Cass. soc., 14 décembre 2017, n° 15-26.408
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvet
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2015), que M. X...a été engagé le 3 mai 1996 par la société Crédit agricole Indosuez Cheuvreux, aux droits de laquelle vient la société Crédit agricole Corporate & Investment Bank, en qualité de commis de bourse ; qu'il a été licencié pour faute grave le 18 mai 2000 ;
Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de la rupture pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que dans l'hypothèse où un licenciement est notifié pour faute grave en se référant expressément à une accumulation de manquements, la qualification de faute grave n'a plus de fondement en l'absence de la constatation, par les juges du fond, de la réalité de chacun des griefs invoqués ; que M. X...avait notamment fait valoir qu'il n'intervenait pas sur le marché secondaire ; que la lettre de licenciement reprochait au salarié les taux de marges pratiqués sur le marché secondaire ; qu'en disant fondé le licenciement pour faute grave, sans rechercher si M. X...pouvait se voir imputer une quelconque faute relative à une intervention sur le marché secondaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-3 du code du travail ;
2°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir ; que ne peut constituer une faute justifiant une mesure de licenciement, un fait considéré par l'employeur comme fautif au visa de dispositions qui n'étaient pas applicables à la date des faits litigieux ; que la lettre de licenciement, reproduite par la cour d'appel, reprochait notamment à M. X...la violation du règlement du conseil des marchés financiers, au visa des articles 3. 1. 1 et 3. 3. 1 dudit règlement ; que ce règlement, dans sa version applicable au litige ne faisait pas entrer dans son champ d'application les collaborateurs des prestataires habilités et n'était pas applicable à M. X...; que l'article 3. 3. 1 concerne le seul prestataire habilité ; qu'en disant fondé le licenciement de M. X..., sans s'assurer préalablement de l'opposabilité au salarié, des règles dont se prévalait la société employeur au visa de dispositions du règlement du conseil des marchés financiers qui n'étaient pas applicables en la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-3 du code du travail et de l'article 2 du code civil ;
3°/ que M. X...avait fait valoir qu'il ne prenait aucune part à la définition des marges, sa fonction étant exclusivement d'assurer la mise en oeuvre de l'opération auprès du producteur, M. Y...fixant lui-même les prix et les marges, comme l'établissait notamment le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre le 29 novembre 2013 ; qu'en retenant à l'encontre de M. X...un grief tenant à sa contribution à la pratique de marges exorbitantes, sans constater que la fixation desdites marges lui incombait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-3 du code du travail ;
4°/ que les juges du fond ne peuvent statuer au visa d'une pièce sans préciser qu'elle a fait l'objet d'un examen intégral, dès lors que la partie à laquelle la pièce est opposée soutient que les premiers juges avaient statué au visa d'une pièce incomplète pour avoir fait l'objet d'une retranscription tronquée ; que sur le grief relatif aux valorisations, M. X...avait fait valoir que le conseil de prud'hommes s'était fondé sur une retranscription tronquée d'une conversation téléphonique extraite du rapport d'enquête du conseil des marchés financiers, dont l'intégralité révélait que M. X...n'était pas responsable du niveau des valorisations ; qu'en se bornant à énoncer qu'une transcription d'une conversation téléphonique entre M. X...et M. Y...à propos d'une demande de valorisation de BMTN faite par la CAVEC faisait apparaître, sans ambiguïté, qu'il prenait part à des contacts directs avec la clientèle en matière de fixation des valorisations, sans constater que la transcription litigieuse avait fait l'objet d'un examen intégral, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ que sur le grief relatif aux valorisations, M. X...avait fait valoir dans ses conclusions que le conseil des marchés financiers avait indiqué qu'il « n'était pas responsable des informations transmises aux clients » et que le fait qu'il ait été destinataire des valorisations adressées par le producteur n'impliquait en rien qu'il prenait part à la définition des valorisations adressées aux clients, comme l'avaient relevé tant la COB que le conseil des marchés financiers, précisant en outre qu'il était chargé de vérifier les prix reçus du producteur, ce qui n'impliquait en rien de vérifier ceux envoyés aux clients ; qu'en se bornant à déduire, d'une seule transcription téléphonique, au demeurant contestée, que M. X...prenait part à des contacts directs avec la clientèle en matière de fixation des valorisations, sans se prononcer sur les moyens des conclusions qui excluaient toute part active de M. X...tant dans la détermination des valorisations que de leur transmission, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ qu'un salarié ne peut être sanctionné que pour des manquements à ses obligations contractuelles ; que M. X...avait fait valoir dans ses conclusions d'appel, pour réfuter le grief lui reprochant de ne pas « [s'être opposé] aux dérives constatées ou à tout le moins d'en informer la direction générale », qu'il « n'était pas tenu de dénoncer quoique ce soit », observant d'une part, n'avoir jamais été informé des procédures spécifiques de valorisation que la société Crédit agricole Indosuez Cheuvreux entendait appliquer, et d'autre part, qu'il n'avait ni le pouvoir, ni la mission de contrôler ou de s'opposer aux agissements de son supérieur hiérarchique qui avait été élevé au titre de directeur général adjoint ; qu'en opposant à M. X...une obligation d'information de sa hiérarchie, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle obligation résultait de son contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1 et L. 1235-3 du code du travail ;
