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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 17 mai 2022, n° 21/02481

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bred Banque Populaire (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Briere

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Bonnet

Avocats :

Me Dontot, Me Courrege, Me Debray, Me Madariaga

T. com. Nanterre, du 24 mars 2021, n° 20…

24 mars 2021

Le 25 juillet 2014, la SA Bred Banque Populaire (la Bred), a consenti à la SAS 5 Invest'h, société holding du groupe comprenant notamment la société SMRJ et titulaire d'un compte courant nº 218 04 7564 dans les livres de la banque, un prêt à moyen-terme d'un montant de 1 080 000 euros, d'une durée de 72 mois remboursable en 24 trimestrialités de 45 000 euros en principal ; celui-ci était destiné à l'acquisition par la société 5 Invest'h de la totalité des titres de la société Print Platinium.

Le remboursement de ce prêt était garanti, en plus de l'engagement de caution consenti par le dirigeant de la société 5 Invest'h, X…, par un premier nantissement constitué le 25 juillet 2014 portant sur les 800 actions appartenant à la société débitrice dans le capital de la société Print Platinium et par un second nantissement à concurrence de 600 000 euros, constitué le 4 novembre 2014, sur le compte-titres dans lequel la société 5 Invest'h détenait des parts d'OPCVM de trésorerie et des parts de la Bred

Par courrier du 7 juin 2018 signé de son dirigeant, la société 5 Invest'h a fait part à la Bred de son souhait d'exercer la faculté de remboursement anticipé du prêt et de 'débloquer la trésorerie nantie' dans les livres de la banque.

La Bred a réalisé la cession des titres nantis d'une part par la vente des parts de la Bred pour un montant de 181 735,84 euros le 10 juillet 2018 et d'autre part, le lendemain, par la vente des parts d'OPCVM de trésorerie pour un montant de 422 682,46 euros , ces sommes ayant été portées au crédit du compte nº 218 04 7564 de la société 5 Invest'h.

Le 10 juillet 2018, il a été prélevé sur ce compte les sommes de 49 278,26 euros et 48 333,81 euros, soit 97 612,07 euros au total, pour apurer deux trimestrialités du prêt restées impayées les 25 février et 25 mai 2018.

Sur déclaration de son dirigeant du 3 juillet 2018, le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement du 12 juillet 2018, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société 5 Invest'h, fixé la date de cessation des paiements au 17 mai 2018 et désigné respectivement la Selarl FHB, en la personne de maître Gaël Couturier, en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance, et la Selarl C. Basse, en la personne de maître Christophe Basse, en qualité de liquidateur judiciaire.

Par deux virements des 16 et 18 juillet 2018, la Bred a débité le compte courant de la société 5 Invest'h de la somme de 407 228,10 euros pour le remboursement du prêt et celle de 94,23 euros à titre de 'moins-perçu sur remboursement du prêt'.

Par lettre recommandée du 14 août 2018, la Bred a déclaré sa créance à titre privilégié au passif de la société 5 Invest'h pour un montant en principal à échoir de 428 511,96 euros, correspondant aux neuf échéances trimestrielles à échoir du prêt, outre les intérêts de retard.

Par messages électroniques des 24 et 31 août 2018, maître Couturier, en qualité d'administrateur judiciaire de la société 5 Invest'h, a vainement demandé à la Bred de créditer le compte de la société débitrice du montant des deux virements effectués postérieurement à l'ouverture de la procédure, les 16 et 18 juillet 2018, sans son accord.

Par courrier du 10 septembre 2018, le conseil de la Bred a répondu qu'il ne pouvait être donné suite à sa demande, puisque la faculté offerte à la société 5 Invest'h de rembourser par anticipation le prêt avait été exercée, que les instruments financiers avaient été vendus antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et qu'en tout état de cause, elle bénéficiait de l'exception du paiement par compensation de créances connexes telle qu'envisagée par l'article L.622-7 du code de commerce.

Sur requête de l'administrateur judiciaire de la société 5 Invest'h, le tribunal de commerce de Nanterre, par jugement du 12 septembre 2018, a converti la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire et désigné la Selarl C. Basse en qualité de liquidateur judiciaire, étant précisé que les sociétés Print platinium et SMRJ ont également fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire convertie à la même date en liquidation judiciaire.

