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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 31 mai 2022, n° 20/06188

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alcyon Augure (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hébert-Pageot

Conseillers :

Mme Texier, Mme Dubois-Stevant

Avocats :

Me Ingold, Me Lacorne, Me Havet, Me Leboucq Bernard, Me Cohana

T. com. Paris, du 17 avr. 2020, n° J2020…

17 avril 2020

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Alcyon augure, holding familiale détenue en majorité par la famille [M], détient l'essentiel du capital de la société anonyme Son et lumière qui a pour activité la création et la production de téléfilms et séries de fictions françaises et dont le directeur général adjoint puis, à compter de 1986, le président-directeur général était M. [I] [M].

En 2008, M. [F] [M], son fils, a été nommé directeur général délégué de la société Son et lumière et M. [E] [N] embauché en qualité de directeur des productions.

En 2012, M. [F] [M] a été nommé président du directoire de la société Alcyon augure, dont M. [I] [M] était le président du conseil de surveillance, puis, en avril 2013, il a été nommé président du conseil d'administration de la société Son et lumière, M. [N] en étant nommé directeur général délégué.

Courant 2016, un différend est né entre MM. [I] et [F] [M]. Le 31 octobre 2016, M. [N] a succédé à M. [F] [M] aux fonctions de président du directoire de la société Alcyon augure et, le 7 décembre 2016, un protocole a été conclu, stipulant notamment la cession par M. [F] [M] d'une action de la société Son et lumière à son père et le rachat par la société Alcyon augure des actions détenues par M. [F] [M] et des actions démembrées détenues par MM. [I] et [F] [M] au prix de 453,15 euros par action et ce, dans le cadre d'une réduction du capital non motivée par des pertes.

Le capital social de la société Alcyon augure est alors détenu par Mmes [B] et [X] [M] (chacune 814 actions et 1.300 actions en nue-propriété), M. [I] [M] (1.187 actions et 2.600 actions en usufruit), M. [N] (155 actions), M. [G] (une action) et M. [W] (une action), et la société a pour président du conseil de surveillance M. [I] [M] et pour président du directoire M. [N]. La société Son et lumière a pour président du conseil d'administration et directeur général M. [I] [M], M. [N] siégeant à ce conseil en qualité de représentant permanent de la société Alcyon augure, et pour directeur général délégué M. [N], également salarié en qualité de directeur des productions.

Le 10 octobre 2017, a été conclu un protocole d'accord entre Mmes [B] et [X] [M] et M. [I] [M], cédants, la société Alcyon augure et les trois autres associés stipulant le rachat par la société Alcyon augure des actions détenues par Mmes [B] et [X] [M] et des actions démembrées détenues Mmes [M] et M. [I] [M], représentant près de 76 % de son capital, au prix unitaire de 453,15 euros, et l'annulation de ces actions dans le cadre d'une réduction du capital non motivée par des pertes. M. [N], en sa qualité de président du directoire, s'est engagé à convoquer une assemblée générale extraordinaire au plus tard le 30 novembre 2018 aux fins d'approbation de la réduction de capital, Mmes [M] se sont engagées à céder leurs actions avant le 30 octobre 2018 et les associés, tous signataires du protocole, se sont engagés à approuver le rachat de titres et la réduction du capital social par leur annulation.

M. [I] [M] est décédé le [Date décès 9] 2018 avant que le protocole du 17 octobre 2017 ait été exécuté.

Sur saisine de Mme [X] [M] et par ordonnance sur requête du 9 octobre 2018, le président du tribunal de commerce de Paris a désigné Me [R] en qualité de mandataire ad hoc chargé de se constituer séquestre des 4.228 actions Alcyon augure détenues par Mmes [M] objet du protocole, dans l'attente d'une évaluation des participations de la société et du catalogue des oeuvres produites par la société Son et lumière, et d'exercer les prérogatives, dont le droit de vote, attachées à ces actions.