7°/ que M. X...avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'en toutes hypothèses, il n'avait jamais considéré que la pratique de valorisations de son supérieur hiérarchique pouvait être contraire à la réglementation dans la mesure où il existait une pratique courante pour les distributeurs de produits structurés de valoriser les produits vendus à des prix différents de ceux des producteurs et que compte tenu de cette pratique, M. X..., qui n'avait aucune responsabilité de contrôle, n'était pas à même de la considérer comme suspecte ; qu'en ne répondant pas à ce moyen de nature à établir le caractère injustifié de la mesure de licenciement prononcée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ que, subsidiairement, le respect du principe de proportionnalité impose aux juges du fond de retenir comme inadéquate la qualification de faute grave s'agissant de faits ayant donné lieu à une relaxe par le juge pénal et à un avertissement publié anonymement par le conseil des marchés financiers ; qu'en jugeant fondé le licenciement pour faute grave de M. X..., la cour d'appel a violé le principe de proportionnalité ;
9°/ que le doute doit profiter au salarié ; que M. X...avait fait valoir dans ses conclusions d'appel qu'il n'était pas établi que les fautes invoquées à l'appui du licenciement lui aient été personnellement imputables, le représentant légal de CAIC ayant notamment fait état d'un doute sur le bien-fondé du licenciement de M. X...; qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent des conclusions d'appel, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civil ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale, de défaut de réponse à conclusions et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par la cour d'appel qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a constaté, par motifs propres et adoptés, que le salarié avait pris part au dispositif de survalorisation des produits vendus notamment sur le marché primaire à certains clients institutionnels, aboutissant à une double facturation de ceux-ci ; qu'elle a pu en déduire que ces manquements, qui ont été sanctionnés par le Conseil des marchés financiers, rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de la société :
Attendu que la société Crédit agricole Corporate & Investment Bank fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande reconventionnelle tendant à obtenir la condamnation du salarié à lui restituer la somme de 370 314 euros correspondant au trop-perçu sur sa rémunération variable, alors, selon le moyen :
1°/ que ce qui a été payé sans être dû est sujet à répétition ; que le caractère discrétionnaire d'un complément de rémunération ne fait pas obstacle à une demande de restitution de l'employeur si ce dernier est en mesure d'établir que la cause du versement de ce complément de rémunération, en l'espèce les résultats obtenus par l'équipe dans laquelle le salarié était intégré, a été viciée par une erreur ou des manoeuvres sans lesquelles il n'aurait pas eu lieu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que M. X...avait participé à une pratique de marges exorbitantes ayant ultérieurement fait l'objet par le CAIC d'une restitution à hauteur de 93 470 795 euros aux clients ayant eu à les payer au titre de l'exercice 1999 et, par ailleurs, qu'une convention du 29 juin 1998 conclue entre la direction du CAIC et le responsable de l'équipe chargée des obligations convertibles et produits dérivés imposait à ce dernier de verser un bonus annuel à cette équipe dont le montant était indexé sur le chiffre d'affaires réalisé par celle-ci ; que pour écarter le caractère indu du montant du bonus versé à M. X...au titre de l'exercice 1999, la cour d'appel a considéré que ce bonus revêtait un caractère discrétionnaire aux motifs que le contrat de travail de M. X...ne prévoyait pas une telle rémunération variable et que la convention du 29 juin 1998 susvisée ne pouvait lui être opposée ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher si le bonus versé à M. X...au titre de l'exercice 1999 n'avait pas été rétroactivement privé de cause du fait de la révélation des survalorisations commises par M. X...et des restitutions qu'elles ont engendrées de la part du CAIC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1235 alinéa 1er du code civil dans sa rédaction applicable au litige et l'article 1376 du code civil ;
2°/ que, subsidiairement, la stipulation pour autrui est irrévocable dès lors que le tiers bénéficiaire a, par ses actes, manifesté sans équivoque son intention d'accepter la stipulation ; que pour débouter la société CACIB de sa demande en restitution du bonus indûment perçu par M. X...au titre de l'exercice 1999, la cour d'appel a considéré que la convention du 29 juin 1998 fixant les modalités de versement du bonus à l'équipe dirigée par M. Y...ne peut être opposée à M. X..., « l'acceptation de la stipulation pour autrui alléguée ne pouvant ni se présumer, ni résulter de la perception par le salarié de l'intéressement litigieux », ce dont elle a déduit que les bonus revêtaient un caractère discrétionnaire ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait de ses propres constatations qu'en acceptant l'intéressement litigieux, M. X...avait manifesté sans équivoque son intention d'accepter la stipulation, la cour d'appel a violé l'article 1121 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que la convention du 29 juin 1998 fixant les modalités de versement d'un bonus à l ‘ équipe était un document confidentiel auquel le salarié n'avait pas été partie et qui ne lui avait pas été communiqué, ce dont il résultait qu'il ne pouvait lui être opposé, a exactement décidé que le bonus versé par l'employeur, qui n'était pas contractuel, avait un caractère discrétionnaire ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a fait ressortir que le paiement du bonus discrétionnaire procédait d'une intention libérale, a estimé que la somme versée au titre de l'exercice 1999, sans lien avec les résultats obtenus par l'équipe, n'était pas indue ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.