Par acte d'huissier du 8 février 2019, la Selarl C. Basse, ès qualités, au visa des articles L.622-1 et L.622-7 du code de commerce, a assigné la Bred devant le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 24 mars 2021, a :

- dit mal fondé le moyen de défense préalable opposé par la Bred à la Selarl C. Basse ès qualités et débouté la Bred de ce chef ;

- annulé les prélèvements d'un montant total de 97 612,07 euros exécutés au profit de la Bred ;

- condamné la Bred à restituer à la Selarl C. Basse, ès qualités, la somme de 97 612,07 euros ;

- annulé les virements exécutés au profit de la Bred les 16 et 18 juillet 2018 pour un montant total de 407 228,10 euros ;

- condamné la Bred à restituer à la Selarl C. Basse, ès qualités, la somme de 407 228,18 euros ;

- condamné la Bred à payer à la Selarl C. Basse, ès qualités, la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la Bred aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 15 avril 2021, la Bred a interjeté appel du jugement.

Par arrêt contradictoire en date du 11 janvier 2022, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture, ordonné la réouverture des débats pour communication du dossier au ministère public et avis de ce dernier et dit que les parties pourront présenter leurs observations éventuelles sur cet avis dans le délai d'un mois de la notification de celui-ci au RPVA.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 mars 2022, la Bred demande à la cour de :

- dire et juger recevable son appel ;

- le juger bien fondé ;

Y faisant droit,

- réformer en toutes ses dispositions le jugement ;

Et statuant à nouveau,

Sur les demandes de la Selarl C. Basse ès qualités relatives à l'annulation des prélèvements d'un montant total de 97 612,06 euros :

- dire et juger qu'il n'est pas établi qu'elle ait eu connaissance le 10 juillet 2018 de l'état de cessation des paiements de la société 5 Invest'h ;

- en conséquence, débouter la Selarl C. Basse ès qualités de sa demande, fondée sur l'article L.632-2 du code de commerce, d'annulation des prélèvements d'un montant total de 97 612,06 euros enregistrés par le débit du compte de la société 5 Invest'h le 10 juillet 2018 ;

- dire et juger que ce prélèvement du montant des deux échéances du prêt constitue un mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;

- en conséquence, débouter la Selarl C. Basse ès qualités de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l'article L.632-1 du code de commerce ;

- Subsidiairement, dire et juger que les deux échéances du prêt échues les 25 février 2018 et 25 mai 2018 lui ont été payées en application d'un accord de compensation à effet du 7 juin 2018 ;

- dire et juger que la compensation est un mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires et en conséquence débouter la Selarl C. Basse ès qualités de sa demande de nullité formulée au visa des dispositions de l'article L.632-1 du code de commerce ;

Sur les virements exécutés les 16 et 18 juillet 2018 pour un montant total de 402 228,10 euros correspondant au remboursement du capital restant dû à la Bred à raison du prêt,

- dire et juger que le règlement du capital restant dû à raison du prêt pour un montant total de 407 228,10 euros a été payé en application d'un accord de compensation à effet du 7 juin 2018 ;

- dire et juger que la compensation est un mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;

- en conséquence, débouter la Selarl C. Basse ès qualités de sa demande d'annulation fondée sur les dispositions de l'article L.632-1-4 du code de commerce ;

- Subsidiairement, dire et juger que les créances réciproques, la sienne et celle de la société 5 Invest'h résultant du prêt et du nantissement de compte titres financiers, sont des créances connexes ;

- en conséquence, dire et juger qu'elle est recevable et bien fondée à opposer à la Selarl C. Basse, ès qualités, le paiement par compensation des créances connexes prévu par l'article L.622-7-1 du code de commerce et débouter en conséquence la Selarl C. Basse, ès qualités, de sa demande ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour confirmerait en tout ou partie le jugement rendu en ce qu'il a annulé les prélèvements d'un montant total de 97 612,07 euros et les virements exécutés les 16 et 18 juillet 2018 pour un montant total de 407 228,10 euros,

- dire et juger qu'ensuite de ces annulations les fonds provenant des paiements annulés doivent être réintégrés au crédit du compte nanti à son profit ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour annulerait le jugement du 24 mars 2021,

