Cass. com., 23 janvier 2019, n° 16-28.322
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société Muller et Cie (la société Muller) est titulaire du brevet européen EP 1 067 822, déposé le 7 juillet 2000 et délivré le 16 novembre 2005, intitulé « Procédé de fabrication d'éléments chauffants pour appareil de chauffage et cuisson, élément chauffant ainsi obtenu et appareils ainsi équipés », sous priorité d'une demande de brevet français du 9 juillet 1999, publiée le 10 janvier 2001 ; que reprochant aux sociétés Texas de France et Carrera d'importer, détenir et offrir à la vente, en France, des appareils de chauffage sous la marque « Maestro » présentant des similitudes avec des appareils couverts par ce brevet, la société Muller a assigné ces deux sociétés en contrefaçon de ce dernier ; qu'elle a étendu la procédure aux appareils de chauffage commercialisés par ces deux sociétés sous l'appellation « Kuga » ; qu'en cours de procédure, la société Muller a obtenu, le 16 mai 2012, une décision du directeur général de l'INPI acceptant une limitation de son brevet ; que les sociétés Texas de France et Carrera ont reconventionnellement demandé l'annulation, notamment pour insuffisance de description, de la partie française des revendications 1, 3, 4, 5, 8, 9, 10 et 13 du brevet EP 1 067 822, tel que limité, invoquées contre elles ; qu'après avoir, par le premier arrêt attaqué, rejeté les demandes d'annulation du brevet, retenu que les actes de contrefaçon invoqués contre les sociétés Texas de France et Carrera étaient caractérisés, ordonné des mesures de communication de pièces et d'interdiction sous astreinte et rejeté la demande de publication, la cour d'appel, par le second arrêt attaqué, a rejeté les demandes en réparation des préjudices économique et moral, formées par la société Muller ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal n° R 16-28.322 :
Attendu que les sociétés Carrera et Texas de France font grief à l'arrêt du 6 septembre 2016 de rejeter leurs demandes d'annulation du brevet EP 1 067 822 alors, selon le moyen :
1°/ qu'un brevet européen est déclaré nul s'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; qu'une invention ne peut être considérée comme suffisamment décrite que si l'homme du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, de l'exécuter sans effort excessif ; qu'en l'espèce, pour retenir que l'invention serait suffisamment décrite, la cour d'appel a affirmé que l'homme du métier sait qu'il lui suffira, après avoir procédé à une sélection de matériaux ayant des températures de fusion sensiblement équivalentes, de choisir une température de coulée de l'alliage ferreux égale ou légèrement supérieure à la température de fusion de l'enveloppe de la résistance, de manière à permettre à celle-ci de fusionner et de déterminer l'épaisseur suffisante de la gaine « par simples essais de mise au point, sans qu'il lui soit nécessaire de disposer d'un protocole opératoire particulier » ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant elle-même que la mise en oeuvre de la technique de moulage par insertion était délicate et imposait que la conduite de la coulée soit menée de façon à ne pas créer de zones de surchauffe de gaine, la cour d'appel n'a pas justifié en quoi l'homme du métier, qui n'est pas un spécialiste de la fonderie et n'a que de simples « connaissances de base en science des métaux et en technique de moulage par insertion », serait en mesure d'exécuter l'invention et notamment d'obtenir une fusion superficielle de l'enveloppe sans détérioration de celle-ci, sans effort excessif, nonobstant l'absence de toute indication, dans le brevet, sur la température maximale à laquelle doit être coulé l'alliage ferreux, sur l'épaisseur et l'inertie suffisantes pour permettre une fusion superficielle de l'enveloppe sans la détériorer et sur le délai pendant lequel le matériau fondu doit chauffer la résistance ; que la cour d'appel a, en conséquence, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138, paragraphe 1, sous b), de la Convention de Munich ;
2°/ que dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Carrera et Texas de France faisaient notamment valoir que faute d'indiquer le délai pendant lequel le matériau fondu devait chauffer l'enveloppe de la résistance pour provoquer sa fusion superficielle sans pour autant la détériorer, le brevet était insuffisamment décrit pour permettre à l'homme du métier de l'exécuter ; qu'en se contentant de relever que l'homme du métier sait qu'il lui suffira, après avoir procédé à une sélection de matériaux ayant des températures de fusion sensiblement équivalentes, de choisir une température de coulée de l'alliage ferreux égale ou légèrement supérieure à la température de fusion de l'enveloppe de la résistance, de manière à permettre à celle-ci de fusionner