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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 18 mai 2021, n° 20/00280

ANGERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

Mme Breda, M. Benmimoune

Juge de l'exécution du Mans, du 27 janv.…

27 janvier 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement réputé contradictoire du 7 février 2018, le tribunal d'instance du Mans a, notamment, avec exécution provisoire, prononcé la résolution de la vente d'un véhicule ; condamné en conséquence Mme T. à rembourser à M. P. le prix de vente outre intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 10 novembre 2017 ; condamné Mme T. sous astreinte de 50 euros par jour de retard suivant la signification du jugement, à reprendre possession du véhicule ; condamné Mme T. à régler à M. P. les sommes de 350 euros à titre de dommages-intérêts, tous préjudices confondus, de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance.

Suivant acte du 9 avril 2018 établi par Maître Marie-Charlotte A., membre de la SCP R.-L.-A.-D.-A., huissier de justice, a signifié ce jugement en établissant un procès-verbal de recherches infructueuses, en application des dispositions de l'article 659 du code de procédure civile.

Par acte du 27 mars 2019, poursuivant l’exécution du jugement du 7 février 2018, M. P. a fait délivrer à Mme T. un commandement de payer aux fins de saisie-vente, pour un montant de 3.322,31 euros, à sa nouvelle adresse du [...]. Cet acte a été remis à la destinataire en l'étude de l'huissier, puis, le 15 avril 2019, il a fait signifier à Mme T., à cette même dernière adresse, un procès-verbal de saisie-vente. L'acte a été remis à sa destinataire.

Par acte d'huissier du 29 avril 2019, Mme Naïma T. a assigné M. Benjamin P. devant le juge de l’exécution du tribunal d'instance du Mans aux fins de voir déclarer nulles et de nul effet l'assignation délivrée par devant ledit tribunal le 10 novembre 2017, la signification du jugement du 7 février 2018 et, par voie de conséquence, de voir mettre à néant le jugement intervenu, de voir déclarer nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 27 mars 2019 et le procès-verbal de saisie-vente du 15 avril 2019 ; de voir condamner M. P. à lui payer une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi, la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

En défense, M. P. a demandé au juge saisi de rejeter toutes les demandes de Mme T., de valider les actes de procédure délivrés à celle-ci, de dire qu'il dispose bien d'un titre exécutoire définitif et que les actes d’exécution doivent recevoir leur plein et entier effet ; de condamner Mme T. à lui payer la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité de procédure outre aux dépens et frais de mesures d’exécution.

Par jugement du 27 janvier 2020, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire du Mans a :

- déclaré nul l'acte de signification du jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018,

- constaté que le jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018 est non avenu,

- déclaré nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 27 mars 2019,

- déclaré nul et de nul effet le procès-verbal de saisie-vente délivrée le 15 avril 2019,

- ordonné en conséquence la mainlevée de la saisie-vente,

- dit que M. Benjamin P. supportera la charge des frais de mesures d’exécution qu'il a mises en oeuvre,

- rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par Mme Naïma T.,

- condamné M. Benjamin P. aux dépens,

- condamné M. Benjamin P. à payer à Mme Naïma T. une indemnité de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,

- rappelé que les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit.

Par déclaration reçue au greffe le 13 février 2020, M. P. a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a déclaré nul l'acte de signification du jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018 à l'encontre de Mme Naïma T. auquel a procédé Marie-Charlotte A., membre de la SCP R.-L.-A.-D.-A., huissiers de justice associés au Mans, le 9 avril 2018 ; constaté que le jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018 est non avenu ; déclaré nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 27 mars 2019 ; déclaré nul et de nul effet le procès-verbal de saisie-vente délivrée le 15 avril 2019 ; ordonné en conséquence la mainlevée de la saisie-vente ; dit que M. Benjamin P. supportera la charge des frais de mesures d’exécution qu'il a mises en oeuvre ; condamné M. Benjamin P. aux dépens ; condamné M. Benjamin P. à payer à Mme Naïma T. une indemnité de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif ; intimant Mme Naïma T..

Mme T. a formé appel incident.

