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Décisions

CA Basse-Terre, ch. soc., 18 août 2014, n° 13/01012

BASSE-TERRE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sibarth Real Estate (SARL)

Défendeur :

Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rousseau

Conseillers :

Mme Bolnet, Mme Gaudin

Avocats :

Me Boucher, Me Jabouley-Delahaye

TASS Guadeloupe, du 23 avr. 2013

23 avril 2013

FAITS ET PROCÉDURE :

En janvier 2010, la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe, ci-après désignée C.G.S.S. a procédé à l'égard de la Société SIBARTH REAL ESTATE, à un contrôle de l'application des législations sociales pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 au titre de la sécurité sociale, et pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008 au titre de l'assurance chômage.

Par lettre du 12 janvier 2010, la C.G.S.S. notifiait à la Société SIBARTH REAL ESTATE une lettre d'observations précisant la date de fin des opérations de contrôle au 12 janvier 2010 et fixant une proposition de redressement pour un montant de 577'958 euros en principal.

Par courrier du 9 février 2010, la Société SIBARTH REAL ESTATE contestait divers points du redressement. Par lettre du 30 avril 2010, la C.G.S.S. retenait partiellement ces critiques et réduisait le montant du redressement à la somme de 204'309 euros, hors majorations et pénalités de retard.

Par courrier du 14 mai 2010 la C.G.S.S. confirmait à la Société SIBARTH REAL ESTATE le montant du redressement et rappelait à cette dernière les points qui n'avaient pas donné lieu à redressement, mais sur lesquels il convenait de respecter scrupuleusement la réglementation.

Deux mises en demeure datées du 17 août 2010 étaient adressées à la Société SIBARTH REAL ESTATE, portant rappel de cotisations d'un montant de 204'307 euros, hors majorations de retard.

Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 16 septembre 2010, la Société SIBARTH REAL ESTATE saisissait la commission de recours amiable de la C.G.S.S. d'une contestation portant sur ces mises en demeure.

En l'absence de réponse de la commission de recours amiable dans le délai imparti, la Société SIBARTH REAL ESTATE, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 23 novembre 2010 saisissait de sa contestation, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de la Guadeloupe.

Par jugement du 23 avril 2013, cette juridiction donnait à acte à la Société SIBARTH REAL ESTATE de ce qu'elle ne contestait pas le redressement en ce qu'il s'appliquait aux points suivants :

« avantages en nature logement » pour un montant de 2093 euros,

« prise en charge par l'employeur de contravention » pour une somme de 16 euros,

« avantages en nature véhicule » pour un montant de 3035 euros,

« dissimulation d'emploi salarié » pour un montant de 28'038 euros,

« prise en charge de dépenses personnelles du salarié » pour une somme de 943 euros.

La décision de rejet implicite de la commission de recours amiable, ainsi que le redressement notifié au titre des années 2007 et 2008 étaient validés, et la Société SIBARTH REAL ESTATE était condamnée à verser à la C.G.S.S. la somme de 215'923 euros correspondant aux deux mises en demeure notifiées le 17 août 2010, sans préjudice des majorations de retard complémentaires.

Par déclaration du 27 juin 2013, la Société SIBARTH REAL ESTATE interjetait appel de cette décision dont il n'est pas justifié qu'elle lui ait été alors régulièrement notifiée.

Par conclusions notifiées à la partie adverse le 22 mai 2014, auxquelles il a été fait référence lors de l'audience des débats, la Société SIBARTH REAL ESTATE sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a validé la décision de rejet implicite de la commission de recours amiable et le redressement notifié au titre des années 2007 et 2008, et en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 215'923 euros.

La Société SIBARTH REAL ESTATE demande la confirmation du jugement entrepris pour les chefs de redressement qui ont été acceptés par elle, mais entend voir ramener à la somme de 34'125 euros le montant du redressement qui a été mis en recouvrement par les deux mises en demeure adressées le 17 août 2010 et portant sur une somme en principal de 204'307 euros, outre une somme de 11'616 euros au titre des majorations et pénalités de retard.