et de déterminer l'épaisseur suffisante de la gaine par simples essais de mise au point, sans qu'il lui soit nécessaire de disposer d'un protocole opératoire particulier, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'homme du métier était en mesure de maîtriser, sans efforts excessifs, la durée pendant laquelle l'alliage ferreux doit chauffer l'enveloppe de la résistance sans détériorer celle-ci, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que le brevet doit exposer l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; que la description du brevet doit, en conséquence, comporter l'ensemble des éléments nécessaires pour permettre à l'homme du métier de réaliser l'invention, sans qu'il importe de savoir si ces éléments constituent ou non, en eux-mêmes, « l'objet spécifique » de l'invention ; qu'en relevant qu'il ne serait pas nécessaire que le brevet décrive, de façon détaillée, les techniques de moulage et de coulée, au motif qu'elles ne constitueraient pas « l'objet spécifique du Brevet », la cour d'appel a violé les articles L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle et 138, paragraphe 1, sous b), de la Convention de Munich ;
4°/ qu'une invention ne peut être considérée comme suffisamment décrite que si l'homme du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, de l'exécuter sans effort excessif ; qu'en affirmant que « les techniques de moulage et de coulée en tant que telles ne constituent pas l'objet spécifique du Brevet, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de les décrire de façon détaillée et qu'au demeurant, la description propose une technique de coulée en source, tout en indiquant que d'autres techniques peuvent être utilisées », la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier en quoi l'homme du métier, défini par l'arrêt comme un ingénieur spécialiste des éléments chauffants pour appareils de chauffage domestiques, ayant des connaissances de base en science des matériaux et en technique de moulage par insertion, aurait été en mesure d'exécuter l'invention sans effort excessif et a violé les articles 138, paragraphe 1, sous b), de la Convention de Munich et L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'une invention est suffisamment décrite lorsque l'homme du métier est en mesure, à la lecture de la description et grâce à ses connaissances professionnelles normales, théoriques et pratiques, d'exécuter l'invention ; que le fait que certains éléments indispensables au fonctionnement de l'invention ne figurent ni explicitement dans le texte des revendications ou de la description, ni dans les dessins représentant l'invention revendiquée n'implique pas nécessairement que l'invention n'est pas exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; qu'après avoir défini l'homme du métier comme étant un ingénieur spécialiste des éléments chauffants pour appareils de chauffage domestiques, ayant des connaissances de base en science des matériaux et en technique de moulage par insertion, l'arrêt retient, d'abord, qu'il a une connaissance, au moins sommaire, du diagramme fer-carbone, lequel indique avec précision la température de fusion des fontes et des aciers en fonction de leur teneur en carbone, a été mis en évidence dès 1900 et figure dans les ouvrages destinés aux lycéens préparant le baccalauréat général « sciences et technologies industrielles », de sorte qu'il lui est aisé, au moins lorsque la gaine est métallique, de procéder à la sélection des deux matériaux ayant une « température de fusion sensiblement équivalente », l'un, pour l'alliage ferreux à couler, une fonte grise, par exemple, selon la description, et l'autre, pour l'enveloppe de la résistance ; qu'il retient, ensuite, qu'il suffit à l'homme du métier, après avoir procédé à ladite sélection, de choisir une température de coulée de l'alliage ferreux égale ou légèrement supérieure à la température de fusion de l'enveloppe de la résistance, de manière à permettre à celle-ci de fusionner, et de déterminer l'épaisseur suffisante de la gaine, laquelle contribue à son inertie thermique, par simples essais de mise au point, sans qu'il lui soit nécessaire de disposer d'un protocole opératoire particulier ; qu'il retient, enfin, que, si la mise en oeuvre de la technique de moulage par insertion est délicate et impose, selon la description, que « la conduite de la coulée [soit] menée de façon à ne pas créer de zones de surchauffe de gaine », la description, tout en indiquant que d'autres techniques peuvent être utilisées, propose une technique de coulée en source ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche, visée à la deuxième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a souverainement apprécié la suffisance de la description, au regard des indications du brevet et des connaissances techniques de l'homme du métier ; que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen de ce pourvoi :