M. P. et Mme T. ont conclu.

Une ordonnance du 8 février 2021 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe

- le 6 juillet 2020 pour M. P.,

- le 8 juin 2020 pour Mme T.,

qui peuvent se résumer comme suit.

M. P. demande à la Cour de :

- dire et juger M. P. recevable et bien fondé en son appel et y faisant droit,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* déclaré nul l'acte de signification du jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018 à l'encontre de Mme T. auquel a procédé Mme A., membre de la SCP R.-L.-A.-D.-A., huissiers de justice associés au Mans, le 9 avril 2018,

* constaté que le jugement rendu par le tribunal d'instance du Mans le 7 février 2018 est non avenu,

* déclaré nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente délivré le 27 mars 2019,

* déclaré nul et de nul effet le procès-verbal de saisie-vente délivrée le 15 avril 2019,

* ordonné en conséquence la mainlevée de la saisie-vente,

* dit que M. Benjamin P. supportera la charge des frais de mesures d’exécution qu'il a mises en oeuvre,

* condamné M. Benjamin P. aux dépens,

* condamné M. Benjamin P. à payer à Mme Naïma T. une indemnité de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au présent dispositif,

- débouter Mme T. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- valider les actes de procédure délivrés à Mme T. à la requête de M. P., tant en ce qui concerne l'assignation devant le tribunal d'instance du Mans en date du 10 novembre 2017, qu'en ce qui concerne la signification de jugement du 9 avril 2018,

- dire et juger qu'en conséquence M. P. bénéficie à l'encontre de Mme T. d'un titre exécutoire définitif,

- dire et juger que les actes d’exécution délivrés à Mme T. à la requête de M. P. en exécution du jugement précité doivent recevoir leur plein et entier effet,

- débouter Mme T. de sa demande à titre de dommages et intérêts, ce en toute hypothèse, confirmant en cela le jugement entrepris, et rejetant ainsi l'appel incident,

- réformant le jugement entrepris de ce chef, débouter Mme T. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance,

- débouter Mme T. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel,

- reconventionnellement, condamner Mme T. à payer à M. P. une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles devant la cour,

- condamner Mme T. aux entiers dépens de première instance et d'appel.

M. P. prétend que les significations de l'assignation du 10 novembre 2017 et du jugement du 9 avril 2018 étaient régulières dès lors que l'huissier instrumentaire, s'étant présenté à la dernière adresse connue de Mme T., et ayant constaté que celle-ci n'y habitait plus, n'y avait plus ni boîte aux lettres ni sonnette à son nom, et n'ayant obtenu aucun renseignement sur Mme T. de la mairie, sur les pages blanches, par internet, a accompli des diligences suffisantes.

Il observe que l'huissier instrumentaire a confirmé par lettre du 4 mai 2020, avoir, le 10 novembre 2017, pris sur place toutes les informations nécessaires, en l'absence de gardien. Il souligne que selon l'huissier, les bailleurs sociaux et la poste, opposant le secret professionnel, ne délivrent pas de renseignements ; que les différentes administrations ne pouvaient être interrogées, à défaut de titre exécutoire. Il ajoute que l'huissier a confirmé que la signification du 9 avril 2018 a été faite en acte détaché sans mandat d’exécution, et que les recherches auprès de la mairie et des pages blanches avaient été réitérées ; que ce n'est que plusieurs semaines après cette signification qu'il a reçu mandat d’exécution avec l'envoi de l'original de la copie exécutoire lui permettant d'interroger officiellement les administrations le 6 novembre 2018.

Il considère justifier de ce que le Trésor Public n'a communiqué la nouvelle adresse de Mme T. que le 25 mars 2019, soit deux jours avant la signification du commandement de payer.

Il en déduit que la procédure ayant donné lieu au jugement du 7 février 2018 doit être purement et simplement validée, que l'intimée doit être déboutée de ses demandes de nullité et que le caractère définitif de ce jugement et partant la validité du titre exécutoire fondant les poursuites qu'il mène doivent être constatés.

Il prétend qu'en conséquence le commandement de payer valant saisie-vente et le procès-verbal de saisie vente, qui de surcroît ont été délivrés à Mme T. en personne, à sa nouvelle adresse et contre lesquels l'intimée n'émet pas d'autre contestation, doivent être validés.

