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Décisions

Cass. soc., 15 octobre 1997, n° 94-45.609

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Ridé

Rapporteur :

M. Brissier

Avocat général :

M. Lyon-Caen

Avocat :

Me Balat

Besançon, ch. soc, du 21 oct. 1994

21 octobre 1994

Attendu que, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 21 octobre 1994), Mme X..., employée par la société Janvier en qualité d'ouvrier à domicile, a signé une convention qualifiée de transaction ayant pour objet de régler les conséquences de la rupture de son contrat de travail; qu'invoquant la nullité de la transaction, elle a saisi le conseil de prud'hommes pour obtenir notamment le paiement des indemnités liées à la rupture de son contrat de travail ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré nulle la transaction, alors, selon le moyen, que, d'une part, la cour d'appel n'a pas énoncé le vice de consentement à l'origine de sa décision; elle se borne à faire état en premier lieu d'une "circonstance, pour le moins suspecte...", d'un "faisceau de présomption", pouvant laisser croire que le dol serait à l'origine de l'annulation pour vice de consentement; en second lieu, la cour d'appel fait référence au fait que Mme X... n'a pu bénéficier du moindre délai de réflexion, ni pu comprendre par elle-même les différents documents soumis à sa signature,..." de l'extrême difficulté, voire de l'impossibilité pour son fils qui l'assistait de les saisir (les termes techniques), ou en tout cas d'en mesurer la portée...", laissant à penser que l'erreur pourrait être à l'origine d'une annulation pour vice de consentement. Cette ambiguïté démontre bien la difficulté pour la cour d'appel de qualifier le vice de consentement qu'elle met en avant : -soit la cour d'appel se base sur le dol;

en considération des stipulations de l'article 1116 du Code civil, et, dans ce cas, elle aurait dû justifier de deux éléments :

un élément objectif, c'est-à-dire des manoeuvres, un élément subjectif, l'erreur d'une des parties qui découle de ces manoeuvres, qu'en l'espèce, le seul fait de faire état d'"une circonstance suspecte", et d'"un faisceau de présomptions", indiquant que l'ensemble des documents aient été remis le même jour ne suffit pas à caractériser le dol, dans la mesure où la cour d'appel ne démontre pas que la signature de l'ensemble de ces documents à la même date n'émane pas de la volonté des parties de mettre un terme amiable à un litige en cours, au moyen de la remise de ces documents et de leur conclusion le même jour, alors que cette opération consistait bien en extinction d'une contestation réelle et née antérieurement, puisque ayant pour origine le courrier que Mme X... a adressé elle-même à la société Janvier le 7 octobre 1992 ;

que ce faisant, la cour d'appel ne démontre pas l'existence de manoeuvres frauduleuses ayant entraîné une erreur de Mme X... découlant de ces manoeuvres; que si la cour d'appel fonde le vice du consentement sur l'erreur, il ne peut en aucun cas s'agir d'une erreur sur la personne; que, compte tenu des dispositions de l'article 2052, alinéa 2, du Code civil, lequel stipule expressément que les "transactions ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion", seule une erreur de fait, à savoir portant seulement sur l'objet de la contestation permet d'annuler la transaction litigieuse, qu'en l'espèce, ce n'est pas cette erreur de fait qui a été retenue par la cour d'appel mais bien une erreur portant sur la portée de la transaction; qu'en effet, la cour d'appel énonce expressément "que l'extrême difficulté, voire même de l'impossibilité pour son fils qui l'assistait de les saisir (les termes techniques) ou en tout cas d'en mesurer la portée" ;

que ce faisant, elle est en complète contradiction avec les stipulations de l'article 2052, alinéa 2, précité, dans la mesure où aux termes dudit article, et conformément aux commentaires les plus nombreux, par erreur de droit, il convient de comprendre "une méprise portant sur l'existence ou sur la portée d'une norme ou sur la qualification juridique d'un fait ou d'un acte" ;

qu'ainsi, la cour d'appel a bien consacré la nullité de la transaction litigieuse sur une erreur de droit, ce qui est contraire aux stipulations expresses de l'article 2052, alinéa 2, du Code civil; alors que, de plus, la cour d'appel a violé l'article 2052, alinéa 2, du Code civil qui indique que les transactions ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit ou pour cause de lésion"; qu'en effet, la lésion est un préjudice résultant pour l'une des parties de la différence des concessions et prestations réciproques; qu'en portant un jugement sur la qualité des concessions, la cour d'appel déroge aux principes consacrés par la Cour de Cassation, aux termes desquels il n'y a aucun pouvoir d'appréciation en ce qui concerne les concessions qui doivent exister, sans que le juge ait à en apprécier leur importance relative ;

