Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 21 avril 2023, n° 22/14885

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brudel (SAS)

Défendeur :

Herculis (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

Mme le Cotty, M. Birolleau

Avocats :

Me Afane-Jacquart, Me Guizard, Me Leinkugol le Cocq

T. com. Paris, du 8 juill. 2022, n° 2022…

8 juillet 2022

La société Herculis exploite en qualité de franchiseur un concept de parc de loisirs éphémère constitué d'un labyrinthe créé dans un champs de maïs sous l'enseigne « Pop Corn Labyrinthe ».

Le 11 juin 2021, la société Brudel a signé deux contrats de franchise avec la société Herculis pour l'exploitation de deux parcs, l'un sur le territoire d'[Localité 5], l'autre sur le territoire de [Localité 8]. Ces contrats ont été conclus pour une durée de quatre ans.

M. et Mme [E], associés de la société Brudel, ont également signé ces contrats en qualité de « partenaires ».

Le 31 mai 2022, la société Herculis a résilié les deux contrats de franchise avec effet immédiat, invoquant une violation par la société Brudel et les époux [E] de la clause de non-concurrence contractuelle, au motif que ceux-ci avaient créé, à travers la société Canadel dont ils sont associés, un concept de parcs de loisirs végétal à base de maïs équivalent au sien, sous une autre enseigne, l'enseigne « Corn Lanta ».

Par acte du 13 juin 2022, la société Brudel a assigné la société Herculis devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir la reprise du cours des contrats dans les termes suivants :

Ordonner à la société Herculis de procéder aux traçage-fauchage des deux labyrinthes exploités par elle au titre des contrats de franchise du 11 juin 2021 ([Localité 5] et [Localité 8]), d'exécuter chaque traçage-fauchage dans les trois jours suivant le prononcé de l'ordonnance, sous astreinte de 3.000 euros par jour de retard et par labyrinthe ;

Ordonner à la société Herculis de livrer à un de ses préposés, sur chaque labyrinthe concerné, les PLV, les éléments de signalétique, les éléments de parcours et les jouets déjà réglés par elle, dans les trois jours suivant le prononcé de l'ordonnance, sous astreinte de 3.000 euros par jour de retard et par labyrinthe ;

Enjoindre à la société Herculis de s'interdire et d'interdire à ses organes, dirigeants, salariés et tiers agissant pour son compte (avocats, etc.), de contacter les agriculteurs détenant les champs faisant l'objet d'un contrat avec elle, sous peine de 20.000 euros à lui verser pour chaque violation de cette interdiction ;

Ordonner à la société Herculis de restituer les mots de passe et code d'accès de chaque système de traitement automatisé de données (plateformes, réseaux sociaux et adresses e-mail lui ayant appartenu : instagram, facebook, e-mails et plateforme d'Hootsuit), sous peine de 3.000 euros d'astreinte par 24h de retard et par système de traitement automatisé de données à compter de l'heure du prononcé de l'ordonnance ;

Subsidiairement, condamner la société Herculis à lui verser une provision de 24.081,60 euros au titre des sommes versées sans contrepartie (pas de traçage des deux labyrinthes, pas de livraison des PLV ni des signalétiques ni des jeux ni des parcours à énigmes) ;

Subsidiairement, statuer en référé sur les demandes où le trouble manifestement illicite est établi, disjoindre les autres demandes et les renvoyer à une audience très proche pour qu'il soit statué au fond à leur sujet ;

Condamner la société Herculis à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

Mettre les dépens à la charge de la société Herculis ;

Ordonner que l'exécution ait lieu au seul vu de la minute.

Lors de l'audience, la société Brudel a renoncé à ses premières demandes, ne maintenant que les suivantes :

Enjoindre à la société Herculis de s'interdire et d'interdire à ses organes, dirigeants, salariés et tiers agissant pour son compte (avocats, etc.), de contacter les agriculteurs détenant les champs faisant l'objet d'un contrat avec elle, sous peine de 20.000 euros à lui verser pour chaque violation de cette interdiction ;

Ordonner à la société Herculis de restituer les mots de passe et code d'accès de chaque système de traitement automatisé de données (plateformes, réseaux sociaux et adresses e-mail lui ayant appartenu : instagram, facebook, e-mails et plateforme d'Hootsuit), sous peine de 3.000 euros d'astreinte par 24h de retard et par système de traitement automatisé de données à compter de l'heure du prononcé de l'ordonnance ;

Condamner la société Herculis à lui payer une provision de 24.081,60 euros au titre des sommes versées sans contrepartie (pas de traçage des deux labyrinthes, pas de livraison des PLV ni des signalétiques ni des jeux ni des parcours à énigmes) ;

Condamner la société Herculis à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

Mettre les dépens à la charge de la société Herculis ;

Ordonner que l'exécution ait lieu au seul vu de la minute.

