CA Rennes, 2e ch., 3 décembre 2021, n° 20/06355
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Cabot Financial France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Christien
Conseillers :
M. Jobard, M. Pothier
Par ordonnance du 7 septembre 2009 signifiée le 29 septembre suivant, le juge d'instance d'Epernay a fait injonction à Mme Lysiane M. de payer à la société Financo la somme de 824,10 euros avec intérêts au taux de 18,77 % sur la somme de 584,10 euros, et au taux légal sur le surplus, à compter du 2 janvier 2009.
Déclarant venir aux droits de la société 1640 Investment 3 en vertu d'une convention de cession de créances du 21 novembre 2017, elle-même aux droits de la société Financo en vertu d'une précédente convention de cession de créances du 13 juin 2014, la société Cabot Financial France, anciennement dénommée Nemo crédit Management (la société Cabot) a fait procéder, par acte du 18 septembre 2019, à la signification de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009 rendue exécutoire le 9 novembre 2009, ainsi que de la cession de créances, et, dans le même acte, a fait délivrer à Mme M. un commandement de payer aux fins de saisie-vente pour avoir paiement d'une somme de 934,04 euros en principal et frais.
Puis, elle a fait procéder, suivant procès-verbal du 11 juin 2020, à la saisie-attribution des comptes ouverts par Mme M. auprès de la Caisse d'épargne de Bretagne- Pays de Loire, pour avoir paiement d'une somme de 1 849,45 euros en principal, intérêts et frais, cette saisie ayant été dénoncée à Mme M. par acte du 12 juin 2020.
Contestant la régularité de la signification du 18 septembre 2019 et invoquant la prescription du titre exécutoire, Mme M. a, par acte du 6 juillet 2020, fait assigner la société Cabot devant le juge de l’exécution de Brest en nullité et mainlevée de la saisie-attribution, et en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 8 décembre 2020, le juge de l’exécution a :
- débouté Mme M. de sa demande en nullité de la saisie-attribution,
- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription du titre exécutoire,
- débouté Mme M. de sa demande en paiement,
- condamné Mme M. aux entiers dépens,
- débouté les parties de leurs autres demandes.
Mme M. a relevé appel de ce jugement le 22 décembre 2020, et aux termes de ses dernières conclusions du 30 mars 2021, elle demande à la cour de l'infirmer et de :
- à titre principal, dire que la signification en date du 18 septembre 2019 est nulle,
- en conséquence, dire qu'aucun acte interruptif de prescription n'est venu interrompre le cours du délai de prescription du titre exécutoire que constituait l'ordonnance d'injonction de payer en date du 7 septembre 2009, revêtue de la formule exécutoire le 9 novembre 2009,
- dire que l'ordonnance en date du 7 septembre 2009 revêtue de la formule exécutoire le 9 novembre 2009 constitue un titre exécutoire prescrit,
- dire que la cession de créance intervenue au profit de la société Cabot Financial France lui est inopposable,
- à titre subsidiaire, dire que la signification en date du 29 septembre 2009 est nulle,
- en conséquence, dire que l'ordonnance d'injonction de payer en date du 7 septembre 2009 n'ayant pas été signifiée dans les six mois de sa date, celle-ci est nulle et non-avenue et n'a donc pu constituer un titre exécutoire,
- en tout état de cause, dire nulle la saisie-attribution en date du 11 juin 2020 exécutée à la requête de la société Cabot au préjudice de Mme M.,
- ordonner la mainlevée de la saisie attribution en date du 11 juin 2020,
- condamner la société Cabot à lui restituer la somme de 612,79 euros saisie de manière irrégulière,
- condamner la société Cabot à lui verser une indemnité de 1 500 euros au titre de l'abus de saisie,
- condamner la société Cabot à lui verser la somme de 258,80 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 août 2021, la société Cabot conclut quant à elle à la confirmation du jugement attaqué, et sollicite la condamnation de Mme M. au paiement d'une indemnité de 750 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de 1 000 euros pour ceux d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par les parties, l'ordonnance de clôture ayant été rendue le 9 septembre 2021.
Sur la nullité de la signification du 18 septembre 2019 et la fin de non-recevoir tirée de la prescription du titre exécutoire
Au soutien de son appel Mme M. fait valoir que l'acte de signification du 18 septembre 2019 serait nul, et qu'ainsi aucun acte interruptif de prescription n'étant venu interrompre le délai de prescription du titre exécutoire que constituait l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009, rendue exécutoire le 9 novembre 2009, ce titre exécutoire serait ainsi prescrit.