Elle demande qu'il soit jugé que les formalités à respecter pour chaque ordre de mission, s'agissant des frais d'entreprise, dictées par la C.G.S.S., ne sont pas prévues par les textes et que cette dernière ne peut accroître les dispositions légales.

Elle sollicite paiement de la somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Société SIBARTH REAL ESTATE conteste la réintégration, dans l'assiette de calcul des cotisations, du montant des dividendes préciputaires dont le gérant M. Christian WATTIAU a bénéficié à hauteur de 109'851,91 euros le 28 avril 2006, à hauteur de 95'887,44 euros au 27 avril 2007 et à hauteur de 168'640,67 euros au 16 décembre 2008, le redressement ayant été supprimé par l'inspecteur chargé du contrôle, pour les dividendes « ordinaires ».

À l'appui de sa demande la Société SIBARTH REAL ESTATE explique que M. Christian WATTIAU était au moment des faits, gérant égalitaire, détenant 50 % du capital social, et qu'il avait la double qualité d'associé, et de mandataire social assimilé salarié, au regard de la sécurité sociale, celui-ci percevant d'une part une rémunération soumise à cotisations sociales, en contrepartie de ses fonctions de gérant égalitaire, telle que déterminée par l'assemblée générale des associés, et d'autre part des dividendes en contrepartie de son placement financier au sein de la Société SIBARTH REAL ESTATE, au même titre que la SARL SIBARTH , son associé égalitaire.

La Société SIBARTH REAL ESTATE soutient que les dividendes « préciputaires » ne sont qu'une variante des dividendes dits «ordinaires», attachés à la détention de parts sociales, ces dividendes préciputaires ayant la particularité d'être versés avant la distribution des dividendes classiques. Elle invoquait à ce titre les dispositions de l'article L. 228-11 du code de commerce qui prévoit que lors de la constitution la société, ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de priorité jouissant d'avantages par rapport à toutes autres actions.

La Société SIBARTH REAL ESTATE fait valoir que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 avril 2003, les associés ont décidé d'octroyer à M. Christian WATTIAU le privilège d'un dividende préciputaire, sur le fondement de l'article suscité, d'un montant de 4 % du montant total des honoraires de négociations déduction faites de toutes remise et de toutes rétrocessions d'honoraires payables à des tiers extérieurs à la société. Elle explique que les modalités de calcul de ce dividende préciputaire ne pouvaient entraîner son intégration dans l'assiette de cotisations de sécurité sociale, au titre de la rémunération d'un travail, mais devaient être analysées comme une contrepartie d'un investissement fait par un associé.

La Société SIBARTH REAL ESTATE conteste la réintégration dans l'assiette de cotisations, des sommes allouées à un intervenant extérieur, M. TIBERGHIEN, en contrepartie de la mise en relation de clients pour des transactions immobilières. Elle explique que M. TIBERGHIEN, qui exerce par ailleurs une activité de médecin, adressait régulièrement à la société des factures d'honoraires, au titre d'apporteur d'affaires, en faisant état de son référencement auprès de la sécurité sociale en qualité de médecin. Elle indique qu'elle s'est assurée de la régularité de l'immatriculation du docteur TIBERGHIEN en sa qualité de travailleur indépendant, percevant des bénéfices non commerciaux, ce dernier relevant directement de la C.G.S.S. au titre de son activité de médecin. Elle fait valoir qu'il n'existe aucun critère permettant de considérer que le Dr TIBERGHIEN aurait pu être salarié de la société : absence de service organisé, aucune instruction à respecter, nul horaire à respecter et aucun lien de subordination.