Attendu que les sociétés Carrera et Texas de France font grief à l'arrêt du 6 septembre 2016 de dire qu'en important en France, en détenant, en offrant à la vente et en vendant des appareils de chauffage « Maestro » et « Kuga » reproduisant les revendications 1, 3, 4, 5, 8, 9, 10 et 13 du brevet EP n° 1 067 822 appartenant à la société Muller, elles ont commis des actes de contrefaçon et, en conséquence, d'ordonner une mesure d'interdiction sous astreinte et de leur ordonner, sous astreinte, de communiquer divers documents alors, selon le moyen :
1°/ que l'étendue de la protection conférée par un brevet européen est déterminée par les revendications telles qu'interprétées à la lumière de la description et des dessins ; qu'en l'espèce, la revendication 1 du brevet EP 1 067 822 prévoit notamment qu'une « fusion superficielle » de l'enveloppe du moyen calorifique est provoquée au contact de ladite enveloppe et du matériau coulé ; que la description du brevet précise que cette fusion superficielle assure une « liaison intime entre les matériaux procurant une efficacité optimale des transferts thermiques » et que « tout écran tels qu'interstices ou lame d'air entre la résistance et son dissipateur formé par l'alliage noyant la résistance est supprimé » ; qu'il en résulte que la « fusion superficielle » visée à la revendication 1 du brevet EP 1 067 822 doit s'entendre d'une fusion totale et homogène entre l'enveloppe du moyen calorifique et le matériau coulé, impliquant la suppression de tout espace et de toute discontinuité entre ceux-ci ; qu'en retenant que la caractéristique relative à l'existence d'une « fusion superficielle » se retrouverait dans les dispositifs incriminés, sans constater l'existence d'une telle fusion totale et homogène, la cour d'appel, qui a, au contraire, constaté qu'il existait seulement des « plaques d'adhérence entre la fonte et la gaine » et a relevé l'existence de « discontinuités » entre celles-ci, a violé les articles 69 de la Convention de Munich sur le brevet européen et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;
2°/ que la revendication 4 du brevet EP 1 067 822 couvre un « élément chauffant obtenu conformément au procédé des revendications 1 à 3 caractérisé en ce qu'il est constitué d'un moyen calorifique (1) noyé dans une masse d'un alliage ferreux, le moyen calorifique comportant au moins une enveloppe dont la peau extérieure est fusionnée avec le matériau environnant ladite masse formant dissipateur thermique » ; que cette revendication de produit, qui renvoie au procédé de la revendication 1, prévoit, en outre, que « la peau extérieure est fusionnée avec le matériau environnant ladite masse formant dissipateur thermique » ; que la description du brevet précise que cette fusion superficielle assure une « liaison intime entre les matériaux procurant une efficacité optimale des transferts thermiques » et que « tout écran tels qu'interstices ou lame d'air entre la résistance et son dissipateur formé par l'alliage noyant la résistance est supprimé » ; que la fusion ainsi visée à la revendication 4 du brevet EP 1 067 822 doit s'entendre d'une fusion totale et homogène entre l'enveloppe du moyen calorifique et le matériau coulé, impliquant la suppression de tout espace et de toute discontinuité entre ceux-ci ; qu'en retenant que la caractéristique relative à l'existence d'une « fusion superficielle » se retrouverait dans les dispositifs incriminés, sans constater l'existence d'une telle fusion totale et homogène, la cour d'appel, qui, au contraire, constaté qu'il existait seulement des « plaques d'adhérence entre la fonte et la gaine » et a relevé l'existence de « discontinuités » entre celles-ci, a violé les articles 69 de la Convention de Munich sur le brevet européen et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;
3°/ que l'étendue de la protection conférée par un brevet européen est déterminée par les revendications ; que si les juges du fond peuvent s'aider de la description pour interpréter les revendications d'un brevet, ils ne sauraient, en revanche, se fonder sur la description pour donner aux termes des revendications un sens qu'elles n'ont pas ; qu'en l'espèce, pour retenir que des températures de fusion d'environ 1 200° et d'environ 1 500° seraient « sensiblement équivalentes », la cour d'appel a relevé que le caractère « sensiblement équivalent » des températures de fusion du matériau à couler et de l'enveloppe du moyen calorifique serait à comprendre « en référence au brevet IRCA cité au titre de l'art antérieur dans le brevet, qui enseigne le recours à l'aluminium, dont la température de fusion, d'environ 660°, est très éloignée de celle de l'acier constituant l'enveloppe de la