Le cabinet Exafi, missionné pour évaluer la société Alcyon augure, a remis son rapport définitif le 17 janvier 2019 estimant la valeur unitaire des actions à 1.142,11 euros et révélant, selon la société Alcyon augure, des abus de biens de la part de M. [N] au sein de la société Son et lumière.

Le 19 février 2019, M. [N] a démissionné de ses mandats sociaux au sein des sociétés Alcyon augure et Son et lumière et l'assemblée générale de la société Alcyon augure du 14 mars 2019 a nommé Mme [X] [M] en qualité de président du directoire et subséquemment en qualité de directeur général de la société Son et lumière.

L'assemblée générale extraordinaire de la société Alcyon augure du 18 juin 2019 a adopté une résolution portant sur la renonciation de la société au rachat des actions appartenant à Mmes [M].

Par acte du 14 août 2019, M. [N] a assigné devant le tribunal de commerce de Paris Mmes [M], MM. [G] et [W] et la société Alcyon augure en exécution forcée du protocole du 10 octobre 2017 et de la cession des actions de Mmes [M].

Par acte du 23 septembre 2019, M. [N] a assigné en intervention forcée l'indivision [I] [M], composée de Mmes [M] et de M. [F] [M].

MM. [G] et [W] n'ont pas comparu.

Par jugement du 17 avril 2020, le tribunal a :

- ordonné la jonction des affaires,

- dit recevables les demandes de M. [N],

- ordonné l'exécution forcée du protocole transactionnel du 10 octobre 2017,

- condamné Mme [X] [M], en qualité de présidente du directoire de la société Alcyon augure, à convoquer une assemblée générale extraordinaire avec pour objet le rachat des 2.114 actions de Mme [X] [M] et des 2.114 actions de Mme [B] [M] dans les conditions du protocole du 10 octobre 2017, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'issue d'une période de 30 jours suivant la signification du jugement et pendant une durée de 30 jours, période au terme de laquelle il pourra à nouveau être fait droit,

- condamné in solidum Mmes [M] à payer à M. [N] la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- débouté Mmes [M], M. [M] et la société Alcyon augure de toutes leurs demandes,

- condamné in solidum Mmes [M] à payer à M. [N] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par déclaration du 30 avril 2020, la société Alcyon augure a fait appel de ce jugement. Par déclaration du 19 mai 2020, Mmes [M] ont également fait appel de ce jugement. Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 16 février 2021.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 18 octobre 2021, la société Alcyon augure demande à la cour :

- in limine litis, d'annuler le jugement,

- sur le fond, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de déclarer irrecevable M. [N] en ses demandes et de le débouter de l'ensemble de ses demandes, subsidiairement de prononcer la nullité du protocole du 10 octobre 2017, plus subsidiairement de le déclarer frauduleux et de le dire nul et de nul effet,

- en tout état de cause, de condamner M. [N] à lui payer la somme de 430.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 17 décembre 2020, Mmes [M], en leur nom personnel et en qualité d'héritières de M. [M], M. [F] [M], en qualité d'héritier de M. [M], M. [G] demandent à la cour :

- in limine litis, d'annuler le jugement,

- sur le fond, d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré M. [N] recevable en ses demandes et de le juger irrecevable en ses demandes, en conséquence de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné l'exécution forcée du protocole du 10 octobre 2017 et de juger nul et de nul effet ce protocole, en conséquence de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mmes [M] à payer la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts et de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mmes [M] à payer la somme de 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné sous astreinte Mme [X] [M], en qualité de présidente du directoire de la société Alcyon augure, à convoquer une assemblée générale extraordinaire et de débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- en tout état de cause, de condamner M. [N] à payer à chacune de Mmes [M] à titre personnel la somme de 10.000 euros, à Mmes [M] et M. [M] en qualité d'héritiers la somme de 30.000 euros et à M. [G] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 24 septembre 2021, M. [N] demande à la cour :

- de rejeter les demandes de nullité du jugement,

- à titre liminaire, de dire qu'il a qualité et intérêt à agir et qu'il est recevable en ses prétentions,