Par ordonnance contradictoire du 8 juillet 2022, le juge des référés a :

Dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de la société Brudel ;

Condamné la société Brudel à payer à la société Herculis la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ;

Condamné la société Brudel aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 5 août 2022, la société Brudel a interjeté appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 7 novembre 2022, elle demande à la cour de :

Annuler l'ordonnance entreprise ;

Subsidiairement, réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux frais des articles 695 et 700 codes de procédure civile et n'a pas condamné la société Herculis à ces frais ;

Réformer l'ordonnance et, au titre de la première instance :

Condamner la société Herculis à lui payer la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

Mettre les dépens à la charge de la société Herculis ;

Condamner la société Herculis à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des frais d'appel de l'article 700 code de procédure civile ;

Mettre les dépens d'appel à la charge de la société Herculis.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 décembre 2022, la société Herculis demande à la cour de :

Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, dont celles liées à l'article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Condamner la société Brudel à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouter la société Brudel de ses demandes ;

Condamner la société Brudel aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er mars 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé des moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise

L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Aux termes de l'article 445 du même code, après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.

En l'espèce, la société Herculis a adressé au président du tribunal de commerce une note en délibéré non autorisée le 23 juin 2022, lendemain de l'audience.

L'appelante soutient que cette note ne lui a pas été communiquée, en violation du principe de la contradiction.

Mais il résulte du courriel adressé par la société Herculis au président du tribunal de commerce que l'avocat de la société Brudel était en copie, ce que rappelait expressément la note en énonçant : « Maître [D] nous lit en copie ».

En outre, le premier juge a écarté cette note dans les termes suivants : « Cher Maître, comme vous le savez, lorsqu'un débat est clos, il est clos. Je conviens que vous ayez pu être surpris, comme moi, par la modification en audience des demandes de votre contradicteur. Toutefois, je ne pourrai tenir compte que des observations qui reprennent les éléments de votre plaidoirie d'hier. Je demande à votre confrère de s'abstenir de répondre à votre message. Pour lui comme pour vous, les débats sont clos. »

L'appelante objecte que l'ordonnance entreprise démontre la lecture et la prise en considération de cette note par le juge des référés mais la procédure est orale devant le juge des référés du tribunal de commerce et il résulte des énonciations de l'ordonnance que la société Brudel a déclaré « oralement à l'audience » renoncer aux points 1, 2 et 6 de son assignation et faire du point 5 une demande principale et non plus subsidiaire. Les prétentions et moyens ont donc sensiblement évolué lors de l'audience et, faute de production de la note d'audience, le contenu des débats oraux est inconnu, de sorte que la prise en considération par le juge d'éléments étrangers à ceux développés oralement n'est pas démontrée.

La violation du principe de la contradiction n'est donc pas établie et la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise sera rejetée.

Sur les demandes d'infirmation de l'ordonnance entreprise au titre des frais et dépens

La société Brudel expose qu'elle a décidé de porter l'ensemble de ses demandes devant le juge du fond et qu'il n'y a donc plus lieu à référé sur l'ensemble de celles-ci mais elle critique l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au motif qu'elle ne pouvait être considérée comme partie perdante.

Sur la demande de provision,

Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'article 12.1 des contrats de franchise stipule que : « Le franchisé paie au franchiseur la somme de 4.500 euros HT à la date de signature du présent contrat en contrepartie : ['] de l'accompagnement dans la création et le traçage du labyrinthe à hauteur de 2.000 euros HT par an, payable pour la première fois ce jour et ensuite chaque année lors de la création du nouveau labyrinthe et du renouvellement du traçage. »

Les articles 6.1 et 10.1 des contrats prévoient que :

- « Afin de garantir l'identification du labyrinthe Pop Corn Labyrinthe et l'homogénéité du réseau, le franchisé s'engage : ['] à ne pas proposer à sa clientèle d'autres produits que ceux figurant dans le manuel opératoire Pop Corn Labyrinthe » ;

- « Le franchiseur a référencé des matériels et produits qu'il a testés. Le franchisé s'engage à s'approvisionner exclusivement auprès du franchiseur et/ou de ses fournisseurs référencés pour tous les matériels utilisés dans le cadre de son activité Pop Corn Labyrinthe. »

La société Brudel soutient que sa demande de provision formée devant le premier juge était justifiée car la société Herculis a prélevé, le 12 mai 2022, sur son compte, une somme de 4.800 euros TTC correspondant aux deux redevances de 2.000 euros HT chacune pour le tracé de chacun des deux labyrinthes et ces traçages n'ont pas eu lieu.

