CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 avril 2019, n° 17/05089
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sami Aquitaine (SAS)
Défendeur :
SCI Embé (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potée
Conseillers :
M. Desalbres, Mme Delaquys
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par convention de sous location en date du 20 octobre 2010, la SCI Embé a loué à la société Sami Aquitaine (la société Sami) des locaux à usage commercial et industriel situés [...].
Par jugement du 17 mars 2016, le tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté la société Sami des demandes dont elle l'avait saisi ayant notamment pour objet de voir prononcer la nullité du contrat de sous location et de voir condamner la SCI Embe et M.C. à lui payer une provision de 210.000 € à valoir sur son préjudice et 'autre créance de restitution de loyer' , du dépôt de garantie et sur son indemnité d'éviction.
Par jugement du 26 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Bordeaux a débouté la SCI Embe de ses demandes d'interprétation et de rectification de son jugement du 17 mars 2016.
Le tribunal a en revanche constaté que la société Sami était occupante sans droit ni titre des locaux du mois de septembre 2013 jusqu'au 4 février 2015 et l'a condamnée à payer à la SCI Embe la somme de 200.000 € pour la période d'un an à compter du mois d'août 2013 jusqu'au 31 juillet 2014 et de 100.000 € pour la période de 7 mois d'août 2014 à février 2015.
En exécution de ce jugement, la SCI Embe a, par acte d'huissier du 11 mai 2017, fait pratiquer une saisie portant sur des certificats d'immatriculation d'un nombre important (42) de véhicules appartenant à la société Sami.
Cette dernière a fait assigner la SCI Embe devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bordeaux pour voir ordonner la main levée des saisies pratiquées sur ses véhicules et pour obtenir la réparation de son préjudice commercial en raison du caractère abusif de la saisie outre une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 22 août 2017, le juge de l'exécution a :
- débouté la SAS Sami Aquitaine de l'ensemble des chefs de sa demande ;
- débouté la SCI Embe de son chef de demande au titre d'une procédure abusive ;
- condamné la SAS Sami Aquitaine aux dépens.
La SAS Sami Aquitaine a interjeté appel de ce jugement le 28 août 2017.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 28 février 2019, la SAS Sami Aquitaine demande à la cour, au visa des articles 1342 alinéa 3, 1342-8, 1342-10 alinéa 2, 1343, 1947, 1376 et suivants du code civil, et des articles L 121-1, L 121-2 et L 121-3 du code des procédures civiles d'exécution, de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du 22 août 2017 ;
- constater que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 17 mars 2016 n'a pas été modifié selon jugement rendu par le même tribunal le 26 janvier 2017, sur le débouté de la demande d'interprétation et de rectification de la SCI Embe ;
- constater que par effet de la compensation légale, elle justifie avoir d'ores et déjà versé à la SCI Embe les sommes objet du jugement rendu le 17 mars 2016 ;
- déclarer nul et nul effet le procès-verbal de saisie ou d'indisponibilité des immatriculations établi par la SCP L. M. C. L. en date du 11 mai 2017 ;
- ordonner la mainlevée des saisies/indisponibilités mises en oeuvre sous astreinte provisoire à la charge de la SCI Embe de 300 euros par jour de retard, commençant à courir dès la signification de la décision à intervenir ;
- dire que la mesure d'exécution mise en oeuvre par la SCI Embe est abusive ;
- la condamner au titre de l'abus de saisie à verser à la société Sami Aquitaine une somme de 65.000 euros de dommages et intérêts compte tenu de son préjudice commercial ;
- rejeter toute demande plus ample ou contraire ;
- la condamner à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de l'instance.
Dans ses conclusions notifiées le 6 mars 2019, la SCI Embe demande à la cour, au visa des articles 1355, 1347 et 1347 -1 du code civil, de :
- débouter la SAS Sami Aquitaine de l'ensemble de ses demandes ;
- la condamner au paiement d'une indemnité pour procédure abusive de 10.000 euros et d'une indemnité procédurale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner au paiement des entiers dépens de l'instance avec bénéfice de distraction.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Sami Aquitaine fait valoir :
-que par l'effet de la compensation légale elle justifie avoir d'ores et déjà versé à la SCI Embe les sommes objet du jugement rendu le 17 mars 2016, que la demande de compensation ne porte que sur les sommes de 688.093 € qu'elle justifie avoir versées après la résiliation judiciaire prononcée par le tribunal , que le trop versé fait l'objet d'une procédure au fond, que les sommes qu'elle a réglées n'ont pas fait l'objet de sa part d'une demande de restitution judiciaire et qu'elle s'est libérée du montant de la condamnation prononcée à son encontre;
-que sa demande ne porte pas sur le remboursement des loyers laquelle a été rejetée par le jugement du 17 mars 2016 mais concerne le trop versé par rapport aux dommages et intérêts au paiement desquels elle a été condamnée et qu'il ne s'agit pas d'une action au titre de l'enrichissement sans cause mais d'une demande de répétition de l'indu.