La C.G.S.S. pour sa part sollicite la validation du contrôle au titre des années 2007 et 2008 et entend voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et voir condamner la Société SIBARTH REAL ESTATE à lui payer la somme de 215'923 euros, montant de deux mises en demeure du 17 août 2010, sans préjudice des majorations de retard complémentaires. Elle réclame en outre paiement de la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Invoquant les dispositions des articles L311-2 et L242-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, la C.G.S.S. explique que les dividendes préciputaires dont a bénéficié M. Christian WATTIAU constituent de véritables rémunérations versées en contrepartie du travail fourni par celui-ci au sein de la Société SIBARTH REAL ESTATE.

En ce qui concerne la prise en compte des sommes versées à M. TIBERGHIEN, en contrepartie de la mise en relation de clients pour des transactions immobilières profitant à la Société SIBARTH REAL ESTATE, la C.G.S.S. expose que celui-ci est immatriculé comme médecin libéral et que l'activité d'apporteur d'affaires n'a rien à voir avec une activité médicinale, s'il n'est inscrit pour aucune autre activité, ni au registre des métiers, ni au registre de commerce, ni comme auto entrepreneur. Elle en déduit que M. TIBERGHIEN ne peut bénéficier de la présomption de non salarié, instaurée par l'article L. 8221-6 du code du travail.

Elle explique que la subordination peut revêtir plusieurs formes, et peut être caractérisée par le pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle de l'employeur sur l'activité du salarié, mais peut prendre aussi la forme de l'intégration du salarié dans un service organisé par l'employeur ; elle peut être aussi caractérisée par l'absence de risque économique pour le salarié du fait de son activité, ce qui est le cas en l'espèce, puisqu'en cas d'échec de transaction, M. TIBERGHIEN ne subissait aucune sanction financière et professionnelle.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la réintégration des sommes versées à M. Christian WATTIAU à titre de dividendes préciputaires :

Le versement de dividendes préciputaires, qui constitue une inégalité entre associés dans la répartition des bénéfices de la société, et qui s'inscrit dans le cadre des dispositions de l'article L. 228-11 du code de commerce relatif aux actions de préférence, est en principe prévu pour les sociétés par actions, et la création ou conversion de telles action sont soumises aux procédures prévues par les articles L. 228-12 à L. 228-15 du même code.

L'avantage attaché à ces actions de préférence, qui a pour objet une rémunération privilégiée du capital investi, a pour but de favoriser les investissements, mais peut être aussi assorti de la privation du droit de vote.

En l'espèce, par une décision prise en assemblée générale extraordinaire en date du 2 avril 2003, les associés de la SARL SIBARTH REAL ESTATE ont accordé au groupe de parts sociales détenues à M. Christian WATTIAU le privilège d'un dividende préciputaire d'un montant égal à 4 % du montant total annuel des honoraires de négociation, déduction faite de toutes remises et de toutes rétrocession d'honoraires payables à des tiers extérieurs à la société.

Il résulte des termes du procès-verbal de ladite assemblée générale que :

«... depuis quelque temps et pour des raisons qui lui sont propres la « SOCIETE IMMOBILIERE de SAINT-BARTHELEMY » [associé égalitaire] consacre beaucoup moins de son temps aux activités de la Société SIBARTH REAL ESTATE, la charge de ces activités étant reportée corrélativement sur le second associé, M. Christian WATTIAU.

Afin de prendre en considération la différence de participation active de chacun des deux associés aux affaires sociales, lesdits associés ont envisagé diverses solutions tendant à offrir à M. WATTIAU une rémunération supérieure à celle de la « Société immobilière de Saint-Barthélemy », sans pour autant que ladite société ne soit amenée à céder tout ou partie des parts qu'elle détient dans le capital de la Société SIBARTH REAL... ».

Ainsi il ressort manifestement de cette décision que les dividendes préciputaires attribués à M. Christian WATTIAU n'ont pas pour objet de rémunérer le capital qu'il a investi dans la Société SIBARTH REAL ESTATE, mais bien de rétribuer l'activité qu'il déploie dans l'exploitation du fonds de commerce de ladite société.

