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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 21 février 2022, n° 21/00294

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mme Fabreguettes, Mme Dayre

Juge de l’exécution Strasbourg, du 17 dé…

17 décembre 2020

Par acte notarié reçu le 27 octobre 1999 en l'étude de Maître B., notaire à Benfeld, la Sa Banque Populaire a consenti à Madame Czerna Genia S. épouse A. un prêt immobilier d'un montant de 1 087 000 francs, remboursable en cent-quatre-vingts mois avec intérêts débiteurs de 4,600 %, destiné à financer l'acquisition de deux studios en l'état futur d'achèvement. L'acte comporte une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate.

Par ordonnance du 20 janvier 2010, le tribunal de l’exécution forcée de Strasbourg a ordonné la vente forcée des immeubles appartenant à Madame Czerna Genia S. épouse A..

Par requête en date du 30 août 2019, la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne a saisi le tribunal d'instance de Strasbourg d'une demande de saisie des rémunérations du travail de Madame Czerna Genia S. épouse A. entre les mains de la Sarl Résilience Consulting, pour paiement d'une somme totale de 230 674,90 €.

Elle a fait valoir qu'elle dispose d'un titre exécutoire et que sa créance n'est pas prescrite, en raison de l'effet interruptif attaché à un procès-verbal de saisie attribution des loyers signifié le 31 mars 2008 et de la procédure d’exécution immobilière toujours en cours.

Madame Czerna Genia S. épouse A. a conclu au rejet des demandes, au motif qu'elle ne dispose pas de revenus salariaux.

Subsidiairement, elle a soulevé la prescription de l'action de la banque et a fait valoir que la créance constatée dans l'acte notarié, soumise à la prescription biennale de l'article L. 218-2 du code de la consommation, est prescrite, les impayés datant de 2007 et la procédure d’exécution forcée n'ayant pas pour effet d'interrompre la prescription pendant son cours, en ce qu'elle ne répond pas aux prescriptions du code des procédures civiles d’exécution .

Par jugement du 17 décembre 2020, le juge de l’exécution de Strasbourg a :

-rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la créance,

-déclaré la requête en saisie des rémunérations recevable et bien fondée,

-autorisé la saisie des rémunérations de Madame Czerna Genia S. épouse A. entre les mains de la Sarl Résilience

Consulting pour les montants suivants :

-principal : 178 560,80 €,

-intérêts échus au 29 août 2019 : 90 246,30 €,

-frais de procédure : 3 005,62 €,

-versements à déduire : 41 137,83 €,

soit au total : 230 674,90 €,

-débouté les parties du surplus,

-dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Madame Czerna Genia S. épouse A. aux dépens,

-ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le premier juge a retenu que l’exécution de l'acte notarié se prescrit en fonction de la créance qu'il constate ; que le premier incident de paiement non régularisé se situait à l'échéance du mois d'août 2007 ; que le délai de prescription a été interrompu le 7 avril 2008 par la dénonciation à la débitrice d'une saisie attribution des loyers pratiquée le 31 mars 2008, de même que le 12 octobre 2009, date de signification du commandement aux fins de vente forcée immobilière ; que l'effet interruptif de prescription attaché à l'introduction de la procédure d’exécution forcée immobilière le 14 janvier 2010 n'a pas pris fin.

Le premier juge a par ailleurs retenu que Madame Czerna Genia S. épouse A. ne justifiait pas ne pas être dans une situation de subordination à l'égard de la société Résilience Consulting ; qu'elle échoue à rapporter la preuve que les revenus qu'elle a perçus ne relèvent pas de la catégorie des salaires et seraient insaisissables.

Madame Czerna Genia S. épouse A. a interjeté appel de cette décision le 29 décembre 2020.

Par écritures notifiées le 6 septembre 2021, elle conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

À titre principal,

-dire et juger que les dispositions de l'article L. 3252-1 et suivants du code sont inapplicables,

-dire et juger irrecevable et mal fondée la requête aux fins de saisie des rémunérations,

-débouter la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de l'intégralité de ses demandes,

À titre subsidiaire,

-juger que la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne ne justifie pas d'une créance liquide et exigible,

-dire et juger que l'action de la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne est prescrite,

-dire et juger irrecevable et mal fondée la requête aux fins de saisie des rémunérations,

-débouter la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de l'intégralité de ses demandes,

À titre infiniment subsidiaire :

-faire application du barème de l'article R. 3252-2 du code du travail,

-débouter la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de tout autre demande,

Sur appel incident,

-déclarer l'appel incident mal fondé,

-le rejeter,

-débouter la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de toute demande formée à ce titre,

En tout état de cause,

-juger que Madame Czerna Genia S. épouse A. ne pourra pas être tenue aux frais de la requête de saisie des rémunérations du 21 février 2018,

-condamner la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne au versement d'un montant de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel,

-condamner la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux entiers frais et dépens des procédures de première instance et d'appel.