- à titre principal, d'ordonner l'exécution forcée du protocole transactionnel du 10 octobre 2017, en conséquence de condamner Mmes [M] à céder leurs titres conformément aux dispositions du protocole sous astreinte de 2.500 euros chacune par jour de retard un mois après la signification du 'jugement' rendu et de condamner la société Alcyon augure à convoquer une assemblée générale en vue de voter la réduction du capital sous astreinte de 2.500 euros chacune par jour de retard un mois après la signification de l'arrêt rendu,

- à titre subsidiaire, d'ordonner la réalisation forcée de la vente au titre de la promesse synallagmatique stipulée aux termes du protocole du 10 octobre 2017, en conséquence de condamner Mmes [M] à céder leurs titres conformément aux dispositions du protocole sous astreinte de 2.500 euros chacune par jour de retard un mois après la signification du 'jugement' rendu et de condamner la société Alcyon augure à convoquer une assemblée générale en vue de voter la réduction du capital sous astreinte de 2.500 euros chacune par jour de retard un mois après la signification de l'arrêt rendu,

- en tout état de cause, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Alcyon augure, Mmes [M], M. [G] et l'indivision [M] de l'ensemble de leurs demandes, de condamner la société Alcyon augure, Mmes [M] et l'indivision [M] à lui verser la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de leur résistance en défense, de condamner la société Alcyon augure, Mmes [M], M. [G] et l'indivision [M] à lui payer une indemnité de 50.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de condamner solidairement Mmes [M] aux dépens.

Les déclarations d'appel de la société Alcyon augure et de Mmes [M], des héritiers [M] et de M. [G] ont été signifiées à M. [W] respectivement les 22 juillet et 4 août 2020 par actes remis à l'étude de l'huissier. M. [W] n'a pas constitué avocat.

SUR CE,

Le protocole d'accord litigieux a été conclu entre Mmes [M] et M. [I] [M], en leurs qualités de cédants et d'associés, MM. [G], [N] et [W], en leur qualité d'associés et par la société Alcyon augure, représentée par M. [I] [M], président du conseil de surveillance, et M. [N], président du directoire.

L'exposé du protocole indique que Mmes [M] ont chacune fait part de leur désaccord sur l'évolution actuelle de la société et de leur volonté de ne pas s'opposer à leur père, actionnaire majoritaire, et que Mme [X] [M] a en outre le projet de créer une structure de production avec d'autres partenaires, que Mmes [M] ont manifesté leur désir de se retirer de la société et de céder leur participation dans le capital d'Alcyon et que les autres associés ne souhaitent pas l'entrée au capital de nouveaux associés, qu'ils ont conscience de ne pouvoir retenir un associé contre son gré et que les statuts comportent des dispositions spécifiques à ce sujet, qu'ils souhaitent assurer la pérennité de la société.

Aux termes du protocole :

- la société Alcyon s'engage au rachat des actions détenues par Mmes [M] et des actions démembrées détenues par M. [M] et Mmes [M],

- M. [M] et Mmes [M] s'engagent à céder leurs titres à la société Alcyon dans le cadre de la réalisation par la société d'une réduction de capital non motivée par des pertes,

- M. [N], en qualité de président du directoire, et M. [M], en qualité de président du conseil de surveillance, s'engagent à convoquer une assemblée générale extraordinaire afin d'approuver l'opération de réduction de capital d'Alcyon conformément à l'article L.  225-207 du code de commerce,

- Mmes [M], MM. [M], [G], [N], [W] confirment respectivement leur accord et leur renonciation formelle à présenter les actions qu'ils détiennent dans Alcyon à l'achat dans le cadre de la réduction de capital conformément à l'article L. 225-204, alinéa 1er, du code de commerce,

- les associés s'engagent à voter chacun en faveur des résolutions nécessaires à la réduction de capital.

