Livv
Décisions

CA Rouen, ch. prox., 16 janvier 2020, n° 19/03601

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

BNP Paribas Personal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lepeltier-Durel

Conseillers :

Mme Delahaye, M. Mellet

Evreux, JEX, 26 août 2019, n° 18/00040

26 août 2019

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte notarié du 26 mai 2006, la société SYGMA Banque aux droits de laquelle vient désormais la société BNP Paribas Personal Finance (la BNP) a consenti à M. Didier F. et Mme Marie-Françoise B. épouse F. un prêt d'un montant de 103.160 euros remboursable en 182 mois dont 2 mois de report, soit en 180 mensualités de 881,93 euros au taux nominal fixe de 6,10 % et au TEG de 7,32 % l'an.

L'acte authentique a prévu que ce prêt était garanti par une hypothèque portant sur une maison d'habitation située 13 allée des bosquets à Caugé (Eure) sur une parcelle cadastrée section ZD n° 73 'lieudit 13 allée des bosquets' d'une contenance de 16 a 71 ca. L'hypothèque a été publiée à Evreux (Eure) le 19 juillet 2006.

Par LRAR des 21 juin et 13 juillet 2017, la banque a mis en demeure M. et Mme F. de payer la somme de 35 861,16 euros au titre des échéances impayées de décembre 2013 à juin 2017, puis prononcé la déchéance du terme et sollicité le paiement de la somme de 77 544,21 euros outre intérêts et indemnités.

La BNP a ensuite fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière le 15 décembre 2017, publié le 17 janvier 2018 au service de la publicité foncière d'Evreux, portant sur l'immeuble hypothéqué tel que désigné dans l'acte authentique du 26 mai 2006.

Par acte du 1er mars 2018, elle a fait assigner M.et Mme F. à l'audience d'orientation du juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux en vente forcée de l'immeuble saisi, mention de sa créance à la somme de 78 478,84 euros arrêtée au 4 décembre 2017, avec intérêts au taux de 6,10 % l'an sur la somme de 74.456,58 euros à compter du 5 décembre 2017 et au taux légal sur le surplus, cotisations ADI et frais.

Le cahier des conditions de vente a été déposé au greffe le 5 mars 2018.

Par jugement du 26 août 2019, le juge de l'exécution a :

- déclaré l'action de la BNP recevable,

- déclaré irrecevable devant le juge de l'exécution l'action en responsabilité de la banque pour manquement au devoir de mise en garde,

- constaté que la BNP était munie d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible,

- constaté que la saisie immobilière pratiquée portait sur des droits saisissables,

- déclaré prescrites les échéances du prêt comprises entre le 5 février 2014 et le 13 juillet 2015,

- mentionné que le montant de la créance de la BNP s'élevait à la somme de 62 902,09 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- débouté les parties de leurs plus amples demandes,

- ordonné la vente forcée des biens saisis,

- fixé à l'audience du 4 novembre 2019 la vente forcée et autorisé la BNP à faire procéder à la visite des biens saisis dans les conditions habituelles en la matière,

- dit que les dépens seraient compris dans les frais de poursuite soumis à taxe.

M. et Mme F. ont formé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 10 septembre 2019.

Par ordonnance du 23 septembre 2019, ils ont été autorisés à assigner la BNP à jour fixe, à l'audience de cette cour du 18 novembre 2019 à laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

Dans leurs conclusions notifiées le 5 novembre 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, ils demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

- infirmer le jugement entrepris,

- dire forclose l'action de la BNP,

- la débouter de ses demandes,

- ordonner l'annulation du commandement de payer valant saisie immobilière du 15 décembre 2017,

- subsidiairement, dire prescrite la créance de la BNP au titre des échéances antérieures au 13 juillet 2015,

- subsidiairement, dire que la BNP a commis un manquement à son devoir d'information et de mise en garde,

- fixer leur préjudice à la somme de 78 478,84 euros augmentée des intérêts postérieurs au 4 décembre 2017, des cotisations ADI et des frais,

- ordonner la compensation des deux créances,

- débouter la BNP de sa demande de vente forcée,

- très subsidiairement, supprimer ou réduire la clause pénale,

- condamner la BNP à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par écritures notifiées le 28 octobre 2019, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la BNP conclut au débouté de M. et Mme F., à la confirmation du jugement entrepris avec fixation actualisée de sa créance à 67 012,68 euros avec intérêts au taux légal, au renvoi des parties devant le tribunal de grande instance pour la poursuite de la procédure de saisie et à la condamnation des appelants à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct à la SELARL G. et S., avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS de la DECISION

Sur la forclusion

Au soutien de cette fin de non-recevoir, M. et Mme F. s'appuient sur un ré-aménagement du contrat le 6 novembre 2012 qu'ils analysent comme une novation soumettant le contrat aux dispositions des articles L.313-15 du code de la consommation dans leur rédaction alors applicable et donc au délai biennal de l'article R.312-35 du même code .

Le prêt consenti par la société SYGMA Banque le 26 mai 2006 a pour objet un regroupement de créances et, conformément aux articles L.311-3 et D.111-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable lors de sa signature, se trouvait exclu du champ d'application du code de la consommation, son montant étant supérieur à 21 500 euros.

Par courrier du 6 novembre 2012, du fait de retards dans le paiement des échéances, la société SYGMA Banque a proposé aux emprunteurs de modifier le montant de chacune des échéances restant à courir jusqu'à la fin du contrat en les portant de 881,93 euros à 898,88 euros.

Aux termes des articles 1329 et 1330 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation qu'elle éteint une obligation nouvelle qu'elle crée, elle ne se présume pas et la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte.

