CA Paris, Pôle 4 ch. 8, 22 octobre 2015, n° 14/14935
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Telerad Telfisa (SA)
Défendeur :
Euroclear France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hirigoyen
Conseillers :
Mme Lacquemant, Mme Jeanjaquet
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ordonnance du 4 décembre 2012, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a condamné M. François B. à payer à la société financière et de participation Telerad Telfisa la somme provisionnelle de 1 076 230,10 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2009 ainsi qu'une indemnité de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Telerad Telfisa a tenté de faire exécuter cette décision, signifiée le 5 février 2013, en faisant diligenter entre les mains de la BNP Paribas Securities Services le 6 février 2013 puis le 18 septembre 2013, des saisies des actions de la société Compagnie Financière de l'Ouest Africain (la CFOA) au préjudice de M. B. et de « toutes sociétés fictives dont la société Octide Holding, société de droit luxembourgeois sous le numéro B 52846, dont le siège social est [...] et dont l'ayant droit économique est François B. ».
Elle a également, les mêmes jours et au préjudice des mêmes, fait établir un acte de nantissement judiciaire provisoire de valeurs mobilières portant toujours sur les valeurs mobilières de la CFOA, entre les mains de la BNP Paribas Securities Services.
La BNP Paribas Securities Services lui ayant fait savoir qu'elle ne gérait que le registre nominatif de la société CFOA et non les titres détenus sous la forme au porteur, que ni la société Octide Holding ni M. B. ne possédaient la qualité d'actionnaire au nominatif de la société CFOA et qu'elle ne pouvait, n'étant pas propriétaire de cette information, lui indiquer la proportion des actions inscrites au registre nominatif dont elle était le teneur de compte au regard du nombre d'actions au porteur émis par la société CFOA, l'invitant à se rapprocher de l'émetteur pour obtenir cette dernière information, la société Telerad Telfisa s'est adressée par courrier daté du 30 juillet 2013 à la société Euroclear France en sa qualité de dépositaire central des titres de la société CFOA émis sous la forme au porteur pour lui demander, sur le fondement de l'article L. 152-2 du code des procédures civiles d'exécution , de lui faire connaître le nom des banques françaises ayant en dépôt les titres de la société CFOA.
La société Euroclear France lui ayant répondu qu'elle était soumise à une obligation de confidentialité et que les dispositions de l'article L. 152-2 alléguées ne lui étaient pas applicables, précisant en tout état de cause qu'en sa qualité de dépositaire central de titres elle ne pouvait connaître que les éventuelles positions sur les titres CFOA inscrits sur les comptes des établissements ouverts dans ses livres mais qu'elle n'avait aucune connaissance de l'identité des détenteurs finaux ou intermédiaires de ces titres en aval de la chaîne de détention, la société Telerad Telfisa a saisi le juge de l’exécution pour voir ordonner à cette dernière, en application de l'article L. 123-1 du code des procédures civiles d' exécution , de lui communiquer diverses informations.
Par jugement du 15 juillet 2014, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris a déclaré irrecevables les demandes présentées par la société Telerad Telfisa et l'a condamnée, outre aux dépens, à verser à la société Euroclear France la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Telerad Telfisa a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour le 16 juillet 2014.
Par dernières conclusions du 29 juin 2015, elle demande à la cour, au visa des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme , 10 du code civil , L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, L. 123-1 et suivants, L. 152-1, L. 152-2, L. 131-1 et L. 141-3 du code des procédures civiles d' exécution et 566 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, d'ordonner à Euroclear France, dans un délai maximal de sept jours ouvrables à compter du prononcé de la décision à intervenir, de lui communiquer les éléments suivants :
* le nom des établissements de crédit et prestataires de services d'investissement disposant d'un compte ouvert dans les livres d'Euroclear France au jour de la décision à intervenir auprès desquels les titres au porteur de la Compagnie Financière de l'Ouest Africain (société de droit sénégalais immatriculée au RCCM Dakar sous le n°SNDKR 4701/P) sont en dépôt ;
* le nombre de titres de la Compagnie Financière de l'Ouest Africain en dépôt au sein de ces établissements de crédit et prestataires de services d'investissement, teneurs de compte de ces titres, disposant d'un compte ouvert dans les livres d'Euroclear France au jour de la décision à intervenir ;
de condamner la société Euroclear France à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les demandes de celle-ci.