Il estime que Mme T. ne fait que se livrer à des affirmations péremptoires et ne justifie, au soutien de sa demande de dommages et intérêts, ni du principe ni du quantum d'un préjudice qui serait expressément lié aux actes d'huissier qu'elle conteste et aux conditions de leur délivrance.

Mme T. demande à la Cour de :

- déclarer M. P. irrecevable et en tous les cas mal fondé de son appel, ses demandes et contestations ; les rejeter,

- confirmer la décision entreprise en ce que l'acte de signification du jugement du tribunal d'instance du Mans du 7 février 2018 a été déclaré nul,

faisant droit à l'appel incident de Mme T.,

- dire et juger l'assignation par-devant le tribunal d'instance du Mans nulle et de nul effet ou, à défaut, confirmer le jugement en ce que le jugement a été déclaré non avenu, déclarer nul et de nul effet le commandement de payer aux fins de saisie-vente, le procès-verbal de saisie-vente, et en ce qu'il a été ordonné la mainlevée de la saisie-vente,

- condamner M. P. au paiement d'une somme de 5.000 euros au profit de Mme T. pour procédure abusive et vexatoire,

- condamner M. P. au paiement d'une somme de 3.000 euros au profit de Mme T. au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner M. P. aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître M., membre de la SCP L.Godard Héron Boutard Simon V. M..

Mme T. observe que la jurisprudence exige que l'huissier ne signifie un acte par procès-verbal prévu à l'article 659 du code de procédure civile qu'en cas d'impossibilité de trouver le domicile du destinataire, après avoir accompli des investigations concrètes et utiles pour découvrir ce domicile, investigations qu'il doit mentionner de façon précise, sans se limiter à une simple formule de style.

Elle soutient que l'huissier instrumentaire n'a pas, aussi bien pour la signification de l'assignation du 10 novembre 2017 que celle du jugement du 9 avril 2018, au vu des procès-verbaux de recherches infructueuses qu'il a dressés, accompli toutes les diligences suffisantes pour la retrouver aux fins de lui signifier les actes.

S'agissant de ladite assignation, elle relève que l'huissier instrumentaire n'a pas interrogé le bailleur social dont le nom figurait sur le bâtiment ainsi que le veut l'usage, qu'il n'a manifestement pas pris soin de rencontrer quelqu'un, alors qu'il n'a pas précisé avoir sonné au voisinage et s'être rendu à la loge du gardien qui connaissait selon elle sa nouvelle adresse. Elle note que l'huissier n'avait pas à limiter sa recherche dans les pages blanches au seul département de la Sarthe.

S'agissant de la signification du jugement du 9 avril 2018, elle considère qu'il est établi que l'huissier s'est rendu sur place sans y procéder à la moindre vérification, qu'il n'a pas interrogé la mairie, la poste, les administrations, l'organisme social. De plus, elle constate que le procès-verbal de recherches infructueuses fait expressément référence à des diligences antérieures, sans en outre que l'occasion n'en soit connue. Elle fait valoir que, pourtant, l'huissier doit procéder à de nouvelles instigations à chaque acte qu'il dresse.

Elle prétend que la lettre de l'huissier du 4 mai 2020 ne peut permettre de définir des diligences complémentaires à celles indiquées dans le cadre de l'exploit et valider a posteriori les actes accomplis ; qu'elle a été établie pour les besoins de la cause ; que, dans tous les cas, il n'a pas la valeur d'un acte authentique et ne peut remettre en cause les mentions comprises dans l'exploit d'huissier qui n'a pas fait l'objet d'inscription de faux. Elle estime que l'huissier ne peut invoquer l'opposition systématique du secret professionnel par les bailleurs et la poste pour justifier son absence de diligence.

Elle observe que du fait des graves manquements de l'huissier, elle n'a pas pu prendre connaissance de la procédure initiée contre elle, ni s'y défendre, pas davantage qu'elle n'a pu connaître la décision entreprise et interjeter appel.

En conséquence, elle demande à la cour de déclarer nulle et de nul effet l'assignation devant le tribunal ou à tout le moins de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que le jugement du 7 février 2018 non avenu et déclarer nuls et de nul effet les actes de procédures civiles d’exécution subséquents.

