CA Rouen, 2e ch., 15 juin 2006, n° 05/01177
ROUEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Mossley Badin (SA), Crédit Industriel de Normandie, AVI (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bignon
Conseillers :
M. Lottin, Mme Vinot
Avoués :
SCP Hamel Fagoo Duroy, SCP Duval Bart
Avocats :
Me Dartix, Me Leclercq, Me Selegny
Exposé du litige :
Par jugement du 26 mars 2003, le tribunal de commerce de Rouen a prononcé la liquidation judiciaire de la société Mossley Badin dont la procédure de redressement judiciaire avait été ouverte par un jugement du 12 mars 2002.
Une propriété, située à [...], consistant en un ancien corps de ferme comprenant une maison d'habitation, une grande remise, une ancienne laiterie, un pigeonnier et des terres attenantes d'une superficie cadastrale de 25 ha, 97 a, dépendait de l'actif de la liquidation judiciaire de la société Mossley Badin.
Par requête déposée le 16 février 2004, Mme Pascual, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mossley Badin, exposant avoir fait procéder à une expertise immobilière évaluant la propriété bien à une somme comprise entre 63 000 € et 67 000 €, a sollicité du juge-commissaire que la vente de gré à gré soit ordonnée au profit de M. Francoise, moyennant le prix net vendeur et payable comptant de 68 000 €.
Par ordonnance du 8 mars 2004, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société Mossley Badin a ordonné la vente de la propriété à M. Francoise pour le prix net vendeur et payable comptant de 68 000 €.
Cette ordonnance a été notifiée le même jour à M. Francoise.
Par lettre du 17 juin 2004, le notaire de M. Francoise a demandé au notaire chargé de réaliser l'acte de vente, de s'enquérir auprès du mandataire liquidateur si une nouvelle ordonnance pouvait être obtenue afin de pouvoir réaliser la vente au nom de MM. Francoise et Clemence.
Par lettre du 7 juillet 2004, le notaire de M. Francoise a rappelé au notaire chargé de réaliser l'acte de vente sa correspondance laissée sans réponse.
Par requête déposée le 7 juillet 2004, exposant avoir été saisie, le 28 juin 2004, d'une nouvelle offre d'acquisition pour le prix net vendeur de 90 000 € de la part de la société Avi et que M. Francoise avait sollicité l'obtention d'une nouvelle ordonnance afin que la vente intervienne en indivision entre lui-même et M. Clemence, Mme Pascual a sollicité du juge-commissaire la rétractation de l'ordonnance rendue le 8 mars 2004 au profit de M. Francoise et que la vente de gré à gré soit ordonnée au profit de la société Avi pour le prix de 90 000 €.
Par ordonnance rendue le 3 août 2004, le juge-commissaire a :
- autorisé la rétractation de l'ordonnance rendue le 8 mars 2004 au profit de M. Francoise,
- ordonné la vente de gré à gré de la propriété au profit de la société Avi, pour le prix net vendeur et payable comptant de 90 000 €.
Le 12 août 2004, M. Francoise a fait opposition à cette ordonnance qui lui avait été notifiée.
Par jugement rendu le 9 novembre 2004, le tribunal de commerce de Rouen a :
- déclaré l'opposition recevable et mal fondée,
- déclaré recevables et bien fondées les demandes de Mme Pascual, ès-qualités,
- confirmé l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 3 août 2004 autorisant Mme Pascual, ès-qualités, à procéder à la vente de la propriété située à Bonsmoulins dépendant de l'actif de la société Mossley Badin au profit de la société Avi moyennant le prix net vendeur de 90 000 €,
- laissé les dépens à la charge de M. Francoise.
M. Francoise a interjeté appel de cette décision.
M. Francoise a déclaré intimer Mme Pascual, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mossley Badin, le Crédit industriel de Normandie (CIN), Mme Leboucher (Badin Sartel), et la société Avi.
Le CIN et la société Avi, assignés par actes d'huissier respectivement délivrés les 24 et 31 octobre 2005, à une personne ayant déclaré être habilitée à le recevoir et en la personne du gérant, Mme Leboucher, assignée par un acte délivrée à domicile avec remise en mairie le 2 novembre 2005, n'ont pas constitué avoué. Il sera donc statué par un arrêt rendu par défaut.
Prétentions et moyens des parties :
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 26 avril 2006 par Mme Pascual, ès-qualités, et par M. Francoise le 27 mars 2006.
M. Francoise conclut à la recevabilité de son appel, à la mise à néant du jugement et à l'annulation de l'ordonnance rendue le 3 août 2004, qu'il soit constaté que le juge-commissaire se trouvait dessaisi à la suite de sa précédente décision du 8 mars 2004 et jugé que cette dernière décision conservera son plein et entier effet.
Mme Pascual, ès-qualités, qui soutient, d'une part, que M. Francoise, candidat repreneur évincé, n'a pas la qualité de partie à l'instance et d'autre part, qu'en application de l'article L. 623-4, 3°, du code de commerce le jugement par lequel le tribunal a statué sur le recours formé contre une ordonnance rendue par le juge-commissaire dans la limite de ses attributions n'est pas susceptible d'appel, conclut en premier lieu à l'irrecevabilité de l'appel.