Elle fait valoir qu'elle a consenti à la société Madeo Exploitation un bail commercial sur les studios dont elle est propriétaire ; que cette société a connu de graves difficultés économiques et a accumulé de nombreux retards de paiement de loyers, la mettant dans l'impossibilité d'honorer les échéances du prêt immobilier ; qu'une première demande en saisie des rémunérations a été rejetée par le tribunal d'instance de Strasbourg le 5 juillet 2018, au motif que le titre n'avait plus de caractère exécutoire ; que la seconde requête formée par la créancière n'est pas fondée.

Elle fait valoir en effet que les dispositions du code du travail relatives à la procédure de saisie des rémunérations ne sont pas applicables en l'espèce, dans la mesure où elle est la gérante de la Sarl Résilience Consulting ; qu'elle ne se trouve pas dans une situation de subordination à l'égard de cette société, dont elle est l'associé unique ; qu'elle ne perçoit aucun salaire du tiers saisi ; qu'il incombait à l'huissier instrumentaire d'user des moyens prévus aux articles L. 152-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution pour identifier un éventuel employeur et que le premier juge a inversé la charge de la preuve ; qu'elle ne perçoit aucun revenu de nature salariale, le premier juge ayant opéré une confusion entre la nature juridique de ses revenus et leur régime fiscal, la rémunération du gérant de Sarl étant soumise à l'impôt sur le revenu dans la catégorie traitements et salaires ; que la créancière était informée de ce qu'elle ne percevait pas de salaire, une saisie précédente envisagée ayant été suspendue par l'huissier en raison de cette circonstance.

À titre subsidiaire, elle fait valoir que la banque ne peut pas se prévaloir d'une créance exigible, en ce que la clause du contrat de prêt qui ne subordonne l'exigibilité anticipée à aucune mise en demeure préalable et ne stipule pas de préavis raisonnable avant la résiliation du contrat de prêt, est abusive ; qu'elle doit être réputée non écrite, de sorte que la banque ne pouvait résilier le contrat de plein droit, sans mise en demeure préalable et sans notification de la déchéance du terme ; que la créance est prescrite, aucune démarche n'ayant été effectuée par la banque entre le 20 janvier 2010 et le 7 février 2018 ; que la procédure d’exécution forcée immobilière encourant la nullité en raison des irrégularités commises, le cours de la prescription n'a pas été valablement interrompu et suspendu ; qu'en tout état de cause, ces effets interruptifs et suspensifs doivent être considérés comme non avenus à compter de la date de la convocation adressée par le notaire.

À titre infiniment subsidiaire, elle fait valoir que le montant réclamé est exorbitant au vu de ses ressources ; qu'il conviendra d'appliquer le barème prévu au code du travail et de prendre en considération les charges élevées qu'elle supporte ; que la banque ne peut solliciter sa condamnation aux frais de la première requête de saisie des rémunérations du 21 février 2018, qui a été rejetée.

Par écritures notifiées le 8 octobre 2021, la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne a conclu au rejet de l'appel principal et a formé appel incident pour voir infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande à la cour de condamner Madame Czerna Genia S. épouse A. aux entiers frais et dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et la somme de 2 500 € pour la procédure d'appel.

Elle rappelle que l'acte authentique de prêt prévoit une clause de soumission à l’exécution forcée immédiate ; que Madame Czerna Genia S. épouse A. ayant été défaillante dans le remboursement du prêt à compter d'août 2007, elle a dû se prévaloir de la déchéance du terme et mettre en oeuvre les procédures d’exécution.

Elle maintient que Madame Czerna Genia S. épouse A. ne justifie pas de sa situation de ressources postérieurement à l'année 2015 ; qu'elle se borne à affirmer n'être pas salariée de la société Résilience Consulting, sans en apporter la preuve ; que sa créance n'est pas prescrite, en ce que le délai biennal a été interrompu par la saisie attribution dénoncée à la débitrice le 7 avril 2008, puis par un commandement aux fins de vente forcée immobilière du 12 octobre 2009, par la requête en vente forcée immobilière du 14 janvier 2010 ; que l'interruption de la prescription attachée à l'introduction de cette instance n'a pas pris fin, aucune vente n'étant encore intervenue ni répartition du prix et aucune décision n'ayant définitivement mis fin à l'instance introduite devant le tribunal de l’exécution de Strasbourg.