Au demeurant l'avantage financier alloué à M. Christian WATTIAU, fixé en pourcentage du niveau des transactions opérées au sein de la Société SIBARTH REAL ESTATE, c'est-à-dire en fonction du niveau d'activité développée par le gérant, montre bien qu'il s'agit de la rétribution du travail de M. Christian WATTIAU, lequel était à cette époque, gérant, associé égalitaire.

Il en résulte que la rémunération ainsi attribuée à M. Christian WATTIAU est soumise à cotisations sociales au profit du régime général de sécurité sociale.

La réintégration des sommes ainsi versées et le redressement de cotisations y afférentes doivent donc être validés.

Sur le redressement de cotisations sociales concernant les sommes versées à M. THIBERGHIEN :

M. TIBERGHIEN qui exerce la profession de médecin libéral, a reçu de la Société SIBARTH REAL ESTATE, à titre d'honoraires, diverses sommes en rémunération de son activité d'apporteur d'affaires.

Certes, comme la relève la C.G.S.S., M. TIBERGHIEN n'est immatriculé ni au registre du commerce, ni au registre des métiers, ni comme auto-entrepreneur, ce qui ne lui permet pas de bénéficier de la présomption d'activité économique indépendante prévue par l'article L. 8221-6-I du code de travail.

Toutefois pour que les sommes qui lui ont été versées à titre de rémunération soient soumises à cotisation au régime général de sécurité sociale, encore faut-il établir l'existence d'une relation de travail salarié avec la Société SIBARTH REAL ESTATE.

Or une telle relation implique un lien de subordination, lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l'espèce il n'existe aucun élément permettant de constater que M. TIBERGHIEN recevait des ordres et des directives, où pouvait même être sanctionné par le gérant de la Société SIBARTH REAL ESTATE, dans le cadre de son activité d'apporteur d'affaires.

Aucun des éléments versés aux débats ne permet de montrer que l'activité de M. TIBERGHIEN, consistant à indiquer à la Société SIBARTH REAL ESTATE des clients potentiels et à émettre des factures à l'égard de celle-ci, s'inscrive dans le cadre d'un service organisé, ni ne soit soumise à des conditions particulières d'exécution, fixées par le gérant de la Société SIBARTH REAL ESTATE.

En conséquence le redressement opéré sur les sommes versées à M. TIBERGHIEN ne peut être validé.

Sur la justification des frais professionnels :

La référence faite par l'inspecteur de l'organisme social à des ordres de missions pour justifier les frais d'entreprise, ne porte que sur des éléments de preuve de tels frais susceptibles d'être apportés par la société contrôlée.

Le montant de frais professionnels n'ayant pas été réintégré dans l'assiette des cotisations, et n'ayant donné lieu à aucun redressement, la Société SIBARTH REAL ESTATE sera déboutée de sa demande relative aux formalités à respecter au sujet des frais d'entreprise.

L'équité n'implique pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a donné à acte à la Société SIBARTH REAL ESTATE de ce qu'elle ne conteste pas le redressement opéré en ce qu'il s'applique aux points suivants :

« avantages en nature logement » pour un montant de 2093 euros,

« prise en charge par l'employeur de contravention » pour une somme de 16 euros,

« avantages en nature véhicule » pour un montant de 3035 euros,

« dissimulation d'emploi salarié » pour un montant de 28'038 euros,

« prise en charge de dépenses personnelles du salarié » pour une somme de 943 euros,

Le réforme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Valide le redressement effectué par la C.G.S.S., sauf en ce qu'il porte sur la réintégration des sommes versées à M. TIBERGHIEN soit 175'292 euros au titre de l'année 2007 et 90'000 euros pour l'année 2008,

Valide les mises en demeure du 17 août 2008 adressées à la Société SIBARTH REAL ESTATE, sous déduction de la somme de 90'172 euros correspondant aux cotisations et contributions afférentes aux sommes versées à M. TIBERGHIEN, et des majorations y afférentes,

Déboute les parties de toute conclusion plus ample ou contraire.