 viserait à supprimer cette double imposition. Cependant, il ressort du dossier que, dans les faits, l’élimination complète de ladite double imposition dépend de la situation fiscale particulière de chaque porteur de parts et est donc incertaine. Le gouvernement allemand a d’ailleurs affirmé, lors de l’audience, que, selon leur situation fiscale, les investisseurs résidents des fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents pouvaient être désavantagés par rapport aux investisseurs résidents des fonds de placement immobilier spécialisés résidents.

53 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’une législation, telle que la législation allemande en cause au principal, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE.

Sur la comparabilité des situations

54 Il découle de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que le caractère comparable ou non d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examiné en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause ainsi que de l’objet et du contenu de ces dernières, et, d’autre part, que seuls les critères de distinction pertinents établis par la législation en cause doivent être pris en compte aux fins d’apprécier si la différence de traitement résultant d’une telle législation reflète une différence de situation objective [arrêt du 29 avril 2021, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Revenus versés par des OPCVM), C 480/19, EU:C:2021:334, point 49 et jurisprudence citée].

55 S’agissant des objectifs poursuivis par les dispositions de droit allemand en cause au principal, il ressort de la décision de renvoi que les revenus immobiliers des fonds de placement immobilier spécialisés résidents réunissant des investisseurs institutionnels non-résidents sont imposés au titre de l’impôt sur les sociétés non pas au niveau du fonds, mais à celui des investisseurs, afin de mettre en œuvre le principe de transparence, en vertu duquel les revenus ne sont imposés qu’une seule fois, ainsi que d’assurer une égalité de traitement entre les investissements directs et les investissements effectués par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement. En imposant les revenus immobiliers des fonds résidents uniquement au niveau des investisseurs, ces dispositions viseraient à éviter un cumul de prélèvements fiscaux au niveau du fonds et à celui des investisseurs.

56 Il ressort également du dossier dont dispose la Cour que les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents réunissant des investisseurs non-résidents sont imposés au niveau du fonds et non des investisseurs, au motif que, en raison du principe de la territorialité de la puissance publique, le législateur allemand ne peut garantir, par une retenue à la source, le droit de la République fédérale d’Allemagne, en tant qu’État membre sur le territoire duquel sont situés les biens immobiliers en cause, d’imposer ces investisseurs non-résidents.

57 À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour que le seul critère de distinction établi par l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 est fondé sur le lieu de résidence des fonds, dès lors que seuls les fonds régis par le droit national bénéficient de l’exonération de l’impôt sur les sociétés prévue à cette disposition, les fonds de placement régis par le droit d’un autre État étant exclus du bénéfice de cette exonération. De même, l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 ne s’applique qu’aux fonds de placement immobilier spécialisés résidents.

58 Or, il convient de relever, premièrement, qu’un fonds de placement immobilier spécialisé non-résident peut également avoir des investisseurs résidant en Allemagne, sur les revenus desquels la République fédérale d’Allemagne peut exercer son pouvoir d’imposition. De ce point de vue, un fonds de placement immobilier spécialisé non–résident se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d’un fonds de placement immobilier spécialisé résident (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 69 et jurisprudence citée).

59 Deuxièmement, les fonds résidents et non-résidents se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par le principe de transparence, à savoir assurer une égalité de traitement entre les investissements directs et les investissements effectués par l’intermédiaire d’un fonds d’investissement. En effet, les revenus immobiliers des fonds résidents ne sont imposés qu’au niveau de leurs investisseurs aux fins d’atteindre cet objectif.

60 Troisièmement, l’objectif visant à déplacer le niveau de l’imposition du fonds vers l’investisseur peut également être atteint s’agissant des fonds non-résidents, en subordonnant l’exonération de l’impôt sur les sociétés, prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004, à l’imposition des investisseurs de ces fonds. Si, certes, la République fédérale d’Allemagne ne peut pas imposer les investisseurs non–résidents, une telle impossibilité est cohérente avec la logique de déplacement du niveau d’imposition du fonds vers l’investisseur.

61 Dans ces conditions, il apparaît que le fait de réserver aux seuls fonds de placement immobilier spécialisés résidents la possibilité d’obtenir une exonération de la retenue à la source n’est pas justifié par une différence de situation objective entre ces fonds et ceux résidant dans un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne (voir, par analogie, arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 70 et jurisprudence citée).

62 Partant, au regard des objectifs de la législation allemande en cause au principal et du critère de distinction établi par cette législation, les fonds résidents et les fonds non-résidents se trouvent dans une situation comparable.

63 Par ailleurs, certes, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 juin 2016, Pensioenfonds Metaal en Techniek (C 252/14, EU:C:2016:402), invoqué par le gouvernement allemand, la Cour a jugé que le traitement différencié de l’imposition des dividendes versés à des fonds de pension selon la qualité de résident ou de non-résident de ces derniers, résultant de l’application, à ces fonds respectifs, de deux méthodes d’imposition différentes, était justifié par la différence de situation entre ces deux catégories de contribuables au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause dans cette affaire, ainsi que de son objet et de son contenu (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 51).

64 Cependant, dans ladite affaire, les fonds résidents et non-résidents, qui étaient des fonds de pension, étaient eux-mêmes imposés, mais de façon différente, compte tenu de l’objectif de la législation nationale en cause, qui était, dans le cadre du régime des pensions de retraite, d’introduire une imposition neutre et indépendante de la conjoncture de différents types d’actifs ainsi que de toutes les formes d’épargne retraite concernés, l’État concerné ne pouvant pas garantir cet objectif en imposant de la même façon les fonds résidents et les fonds non-résidents.