Le protocole précise que les associés se sont vus proposer une réduction de capital par rachat de leurs actions, chacun pouvant apporter à l'offre de rachat d'Alcyon un nombre d'actions au prorata de sa participation, que de 'nombreux associés' ne souhaitant pas en bénéficier, les associés ont décidé à l'unanimité d'accorder un traitement différencié au titre de la réduction de capital envisagée à [X] [M] et à [I] [M] et que cette dérogation permet à Mmes [M] et à M. [M] d'apporter un nombre de titres supérieur à celui qu'ils pourraient apporter, qu'en conséquence MM. [G], [N] et [W] renoncent de manière ferme et irrévocable aux dispositions de l'article L. 225-204 du code de commerce relatives au traitement égalitaire des actionnaires au titre de l'opération.

Enfin, chacune des parties s'engage à respecter une obligation de non-dénigrement et une obligation de confidentialité.

M. [N] demande l'exécution forcée de ce protocole sur le fondement de l'article 1217 du code civil en invoquant son caractère transactionnel et sa force obligatoire sur laquelle les parties se sont accordées, subsidiairement, si la nature transactionnelle du protocole ne devait pas être retenue, la promesse synallagmatique de vente que, selon lui, il contient, une telle promesse valant vente et les actionnaires ayant déjà donné leur accord à l'opération.

La société Alcyon augure s'y oppose en invoquant en premier lieu l'absence d'approbation du protocole, l'assemblée générale du 18 juin 2019 ayant décidé de renoncer au rachat des actions de Mmes [M], en deuxième lieu sa nullité - aux motifs qu'il est présenté comme une transaction ne mettant pourtant fin à aucune contestation et étant dépourvue de toutes concessions réciproques, que le prix est dépourvu de caractère réel et sérieux, que des dispositions légales relatives au rachat d'actions par la société n'ont pas été respectées - en troisième lieu son caractère frauduleux.

Mmes [M], l'indivision [M] et M. [G] s'opposent également à l'exécution du protocole. Ils font valoir qu'il est entaché de nullité au premier motif qu'il n'est pas une transaction, faute de litige à éteindre et de concessions réciproques, au deuxième motif que le consentement de M. [M] a été vicié, M. [M] ayant été trompé sur la nature et les effets de l'accord, d'une part, et sur le prix des actions, d'autre part, la vente objet du protocole étant en outre nulle pour absence de prix réel et sérieux, au troisième motif que Mmes [M] ont été victimes de manoeuvres dolosives. Subsidiairement, ils invoquent, d'une part, l'absence de réalisation de plusieurs conditions du protocole, le protocole n'ayant pas été validé par une assemblée générale, des dispositions légales en matière de rachat d'actions par la société n'ayant pas été respectées, et, d'autre part, le caractère frauduleux du protocole.

Au préalable, la société Alcyon augure, Mmes [M], l'indivision [M] et M. [G] soulèvent la nullité du jugement et l'irrecevabilité des demandes de M. [N] pour défaut d'intérêt et de qualité à agir.

1. Sur la nullité du jugement

La société Alcyon augure soutient que le tribunal a prononcé, implicitement mais nécessairement, la nullité de la résolution adoptée par l'assemblée générale du 18 juin 2019 portant sur la renonciation de la société au protocole litigieux, en privant de tout effet cette résolution, alors que M. [N] ne sollicitait que l'exécution forcée de ce protocole, et qu'il a ainsi statué ultra petita. Elle prétend que le tribunal a également commis un excès de pouvoir, en premier lieu, en substituant sa décision à une délibération de l'assemblée générale en faisant droit à la demande de convocation d'une assemblée générale en vue du rachat des actions par réduction du capital, alors qu'il n'avait pas le pouvoir d'imposer à la société Alcyon augure et à ses actionnaires un nouveau vote et un sens de vote, et, en deuxième lieu, en condamnant Mme [M] ès qualités alors qu'elle n'était pas partie en qualité de présidente du directoire de la société.