résistance, d'environ 1 500° » ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait elle-même que les valeurs données dans le brevet antérieur IRCA ne correspondaient pas à des températures de fusion « sensiblement équivalentes » et que ces valeurs ne pouvaient donc servir à définir la notion de températures de fusion « sensiblement équivalentes », la cour d'appel, qui ne pouvait déduire le caractère « sensiblement équivalent » de températures de fusion s'élevant respectivement à environ 1 200° et à environ 1 500° du simple fait que l'écart de 300° existant entre ces deux températures était beaucoup moins important que celui de 840° relevé entre les températures de fusion mentionnées dans le brevet IRCA, a violé les articles 69 de la Convention de Munich sur le brevet européen et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;
4°/ que des chiffres « sensiblement équivalents » sont des chiffres dont la valeur est sensiblement la même ; qu'en retenant que, dans les appareils incriminés, la température de fusion de la fonte, d'environ 1 200°, serait « sensiblement équivalente », au sens du brevet EP 1 067 822, à celle de l'acier constituant la gaine de résistance, d'environ 1 500°, la cour d'appel a méconnu la portée de ce brevet, en violation de l'article 69 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
5°/ qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a, en outre, dénaturé le brevet EP 1 067 822, dans sa version telle que limitée, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
6°/ que pour déterminer si, dans les appareils incriminés, les températures de fusion de la fonte formant dissipateur et de l'acier constituant la gaine de résistance étaient « sensiblement équivalentes », il appartenait uniquement à la cour d'appel de comparer les valeurs de ces températures ; qu'en relevant que le couple de matériaux fonte / acier était cité à titre d'exemple dans le brevet Muller, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à justifier en quoi les températures de fusion en cause seraient « sensiblement équivalentes », en violation des articles 69 de la Convention de Munich sur le brevet européen et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;
7°/ que la cassation du chef de l'arrêt ayant retenu des actes de contrefaçon par reproduction des revendications 1 et 4 du brevet EP 1 067 822 entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a retenu des actes de contrefaçon des revendications dépendantes 3, 4, 5, 8, 9, 10 et 13, par application de l'article 625 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir considéré que la fusion superficielle de l'enveloppe assurait une liaison intime entre les matériaux thermiques, de sorte qu'elle ne devait pas supporter d'interstices ou lame d'air et qu'il devait y avoir une solidarisation entre l'enveloppe de la résistance et l'alliage ferreux afin d'obtenir une cohésion entre la résistance et son dissipateur, l'arrêt retient qu'il ressort du rapport d'expertise amiable que le corps de chauffe « Maestro » a été réalisé par voie de fonderie et que la résistance a été placée dans le moule préalablement à son remplissage par la fonte liquide, laquelle s'est ensuite solidifiée, provoquant, par sa chaleur lors de la coulée, la fusion de la gaine de la résistance ; qu'il retient, en outre, que, selon les constatations de ce rapport, la présence de discontinuités entre la fonte et la gaine est uniquement due à un défaut de fonderie, par manque de savoir-faire dans la réalisation du procédé breveté ; qu'il retient, enfin, qu'il ressort du second rapport d'expertise amiable que le corps de chauffe « Kuga » a été réalisé par fonderie, que la résistance a été placée dans le moule préalablement à son remplissage par la fonte liquide, laquelle s'est solidifiée, et que l'examen métallographique montre qu'il y a localement continuité entre la gaine de résistance et la fonte, celle-ci ayant, par la chaleur apportée lors de la coulée, provoqué la fusion de la gaine et de la résistance, qui a créé une liaison intime ; qu'ayant ainsi, par une appréciation souveraine, retenu que les corps de chauffe incriminés reproduisaient les éléments essentiels des revendications 1 et 4 du brevet et que le résultat imparfait obtenu pour l'appareil « Maestro » n'était que la conséquence d'un manque de savoir-faire du fabricant dans la réalisation du procédé breveté, la cour d'appel, abstraction faite du motif surabondant critiqué par les troisième à sixième branches, en a exactement déduit que la contrefaçon était caractérisée ;
Et attendu, en second lieu, que le rejet du moyen, pris en ses six premières branches, rend le grief de la septième branche sans portée ;
D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et cinquième branches, du pourvoi incident n° R 16-28.322 :
