Livv
Décisions

CA Versailles, 16e ch., 6 février 2020, n° 18/07748

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grasso

Conseillers :

Mme Guyon-Nerot, Mme Massuet

Nanterre, JEX, du 6 avr. 2018, n° 18/024…

6 avril 2018

EXPOSE DU LITIGE

En exécution d'un jugement rendu le 26 janvier 2017 par le tribunal d'instance d'Antony constatant l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail liant madame L. (propriétaire d'un bien immobilier situé [...]) aux époux A. en ordonnant leur expulsion et en les condamnant au paiement de diverses sommes au titre d'impayés locatifs, un procès-verbal d'expulsion a été dressé le 1er août 2017 par la SCP T. & associés, huissiers de justice à Boulogne-Billancourt, avec assignation des époux A. à comparaître devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, le 26 septembre 2017, à l'effet de voir statuer sur le sort des meubles qui n'auraient pas été retirés avant le jour de l'audience conformément aux dispositions légales.

A la faveur de renvois accordés aux époux A. poursuivant, notamment, l'annulation de ce procès-verbal d'expulsion et l'indemnisation du préjudice résultant d'irrégularités les ayant privés de la faculté de se voir restituer biens, effets et documents personnels, ces derniers ont assigné en intervention forcée cette Scp d'huissiers aux fins de la voir condamner à titre principal, « solidairement » avec madame L., au paiement de deux fois la somme de 25.000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'ils estiment avoir subis, ceci selon acte du 28 février 2018.

Après jonction de ces deux procédures, par jugement contradictoire rendu le 06 avril 2018 le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a, en substance et en rappelant que sa décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit, constaté ladite jonction, donné acte à la Scp d'huissiers de son intervention forcée, débouté les époux A. de l'intégralité de leurs demandes, déclaré abandonnés les meubles par eux laissés dans les lieux selon inventaire dressé dans le procès-verbal d'expulsion du 1er août 2017 et débouté madame L. de sa demande en paiement des frais de déménagement en condamnant les époux A. à verser à madame L. la somme de 400 euros représentant le manque à gagner résultant de l'occupation de son box outre celle de 700 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens qui seront recouvrés comme en matière juridictionnelle sans qu'il n'y ait lieu à remboursement au profit de l'Etat.

Par dernières conclusions (n° 4) notifiées le 02 décembre 2019 monsieur Karim A. et madame Fatima G., son épouse, appelants, demandent pour l'essentiel à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté madame L. de sa demande en paiement des frais de déménagement, d'ordonner à madame L. de leur restituer leurs biens, documents et effets personnels, de condamner « solidairement » madame L. et la Scp T. et associés à leur verser deux fois la somme de 25.000 euros en réparation de leurs préjudices, matériel et moral, ou celle de 30.000 euros si par extraordinaire leurs effets ont été dissipés et qu'ils sont dans l'impossibilité définitive de les récupérer, de débouter par ailleurs madame L. de toutes ses demandes comme mal fondées en condamnant « solidairement » les intimés à leur verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions (n° 3) notifiées le 12 décembre 2019 madame Christine L. demande pour l'essentiel à la cour, visant les articles L 433-2 du code des procédures civiles d'exécution, 1347 et suivants du code civil , 564 du code de procédure civile et, notamment, le procès-verbal d'expulsion litigieux, de déclarer les époux A. mal fondés en leur appel, de confirmer le jugement hormis en ses dispositions relatives aux frais de déménagement et de condamner les appelants au paiement de la somme de 770 euros à ce titre, subsidiairement de les débouter de leurs demandes indemnitaires en jugeant qu'ils ne justifient ni du principe ni du quantum de leurs préjudices, plus subsidiairement d'en ramener le quantum à un plus juste montant, de retenir la compensation légale de plein droit de la condamnation à intervenir et de celle qui a été prononcée à leur encontre par la juridiction d'instance et, à défaut, d'en ordonner judiciairement la compensation avec effet extinctif à concurrence de la plus faible de ces deux sommes, en tout état de cause de débouter les appelants et la Scp d'huissiers de l'ensemble de leurs demandes et de les condamner « solidairement » à lui verser la somme complémentaire de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 13 mai 2019 la société civile professionnelle T. & associés prie en substance la cour de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel, au fond et au visa de l'article 954 du code de procédure civile de dire n'y avoir lieu à statuer sur les demandes des appelants qui ne formulent aucun moyen au soutien des prétentions formulées à son encontre, uniquement contenues au dispositif de leurs conclusions, subsidiairement de les débouter de leur appel et de leurs entières prétentions, de confirmer la décision entreprise, ceci en condamnant les appelants à lui verser la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter l'ensemble des dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le sort des meubles et effets mobiliers non retirés après expulsion