En l'espèce, l'obligation de rembourser les échéances du prêt consenti le 26 mai 2006 n'a pas été éteinte mais seul, le montant de l'échéance a été modifié selon l'accord des parties afin de parvenir à l'exécution complète du contrat initial. Or, il ne suffit pas, pour opérer novation, de modifier les modalités de remboursement. Et aucune volonté de nover, qui aurait soumis le contrat aux nouvelles règles du code de la consommation résultant de la loi du 1er juillet 2010 dite loi Lagarde n'est caractérisée par le courrier susvisé.

Aussi, le premier juge a exactement qualifié de simple rééchelonnement des modalités de remboursement des échéances du prêt initial la proposition acceptée par les emprunteurs et, la forclusion édictée par l'article R.312-35 dans sa rédaction issue de la loi du 1er juillet 2010 ne s'appliquant pas au litige, la disposition du jugement entrepris ayant déclaré l'action de la BNP recevable et non forclose sera confirmée.

Sur la recevabilité de la demande de fixation de préjudice et de compensation

M. et Mme F. font valoir qu'en leur consentant un prêt de regroupement de leurs crédits antérieurs, la banque a aggravé leur situation financière, qu'elle a commis une faute engageant sa responsabilité et leur causant un préjudice qui, selon eux, est équivalent à la créance de la banque. Ils demandent à la cour de fixer leur préjudice à ce montant et d'ordonner la compensation entre les dettes réciproques, précisant qu'ils ne demandent pas la condamnation de la banque et que la seule demande de compensation dont ils se prévalent est recevable devant le juge de l'exécution.

La BNP répond que la créance alléguée à son encontre n'est pas née, que pour ordonner la compensation sollicitée, il faut consacrer l'existence d'un préjudice et donc d'une responsabilité, qu'une telle demande est irrecevable au motif que le juge de l'exécution n'a pas de pouvoir juridictionnel ou de compétence pour statuer sur une action en responsabilité qui n'est pas fondée sur l'exécution ou l'inexécution dommageable d'une mesure d'exécution.

En application de l'article 1347 du code civil , la compensation, extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes, s'opère à la date où ses conditions se trouvent réunies.

Pour savoir si M. et Mme F. sont créanciers de dommages et intérêts dus par la BNP, il importerait donc de se prononcer sur l'existence du manquement et du préjudice qu'ils allèguent. Aussi leur demande de fixation du montant de leur préjudice et de compensation s'analyse en une demande reconventionnelle de retenir la responsabilité de la BNP pour manquement à son devoir de mise en garde afin de déterminer le montant du préjudice causé et non pas en une simple demande de compensation d'une créance pas encore née, liquide et exigible.

Or, selon les dispositions de l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire, ' le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. [...] Le juge de l'exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle. [...]

Sous l'appellation d'une demande de fixation de préjudice et d'une exception de compensation, M. et Mme F. ont en réalité formé une demande reconventionnelle qui tend à la condamnation de la banque au paiement de dommages et intérêts d'un montant équivalent à la créance de cette dernière, demande qui ne constitue ni une contestation de la saisie immobilière ni une contestation s'élevant à l'occasion de cette mesure d'exécution. Elle ne relève donc pas de la compétence du juge de l'exécution.

La disposition du jugement entrepris relative à cette demande sera réformée en ce sens qu'il s'agit d'une incompétence du juge de l'exécution et non d'une irrecevabilité pour défaut de pouvoir juridictionnel.

Sur la créance

L'article L.311-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose que tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière.

Il n'est pas contesté que la BNP justifie d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Les parties ne discutent pas non plus la prescription des échéances antérieures au 13 juillet 2015, retenue par le premier juge.

Sur le montant de la créance, M. et Mme F. estiment excessive au regard du montant de l'opération et de leur situation actuelle la clause pénale du contrat dont ils demandent la suppression ou la réduction maximale.

La stipulation du prêt relative à la défaillance de l'emprunteur dans le remboursement du prêt prévoit que le prêteur pourra demander une indemnité égale au plus à 8 % du capital dû.

Il s'agit d'une stipulation contractuelle fixant forfaitairement une pénalité pour non-respect des obligations des emprunteurs dans le cadre d'un prêt consenti pour racheter des crédits antérieurs. Sa finalité est de compenser le préjudice subi par le prêteur tant du fait du retard du remboursement que de la perte due à l'arrêt de l'exécution du contrat. Or, en l'espèce, le contrat prévu pour une durée de 15 ans n'a plus été exécuté à compter de la moitié de sa durée de paiement des échéances, soit depuis février 2014, ce malgré un ré-aménagement du contrat le 6 novembre 2012.

La clause pénale n'est donc pas manifestement excessive.

Aucun autre moyen n'est soulevé par les parties pour contester le montant de la créance mentionné par le juge de l'exécution à la somme de 62 902,09 euros portant intérêts au taux légal à compter du jugement, si ce n'est pour tenir compte des intérêts ayant courus depuis le jugement, ce qui résulte suffisamment de la disposition du jugement relative à cette mention qui sera donc confirmée.

Sur les dépens et leurs accessoires

Il apparaît inéquitable de laisser à la seule charge de la BNP les frais irrépétibles exposés dans la procédure et pour lesquels M. et Mme F. devront lui payer une indemnité de 1 000 euros. Les dépens de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de vente.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable devant le juge de l'exécution l'action en responsabilité engagée à l'encontre de la société BNP Paribas Personal Finance,

Statuant à nouveau dans la limite de la disposition réformée et y ajoutant,

Dit que le juge de l'exécution n'a pas compétence pour statuer sur l'action en responsabilité engagée par M. Didier F. et Mme Marie-Françoise B. épouse F. à l'encontre de la société BNP Paribas Personal Finance,

Condamne in solidum M. Didier F. et Mme Marie-Françoise B. épouse F. à payer à la BNP Paribas Personal Finance une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de vente.