Attendu que la société Muller fait grief à l'arrêt du 6 septembre 2016 de rejeter sa demande tendant à la communication sous astreinte de tous les éléments relatifs à la commercialisation de l'appareil « Maestro » depuis le 1er janvier 2009 et de tous les éléments relatifs à la commercialisation de l'appareil « Kuga » depuis le 1er janvier 2012, et ce, jusqu'au jour de l'arrêt, et de rejeter la demande de publication judiciaire de la condamnation des sociétés Carrera et Texas de France alors, selon le moyen :
1°/ que la société Muller sollicitait des juges du second degré qu'ils étendent la période au titre de laquelle le tribunal avait ordonné la communication de tous éléments relatifs à la commercialisation de l'appareil « Maestro » et qu'ils la fixent du 1er janvier 2009 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ; que, pour rejeter partiellement cette demande s'agissant de l'appareil « Maestro », la cour d'appel a retenu qu'aucun élément ne venait démontrer en l'état la poursuite des ventes au cours des années 2014 et 2015, et qu'il n'y avait en conséquence pas lieu d'étendre l'obligation de communication à une période postérieure à celle pour laquelle elle avait déjà été ordonnée ; qu'en statuant ainsi, sans analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve produits par la société Muller, qui tendaient à montrer que les commercialisations illicites s'étaient à tout le moins poursuivies jusqu'au mois de juin 2014, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la société Muller sollicitait des juges du second degré qu'ils étendent la période au titre de laquelle le tribunal avait ordonné la communication de tous éléments relatifs à la commercialisation de l'appareil « Kuga » et qu'ils la fixent du 1er janvier 2012 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir ; que, pour rejeter cette demande s'agissant de l'appareil « Kuga », la cour d'appel a retenu qu'aucun élément ne venait démontrer en l'état la poursuite des ventes au cours des années 2014 et 2015, et qu'il n'y avait en conséquence pas lieu d'étendre l'obligation de communication à une période postérieure à celle pour laquelle elle avait déjà été ordonnée ; qu'en statuant ainsi, sans analyser, fût-ce sommairement, les éléments de preuve produits par la société Muller, qui tendaient à montrer que les commercialisations illicites s'étaient à tout le moins poursuivies jusqu'au mois de juin 2014, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la société Muller sollicitait des juges du second degré qu'ils ordonnent la publication de la condamnation des sociétés Texas de France et Carrera à leurs frais, dans cinq revues ou publications de son choix, ainsi que sur les pages d'accueil de leurs sites internet ; que, pour débouter la société Muller de cette demande, la cour s'est bornée à dire que le tribunal avait statué par des motifs exacts et pertinents de ce chef ; qu'en statuant ainsi, cependant que la décision des premiers juges n'était assortie d'aucun motif justifiant le rejet de cette demande, la cour d'appel a privé sa décision de motivation et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, ayant retenu qu'aucun élément ne venait démontrer la poursuite des ventes des produits incriminés au cours des années 2014 et 2015, a limité l'étendue de la mesure de communication des documents et informations détenus par le défendeur à l'action en contrefaçon, prononcée sur le fondement de l'article L. 615-5-2 du code de la propriété intellectuelle ;
Et attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel, par motifs adoptés, a retenu que la mesure de publication n'était pas nécessaire pour assurer la réparation du préjudice résultant des atteintes portées au brevet EP 1 067 822 ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le même moyen, pris en ses troisième et quatrième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Et sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi n° A 17-14.673 :
Attendu que la société Muller fait grief à l'arrêt du 9 décembre 2016 de rejeter sa demande en réparation de son préjudice moral alors, selon le moyen, que des actes de contrefaçon d'un brevet, il s'infère nécessairement un préjudice subi par son titulaire, ce préjudice fût-il seulement moral ; que, pour débouter la société Muller de ses entières prétentions indemnitaires, la cour d'appel a relevé que cette dernière, qui ne subissait aucun manque à gagner dans la mesure où elle n'exploitait pas elle-même le brevet litigieux, pouvait solliciter seulement l'indemnisation du préjudice lié aux redevances qu'elle aurait dû percevoir si l'autorisation d'exploiter le brevet lui avait été demandée par les sociétés contrefactrices, ce qu'elle n'avait pas fait, et qu'elle ne démontrait pas que les faits délictueux avaient porté atteinte à son crédit ou sa réputation, ou