- évoquer cette affaire au visa de l'article 561 du code de procédure civile et de l'effet dévolutif de l'appel et par conséquent, dans les mêmes termes que précédemment développés, débouter la Selarl C.Basse de toutes ses demandes tenant tant au prélèvement de 97 612,06 euros qu'aux virements opérés à hauteur de 402 228,10 euros ;

En toute hypothèse,

- condamner la Selarl C. Basse ès qualités à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Selarl C. Basse ès qualités aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Oriane Dontot, JRF & associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La Selarl C. Basse, ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 4 mars 2022, demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* constaté que le compte-titres litigieux est libre de toute sûreté ;

* annulé les prélèvements d'un montant total de 97 612,07 euros réalisés le 10 juillet 2018 au profit de la Bred ;

* condamné la Bred à restituer la somme de 97 612,07 euros au profit de la liquidation judiciaire ;

* annulé les virements d'un montant total de 407 228,10 euros réalisés les 16 et 18 juillet 2018 au profit de la Bred ;

* condamné la Bred à restituer la somme de 407 228,10 euros au profit de la liquidation judiciaire ;

Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour annulerait ou réformerait le jugement,

- constater que le compte-titres litigieux est libre de toute sûreté ;

- constater que les prélèvements d'un montant total de 97 612,07 euros réalisés le 10 juillet 2018 au profit de la Bred revêtaient le caractère d'un paiement interdit sur le fondement des articles L.632-1 et L.632-2 du code de commerce ;

- constater que les virements d'un montant total de 407 228,10 euros réalisés les 16 et 18 juillet 2018 au profit de la Bred revêtaient le caractère d'un paiement interdit sur le fondement des articles L.632-1, L.622-7 et L.632-2 du code de commerce et qu'ils ont été réalisés par la société 5 Invest' h en violation des pouvoirs attribués à l'administrateur judiciaire dans le cadre de sa mission d'assistance ;

En conséquence et en tout état de cause,

- annuler les prélèvements d'un montant total de 97 612,07 euros réalisés le 10 juillet 2018 au profit de la Bred ;

- condamner la Bred à restituer la somme de 97 612,07 euros à son profit sur le compte bancaire spécifique de la liquidation judiciaire ;

- annuler les virements d'un montant total de 407 228,10 euros réalisés les 16 et 18 juillet 2018 au profit de la Bred ;

- condamner la Bred à restituer la somme de 407 228,10 euros au profit de la liquidation judiciaire sur le compte bancaire spécifique de la liquidation judiciaire ;

En tout état de cause,

- ordonner à la Bred d'effectuer l'ensemble des restitutions directement sur le compte bancaire spécifique de la liquidation judiciaire de la société 5 Invest h ;

- rejeter toutes les fins et conclusions de la Bred ;

- condamner la Bred à lui payer la somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens sur le fondement de l'article 699 du même code.

Dans son avis notifié par RPVA le 8 mars 2022, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement. Il rappelle que les paiements dont la Bred a bénéficié par le débit des comptes de la société 5 Invest h ont été effectués en période d'observation et considère que la Bred qui a donné mainlevée du remboursement de sa créance le 11 juillet 2018, ne peut plus se prévaloir de son nantissement, celui-ci étant devenu caduc de sorte que l'article L.622-7 s'applique de plein droit. Il ajoute qu'en outre l'argument selon lequel le paiement, pendant la période suspecte, de la somme de 97 278,06 euros au titre des échéances échues, constitue une compensation conventionnelle est inopérant dans la mesure où l'article L632-1 4º, interprété a contrario, interdit, selon la jurisprudence, un tel mode de paiement.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la Bred recevable.

Si les parties évoquent dans les motifs de leurs écritures l'éventualité d'une annulation du jugement du fait de la non-communication de la procédure au ministère public en première instance, la cour n'est saisie d'aucune demande à ce titre dans le dispositif de leurs écritures de sorte que conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'a pas à statuer sur ce point.