Mmes [M], l'indivision [M] et M. [G] soutiennent que le tribunal a excédé les limites de sa saisine en déclarant privée de tout effet la résolution adoptée par l'assemblée générale du 18 juin 2019, alors qu'il n'était saisi d'aucune demande de nullité, qu'il a excédé ses pouvoir en statuant contre Mme [M] ès qualités, alors qu'elle n'était pas partie, et qu'il a encore excédé ses pouvoirs en entendant substituer sa décision à une délibération de l'assemblée générale dont la régularité n'était pas contestée, violant ainsi la liberté de vote des actionnaires.

M. [N] réplique que le tribunal n'a pas statué ultra petita ni commis d'excès de pouvoir. Il fait valoir que sa demande consistait à établir que le protocole était toujours en vigueur, et non pas résilié par l'assemblée générale du 18 juin 2019, qu'elle nécessitait implicitement de considérer que la résolution de cette assemblée générale ne pouvait produire ses effets, que le tribunal a suivi ses développements et n'a ni statué sur la validité de l'assemblée ni prononcé sa nullité mais qu'il a seulement considéré la résolution privée d'effet, qu'enfin la circonstance que le tribunal a statué ultra petita n'a pas pour effet d'entacher le jugement de nullité. Il ajoute que le tribunal n'a pas commis d'excès de pouvoir en condamnant Mme [M] à convoquer une assemblée générale, qu'il n'a pas substitué sa décision à celle des associés ni imposé aux associés une délibération sociale mais qu'il a seulement ordonné l'exécution du protocole selon lequel les associés s'engageaient à voter en faveur des résolutions nécessaires à la réduction du capital.

Sur ce,

Il ne ressort pas du dispositif du jugement, même éclairé par les motifs, que le tribunal a statué sur la validité de la résolution adoptée par l'assemblée générale de la société Alcyon augure du 18 juin 2019 portant renonciation par la société au rachat par elle-même des actions détenues par Mmes [M] sur la base du prix unitaire prévu par le protocole d'accord du 10 octobre 2017, et, par suite, prononcé sa nullité. Pour trancher la question de l'exécution forcée de ce protocole, demandée par M. [N] et à laquelle les défenderesses opposaient cette renonciation, le tribunal a considéré, dans sa motivation, qu'était dépourvue de tout effet la résolution adoptée par l'assemblée générale de la société Alcyon augure en ce qu'elle n'était pas légitime car non votée par l'ensemble des associés signataires du protocole. Ecartant ainsi un moyen soulevé par les défendeurs, le tribunal a ordonné l'exécution forcée du protocole sans excéder les limites de sa saisine ni statuer ultra petita. En tout cas, la méconnaissance par le premier juge de l'objet du litige n'implique pas l'annulation du jugement par le juge d'appel. Ce premier moyen, invoqué au soutien de la demande de nullité du jugement, doit donc être écarté.

Ensuite, en ordonnant l'exécution forcée du protocole du 10 octobre 2017, signé par l'ensemble des associés, y compris en ordonnant la convocation d'une assemblée générale de la société Alcyon augure en vue du rachat des actions de Mmes [M] par la société dans les conditions prévues par ce protocole, dont il n'avait pas prononcé la nullité, le tribunal n'a pas substitué sa décision à celle des associés ni porté atteinte à leur liberté de vote mais s'est borné, dans les limites de la demande de M. [N], à ordonner l'exécution par les associés de leurs obligations - définies par le protocole en vue d'une opération précise de rachat des actions de Mmes [M] par la société et de réduction du capital social - auxquelles ils avaient librement souscrit, une telle exécution en nature de ces obligations étant matériellement et juridiquement possible, de sorte qu'il n'a pas excédé ses pouvoirs. Ce moyen de nullité doit donc être écarté.