à tout autre élément de nature extrapatrimoniale ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a soumis la réparation de l'atteinte au monopole d'exploitation de la société Muller à la preuve d'un préjudice distinct, a violé l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle, l'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction applicable au litige, l'article 1382 du code civil en son ancienne rédaction et l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que, si l'article L. 615-7 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, tel qu'interprété à la lumière de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004, prévoit que le préjudice moral, telle une atteinte à la réputation du titulaire d'un brevet, constitue une composante du préjudice réellement subi par celui-ci, c'est à la condition qu'il soit établi ; qu'ayant constaté que la société Muller ne justifiait d'aucun élément apte à démontrer que les faits délictueux en cause avaient porté atteinte à son crédit, à sa réputation ou à tout autre élément de nature extrapatrimoniale, la cour d'appel, qui a ainsi souverainement apprécié que la preuve du préjudice moral allégué n'était pas rapportée, a pu rejeter la demande d'indemnisation formée à ce titre ;
Mais sur le même moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article L. 611-1 du code de la propriété intellectuelle et l'article L. 615-7 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, tel qu'interprété à la lumière de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 ;
Attendu que pour rejeter la demande en réparation du préjudice économique subi par la société Muller, l'arrêt relève que celle-ci ne démontre ni même ne prétend qu'elle se livre à des activités de fabrication, d'offre ou encore de mise dans le commerce des produits issus du brevet en cause, que, bien que reconnaissant ne pas exploiter directement ce dernier, elle se défend de prétendre au paiement de la redevance indemnitaire, cependant que ce mode de réparation a vocation à trouver application en pareille hypothèse, en ce que la redevance correspond au pourcentage de chiffre d'affaires que cette société aurait pu réclamer aux contrefacteurs si l'autorisation d'exploiter le brevet dont elle est titulaire lui avait été demandée ; qu'après avoir relevé que cette société indiquait ne pas avoir subi de manque à gagner direct mais être en droit, en sa qualité de titulaire du brevet, même non exploitant, d'obtenir la réparation de son préjudice constitué par l'intégralité des bénéfices réalisés par les contrefacteurs, constitutifs d'un enrichissement indu, l'arrêt ajoute que, s'il est vrai que la loi du 29 octobre 2007, transposant la directive 2004/48/CE, invite le juge à prendre en considération « les bénéfices réalisés par le contrefacteur », elle n'en a pas pour autant introduit, dans ce droit spécial, la faculté de les confisquer et que cette prise en considération se limite à la part susceptible de subsister, une fois évaluées les pertes liées à l'exploitation, afin de parvenir à la réparation intégrale du préjudice ; qu'il en déduit que ne peuvent être accueillies les demandes indemnitaires de la société Muller au titre de son préjudice économique, telles que présentées ;
Qu'en statuant ainsi, en refusant de prendre en considération la demande d'indemnisation fondée sur l'un des critères d'évaluation prévu par l'article L. 615-7, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, alors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2004/48/CE vise à atteindre un niveau élevé de protection des droits de propriété intellectuelle, qui tient compte des spécificités de chaque cas et est basé sur un mode de calcul des dommages-intérêts tendant à rencontrer ces spécificités (CJUE, 17 mars 2016, Liffers, C-99/15, point 24), dont le choix relève de la partie lésée, et qu'ainsi, l'existence, pour le titulaire d'un brevet, d'un préjudice économique résultant de sa contrefaçon n'est pas subordonnée à la condition qu'il se livre personnellement à son exploitation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois principal et incident n° R 16-28.322 ;
Et sur le pourvoi n° A 17-14.673 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les prétentions indemnitaires de la société Muller et Cie au titre du préjudice économique résultant de la contrefaçon du brevet EP 1 067 822 dont elle est titulaire, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens relatifs au pourvoi n° R 16-28.322 et condamne les sociétés Carrera et Texas de France aux dépens du pourvoi n° A 17-14.673 ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Carrera et Texas de France à payer à la société Muller et Cie la somme globale de 3 000 euros et rejette le surplus des demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille dix-neuf.