La cour observe de même qu'elle n'est saisie d'aucune fin de non-recevoir relative à l'intérêt à agir du liquidateur judiciaire, simplement évoqué dans les motifs des conclusions de l'appelante qui fait état à cet égard de la transaction signée entre le liquidateur judiciaire et le dirigeant des sociétés du groupe et homologuée par jugement du 25 février 2021 du tribunal de commerce de Nanterre, étant observé de surcroît que le liquidateur judiciaire a intérêt à poursuivre la présente procédure qui a pour objectif de reconstituer l'actif de la société débitrice dans l'intérêt de l'ensemble des créanciers et de sanctionner un ou des actes ayant porté atteinte au principe d'égalité entre ces derniers, indépendamment de la transaction relative à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif entreprise à l'encontre du dirigeant des trois sociétés du groupe.

Sur l'annulation des opérations intervenues en juillet 2018 au profit de la Bred :

Les prélèvements du 10 juillet 2018 à hauteur de la somme totale de 97 612,07 euros :

La Bred, après avoir rappelé, au visa de l'article L.632-2 du code de commerce, qu'il appartient au demandeur à l'action en nullité de rapporter la preuve de la connaissance qu'elle aurait eue de l'état de cessation des paiements de la société 5 Invest'h au jour du paiement critiqué, expose en premier lieu que les mouvements bancaires ne lui permettaient pas de déceler un éventuel état de cessation des paiements, observant que sa cliente était une société holding et non une société d'exploitation, que les comptes de l'exercice clos au 31 décembre 2017 n'étaient pas disponibles et que le seul défaut de paiement de deux échéances, comme l'ont relevé les premiers juges, ne suffit pas à caractériser l'état de cessation des paiements de sorte que le liquidateur judiciaire doit être débouté de sa demande sur ce fondement.

Elle fait valoir en second lieu que le mode de paiement des deux échéances par prélèvement bancaire ne présente pas, comme le considère la jurisprudence, de caractère anormal au sens de l'article L.632-1 du code de commerce d'autant plus au regard des conditions générales du crédit relatives au débit du compte domiciliataire 218.04.7564 qui est le compte qui a enregistré les écritures de débit des deux échéances échues, de sorte que le jugement doit être infirmé ; elle critique la motivation des premiers juges qui ont à tort considéré que le paiement de ces deux échéances serait intervenu par compensation caractérisant un paiement interdit au sens de l'article L.632-1-4 du code de commerce sans répondre à son premier moyen tenant au fait que ce mode de paiement ne présentait pas de caractère anormal.

Elle précise qu'à titre accessoire elle oppose au liquidateur judiciaire les dispositions de l'article L.622-7-1 pour les raisons exposées à propos des virements exécutés les 16 et 18 juillet 2018.

La Selarl C. Basse, ès qualités, qui se fonde principalement sur l'article L.632-1 4º du code de commerce, après avoir rappelé la jurisprudence qui considère traditionnellement que les compensations conventionnelles constituent des paiements interdits au sens de cet article et les conditions de la compensation légale en exposant que la Cour de cassation a notamment jugé qu'elle ne peut intervenir entre une créance de somme d'argent et la valeur d'un compte-titres s'agissant de deux créances qui ne sont pas fongibles, expose que l'opération des deux prélèvements effectués pour un montant total de 97 612,07 euros, alors que la créance de la banque au titre des échéances impayées était de 97 168,82 euros, est une compensation conventionnelle réalisée le 10 juillet 2018 ; elle soutient qu'avant l'opération organisée le 7 juin 2018 entre la société débitrice et la banque, la première disposait d'une créance sur la banque qui n'était ni fongible avec les deux créances impayées de la banque au titre du prêt ni exigible dans la mesure où d'une part le droit du titulaire du compte-titres d'obtenir restitution des titres n'a pas la nature d'une somme d'argent et d'autre part la créance du titulaire sur son compte-titres n'est exigible qu'à compter de la clôture du compte. Elle fait valoir qu'en procédant ainsi, par un moyen inhabituel durant la période suspecte, la Bred s'est indûment soustraite au sort commun des créanciers pour parvenir au paiement des échéances qu'elle n'avait pas obtenu à la date de leur exigibilité de sorte que ce paiement doit être annulé.

Elle prétend, subsidiairement au visa de l'article L.632-2 alinéa 1 du même code, que la banque avait une parfaite connaissance de l'état de cessation des paiements de la société et qu'à tout le moins elle ne pouvait l'ignorer au regard du montant du solde débiteur du compte au jour de la compensation, du défaut de paiement des échéances et de la demande du dirigeant de la société aux fins de remboursement anticipé du prêt effectuée sous condition de la levée immédiate des cautions qu'il avait consenties.