Attendu que se prévalant d'une légitime demande de restitution, les époux A. reprochent au juge de l'exécution, retenant pourtant qu'il n'était pas établi, eu égard au caractère limité de l'inventaire des biens laissés dans les lieux, qu'à la date du 06 septembre 2016 les moyens dont ils disposaient, à savoir deux véhicules de petit gabarit, auraient été insuffisants pour libérer les lieux, comme l'a estimé l'agence immobilière mandatée pour veiller à la récupération des biens, de les avoir déboutés de leur demande en considérant qu'ils ont manifesté leur mauvaise foi dans l'exercice de leur faculté de reprise alors que lors de l'audience du 28 novembre 2017 il avait ordonné le renvoi de l'affaire au mois d'avril 2018 en leur faisant injonction de prendre attache, sous 10 jours, avec le conseil de madame L. pour convenir d'une date de reprise devant intervenir au plus tard le 31 décembre 2017 et qu'ils se sont privés de cette possibilité ;

Qu'ils reprennent la chronologie précise des événements survenus depuis leur expulsion, exposant qu'en raison du départ en vacances de l'employé de l'agence immobilière dans le mois qui a suivi l'expulsion, ils n'ont pu bénéficier que d'un bref accès dans les lieux de 45 minutes pour récupérer quelques documents, médicaments et vêtements pour leurs enfants, qu'ils ont postérieurement été dans l'impossibilité de reprendre possession du surplus, qu'en dépit d'un accord pour une reprise à la date du 06 septembre 2017 et de leur déplacement avec deux véhicules permettant le transport du peu de meubles inventoriés dans le procès-verbal d'expulsion, l'agence immobilière s'y est opposée de manière, selon eux, incompréhensible, et qu'ils ont été contraints de porter plainte à son encontre ;

Qu'ils estiment qu'il ne peut leur être reproché leur manque de diligence à la suite de la décision du juge de l'exécution du 28 novembre 2017 destinée à leur permettre une reprise dans le mois suivant dès lors qu'ils établissent qu'ils ont écrit à cette fin à leur conseil de l'époque, les 1er et 23 décembre 2017, et qu'ils ignoraient tout des échanges officiels entre avocats de janvier 2018 produits aux débats par madame L. ; qu'à leur sens, il serait injuste de les sanctionner du fait de l'inertie de ce conseil ;

Attendu, ceci étant exposé, qu'il résulte des pièces versées aux débats que le procès-verbal d'expulsion dressé le 1er août 2017, dans le respect des dispositions des articles R 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, et signifié le 03 août 2017 faisait notamment sommation aux époux A. de retirer le mobilier présent dans le délai d'un mois et que ces derniers ont été placés dans la situation de pouvoir exercer leur droit de reprise dans le délai légal dès lors que l'huissier leur a donné accès au logement, le 02 août 2017, afin qu'ils puissent récupérer des documents, qu'ils ont pu y accéder le 16 août suivant durant près d'une heure, de la même manière qu'à la cave et au box donnés à bail dont ils ont déménagé le contenu le 26 août et que proposition leur a été faite par l'agence immobilière, à la date du 30 août, de reprendre les biens meubles restant dans l'appartement le 06 septembre 2017 ;

Que la faculté d'exercer leur droit de reprise leur a encore été donnée par la décision du juge de l'exécution rendue le 28 novembre 2017 ; que madame L. justifie d'une lettre de son conseil au conseil des époux A. datée du 07 décembre 2017 par laquelle il l'informait du dépôt du mobilier dont le volume était évalué à environ 30 m3 dans un un lieu approprié, comme le prévoit l'article R 433-5 du code des procédures civiles d'exécution, à savoir un box précisément identifié avec l'indication que les clefs pouvaient être retirées à l'agence immobilière « n'importe quel jour » sauf du 14 au 19 décembre 2017 ;

Qu'alors que, dans sa décision, le juge de l'exécution enjoignait aux époux A. de prendre attache avec l'avocat de la propriétaire pour convenir des modalités de reprise et qu'ils font, par ailleurs, état de la location d'un lieu destiné à recevoir les biens litigieux dès le mois de septembre 2017, ce n'est que le samedi 23 décembre 2017 qu'ils se sont manifestés auprès de leur propre conseil en proposant un déménagement les vendredi 29 et samedi 30 décembre 2017 ; que ce déménagement, selon des modalités qui ne sont ni justifiées ni même explicitées, n'a pas eu lieu à cette date pour des raisons qui ne sont pas davantage précisées ;

Que faculté leur a derechef été donnée d'exercer ce droit de reprise avant le jour prévu pour la date de l'audience, comme l'établissent les mails officiels des 02, 03, 05, 09 et 15 janvier 2018 produits aux débats que le conseil de madame L. a adressés à celui des époux A. ; que ces derniers, qui ne produisent aucune pièce attestant de leurs propres diligences postérieurement au 23 décembre 2017, que ce soit auprès de leur conseil ou de l'agence immobilière mandatée pour leur permettre d'accéder à leur mobilier, ne peuvent valablement se prévaloir de leur bonne foi en tirant argument de l'inertie de leur conseil de l'époque, étant de plus relevé que ce conseil écrivait par mail officiel du 03 janvier 2018 au conseil de madame L. : « je reviendrai vers vous dès que mes clients que j'ai relancés auront à nouveau fixé une date » ;