Elle fait valoir qu'elle a mis en oeuvre régulièrement la déchéance du terme, les conditions générales du contrat prévoyant expressément la dispense de mise en demeure préalable ; qu'elle peut se prévaloir en tout état de cause de mises en demeure préalables adressées à la débitrice, de sorte qu'elle dispose d'une créance liquide et exigible.

MOTIFS

Sur l'appel :

En vertu des dispositions de l'article R. 121 20 du code des procédures civiles d’exécution, le délai d'appel des décisions du juge de l’exécution est de quinze jours à compter de la notification de la décision.

En l'espèce, le jugement rendu le 17 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Strasbourg a été notifié à Madame Czerna Genia S. épouse A. par lettre du 21 décembre 2020 reçu à une date non précisée.

L'appel formé en tout état de cause le 29 décembre 2020, moins de quinze jours à compter de la date portée sur la lettre de notification, est recevable en la forme.

Sur la rémunération de Madame Czerna Genia S. épouse A. :

Aux termes de l'article L. 3252-1 du code du travail, les dispositions du chapitre relatif aux saisies et cessions des salaires sont applicables aux sommes dues à titre de rémunération à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de sa rémunération, la forme et la nature de son contrat.

Selon statuts de la société à responsabilité limitée Résilience Consulting, Madame Czerna Genia S. épouse A. est associée unique, détentrice de la totalité des parts sociales et gérante. Il est stipulé à l'article 18 de cette convention que le gérant a droit, en rémunération de ses fonctions, à un traitement fixe ou proportionnel, ou à la fois fixe et proportionnel à passer par frais généraux ; que les modalités d'attribution de cette rémunération, ainsi que son montant, sont fixées par décision de l'associé unique ou décision ordinaire des associés.

Madame Czerna Genia S. épouse A. justifie de la rémunération qu'elle s'est allouée chaque année, par procès-verbal des décisions de l'associé unique, en date du 4 janvier 2017, 4 janvier 2018 et 4 janvier 2019.

Le rapprochement entre ces décisions et les avis d'imposition sur les revenus de l'appelante pour la période concernée montre que celle-ci ne bénéficiait pas d'autre rémunération que celle perçue au titre de sa fonction de gérante.

Si, aux termes des dispositions légales précitées, l'ensemble des rémunérations perçues par un personne salariée sont saisissables, c'est à la condition qu'il existe un lien de subordination ou de dépendance entre le débiteur et le tiers saisi, l'article L. 3252-1 visant en effet toutes les rémunérations perçues par le salarié travaillant pour le compte d'un ou plusieurs employeurs.

Force est de constater en l'espèce qu'il n'existe aucun lien de subordination entre Madame Czerna Genia S. épouse A. et le tiers saisi, la société Résilience Consulting, l'appelante étant à la fois gérante et associé unique et concentrant ainsi tous les pouvoirs au sein de la société, décidant seule de sa rémunération et déterminant librement les conditions d'exercice de son activité.

Il importe peu pour la solution du litige que la rémunération perçue par la gérante soit imposée sous le régime des traitements et salaires, au bénéfice de l'abattement de 10 % pour frais forfaitaires, puisqu'en l'absence de lien de subordination ou de dépendance envers le tiers saisi, le régime des saisies des rémunérations ne peut trouver à s'appliquer.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de saisie des rémunérations formée par la Banque Populaire, sans qu'il soit utile d'examiner les moyens soutenus à titre subsidiaire par l'appelante, tendant au caractère liquide et exigible de la créance et à la prescription de l'action de la créancière.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant aux dépens seront infirmées.

Partie perdante, l'intimée sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera en revanche fait droit à la demande de l'appelante au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire valoir ses droits, à hauteur de la somme de 1 500 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

DECLARE l'appel recevable en la forme,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

DEBOUTE la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de sa demande en saisie des rémunérations de Madame Czerna Genia S. épouse A. entre les mains de la Sarl Résilience Consulting,

CONDAMNE la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

CONDAMNE la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à payer à Madame Czerna Genia S. épouse A. la somme de 1 500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Sa Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens de l'instance d'appel.