Conformément aux dispositions de l'article L.632-1 du code de commerce, 'sont nuls lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants : (...)

4º Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virement, bordereaux de cession visés par la loi nº 81-1du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires.'

Les prélèvements du 10 juillet 2018, opérés postérieurement à la date de cessation des paiements fixée au 17 mai 2018, sur le compte nº 218.04.7564 dont la société 5 Invest'h était titulaire à hauteur de 49 278,26 euros et 48 333,81 euros, soit 97 612,07 euros, correspondent, à 443,25 euros près dont le prélèvement n'est pas justifié, à deux échéances du prêt consenti par la Bred à cette société, échues les 25 février et 25 mai 2018 et restées impayées pour un total de 97 168,82 euros d'après le décompte de la Bred en date du 4 juin 2018.

Cependant cette opération ne s'analyse pas en un simple prélèvement sur le compte dont la société débitrice était titulaire. En effet, outre que ces deux échéances étaient restées impayées à la date contractuellement prévue, ce prélèvement fait suite à une demande du dirigeant de la société 5 Invest'h, en date du 7 juin 2018, aux termes de laquelle il a sollicité le paiement anticipé du solde restant dû sur le prêt de 505 132,35 euros consenti à la société 5 Invest'h, à savoir 405 933,87 euros au titre du capital restant dû, 2 029,66 euros au titre des indemnités de résiliation et 97 168,82 euros correspondant aux échéances impayées. Dans ce même écrit, il a demandé à la banque de 'débloquer la trésorerie nantie' dans ses livres pour le paiement de cette résiliation en sollicitant également 'la levée immédiate et sans carence de l'ensemble de mes cautions auprès de la Bred'.

Les relevés du compte de la société liquidée que le liquidateur judiciaire verse aux débats établissent que suite à cette demande, les 'parts Bred' qu'elle détenait ont été vendues pour un montant de 181 735,84 euros, lequel a été crédité le 10 juillet 2018 sur le compte nº218.04.7564, cette somme ayant permis le paiement des deux échéances échues restées impayées.

Cette opération est juridiquement constitutive d'une compensation intervenue postérieurement à la date de cessation des paiements entre la créance détenue par la société 5 Invest'h à l'égard de la banque, correspondant aux titres dont elle était titulaire, et la créance détenue par la banque à l'égard de la société débitrice correspondant aux sommes restant dues pour solder le prêt.

Il ne peut s'agir d'une compensation légale dont les conditions sont rappelées à l'article 1347-1 du code civil et intervenue avant le jugement d'ouverture dans la mesure où notamment il ne s'agit pas de créances fongibles, aucune fongibilité n'existant entre un compte-titres et un compte courant, le premier donnant naissant à une créance en restitution en faveur du déposant et le second à une créance de somme d'argent.

Il s'agit d'une compensation conventionnelle, intervenue au cours de la période suspecte et provoquée par le dirigeant afin d'être libéré de tous les engagements de caution contractés à l'égard de la banque ; celle-ci constitue non pas un paiement normal comme prétendu par la Bred mais un mode de paiement anormal qui n'est pas communément admis de sorte que ce paiement anormal d'une dette échue est nul de plein droit en application des dispositions précitées.

Les virements des 16 et 18 juillet 2018 :

La Bred, se fondant sur les dispositions de l'article 1348-2 du code civil entrées en vigueur le 1er octobre 2016, expose que les parties ont librement convenu le 7 juin 2018 d'éteindre par compensation leurs obligations réciproques, à savoir le remboursement du capital restant dû au titre du prêt et le versement du produit de la réalisation des titres financiers à due concurrence et que cette compensation qui a pris effet dès la date de leur accord, antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, est parfaitement valable, soutenant que cette compensation résulte de l'affectation spéciale convenue entre les parties lors de la signature du contrat de prêt, le nantissement étant expressément destiné à garantir le remboursement du prêt.