A titre incident, Mme T. s'estime fondée à obtenir une indemnisation du fait de son préjudice qu'elle allègue résulter des manquements susvisés, précisant être une mère seule, handicapée, avec de faibles ressources, et avoir été choquée de faire l'objet de voies d’exécution assorties d'un montant d'astreinte aussi considérable.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la régularité des actes de signification des 10 novembres 2017 et 9 avril 2018 et sur le caractère exécutoire du jugement du 7 février 2018

Il convient de relever que la Cour, n'étant pas saisie de l'appel du jugement rendu 7 février 2018, n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la validité de l'assignation du 10 novembre 2017 par laquelle a été introduite l'instance ayant abouti à ce jugement.

En revanche, le juge de l’exécution étant compétent, en application de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, pour connaître de toutes difficultés d’exécution qui s'élèvent à l'occasion de l’exécution forcée d'un titre exécutoire, la Cour, statuant sur la validité de saisie-vente du 15 avril 2019 doit se prononcer sur la contestation de la validité de la signification du jugement en exécution duquel cette saisie a été pratiquée.

En vertu de l'article 503 du code de procédure civile, une décision de justice n'est exécutoire que si elle a été notifiée ou signifiée.

Il résulte des articles 654 et 655 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile que si, en principe, la signification d'un acte doit être faite par huissier de justice à personne, en cas d'impossibilité, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit à défaut de domicile connu, à résidence, et que l'huissier doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification.

En application de l'article 659 alinéas 1, 2 et 3 du code de procédure civile, lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte. Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.

S'il n'existe pas de liste exhaustive de diligences devant être nécessairement accomplies par l'huissier de justice, celui-ci, en vertu de ces dispositions précitées, ne peut se contenter d'une mention générale, il doit énoncer les diligences personnelles effectuées et les raisons concrètes et précises qui auraient empêché la signification à personne, au domicile, à la résidence ou au lieu de travail du destinataire de l'acte. Il est admis que ne procède pas à des diligences suffisantes l'huissier qui n'épuise pas les moyens à sa disposition au jour où il instrumente, et qui pourraient lui permettre de localiser le destinataire de l'acte et de procéder par conséquent à une signification selon les voies normales, l'appréciation des diligences qui doivent nécessairement être plurales selon les prescriptions de l'article 659 alinéa 1er du code de procédure civile, étant menée in concreto.

Selon l'article 663 du code de procédure civile, les originaux des actes d'huissier de justice doivent porter mention des formalités et diligences auxquelles donne lieu l'application des textes précités, avec l'indication de leurs dates.

Ce qui est prescrit par les articles 654 et 655 du code de procédure civile est observé à peine de nullité et, en vertu de l'article 693 du code de procédure civile, sous réserve de l'existence d'un grief.

En effet, la nullité des actes d'huissier de justice, selon l'article 649 du code de procédure civile, est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédures .

L'article 114 du code précité dispose qu'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de procédure si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même s'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

Il est constant que l'huissier n'a pas à prouver ses diligences, que les mentions qu'il porte sur ses actes font foi jusqu'à inscription de faux, en vertu de l'article 1371 du code civil.

La preuve de l'impossibilité de signifier l'acte à personne doit résulter de l'acte de signification lui-même, sans pouvoir s'évincer de déclarations postérieures à l'acte. Par conséquent, il ne peut être tenu compte de la lettre du 4 mai 2020 de Maître A. en ses dispositions concernant précisément les deux significations litigieuses.

Au cas particulier, Mme T. ne démontre pas avoir porté à la connaissance de l'intimé son changement d'adresse. Elle ne précise pas dans ses écritures que son lieu de travail aurait dû être recherché et pu être trouvé. Il n'est pas établi que M. P. ait eu connaissance de la véritable adresse de Mme T., ni de l'employeur de celle-ci.

Toutefois, comme l'a exactement rappelé le tribunal, la circonstance que Mme T. n'ait pas communiqué sa nouvelle adresse ne dispensait pas l'huissier instrumentaire d'accomplir des diligences suffisantes pour déterminer la nouvelle adresse de la destinataire des actes qu'il signifiait. Il appartenait à l'huissier de faire des diligences pour trouver l'adresse de Mme T. au moment où il lui signifiait l'acte.