Elle soutient qu'à la date de la signification elle ne résidait plus à l'adresse figurant sur cet acte depuis plus de dix ans, l'huissier n'ayant que vaguement justifié des diligences prétendument accomplies pour rechercher sa nouvelle adresse, et, qu'étant porteur d'un titre exécutoire, il devait mener une enquête dans les conditions de l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d’exécution afin de se faire communiquer sa nouvelle adresse auprès des services de la publicité foncière, des société Véolia, EDF, de la région Bretagne ou encore auprès des services des impôts des particuliers.
Il résulte cependant des mentions du procès-verbal établi par l'huissier de justice le 18 septembre 2019, qu'aux fins de signifier à Mme M. Lysiane l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009 rendue exécutoire le 9 novembre 2009, et de délivrer commandement de payer, l'huissier s'est présenté [...] 'comme étant la dernière adresse et la dernière demeure connue du défendeur, avoir constaté qu'à ce jour, aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte, n'y à son domicile', et après lui avoir été indiqué 'que la requise est la fille de l'ancienne propriétaire, qu'elle est partie il y a une dizaine d'années et qu'elle serait en Bretagne, sans plus de précision', a procédé aux diligences suivantes :
'Les recherches effectuées auprès des voisins, des organismes non tenus au secret professionnel, de l'annuaire électronique, des réseaux sociaux, se sont révélés sans succès.'
Ainsi, la signification de l'ordonnance d'injonction de payer et du commandement a été faite à l'adresse du dernier domicile connu de Mme M., et le procès-verbal mentionne les vérifications faites sur place par l'huissier, aucune personne répondant au nom du destinataire de l'acte n'y ayant son domicile, l'indication que Mme M. avait quitté les lieux il y a une dizaine d'années, les démarches auprès des voisins, des organismes non tenus au secret professionnel, la consultation de l'annuaire électronique et des réseaux sociaux, démarches nécessaires et suffisantes pour caractériser l'impossibilité pour l'huissier de remettre l'acte à son destinataire.
Il s'avère ainsi que l'huissier a accompli toutes les diligences utiles et suffisantes au regard des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile pour rechercher le destinataire de l'acte.
D'autre part, l'huissier n'étant pas chargé d'une mesure d’exécution forcée, telle que la saisie contestée, il n'était pas tenu d'user de son pouvoir d'enquête conféré par l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d’exécution .
Ainsi, la circonstance que l'huissier chargé de la mesure de saisie-attribution ait pu dénoncer celle-ci le 12 juin 2020 à l'adresse actuelle de Mme M., est sans effet sur la validité de l'acte du 18 septembre 2019, dès lors qu'il ressort des mentions de celui-ci que l'huissier a accompli toutes les diligences utiles et suffisantes au regard de l'article 659 du code de procédure civile pour rechercher le destinataire de l'acte.
Il y a donc lieu de considérer que les prescriptions édictées par l'article 659 du code de procédure civile ont été respectées.
Mme M. soutient encore que l'acte de signification serait nul au motif qu'il contient plusieurs délais de recours de nature à créer une confusion.
Ce moyen est cependant inopérant, dès lors qu'il mentionne, d'une part, le délai de recours de l'opposition ouvert à Mme M. dans le délai d'un mois, et, d'autre part, que la sanction en cas de délai erroné ne peut entraîner la nullité de l'acte lui-même, mais uniquement l'absence d'effet sur le délai de la voie de recours.
Au surplus, Mme M. disposait de la possibilité de former opposition dans le délai d'un mois à compter de la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponible en tout ou partie ses biens, soit après la dénonciation de la saisie-attribution en date du 12 juin 2020, mais aucun recours n'a été formé par elle.
Il convient par conséquent de débouter Mme M. de sa demande de nullité de la signification du 18 septembre 2019.
D'autre part, l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d’exécution dispose que l’exécution des titre exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l'article L. 111-3 du même code ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.
Or, il est de principe qu'un commandement aux fins de saisie-vente qui, sans être un acte d’exécution forcée, engage la mesure d’exécution forcée, et interrompt la prescription de la créance qu'elle tend à recouvrer.
Il s'ensuit que l'action en recouvrement de la société Cabot résultant de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009 signifiée le 29 septembre suivant et rendue exécutoire le 9 novembre 2009, a été valablement interrompue par le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 18 septembre 2019.
C'est donc à juste titre que le juge de l’exécution a débouté Mme M. de sa demande fondée sur la prescription du titre.
Sur l'inopposabilité de la cession de créances
Mme M. soutient qu'à la date à laquelle la saisie-attribution a été pratiquée, soit le 11 juin 2020, la cession de créance intervenue au profit de la société Cabot lui demeurait inopposable, au motif qu'elle ne lui a pas été notifiée dans le délai de trois mois mentionné dans la convention du 21 novembre 2017, et qu'elle ne lui en outre pas été valablement signifiée dans l'acte du 18 septembre 2019.