Elle critique le tribunal qui en fondant sa décision uniquement sur la date d'écriture comptable des deux virements litigieux a jugé que les conditions d'une compensation n'étaient pas réunies, soutenant qu'il a ainsi violé les dispositions de l'article 1348-2 qui a fixé de nouvelles règles pour la compensation.

Elle soutient subsidiairement qu'elle est recevable et bien fondée à opposer au liquidateur judiciaire l'exception de paiement par compensation de créances connexes prévue par l'article L.622-7-1 du code de commerce dans la mesure où, en vertu d'une jurisprudence bien établie, la compensation des dettes connexes n'est pas soumise aux conditions de liquidité et d'exigibilité des dettes, ce principe dégagé par la jurisprudence ayant été codifié à l'article 1348-1 du code civil par l'ordonnance du 1er octobre 2016.

Ajoutant que selon une jurisprudence constante sont connexes les créances réciproques qui sont soit issues d'un même contrat, soit issues de contrats qui, bien que distincts, s'inscrivent dans le cadre d'un ensemble contractuel unique, elle considère que le nantissement de compte-titres financiers constitue l'un des éléments du contrat de prêt, une des garanties de son remboursement ainsi que stipulé au contrat de prêt et 'une condition de sa mise en force', observant que la déclaration de nantissement indique l'obligation garantie, à savoir le remboursement du prêt, de sorte que les conventions sont juridiquement liées et indissociables, les obligations réciproques des parties dérivant d'un même contrat ; elle en déduit qu'elle est ainsi fondée, à due concurrence des sommes qui lui restent dues au titre du prêt, à opposer le paiement par compensation des créances connexes, peu important dans ce cas la date retenue comme étant celle du remboursement du prêt.

La Selarl C. Basse, ès qualités, au visa de l'article L.632-1 3º, fait état en premier lieu de la jurisprudence qui considère traditionnellement que le remboursement anticipé d'un prêt, quand bien même la possibilité en aurait été expressément prévue dans le contrat, correspond au paiement d'une dette non échue et fait valoir que par ces virements, intervenus par débit du compte de la société débitrice les 16 et 18 juillet 2018, après l'ouverture de la procédure collective, et correspondant au remboursement anticipé du prêt, la banque a obtenu le paiement d'une créance non échue alors que la société débitrice était en état de cessation des paiements de sorte que ce paiement doit être annulé. Elle ajoute que le remboursement anticipé de ce prêt, sollicité par le dirigeant de la société débitrice sous condition de la levée immédiate des cautions du président auprès de la Bred constitue un paiement, par un mode anormal, d'une dette non échue.

Au visa de l'article L.622-7 I du code de commerce, applicable à la procédure de redressement et de liquidation judiciaires, la Selarl C. Basse, ès qualités, expose en second lieu que la créance de la Bred en remboursement des sommes dues au titre du prêt du 25 juillet 2014 est une créance antérieure au jugement d'ouverture qui entre dans le champ de l'interdiction des paiements prévue par cet article L.622-7 I sauf dans le cas de créances connexes.

Elle observe d'une part, après avoir rappelé que selon l'article 1348-2 du code civil la compensation conventionnelle produit ses effets à la date de l'accord des parties si les obligations existent à cette date ou à la date de leur coexistence s'il s'agit d'obligations futures comme les créances en cause, que la créance de la société sur la banque au titre de la réalisation des titres financiers est née le 11 juillet 2018, date de la cession des titres et que le remboursement anticipé, en application des conditions générales du prêt, a pris effet le 25 août 2018 ; elle en déduit que la compensation conventionnelle convenue par les parties n'a pu produire ses effets qu'à compter du 25 août 2018 de sorte que les conditions n'en étaient pas réunies au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective.

Elle conclut d'autre part et au surplus à l'absence de connexité des créances en cause, signalant que les deux obligations sont issues de deux contrats distincts, la convention de compte-titres et le contrat de prêt, lesquels poursuivent des objectifs tout à fait différents et n'ont été conclus ni aux mêmes dates ni dans les mêmes circonstances de sorte qu'il n'est pas possible d'identifier une quelconque opération économique commune à ces deux conventions. Elle affirme que contrairement à ce que prétend la banque, la connexité entre les deux obligations ne saurait être déduite de la seule constitution du nantissement dès lors qu'en application du code monétaire et financier, le nantissement d'un compte-titres confère uniquement un droit de rétention au créancier qui en est bénéficiaire, lequel reste soumis, durant la période d'observation, aux mêmes interdictions que n'importe quel autre créancier titulaire d'une garantie. Elle ajoute que la jurisprudence a toujours refusé de reconnaître une connexité entre une créance de remboursement de prêt et une créance issue du solde créditeur d'un compte bancaire, qu'il soit nanti ou non, de sorte que les paiements litigieux doivent être annulés, ces virements étant de surcroît intervenus en violation de la mission d'assistance de l'administrateur judiciaire.