Elle expose également que la société Herculis a prélevé sur son compte, le 22 mars 2022, la somme de 8.550 euros au titre des frais de PLV (publicités sur les lieux de vente) et que leur livraison aurait dû intervenir le 8 juin 2022 mais qu'elle n'a pas eu lieu.

Elle ajoute que les signalétiques des labyrinthes, ayant donné lieu à deux paiements, l'un du 22 mars pour 696 euros, l'autre du 28 mars pour 1.485,60 euros, auraient dû être livrées le 8 juin 2022 mais n'ont pas été livrées.

Enfin, elle fait état d'achats de jeux en bois et d'éléments de parcours à énigmes pour les sommes respectives de 2.475 euros, 2.475 euros, 1.800 euros et 1.800 euros, pour les parcours de [Localité 8] et [Localité 5], et de l'absence de livraison de ces éléments.

Elle affirme que le juge des référés aurait dû condamner la société Herculis à lui payer une provision correspondante, au moins en partie, aux sommes prélevées sur son compte au titre des labyrinthes non tracés et des PLV et jeux achetés non livrés.

Cependant, en présence d'une résiliation des contrats de franchise intervenue le 31 mai 2022, qui n'est plus contestée devant la présente juridiction, il existe une contestation sérieuse sur l'obligation de réalisation des traçages et de livraison des produits par l'intimée et, par suite, sur son obligation de remboursement de sommes qui auraient été indûment réglées par l'appelante.

Cette dernière ne précise d'ailleurs pas sur quel fondement juridique repose sa demande de provision au titre du remboursement des sommes versées à son co-contractant pendant l'exécution du contrat.

De plus, il résulte des pièces produites par la société Herculis que les règlements de la société Brudel sont en grande partie revenus impayés (la somme globale de 13.548 euros ayant été rejetée), remettant en cause l'affirmation de cette dernière relativement à des paiements indus.

Il appartiendra au juge du fond, éventuellement saisi de l'examen de la validité de la résiliation des contrats, de faire les comptes entre les parties.

C'est donc à juste titre que la demande de provision a été rejetée par le premier juge.

Sur les demandes tendant à interdire à la société Herculis de contacter les agriculteurs.

Selon l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

La société Brudel fonde sa demande sur l'article 312-1 du code pénal qui dispose que « l'extorsion est le fait d'obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque. »

Selon elle, la société Herculis s'est livrée à des tentatives d'extorsion auprès des agriculteurs en les menaçant de représailles s'ils ne rompaient pas le contrat avec elle.

Elle produit un courriel du 6 juin 2022 de Mme [N], associée de la société Herculis, aux termes duquel celle-ci écrit que « dans l'hypothèse où, malgré la rupture du contrat qui nous lie à la société Canadel et à M. et Mme [E], vous permettriez à ces derniers d'exercer une activité concurrente sur la parcelle destinée à Pop Corn Labyrinthe, nous n'aurions d'autre solution pour contrer cette concurrence déloyale que d'engager votre responsabilité en tant que tiers complice de la violation d'un contrat. »

Cependant, outre que l'appelante n'a pas agi sur le terrain pénal qu'elle invoque, les propos, qui ne font état que d'une possible action en responsabilité, ne caractérisent pas un trouble manifestement illicite.

Sur la demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société Herculis de restituer les mots de passe et codes d'accès de chaque système de traitement automatisé de données.

L'appelante fonde sa demande sur l'article 323-1 du code pénal, qui dispose que « le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni de deux ans d'emprisonnement et de 60.000 euros d'amende. Lorsqu'il en est résulté soit la suppression ou la modification de données contenues dans le système, soit une altération du fonctionnement de ce système, la peine est de trois ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende. »

Elle soutient que la société Herculis s'est approprié les mots de passe de ses réseaux sociaux et en a pris le contrôle pour les modifier, ce qui constitue un trouble manifestement illicite.

Ces affirmations ne sont toutefois étayées par aucune pièce, de sorte que la demande ne peut qu'être rejetée.

Sur la condamnation aux frais et dépens.

Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté les demandes de la société Brudel et, par suite, l'a condamnée aux dépens, étant partie perdante, ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La décision sera donc confirmée de ces chefs, sans que l'équité ne commande, comme le sollicite l'appelante, de réduire l'indemnité allouée en première instance.

A hauteur d'appel, la société Brudel, partie perdante, sera également tenue aux dépens et condamnée au paiement d'une indemnité de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Rejette la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise ;

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Brudel aux dépens d'appel ;

La condamne à payer à la société Herculis la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande fondée sur ces dispositions.