Ce moyen est cependant inopérant, dès lors que l'intimé justifie bien avoir fait procéder à la signification de la cession de créances par acte du 18 septembre 2019, ainsi que cela ressort du procès-verbal de cet acte d'huissier, dont il a été jugé qu'il était régulier.
Au surplus, il est de principe que la signification de créance peut résulter de la signification du commandement aux fins de saisie s'il contient tous les éléments d'information du débiteur cédé tels qu'envisagés par la loi, ce qui est le cas en l'espèce.
En tout état de cause, le défaut d'accomplissement des formalités de l'article 1690 du code civil ne rend pas le cessionnaire irrecevable à réclamer au débiteur cédé l’exécution de son obligation quand cette exécution n'est susceptible de faire grief à aucun droit advenu depuis la naissance de la créance au débiteur cédé.
Or, Mme M. ne rapporte pas la preuve d'un grief ayant pour fondement l'absence de notification préalable de la cession de créances, la saisie-attribution pratiquée n'étant pas en lien causal avec l'absence de notification alléguée de la cession de créances au débiteur cédé.
C'est dès lors à juste titre que le juge de l’exécution a estimé que l'irrégularité soulevée était sans fondement et l'a rejetée.
Sur la caducité de l'ordonnance d'injonction de payer
Mme M. soutient encore que la signification du 29 septembre 2009 de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009, régularisée selon les modalités de l'article 656 du code de procédure civile, serait irrégulière, au motif que l'huissier s'est contenté de cocher des mentions pré-imprimées pour attester de son adresse, qu'il a indiqué que son nom figurait sur la boîte aux lettres, alors que seule sa mère Mme Yvette M. était propriétaire du logement et y résidait, et qu'il a en outre mentionné qu'elle était absente du logement, sans tenter ultérieurement une nouvelle signification de l'acte à sa personne.
Mais il résulte des mentions du procès-verbal de signification de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009, que l'huissier s'est rendu le 29 septembre 2009 à l'adresse mentionnée sur l'ordonnance d'injonction de payer, '[...]', et après avoir constaté que la signification à la personne même du destinataire de l'acte s'avérait impossible pour la raison suivante 'absent', et procédé aux vérifications que le destinataire était réputé demeurer à l'adresse indiquée en vérifiant que son nom figurait sur la boîte aux lettres, a indiqué remettre la copie de l'acte en son Etude.
Ainsi, l'huissier a satisfait aux exigences de l'article 656 du code de procédure civile, dès lors que celui-ci a vérifié que personne ne pouvait recevoir l'acte, que le domicile auquel il s'est présenté était bien celui indiqué dans les pièces de procédure et que le nom du destinataire figurait sur la boîte aux lettres.
En outre, aucune disposition légale n'impose à l'huissier de se présenter à nouveau au domicile de l'intéressé pour parvenir à une signification à personne.
Il ressort d'autre part des mentions de l'acte, qu'un avis de passage a été laissé au domicile le même jour, et que la lettre prévue par l'article 658 du code de procédure civile a été adressée le même jour, ou le premier jour ouvrable suivant la date de signification de l'acte au destinataire, avec copie de l'acte de signification.
Au regard de ces mentions qui font foi jusqu'à inscription de faux, il est donc établi que l'huissier a satisfait aux exigences de ce texte.
Les prévisions de l'article 656 du code de procédure civile ayant été respectées, la signification de l'ordonnance d'injonction de payer du 7 septembre 2009 est bien intervenue dans les 6 mois de son prononcé, de sorte qu'il convient de débouter Mme M. de sa demande de caducité du titre exécutoire.
Sur les autres demandes
Puisqu'il a été jugé que le titre exécutoire n'était pas prescrit et que la cession de créance avait été régulièrement signifiée au débiteur cédé, la demande de Mme M. de condamnation de la société Cabot au paiement de dommages-intérêts pour abus de saisie est dénuée de fondement et sera rejetée, étant à cet égard observé que l'ancienneté de la créance n'est pas de nature à priver le créancier du droit d'obtenir l’exécution de son titre et ne saurait ainsi caractériser l'abus de droit de ce dernier, dès lors que la prescription n'était pas acquise, comme cela est le cas en l'espèce.
La demande en paiement de la somme de 612,79 euros correspondant au montant des sommes saisies est donc également dénuée de fondement et sera rejetée.
La saisie n'étant par ailleurs pas utilement contestée par Mme M. concernant le montant du principal, les intérêts et les frais d’exécution, il y a lieu de confirmer en tous points le jugement attaqué.
Mme M., qui succombe en appel, supportera les dépens exposés devant la cour, sans qu'il y ait matière à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque, tant en première instance qu'en cause d'appel.
Confirme en l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu le 8 décembre 2020 par le juge de l’exécution de Brest ;
Déboute Mme M. de sa demande en paiement de la somme de 612,79 euros ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme M. aux dépens d'appel ;
Accorde le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.