qu'en outre, les simples indemnités de rupture (15 000 francs) dont fait état la cour d'appel, ne seraient versées que dans le cas où la société Janvier aurait licencié pour un seul motif réel et sérieux; que le licenciement de Mme X... a eu lieu pour faute grave, c'est-à-dire avec un effet immédiat, privant cette dernière des indemnités de licenciement et de préavis; alors, d'autre part, qu'en se bornant à constater que les actes de procédure de licenciement et la transaction ont été conclus le même jour, soit le 8 décembre 1992, la cour d'appel n'a pas recherché si ceci constituait une violation des règles jurisprudentielles relatives aux conditions de validité de la transaction qui tiennent à la date de conclusion de cette dernière, alors même que de jurisprudence constante, consacrée notamment par la chambre sociale le 18 février 1978 (Heraud c/ SA Fogautolube), cette pratique est considérée comme valable lorsque la transaction est conclue lors de la remise de la lettre de licenciement au salarié; qu'en considération des éléments ci-dessus invoqués, il ne suffit pas au salarié de soutenir qu'il a été impressionné ou en état d'infériorité pour justifier une demande d'annulation ;

Mais attendu qu'après avoir constaté que Mme X... ne savait ni lire ni écrire le français, ni même le parler de manière rudimentaire et que son fils qui l'accompagnait n'était pas en mesure de comprendre la portée des termes de la transaction, la cour d'appel a pu décider que la salariée n'avait pas donné son consentement à la conclusion de la transaction; que, par ce seul motif, elle a justifié sa décision; que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen :

Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamné au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, que, d'une part, la qualification donnée aux faits fautifs par la société Janvier fait ressortir une inexécution contractuelle, et donc une faute contractuelle qui ne revêt pas nécessairement un caractère disciplinaire, dans la mesure où, si une faute disciplinaire est par essence une faute contractuelle, une faute contractuelle n'est pas forcément une faute disciplinaire; qu'en conséquence de quoi, la faute contractuelle reprochée à Mme X... ne saurait donner lieu à application des dispositions des articles L. 122-40 et suivants du Code du travail, et notamment à l'application de l'article L. 122-41, alinéa 2; qu'enfin, la volonté exprimée par la société Janvier ressort très clairement de l'exposé des faits de l'acte transactionnel litigieux qui fait expressément référence à la procédure de droit commun; alors que, d'autre part, s'agissant d'un licenciement disciplinaire, nonobstant la qualification apportée à la faute, il convient d'indiquer que le licenciement disciplinaire est régi, en vertu de l'application de la loi du 30 décembre 1986, par les dispositions expresses des articles L. 122-14 et suivants du Code du travail; qu'il s'ensuit que, nonobstant la qualification de la faute, l'étendue des garanties disciplinaires du droit disciplinaire, et notamment la référence au délai d'un mois stipulé au deuxième alinéa de l'article L. 122-41 du Code du travail, ne peut trouver application, le licenciement de Mme X... étant régi par les règles de procédures de droit commun, et celles-ci ne faisant référence à aucun délai particulier; alors, en outre, que la cour d'appel aurait dû rechercher si des textes conventionnels ou le règlement intérieur instituait expressément une procédure particulière et des garanties très particulières en cas de licenciement pour faute, procédure ne relevant pas des procédures de droit commun; qu'elle n'a pas effectué cette recherche; alors enfin, qu'il apparaît tout à fait contradictoire d'indiquer, comme le fait la cour d'appel, en premier lieu, que "les documents relatifs au licenciement, en particulier la lettre de licenciement, la transaction et l'attestation Assedic ont été établis et remis aussi le même jour, soit le 8 décembre 1992; et en second lieu, il s'est passé un délai de plus d'un mois entre l'entretien (dont la réalité et la teneur sont contestées par la cour d'appel elle-même) et la notification de la sanction qui s'ensuivit; alors que de manière surabondante, il doit, en outre, être indiqué

que toutes positions tenant à l'élargissement de la notion de faute disciplinaire ou à l'étendue de la faute disciplinaire découlant d'une circulaire ministérielle, notamment celle n° 83-5 du 15 mars 1983 n'a aucun caractère obligatoire ;

Mais attendu qu'ayant constaté que le licenciement disciplinaire avait été prononcé plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien préalable, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que l'expiration de ce délai interdisait à l'employeur de sanctionner disciplinairement les faits imputés au salarié; que, par ce seul motif, sa décision se trouve légalement justifiée; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.