En deuxième lieu, Mme Pascual, qui prétend que M. Francoise ne justifie pas de la notification de l'ordonnance du 8 mars 2004, conteste toute autorité de chose jugée attachée à cette ordonnance et soutient, en outre, qu'à supposer que cette ordonnance ait été notifiée, cette circonstance n'interdisait pas au juge-commissaire de la rétracter et de rendre une nouvelle ordonnance, en application de l'article 497 du nouveau code de procédure civile.
Elle fait à cet égard valoir qu'à la date où il a statué, le 3 août 2004, le juge-commissaire pouvait rétracter l'ordonnance du 8 mars 2004 puisque M. Francoise demandait lui-même cette rétractation afin de pouvoir se porter acheteur en indivision avec un tiers et que la nouvelle décision était plus conforme à l'intérêt des créanciers.
En troisième lieu, Mme Pascual ès-qualités, invoque les articles 1582, alinéa 1er, et 1583 du code civil et L. 622-16, alinéa 3, du code de commerce et 138, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985, pour soutenir que l'ordonnance initiale ne constituait qu'une simple autorisation d'agir, que la vente n'est parfaite que lorsque les conditions essentielles de celle-ci sont déterminées ce qui n'est pas le cas lorsqu'il règne une incertitude quant à l'identité de l'acheteur, de sorte qu'en pareille circonstance, elle autorise seulement le mandataire liquidateur à agir en vue d'y parvenir et que la vente est valablement réalisée au profit d'un mieux-disant.
Invoquant la demande de M. Francoise tendant à la présentation d'une nouvelle requête afin de pouvoir se porter acquéreur , non en son seul nom, mais en indivision, l'intimée soutient qu'il n'existait plus d'accord entre les parties sur les conditions essentielles de la vente, M. Francoise indiquant par là-même qu'il n'entendait plus se porter seul acquéreur du bien. Elle prétend qu'en sollicitant une nouvelle ordonnance, M. Francoise avait conscience que le juge-commissaire devait rétracter l'ordonnance initiale pour en prononcer une seconde et du caractère non avenu de sa première proposition puisqu'il en a formulé une autre dans la correspondance qu'il a adressée au juge-commissaire le 12 août 2004, offrant de payer la somme de 100 000 €.
Subsidiairement, au cas où il serait jugé que M. Francoise justifierait d'une cause légale de réformation de l'ordonnance du 3 août 2004, l'intimée demande l'autorisation de la vente de la propriété à M. Francoise au prix de 100 000 €.
Sur ce, la cour,
Attendu que si, aux termes de l'article L. 623-4, 2°, du code de commerce, les jugements par lesquels le tribunal de la procédure collective statuent sur les recours contre les ordonnances du juge-commissaire ne sont pas susceptibles d'appel, c'est à la condition que ce magistrat ait statué dans les limites de ses attributions, à défaut de quoi la voie de l'appel est ouverte ;
Attendu que si la vente de gré à gré d'un immeuble compris dans l'actif du débiteur en liquidation judiciaire n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge-commissaire qui autorise, sur le fondement de l'article L. 622-16, alinéa 3, du code de commerce, la cession de ce bien, celle-ci n'en est pas moins parfaite dès l'ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée ;
Attendu que M. Francoise établit par les pièces qu'il produit (n° 1 comprenant, notamment, l'ordonnance et la lettre de 'notification de dépôt d'ordonnance' qui lui a été adressée par le greffe) que l'ordonnance du 8 mars 2004 par laquelle le juge-commissaire a ordonné la vente de la propriété de gré à gré à M. Francoise a été notifiée à ce dernier ;
Que cette ordonnance ayant acquis force de chose jugée, la vente de la propriété litigieuse à M. Francoise est devenue parfaite ;
Que M. Francoise n'est pas un candidat-repreneur évincé, mais l'acquéreur de la propriété litigieuse ;
Attendu que, non seulement la demande présentée par le notaire de M. Francoise, à laquelle le mandataire liquidateur n'a d'ailleurs même pas répondu, tendant à l'obtention d'une nouvelle ordonnance pour acquérir le bien en indivision avec un tiers, ne s'analysait nullement en un refus de réaliser la vente, mais le juge-commissaire n'avait pas le pouvoir de rétracter l'ordonnance qu'il avait rendue le 8 mars 2004 et de prononcer ainsi, en fait, la résolution d'une vente devenue parfaite ;
Attendu qu'en rétractant l'ordonnance rendue le 8 mars 2004, le juge-commissaire, excédant ses pouvoirs, a statué hors des limites de ses attributions ;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu d'infirmer, dans toutes ses dispositions le jugement entrepris qui a validé l'excès de pouvoir commis par le juge-commissaire ;
Attendu que le juge-commissaire n'avait pas le pouvoir de prononcer la résolution de la vente et que la cour n'a pas davantage de pouvoir que le juge-commissaire ; que, dès lors, la demande subsidiaire présentée par Mme Pascual, ès-qualités, ne peut être accueillie ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la requête présentée par Mme Pascual, ès-qualités, le 7 juillet 2004 sera rejetée ;
Qu'il sera surabondamment ajouté que, de surcroît, une ordonnance sur requête ne peut pas être rétractée à l'insu des parties, sans que soit observé le principe de la contradiction ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare l'appel recevable ;
Infirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;
Annule l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 3 août 2004 ;
Rejette la requête présentée par Mme Pascual, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mossley badin, le 7 juillet 2004 ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne Mme Pascual, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mossley badin, à payer la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) à M. Francoise ;
Condamne Mme Pascual, liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Mossley badin, à payer les dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.