A titre subsidiaire, le liquidateur judiciaire prétend que la nullité de ces virements doit être prononcée sur le fondement de l'article L.632-2 du code de commerce dès lors que la banque avait à cette date une parfaite connaissance de l'état de cessation des paiements de la société débitrice pour les mêmes motifs que ceux évoqués à propos du paiement de la somme de 97 612,07 euros.

Aux termes de l'article L.622-7, en son paragraphe I, applicable aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires comme le prévoient les articles L. 631-19 et L.641-3 du même code, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L.622-17.

La sanction de tout acte ou tout paiement passé en violation de ces dispositions est son annulation dans les conditions précisées au III du même article.

Les virements litigieux, à hauteur de 407 133,87 euros et 94,23 euros, correspondent au capital restant dû sur le prêt contracté par la société 5 Invest'h. La créance détenue par la Bred en remboursement du solde restant dû au titre du prêt souscrit par la société 5 Invest'h, laquelle a pour fait générateur le contrat de prêt, est une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, en date du 12 juillet 2018.

Les virements opérés les 16 et 18 juillet 2018, par débit du compte nº 218.04.7564 au profit de la Bred, ne peuvent donc être admis, en application du texte précité, que s'ils correspondent au paiement par compensation de dettes connexes. Il convient donc d'apprécier si les dettes en cause peuvent être considérées comme connexes sans qu'il y ait lieu au préalable d'examiner le moyen développé par la Bred au titre de la compensation conventionnelle.

Comme rappelé précédemment, la compensation décidée à la demande du dirigeant de la société 5 Invest'h est intervenue entre d'une part la créance de remboursement dont la banque disposait au titre du contrat de prêt et d'autre part la créance détenue par la société 5 Invest'h à l'égard de la Bred en exécution de la convention de compte-titres dont elle était titulaire. Les fonds provenant de la vente des titres dont la société 5 Invest'h était titulaire ont été portés au crédit du compte 218 047564, à hauteur de 422 682,46 euros le 11 juillet 2018.

Etant rappelé que pour être considérées comme connexes les obligations doivent dériver d'un même contrat ou de contrats s'inscrivant dans le cadre du développement d'une relation d'affaire ou dans un ensemble contractuel unique servant de cadre Y… aux relations entre les parties, les deux conventions, à l'origine des créances réciproques, outre qu'elles sont issues de contrats distincts, ont été convenues à des dates et dans des circonstances différentes puisque la convention de comptes-titres a été souscrite, antérieurement au prêt, dans le but de faire fructifier la trésorerie dont disposait la société 5 Invest'h tandis que le contrat de prêt l'a été dans le but de financer une partie du prix d'acquisition des parts sociales de la société Print Platinium.

Il ne peut donc être considéré que ces deux contrats s'inscrivent dans une opération économique commune, étant souligné que la connexité alléguée entre ces obligations ne peut résulter du seul fait que le compte-titres a été nanti en garantie du remboursement du contrat de prêt alors même qu'en vertu de l'article L. 211-20 IV du code monétaire et financier, le nantissement du compte-titres confère uniquement un droit de rétention au créancier qui en bénéficie. Le fait que le compte-titres ait été nanti en garantie du remboursement du contrat de prêt, s'il démontre un lien entre ces deux contrats, est impropre à caractériser l'existence d'un lien de connexité.

Par conséquent, en l'absence de créances connexes, la Bred ne peut valablement se prévaloir de la compensation alléguée, étant de surcroît ajouté que les virements litigieux, opérés postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, sont intervenus en dehors de toute autorisation de l'administrateur judiciaire.

En application de l'article L.622-7, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé les virements opérés à hauteur de 407 133,87 euros et 94,23 euros.

