CA Versailles, 19e ch., 19 avril 2023, n° 21/03748
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Aceb Electronique (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Montagne
Conseillers :
M. Bouchard, Mme Toutenu
Avocats :
Me Metin, Me Roche
EXPOSE DU LITIGE
M. [G] [K] a été embauché, à compter du 12 avril 1995, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'ingénieur par la SARL ACEB Electronique, employant habituellement moins de onze salariés et ayant pour activité l'étude et la fabrication de matériels électroniques.
M. [K] a été, par ailleurs, détenteur de 30 % des parts de cette société.
Par lettre du 13 juillet 2018, la société ACEB Electronique a convoqué M. [K] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Par lettre du 8 août 2018, la société ACEB Electronique a notifié à M. [K] son licenciement pour faute grave, tirée d'un manquement à l'obligation de loyauté.
Le 20 septembre 2018, M. [K] a créé la SASU Aventys Electronics, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 2 octobre suivant.
Le 6 août 2019, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye pour contester le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société ACEB Electronique à lui payer notamment des indemnités de rupture et diverses autres sommes.
La société ACEB Electronique a demandé reconventionnellement la condamnation de M. [K] à lui payer des dommages-intérêts pour concurrence déloyale et détournement de clientèle.
Par jugement du 22 novembre 2021, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :
- débouté M. [K] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société ACEB Electronique de l'ensemble de ses demandes ;
- mis les dépens à la charge de M. [K].
Le 21 décembre 2021, M. [K] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 27 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [K] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué sur le débouté de ses demandes et les dépens et, statuant à nouveau, de :
- dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société ACEB Electronique à lui payer les sommes suivantes :
135 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou subsidiairement 96 541 euros ;
17 036 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 703 euros au titre des congés payés afférents ;
39 752 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
5 289,68 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et 529 euros au titre des congés payés afférents ;
3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat ;
5 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les sommes allouées porteront intérêts légaux à compter de la mise en demeure de la société ACEB Electronique du 14 janvier 2019 ;
- ordonner à la société ACEB Electronique de lui remettre une attestation pour Pôle emploi et un bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les trente jours suivant la notification ;
- déclarer la société ACEB Electronique irrecevable en ses demandes de production de pièces et de désignation d'un expert judiciaire ;
- débouter la société ACEB Electronique de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société ACEB Electronique aux dépens.
Aux termes de ses conclusions du 23 février 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société ACEB Electronique demande à la cour de :
1°) à titre principal :
- confirmer le jugement attaqué sur le débouté des demandes de M. [K] ;
- écarter des débats les pièces n° 23 à 27 produites par M. [K] ;
- condamner M. [K] à lui payer une somme de 250 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale et parasitaire ;
2°) subsidiairement :
- juger qu'il y a lieu de désigner tel expert en vue de chiffrer les activités exercées par M. [K] respectivement dans ses trois structures Ambre Électronique, [K] et Aventys Électronics depuis le 1er janvier 2018 à défaut de communication des devis, factures, grands livres,
- condamner M. [K] à produire, sous astreinte de 300 euros par jour et par exercice, au visa de l'article 11 du code de procédure civile, tous les états comptables des structures Ambre Electronique et [K] pour l'année 2018, ainsi que de la société Aventys Electronics, situation au 30 septembre 2019, 2020 et 2021 ;
- condamner M. [K] à lui payer une somme de 4 000 euros pour le préjudice subi du fait du refus systématique de communiquer les états comptables des structures Ambre Électronique, [K] et Aventys Électronics ;
- condamner M. [K] à lui payer une somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 février 2023.
SUR CE :
Considérant au préalable que la cour rappelle qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile : 'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé./ Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte./ La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion./ Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées (...)' ;
Sur la demande tendant à écarter des pièces des débats :
Considérant que l'examen des pièces n° 23 à 27 produites par M. [K] n'est pas nécessaire à la solution du litige ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de la société ACEB Electronique tendant à écarter ces pièces des débats ;
Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :
Considérant que la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à M. [K], longue de quatre pages, lui reproche en substance les faits suivants, qualifiés d'agissements déloyaux :
1°) depuis le début de mars 2018, le fait de s'isoler quasi systématiquement lors de ses communications téléphoniques avec certains clients ou fournisseurs au fond des locaux pour ne pas être entendu par ses collègues ;
2°) de s'être servi de ses rendez-vous avec des clients, pour se rapprocher d'eux à des fins strictement personnelles et au détriment de l'employeur et leur indiquer qu'il allait quitter la société ACEB Electronique et à terme reprendre partie ou totalité de leurs commandes pour le compte d'une autre structure ;
3°) des activités de concurrence déloyale envers la société ACEB Electronique au mois de mai et juin 2018 en utilisant le matériel de la société pour détourner à son profit les clients PMI ou Konecranes ;
4°) le fait que son adresse personnelle de courrier électronique a été mentionnée en copie dans un échange entre la société PMI et la société OEM industries relatif à l'établissement d'un devis;
5°) des tentatives de détournement à son profit des clients Gunnebo, General Electric, PMI et Konecranes ;
6°) avoir prétendu au cours du mois précédant la rupture que son départ de la société ACEB Electronique était imminent y compris auprès de la clientèle ;