65 Or, en l’occurrence, les fonds résidents sont exonérés de l’impôt sur les sociétés et ne sont pas soumis à un autre type d’impôt.

 Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général

66 Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une restriction à la libre circulation des capitaux peut être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 75 et jurisprudence citée).

67 En l’occurrence, le gouvernement allemand fait valoir, dans ses observations écrites, que, à supposer que la législation allemande en cause au principal constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, celle-ci serait justifiée au regard de deux raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir, d’une part, la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national et, d’autre part, celle de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres.

Sur la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national

68 Il y a lieu de rappeler que, si la Cour a jugé que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal national peut justifier une réglementation nationale de nature à restreindre les libertés fondamentales, elle a toutefois précisé que, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la législation en cause [arrêts du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, points 65 et 66, ainsi que du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, points 91 et 92 ainsi que jurisprudence citée].

69 La juridiction de renvoi et le gouvernement allemand considèrent qu’un tel lien existe, dès lors que l’avantage fiscal que constitue l’exonération des fonds résidents est compensé par l’imposition directe des investisseurs institutionnels non-résidents de ces fonds, puisque l’article 15, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 prévoit l’attribution directe des revenus immobiliers aux investisseurs non- résidents. Afin d’assurer l’imposition de ces derniers, lesdits fonds auraient l’obligation de procéder à une retenue à la source en vertu de l’article 15, paragraphe 2, quatrième phrase, de l’InvStG 2004. En outre, si l’exonération prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 devait être prise en compte, cette exonération serait compensée par l’imposition des investisseurs, prévue à l’article 2, paragraphe 1, de l’InvStG 2004, ceux-ci étant soumis à une retenue à la source, au sens de l’article 7 de l’InvStG 2004.

70 À cet égard, il y a lieu de relever que, si l’exonération prévue à l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, de l’InvStG 2004 n’est pas explicitement soumise, en vertu de cette disposition, à la condition que l’imposition des investisseurs du fonds permette de compenser cette exonération, un tel lien direct pourrait néanmoins découler du régime fiscal en cause.

71 Il appartient à la juridiction de renvoi, seule compétente pour interpréter le droit national, de déterminer si l’attribution directe des revenus immobiliers aux investisseurs non-résidents et l’imposition des investisseurs résidents des fonds résidents compense l’exonération accordée à ces fonds. Il lui appartient, en particulier, de vérifier si de tels investisseurs sont systématiquement imposés et ne peuvent bénéficier de l’exonération dudit impôt.

72 À supposer même qu’un tel lien direct puisse découler du régime fiscal en cause, il conviendrait encore de vérifier si le fait de réserver aux seuls fonds de placement immobilier spécialisés résidents la possibilité de bénéficier de l’exonération des revenus immobiliers de l’impôt sur les sociétés, la législation en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire afin de garantir la cohérence de ce régime fiscal (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a., C 480/16, EU:C:2018:480, point 83).

73 À cet égard, il importe de relever, d’une part, que, dans le cas des investisseurs résidents d’un fonds de placement immobilier spécialisé non-résident, l’imposition de ce fonds conduit à une double imposition économique de ces revenus, ceux-ci étant imposés, premièrement, auprès dudit fonds et, deuxièmement, auprès de l’investisseur résident. Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 51 et 52 du présent arrêt, l’élimination de cette double imposition ne peut pas être toujours obtenue, ce qui va précisément à l’encontre de l’objectif visé par la législation nationale en cause au principal (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a., C 480/16, EU:C:2018:480, point 85).

74 D’autre part, la cohérence interne du régime fiscal en cause au principal pourrait être maintenue si les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents pouvaient bénéficier de l’exonération de l’impôt sur les sociétés, sous réserve que les autorités fiscales allemandes s’assurent, avec la pleine collaboration de ces fonds, que les investisseurs dans lesdits fonds acquittent un impôt équivalent à celui auquel sont soumis les investisseurs dans un fonds de placement immobilier spécialisé résident. Permettre à de tels fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents de bénéficier de cette exonération, dans ces conditions, constituerait une mesure moins restrictive que le régime actuel (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a., C 480/16, EU:C:2018:480, point 84).

75 La nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national ne saurait, dès lors, justifier la restriction à la libre circulation des capitaux induite par la législation allemande en cause au principal.

Sur la nécessité de préserver une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres

76 Il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, la justification tirée de la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres peut être admise lorsque le régime en cause vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d’un État membre d’exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 82 et jurisprudence citée).

77 Toutefois, dès lors qu’un État membre a choisi, comme dans la situation en cause au principal, de ne pas imposer les fonds résidents sur leurs revenus d’origine nationale, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des fonds non-résidents qui perçoivent de tels revenus (voir, par analogie, arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 83 et jurisprudence citée).

78 Il s’ensuit que la justification fondée sur la préservation d’une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres ne saurait, non plus, être retenue.

79 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui assujettit partiellement les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents à l’impôt sur les sociétés, au titre des revenus immobiliers qu’ils perçoivent sur le territoire de cet État membre, tandis que les fonds de placement immobilier spécialisés résidents sont exonérés de cet impôt.

Sur les dépens

80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre qui assujettit partiellement les fonds de placement immobilier spécialisés non-résidents à l’impôt sur les sociétés, au titre des revenus immobiliers qu’ils perçoivent sur le territoire de cet État membre, tandis que les fonds de placement immobilier spécialisés résidents sont exonérés de cet impôt.