Elle fait valoir au soutien de ses demandes qu'elle rapporte la preuve d'une apparence manifeste de fictivité et de fraude de la société Octide Holding et que M. B. est l'ayant-droit économique des actions de la société CFOA au travers d'Octide Holding, qu'elle est en conséquence légitime à demander l'application des dispositions de l'article L. 123-1 du code des procédures civiles d' exécution et qu'Euroclear France ne dispose pas de motifs légitimes pour refuser de répondre à ses demandes d'information.
Elle ajoute que s'il était considéré qu'il lui appartenait de disposer d'un jugement au fond déclarant la fictivité et/ou le caractère frauduleux d'Octide Holding, il reviendrait au juge de l’exécution , en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, de trancher au fond la fictivité et/ou le caractère frauduleux d'Octide Holding.
Elle précise qu'elle ne demande pas de renseignements sur les actions au porteur en elles-mêmes, qu'une fois les mesures d' exécution pratiquées sur le fondement des informations obtenues par la collaboration de la société Euroclear France, le débat quant à la propriété de titres d'Octide Holding sera contradictoire et qu'il appartiendra à M. B. et à Octide Holding de venir contester les saisies qui seraient pratiquées, ajoutant que l'arrêt de la cour n'aura pas d'autorité de la chose jugée à l'égard d'Octide Holding en cas de contestation de la saisie et n'aura pas de conséquence préjudiciable quant à ses droits.
Enfin, elle indique qu'en toute hypothèse, le bilan de la société CFOA au 31 décembre 2005 fait apparaître que M. B. détient une participation dans le capital social de CFOA d'un montant de 0,01 millions de francs CFA et qu'il est possible qu'il en détienne plus à ce jour, qu'ainsi ce dernier est directement propriétaire d'au moins un titre dans le capital social de CFOA et qu'elle justifie d'un intérêt à agir pour disposer des informations sur la localisation de ces titres dans le but de les saisir.
Par dernières conclusions du 27 août 2015, la société Euroclear France demande à la cour, au visa des articles L. 123-1, L. 111-1 alinéas 1er et 2 , L. 111-2, L. 152-2, R. 221-50 et du code des procédures civiles d' exécution , 31 du code de procédure civile, L. 511-5, L. 312-2, L. 211-11 et L. 211-12, du code monétaire et financier, L. 228-2 du code de commerce, 550-1 du Règlement Général de l'Autorité des Marchés Financiers, 1832 et suivants, 2224 et 1315 alinéa 1er du code civil, outre divers constats qui ne constituent pas des prétentions mais pour l'essentiel des moyens ou arguments, de confirmer le jugement entrepris, de déclarer irrecevables ou mal fondées les demandes de la société Telerad Telfisa, de la débouter de celles-ci et de la condamner à payer la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile , outre les entiers dépens, en ce compris ceux de première instance dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Maître Patricia H. ' Selarl 2H avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient que les actions au porteur, émises par la société CFOA, objets de la recherche d'informations menée par la société Telerad Telfisa auprès de la société Euroclear France, en vue d'éventuelles procédures conservatoires et/ ou d' exécution , n'appartiennent pas personnellement à son débiteur exclusif, M. B., ni directement ni via une société prétendument « fictive » ou « écran de fumée (sic) » ou « frauduleuse » (société Octide Holding), que la société Telerad Telfisa est irrecevable à prouver la prétendue fictivité de la société Octide Holding, qu'elle ne démontre en toute hypothèse pas le caractère prétendument fictif, ni le caractère prétendument « frauduleux » de cette société, qu'elle est dispensée ou exonérée de l'obligation d'information pour « motif légitime », au titre d'une recherche d'informations irrégulière ou inefficace, visant des biens d'un tiers et non du débiteur, que l'obligation d'information incombe exclusivement aux « tiers au sens des voies d' exécution », qu'elle n'est pas un « tiers au sens des voies d' exécution », en ce qu'elle n'est impliquée dans aucune procédure d' exécution engagée par la société Telerad Telfisa, qu'elle ne relève pas de la catégorie des « établissements habilités par la loi à tenir des comptes de dépôt » et visés par le devoir de concours prévu par la loi, que la société Telfisa ne prouve pas que les actions au porteur, objets de sa demande de renseignements, en vue d'éventuelles procédures conservatoires et/ou d' exécution , relèvent de la procédure dite du « Titre au Porteur Identifiable » (TPI), elle-même au demeurant ouverte et bénéficiant exclusivement à la société émettrice des titres (CFOA) et non pas à la société Telerad Telfisa, qu'elle est dispensée ou exonérée de l'obligation d'information pour « motifs légitimes » tenant à son statut et à ses obligations.