Que c'est par conséquent à juste titre que le juge de l'exécution, soulignant que les époux A. se sont eux-mêmes privés de la faculté de reprise dont ils ont disposé dans un délai allant bien au delà du délai légal, a rejeté la demande de restitution présentée par les époux A. et, eu égard à l'indication portée dans le procès-verbal d'expulsion selon laquelle ce mobilier était sans valeur marchande suffisante et donnerait lieu à une vente déficitaire, jugé qu'il convenait d'en ordonner le débarras ;

Que le jugement sera confirmé en cette disposition ;

Sur les demandes indemnitaires

Sur les demandes des époux A.

Attendu que si ces derniers se prévalent d'un préjudice moral tenant au fait qu'ils ont été privés de leurs effets personnels durant un an et demi et d'un préjudice matériel consécutif à la contrainte qui a été la leur de se reloger et de racheter le mobilier dont ils n'ont pu obtenir la restitution, il résulte de ce qui précède qu'ils ne peuvent se prévaloir d'un lien de causalité entre le comportement de madame L. et de la Scp d'huissiers dont ils poursuivent la condamnation « solidaire », les préjudices dont ils sollicitent la réparation n'étant imputables qu'à leur propre comportement ;

Qu'ils seront donc déboutés de leurs réclamations ;

Sur les demandes reconventionnellement formées par madame L.

Attendu qu'alors que madame L. sollicite la confirmation du jugement qui a condamné les époux A. à lui verser la somme de 400 euros au titre du manque à gagner résultant de l'indisponibilité du box inclus dans le contrat de bail conclu en novembre 2017 avec de nouveaux locataires en raison de son occupation par le mobilier en cause dès lors qu'elle justifiait d'une remise mensuelle de loyer de 50 euros destinée à les dédommager de la privation de jouissance de cette dépendance, les époux A. demandent à la cour d'infirmer le jugement de ce chef en faisant valoir que si l'agence immobilière leur avait permis de reprendre leur mobilier en septembre puis en décembre 2017, il n'aurait pas été entreposé dans ce lieu à leur insu ;

Que force est cependant de considérer que l'indemnité allouée ne porte pas sur la période durant laquelle l'agence immobilière était mandatée par madame L. pour permettre la reprise des meubles mais sur les quatre mois qui se sont écoulés postérieurement au 31 décembre 2017, terme du délai qu'avait fixé le juge de l'exécution pour reprendre les biens meubles en dépôt, de sorte que c'est de manière inopérante que les époux A. tirent argument du comportement du mandataire ;

Qu'il est justifié de ce manque à gagner qui trouve sa cause dans l'absence de diligence des époux A. pour rendre vacante cette dépendance donnée à bail avec le logement aux nouveaux locataires et dont l'indisponibilité a conduit madame L. à consentir à une remise de loyer ;

Que le jugement mérite, par conséquent, confirmation de ce chef ;

Attendu que, formant appel incident, madame L. poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'il la déboute de sa demande en paiement de la somme de 770 euros qu'elle a dû acquitter en rétribution de la prestation de déménagement occasionnée par le transport du mobilier, le 08 août 2017, depuis l'appartement en cause jusqu'à ce box ; qu'elle fait valoir que, désireuse de relouer son bien, elle n'a eu d'autre choix que de s'y résoudre, confrontée comme elle l'a été à la mauvaise foi des époux A. ;

Mais attendu que, ce faisant, elle élude la motivation des premiers juges qui rappellent les termes de l'article L 111-8 du code des procédures civiles d'exécution et lui opposent justement le comportement d'obstruction dont a fait montre l'agence immobilière qu'elle avait mandatée alors que les époux A. ont fait montre, durant cette période là, d'un comportement actif pour entreprendre la reprise de leur mobilier ;

Qu'il n'y donc pas lieu à infirmation du jugement à ce titre ;

Sur les autres demandes

Attendu que l'équité conduit à condamner les époux A. à verser à madame L. une somme complémentaire de 1.000 euros et à la Scp T. & associés une même somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Que, déboutés de ce dernier chef de demande, les époux A. qui succombent supporteront les dépens d'appel par application de l'article 42 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1991 ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe ;

Confirme le jugement entrepris et, y ajoutant ;

DEBOUTE Monsieur Karim A. et Madame Fatima G. épouse A. de leurs entières demandes ;

CONDAMNE Monsieur Karim A. et Madame Fatima G. épouse A., à verser à Madame Christine L. une somme complémentaire de 1.000 euros et à la société civile professionnelle T. & associés la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens d'appel, en application de l'article 42 alinéa premier de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.