L'acte de signification a été délivré selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile. Dans le procès-verbal de recherches infructueuses, l'huissier instrumentaire mentionne qu'il s'est rendu à la dernière adresse connue de Mme T. déclarée par le requérant et qu'à cette adresse 'les circonstances décrites ci-dessous m'ont démontré que le destinataire n'y avait plus aucun domicile et j'ai alors procédé aux recherches décrites ci-dessous. Lors d'un précédent passage, j'ai constaté sur place, qu'il s'agissait d'un immeuble avec de nombreux logements où le nom de Mme Tegui N. ne figurait sur aucune boîte aux lettres, ni sonnette. Je n'ai rencontré personne pour me renseigner. De retour à l'étude, j'effectue une recherche Pages Blanches au nom de Mme Tegui N. mais je n'obtiens aucun résultat pour le département de la Sarthe (72). Lors de précédentes recherches, j'ai contacté la mairie de Allonnes qui m'indique ne pas avoir d'informations supplémentaires. J'effectue une recherche sur internet mais n'obtiens aucune autre information exploitable. Le mandant n'ayant pas de renseignements supplémentaires et n'ayant pas connaissance d'un éventuel employeur, je ne peux poursuivre mes investigations. Ces diligences ainsi effectuées ne m'ayant pas permis de retrouver le destinataire de l'acte, ce dernier étant actuellement sans domicile ni résidence connue, j'ai dressé le présent procès-verbal de recherches infructueuses, conformément à l'article 659 du code de procédure civile. Le 09/04/2018, j'ai adressé au signifié, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du présent procès-verbal ainsi qu'une copie de l'acte ainsi signifié. Le même jour j'ai avisé le destinataire par lettre simple de l'accomplissement de cette formalité à la même adresse.'

Ainsi que l'a observé le premier juge, l'huissier opère, à plusieurs reprises, par renvois à des diligences effectuées lors d'un précédent passage.

Il n'en reste pas moins que l'huissier indique, en préliminaire du procès-verbal, s'être rendu à la dernière adresse connue déclarée par M. P., ce qui vaut jusqu'à inscription de faux et qu'il ne s'est pas contenté de se référer à un précédent déplacement sur les lieux.

Le fait d'utiliser les expressions 'précédent passage' puis plus loin, 'précédentes recherches', en ouverture de certaines phrases, et d'employer le présent de l'indicatif, démontre que l'huissier a entendu distinguer entre les diligences qu'il a effectuées précédemment et celles accomplies pour signifier le jugement du 7 février 2018.

Il est observé qu'il ne ressort pas de ce procès-verbal que l'huissier n'ait pas cherché à interroger le voisinage, ce dernier indiquant n'avoir rencontré personne sur place pour le renseigner.

En outre, Mme T., qui procède par voie d'affirmations, ne démontre pas que l'immeuble où se trouvait son ancienne adresse disposait des services d'un gardien et avoir, le cas échéant, informé celui-ci de sa nouvelle adresse.

Si l'huissier de justice ne précise pas avoir questionné les bailleurs sociaux, il est relevé que l'intimée n'établit pas avoir laissé son adresse à un bailleur social après son départ du logement où s'est rendu l'huissier et qu'ainsi, par ce biais, l'huissier aurait pu trouver son adresse.

Mme T., au vu de son adresse sarthoise actuelle, ne justifie pas non plus qu'une recherche dans les annuaires téléphoniques des autres départements que la Sarthe aurait permis à l'huissier significateur de l'atteindre.

En outre, il s'évince des termes de ce procès-verbal que l'huissier de justice ne s'est pas limité à une recherche dans les 'Pages Blanches' au nom de l'appelante mais a aussi entrepris une recherche sur internet, lesquelles ne se sont pas avérées concluantes.