7°) de s'être plaint de la disparition d'une clé USB lui appartenant et d'avoir accusé un des salariés de l'avoir subtilisée ;
8°) d'avoir téléchargé sur cette clé des fichiers de la société ACEB Electronique ;
9°) des propos diffamatoires, agressifs et injurieux envers d'autres salariés et associés de la société ACEB Electronique traduisant sa volonté de nuire et détériorant l'environnement social de la société et sa sérénité ;
10°) des propos inappropriés et totalement déplacés à l'égard de collègues ;
Considérant que M. [K] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que les faits reprochés sont imprécis ou non établis ; qu'il réclame en conséquence l'allocation d'indemnités de rupture ;
Que la société ACEB Electronique soutient que les faits reprochés sont établis et que la faute grave est ainsi constituée ; qu'elle conclut au débouté des demandes ;
Considérant que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; que la charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur qui l'invoque ;
Que s'agissant des griefs mentionnés au 1°) et 6°) ci-dessus, la cour ne peut que constater qu'aucun fait précis et pouvant recevoir une qualification disciplinaire n'est formulé dans la lettre;
Que s'agissant des griefs mentionnés au 2°) et 3°), la société ACEB Electronique se borne à invoquer un document intitulé 'partenariat SDEL CC / Ambre Électronique' dépourvu de date et de signature, dont l'origine est inconnue ; que la réalité de ces faits n'est pas établie ;
Que s'agissant du grief mentionné au 4°), la société ACEB Electronique produit un courriel du 20 juin 2018 entre les sociétés PMI et OEM relatif à l'établissement d'un devis, dont M. [K] est destinataire en copie sur son adresse électronique personnelle ; que cet élément est insuffisant à établir un manquement de la part de M. [K] ;
Que s'agissant du grief mentionné au 8°), aucune pièce ne vient étayer ce grief, étant précisé de surcroît qu'aucune règle en matière d'utilisation du matériel informatique par les salariés n'est invoquée par l'employeur ;
Que s'agissant des griefs mentionnés au 7°, 9°) et 10°), la société ACEB Electronique se borne à verser des attestations dactylographiées et stéréotypées de salariés ; que ces éléments ne sont donc pas suffisamment probants ;
Que s'agissant en revanche du grief mentionné au 5°), tiré d'une tentative de détournement de clientèle, lequel est donc suffisamment précis, est versée aux débats une lettre signée par M. [K] en date du 18 avril 2018, à en tête de 'Ambre Électronique', adressée à la société Gunnebo France, cliente de la société Aceb Électronique, qui constitue un devis pour la fourniture de 'kits de gâche électrique pour ouvrants' (pièce n° 17) ; que cette pièce démontre donc que M. [K] a proposé, durant l'exécution de son contrat de travail, pour son propre compte la fourniture de produits similaires à ceux fabriqués par la société ACEB Electronique à un client de cette dernière, peu important qu'aucune société Ambre Électronique n'ait jamais été constituée ; qu'il s'agit là d'un acte de concurrence au préjudice de l'employeur ; qu'une tentative de détournement de ce client est donc établie à ce titre ; qu'en revanche, s'agissant d'autres clients, la société ACEB Électronique se borne à invoquer des pièces faisant état de commandes passées en 2022 par la société PMI à la société Aventys Electronics, détenue par M. [K], soit postérieurement au licenciement et qui n'ont donc pas trait à un manquement du salarié à son obligation de loyauté pendant l'exécution du contrat de travail ;
Qu'il résulte de ce qui précède qu'une tentative de détournement d'un client de la société ACEB par M. [K] est établie ;
Qu'il s'agit là d'un manquement de M. [K] à son obligation de loyauté envers son employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ;
Que la faute grave reprochée à M. [K] est donc établie ;
Qu'il y a donc lieu de le débouter de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents ;
Que le jugement sera confirmé sur ces chefs ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
Considérant que M. [K] soutient à ce titre qu'un logiciel d'espionnage a été installé sur son ordinateur le 9 mai 2018 par son employeur ;
Mais considérant qu'en tout état de cause, M. [K] n'établit ni même n'allègue l'existence d'un préjudice à ce titre ; qu'il y a lieu de confirmer le débouté de cette demande ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat:
Considérant qu'en tout état de cause, M. [K] ne justifie d'aucun préjudice à ce titre ; qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire formée par la société ACEB Electronique :
Considérant en l'espèce que la société ACEB Electronique soutient que M. [K] a cherché à lui nuire en détournant sa clientèle à son profit et réclame des dommages-intérêts à ce titre ;
Que toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, seule une tentative de détournement d'un client de la société ACEB Electronique, à savoir la société Gunnebo, est établie ; que la société intimée ne produit aucun élément venant établir l'existence d'un préjudice à ce titre ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande indemnitaire ;
Sur les demandes subsidiaires d'expertise et de production forcée de pièces formées par la société ACEB Electronique :
Considérant que ces demandes avant-dire droit au fond ne sont pas nécessaires à la solution du litige ; qu'il y a donc lieu de les rejeter ;
Sur la demande subsidiaire de dommages-intérêts formée par la société ACEB Electronique 'du fait du refus systématique de communiquer des états comptables' :
Considérant qu'en tout état de cause, la société ACEB Electronique ne justifie d'aucun préjudice à ce titre ; qu'il y a donc lieu de débouter la société de cette demande nouvelle en appel ;
Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le débouté de ces demandes ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; qu'en outre, M. [K], qui succombe en son appel, sera condamné à payer à la société ACEB Electronique une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu'aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Rejette la demande de la société ACEB Electronique tendant à écarter des pièces des débats,
Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société ACEB Electronique de ses demandes subsidiaires d'expertise, de production forcée de pièces et de dommages-intérêts,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne M. [G] [K] à payer à la société ACEB Electronique une somme de 1 500 euros titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,
Condamne M. [G] [K] aux dépens d'appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.