Sur la demande subsidiaire de la Bred :

La Bred, pour le cas où le prélèvement et les virements litigieux seraient annulés, soutient qu'elle ne saurait être condamnée à restituer les fonds correspondants au liquidateur judiciaire dans la mesure où le nantissement de compte-titres, régi par les dispositions des articles L.211-20 et suivants du code monétaire et financier, entraîne l'indisponibilité pour le constituant de la créance nantie, le créancier disposant d'un droit de rétention

Faisant valoir que l'annulation des paiements entraîne la réintégration des fonds dans le compte nanti et qu'il n'est pas contestable que le produit de la cession des titres est de plein droit compris dans l'assiette du nantissement, l'appelante en déduit que l'annulation des paiements opérés au moyen du produit de la cession des titres ne peut que conduire à la réintégration de ces fonds au crédit du compte nanti, celle-ci observant d'ailleurs que sa créance a été déclarée à titre privilégié en raison du nantissement.

Elle soutient que contrairement à ce qu'indique le ministère public, elle n'a pas donné mainlevée du remboursement de sa créance, ajoutant qu'elle n'a pas donné mainlevée de sa garantie.

Rappelant qu'aux termes de la jurisprudence, la mainlevée d'une sûreté, si elle n'est pas expresse, peut résulter d'une volonté tacite du créancier, la Selarl C. Basse, ès qualités, expose que les opérations réalisées par la Bred, à compter de la demande du dirigeant de la société 5 Invest'h en date du 7 juin 2018, permettent de caractériser une acceptation tacite par la banque d'accéder à la demande de la société de procéder à la mainlevée du nantissement et traduisent sans équivoque l'accord de la banque sur les modalités de remboursement de sa créance au titre du prêt. Elle observe que la banque n'a délibérément pas procédé à la réalisation de son nantissement conformément à la procédure prévue aux articles L.211-20 V et D.211-11 du code monétaire et financier, celle-ci ne démontrant pas qu'elle ait procédé à la mise en demeure requise préalablement à cette réalisation et prétend qu'elle a préféré convenir avec son débiteur de modalités dérogatoires de réalisation du nantissement en organisant la cession des titres nantis pour en affecter le solde créditeur au paiement de sa créance, la banque s'étant ainsi délibérément départie du régime du nantissement et ayant procédé à la mainlevée de sa sûreté.

S'il est constant que la Bred a déclaré à titre privilégié sa créance correspondant au capital restant dû sur le prêt consenti à la société 5 Invest'h, celle-ci entendant toujours se prévaloir du nantissement du compte-titres consenti par la société emprunteuse en garantie du remboursement du contrat de prêt, il ressort cependant de la chronologie des événements du dossier que la Bred a accepté, conformément à la demande du dirigeant, de 'débloquer la trésorerie nantie' dans ses livres et qu'à la suite de cette demande, elle a procédé à la cession des titres dont était titulaire la société 5 Invest'h sur son compte-titres et a affecté la trésorerie en résultant au paiement des sommes, échues et à échoir, restant dues au titre du contrat de prêt.

Cette cession n'est pas intervenue dans le cadre de la réalisation du nantissement dont bénéficiait la Bred, lequel supposait, pour être valablement réalisé, la délivrance, conformément aux dispositions des articles L.211-20, en son paragraphe V et D.211-11 du code de commerce, d'une mise en demeure par lettre recommandée ou remise en main propre, cette formalité étant indispensable à la mise en oeuvre de cette sûreté.

La Bred qui ne démontre ni même n'allègue avoir procédé à la remise ou à l'envoi d'une telle mise en demeure ne peut donc valablement soutenir que suite à l'annulation des prélèvements et virements litigieux, elle peut toujours se prévaloir du nantissement qui n'a pas été réalisé dans les formes légalement prévues.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à restituer à la Selarl C. Basse, ès qualités, la somme totale de 97 612,07 euros indûment prélevée et la somme totale de 407 228,10 euros, objet des virements des 16 et 18 juillet 2018.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Déclare la société Bred banque populaire recevable en son appel ;

Confirme le jugement du 24 mars 2021 en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Bred banque populaire à verser à la Selarl C. Basse, ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Bred banque populaire aux dépens de la procédure d'appel.