La rédaction du procès-verbal du 9 mai 2018 ne permet pas d'établir avec certitude que l'huissier ait réitéré son contact avec la mairie d'Allonnes. Il appartient néanmoins à Mme T. de démontrer que cette omission lui a causé un grief, en établissant que l'interrogation de la mairie aurait nécessairement permis de découvrir sa nouvelle adresse, ce qu'elle ne fait pas, étant observé que la tentative de l'huissier auprès de cette même mairie s'était révélée infructueuse lors de l'assignation en justice et que, de surcroît, l'appelante est domiciliée désormais dans une autre commune.

Non investi d'un mandat d’exécution pour signifier le jugement du 7 février 2018, l'huissier de justice ne disposait pas de prérogatives exorbitantes du droit commun lui permettant d'interroger, sans qu'elles ne lui opposent de secret professionnel, les administrations.

En effet, Il résulte de l'article L. 152-1 du code des procédures civiles d’exécution dans sa rédaction applicable à la cause issue de la loi n°2015-177 du 16 février 2015, que s'il n'est plus besoin pour lui depuis cette loi de justifier d'un titre exécutoire, seul l'huissier de justice 'chargé de l’exécution ' est en droit d'obtenir des administrations de l'Etat, des régions, des départements et des communes, des entreprises concédées ou contrôlées par l'Etat, les régions, les départements et les communes, les établissements publics ou organismes contrôlés par l'autorité administrative, les renseignements qu'ils détiennent permettant de déterminer l'adresse du débiteur, l'identité et l'adresse de son employeur ou de tout tiers débiteur ou dépositaire de sommes liquides ou exigibles et la composition de son patrimoine immobilier.

Ainsi, la circonstance que l'huissier de justice n'indique pas dans son procès-verbal avoir interrogé ces administrations ne peut être vue comme une carence de sa part.

Au surplus, il ne saurait être fait grief à l'huissier de ne pas avoir interrogé les services de la poste pour découvrir la nouvelle adresse de Mme T. alors que ses recherches sur les pages blanches ont été infructueuses, et que le motif du renvoi par la poste de la lettre recommandée envoyée par l'huissier le 10 novembre 2017 pour l'assignation en justice, revenue avec la mention 'destinataire inconnu à l'adresse' démontre que celle-ci n'a pas fait assurer le suivi de son courrier. Il s'en infère que la diligence dont l'omission est reprochée à l'huissier instrumentaire aurait été en toute hypothèse inutile.

Au vu des mentions intrinsèques du procès-verbal de constat d'huissier relatant des diligences suffisantes de l'huissier et, au surplus, à défaut de preuve d'un grief rapportée par l'appelante, le procès-verbal de signification du jugement du 7 février 2018 est régulier. Ledit jugement est donc exécutoire et définitif et peut donc servir à fonder une saisie-vente.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré dont appel et de juger que M. P. bénéficie, de par le jugement du 7 février 2018, d'un titre exécutoire qui l'autorisait à délivrer un commandement de payer aux fins de saisie-vente à Mme T. et à lui signifier un procès-verbal de saisie-vente pour le montant de 3.322,31 euros, non contesté par l'appelante, sans que ces derniers actes n'encourent de nullité.

En outre, la demande indemnitaire pour procédure abusive et injustifiée de Mme T., qui se trouve infondée au regard des considérations précédentes, sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

Mme T. succombant en ses prétentions, le jugement dont appel sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

Partie perdante, Mme T. sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée aux entiers dépens, outre à verser à M. P. une somme de 2.000 euros pour les procédures de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,

- Déclare irrecevable la demande tendant à statuer sur la validité de l'assignation du 10 novembre 2017 ;

- Infirme le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire du Mans, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formulée par Mme Naïma T. et rappelé que les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit ;

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que l'acte de signification du jugement du 7 février 2018 par procès-verbal de recherche infructueuse en date du 9 avril 2018 est régulier et que le jugement du 7 février 2018 est un titre exécutoire ;

- Dit que M. Benjamin P. bénéficie d'un titre exécutoire lui permettant de pratiquer une saisie-vente pour un montant de 3.322,31 euros à l'encontre de Mme Naïma T. ;

- Déboute Mme Naïma T. de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamne Mme Naïma T. au paiement de la somme de 2.000 euros à M. Benjamin P. pour les procédures de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne Mme Naïma T. aux entiers dépens de première instance et d'appel.