En revanche, en condamnant Mme [X] [M], prise en sa qualité de présidente du directoire de la société Alcyon augure, à convoquer, sous astreinte, une assemblée générale extraordinaire de la société, alors que Mme [X] [M] n'avait pas été assignée en cette qualité mais à titre personnel, en qualité d'associée s'étant obligée à céder ses actions, et que M. [N] lui-même n'avait pas formé une telle demande mais avait demandé la condamnation sous astreinte de la société Alcyon augure à convoquer une assemblée générale, le tribunal a méconnu l'objet du litige, sans pour autant excéder ses pouvoirs. La méconnaissance par le premier juge de l'objet du litige n'implique toutefois pas l'annulation du jugement par le juge d'appel mais son infirmation, le cas échéant par voie de retranchement. Ce moyen, invoqué au soutien de la demande de nullité du jugement, doit donc également être écarté.

Les demandes d'annulation du jugement seront donc rejetées.

2. Sur la recevabilité des demandes de M. [N]

La société Alcyon augure soutient que les demandes de M. [N] ne sont pas recevables au motif que M. [N] est dépourvu de qualité et d'intérêt à agir en exécution du protocole. Elle fait valoir, d'une part, que la qualité à agir ne se déduit pas de la seule signature du protocole litigieux, que ce protocole ne crée ni ne confère de droits propres à M. [N] dès lors qu'il organise le rachat des actions de Mmes [M] par la société et que M. [N] n'est pas partie prenante à cette opération, que le protocole ne lui impose, au contraire, que des devoirs. Elle affirme, d'autre part, que l'intérêt dont pourrait se prévaloir M. [N] n'est qu'indirect en ce que, faute de disposer d'un droit personnel à l'opération de rachat, il n'en bénéficie que par ricochet grâce à l'annulation des actions rachetées, et qu'il n'est pas légitime dès lors que l'exécution forcée du protocole est contraire à l'intérêt social.

Mmes [M], l'indivision [M] et M. [G] prétendent également que les demandes de M. [N] sont irrecevables en l'absence de qualité et d'intérêt à agir. Ils font valoir que M. [N] n'appartient pas à une catégorie de personnes à qui la loi attribue une qualité pour agir en justice et que le protocole ne lui attribuant aucun droit personnel, il n'a aucun intérêt légitime personnel et direct. Ils ajoutent que la circonstance qu'il est le bénéficiaire économique final de l'opération ne lui confère aucun droit.

M. [N] réplique qu'il a qualité et intérêt à agir dans la mesure où il est associé de la société Alcyon augure, signataire et partie au protocole litigieux et qu'il en est l'un des bénéficiaires.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

L'article 1217 du code civil dispose que 'la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut (...) poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation'. Seul le créancier d'une obligation peut ainsi en demander l'exécution en nature.

M. [N], qui n'exerce pas l'action ut singuli mais agit à titre personnel en sa seule qualité d'actionnaire de la société Alcyon augure, demande non la réparation d'un préjudice subi du fait de l'inexécution du protocole du 10 octobre 2017 mais son exécution forcée en vertu de l'article 1217 du code civil sus rappelé. Son action tend plus précisément à l'exécution de la cession par Mmes [M] de leurs actions à la société Alcyon augure et à la convocation de l'assemblée générale de la société en vue de voter la réduction de capital et ce, que le protocole soit considéré ou non comme une transaction.

Pour être recevable, M. [N] doit donc avoir, outre un intérêt légitime à l'exécution du rachat des actions de Mmes [M] par la société Alcyon augure et de la réduction de capital s'ensuivant, la qualité de créancier des engagements stipulés dont il demande l'exécution. Il convient donc d'apprécier la nature et la portée de ces engagements.

Il résulte des termes du protocole, ci-avant rappelés, que, quels qu'en soient les motifs, réels ou apparents, il a pour objet le retrait de deux seuls actionnaires, Mmes [X] et [B] [M], qu'à défaut de cession de leurs titres à un autre associé, leur sortie du capital s'opère par le rachat de leurs actions par la société Alcyon augure, que ce rachat d'actions obéit au seul régime de l'article L.  225-207 du code de commerce, auquel le protocole se réfère, qui permet à l'assemblée générale de décider une réduction de capital non motivée par des pertes et d'autoriser le conseil d'administration ou le directoire à acheter un nombre déterminé d'actions pour les annuler, sans qu'il soit porté atteinte à l'égalité des actionnaires conformément à l'article L. 225-204, 1er alinéa, auquel le protocole se réfère également.