La société Telerad Telfisa agit sur le fondement de l'article L. 123-1 du code des procédures civiles d' exécution aux fins d'obtenir de la société Euroclear France des informations sur la localisation des actions d'une société cotée, la CFOA, dont elle soutient que M. B. est le détenteur directement ou par l'intermédiaire d'une société fictive dénommée Octide Holding, pour pratiquer ensuite toutes mesures d' exécution forcées en vertu de la décision de justice rendue le 4 décembre 2012.
Elle fait valoir que l'article L. 123-1 a vocation à s'appliquer dans le cadre de recherches d'informations préalables à des mesures d' exécution , que la société Euroclear France ne peut se prévaloir d'aucun motif légitime pour échapper à son obligation de fournir les éléments recherchés, qu'elle-même justifie d'un intérêt légitime à agir sur le fondement de cette disposition légale dès lors qu'elle dispose d'éléments démontrant une apparence de fraude commise par M. B. à travers la société Octide Holding qui n'est qu'une « société écran » et que ce dernier détient en toute hypothèse une participation dans le capital social de CFOA ainsi qu'il ressort du bilan de CFOA au 31 décembre 2005.
Dès lors qu'elle soutient que son créancier détient, directement ou indirectement, des actions au sein de la CFOA, la société Telerad Telfisa dispose d'un intérêt à agir, la question de savoir si elle peut obtenir les informations sollicitées relevant du fond du droit et non de la recevabilité de la demande.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de la société Telerad Telfisa.
Aux termes de l'article L. 123-1 du code des procédures civiles d' exécution invoqué par la société Telerad Telfisa à l'appui de ses demandes :
«Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l’exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts. Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur ».
Il résulte de ces dispositions que celles-ci ne s'appliquent que lorsqu'une procédure d'exécution est d'ores et déjà engagée, les tiers visés par celles-ci étant ceux impliqués dans la mesure d'exécution en cause, qu'ils soient tiers saisis, tiers tenu de prêter leur concours aux opérations d'exécution, tiers en situation de concours ou de conflits ou tiers acquéreurs des biens saisis.
L'article L. 123-1 ne permet nullement une recherche d'informations préalables à l'exercice d'une mesure d'exécution , la recherche de telles informations étant traitée aux articles L. 152-1 à L. 152-3 du code des procédures civiles d' exécution et l'article L. 152-2 ne prévoyant d'obligation qu'à la charge des établissements habilités par la loi à tenir des comptes de dépôt, ce qui n'est pas le cas de la société Euroclear France, dépositaire central des titres émis.
Dès lors, la demande de la société Telerad Telfisa présentée en vue d'engager une mesure d'exécution et non à l'occasion d'une telle mesure, ne peut qu'être rejetée.
La société Telerad Telfisa qui succombe doit être condamnée aux dépens. Il n'y a cependant pas lieu, pour des raisons d'équité, de faire application des dispositions de l'article 700 du code du procédure civile et la société Euroclear France sera déboutée de sa demande formée de ce chef.
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré la demande de la société Telerad Telfisa irrecevable,
Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée,
Déclare la demande recevable ;
Déboute la société Telerad Telfisa de cette demande ;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Rejette toutes autres demandes ;
Condamne la société Telerad Telfisa aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.