Il s'ensuit qu'en l'espèce la procédure de réduction de capital est prévue à seule fin de permettre à Mmes [M] de se retirer seules de la société Alcyon augure et que le respect de l'article L. 225-204, alinéa 1er, du code de commerce, selon lequel la réduction de capital est autorisée ou décidée par l'assemblée générale extraordinaire et qu'en aucun cas elle ne peut porter atteinte à l'égalité des actionnaires, impose l'accord unanime des autres actionnaires de ne pas apporter leurs actions à l'offre de rachat.

Le protocole comprend ainsi d'une part une promesse synallagmatique de vente valant rachat par la société Alcyon augure des seuls titres détenus par Mmes [M] au prix fixé par le protocole. Seuls Mmes [M] et M. [M], s'agissant des actions démembrées, s'engagent à céder leurs actions et la société Alcyon augure ne s'engage à acheter que les actions de ces associés. M. [N] n'est ni débiteur ni créancier de ces engagements.

Le protocole comprend d'autre part l'engagement de l'ensemble des associés d'autoriser, en assemblée générale, le rachat par la société Alcyon augure de ses actions, les associés confirmant leur accord et leur renonciation formelle à présenter les actions qu'ils détiennent à l'achat dans le cadre de la réduction de capital, et leur engagement à voter chacun en faveur des résolutions nécessaires à la réduction de capital. M. [N] s'est en outre engagé, en qualité de président du directoire, à convoquer une assemblée générale extraordinaire afin d'approuver l'opération de réduction de capital.

En sa qualité d'associé, M. [N] a donc renoncé au rachat de ses actions par la société Alcyon augure dans les mêmes conditions que Mmes [M] et s'est engagé à voter en assemblée générale l'approbation du rachat par la société des actions de Mmes [M] et la réduction de capital par annulation des titres rachetés. M. [N] est donc partie au protocole à titre personnel à seule fin de consentir, en tant qu'associé, à l'atteinte au principe d'égalité que constitue le rachat réservé à Mmes [M].

La promesse synallagmatique de vente valant rachat par la société Alcyon augure de certaines de ses propres actions et l'annulation de ces actions par réduction de capital sont deux opérations distinctes et M. [N], associé renonçant au rachat de ses actions, n'est créancier d'aucune des obligations découlant de la promesse synallagmatique de vente.

Il s'ensuit, d'une part, que si M. [N] est mécaniquement bénéficiaire d'un rachat d'actions d'un autre associé en vue de leur annulation, la réduction de capital consécutive augmentant sa propre participation, il n'a pas d'intérêt légitime au rachat d'actions par la société destiné à permettre aux actionnaires cédants de se retirer de la société, seuls ces derniers ayant un tel intérêt, et, d'autre part, qu'il n'a pas qualité à demander l'exécution en nature des engagements de cession souscrits par Mmes [M] dès lors qu'il n'en est pas créancier.

M. [N] n'est donc pas recevable en ses demandes. Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et les demandes de M. [N] déclarées irrecevables.

3. Sur les demandes accessoires

Partie succombante, M. [N] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel et à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la société Alcyon augure une somme de 10.000 euros et à Mmes [M], aux héritiers de M. [M] et à M. [G], ensemble, une somme de 10.000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par défaut,

Déboute la société Alcyon augure de sa demande d'annulation du jugement déféré ;

Déboute Mmes [X] et [B] [M], les héritiers de M. [I] [M] et M. [O] [G] de leur demande d'annulation du jugement déféré ;

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare M. [E] [N] irrecevable en toutes ses demandes ;

Condamne M. [E] [N] à payer à la société Alcyon augure une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [E] [N] à payer à Mmes [X] et [B] [M], aux héritiers de M. [M] et à M. [G], ensemble, une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [E] [N] aux dépens de première instance et d'appel.