La société Embe maintient pour sa part
-que du fait de l'autorité de la chose jugée qui s'attache au jugement du 17 mars 2016, la créance invoquée par la société Sami n'a pas de caractère certain et exigible, que dans des conclusions signifiées le 2 décembre 2015 prises dans l'instance ayant abouti au jugement du 17 mars 2016, la société Sami a demandé la nullité du bail et que lui soient restitués la totalité des loyers perçus et le dépôt de garantie, que cette demande qui a été rejetée par le tribunal incluait nécessairement la somme de 688.093€ payée en août 2015 et février 2015, et que la société Sami ne peut se prévaloir de cette prétendue créance ;
- que la créance invoquée par la société Sami est également dépourvue de caractère certain et exigible du fait du doublement de l'indemnité d'occupation, des pénalités de retard et de l'absence de droit à restitution du dépôt de garantie et que la société Sami ne peut prétendre être créancière d'une somme de 793.093 €.
Dans le cadre de la présente procédure en main levée des saisies pratiquées à son encontre, la société Sami soutient qu'elle a déjà payé la somme qu'elle a été condamnée à verser à la SCI Embe de sorte que cette dernière ne pourrait procéder à son encontre au recouvrement de celle-ci.
C'est donc de manière inopérante que la SCI Embe soutient que la société Sami ne dispose pas d'une créance certaine et exigible à son encontre, la société Sami n'invoquant pas en réalité quels que soient les termes qu'elle emploie, l'existence d'une créance mais le paiement de sa dette pour s'opposer à la mesure d'exécution pratiquée à son encontre.
Si dans son jugement du 17 mars 2016, le tribunal a débouté la société Sami de sa demande de nullité du bail et de versement d'une provision de 210.000 € à valoir sur son préjudice et autre créance de restitution de loyer, sur le dépôt de garantie et sur son indemnité d'éviction, il ne peut être considéré que le rejet de cette demande concernait l'indemnité d'occupation susceptible d'être due par la suite, qui est postérieure à la fin du contrat de location.
Il ne peut non plus être retenu que cette provision demandée incluait nécessairement la somme de 688.093 € que la société Sami prétend avoir payée entre août 2015 et février 2015 dans la mesure ou sa demande ne portait que sur une provision, que celle-ci était réclamée pour plusieurs causes et qu'elle était limitée à 210.000 €.
Le jugement du 17 mars 2016 a constaté que la société Sami était occupante sans droit ni titre à compter du mois de septembre 2013 jusqu'au 4 février 2015, date de son départ des lieux et l'a condamnée à payer à la SCI Embe la somme de 200.000 € pour la période d'un an à compter d'août 2013 jusqu'au 31 juillet 2014 et la somme de 100.000 € pour la période d'août 2014 à février 2015.
Cette condamnation ne se rattache qu'à la période d'occupation ainsi déterminée et ne vise donc pas la période antérieure durant laquelle ce n'est pas une indemnité d'occupation qui était due mais le montant du loyer prévu au contrat qui était jusque-là toujours en cours.
La condamnation ainsi prononcée ne peut donner lieu à une mesure d'exécution forcée contre la société Sami si cette dernière démontre qu'elle s'est acquittée des sommes au paiement desquelles elle a été condamnée.
Il résulte du décompte des sommes versées, établi par la société Sami dont la SCI Embe ne conteste pas la réalité, que pour la période comprise entre le 1er août 2013 et le mois de février 2015 correspondant à celle retenue par le jugement du 17 mars 2016, elle a versé la somme de 688.093,81 € à la SCI Embe.
Les sommes ainsi versées par la société Sami au titre de cette période correspondant nécessairement à la condamnation prononcée par le tribunal pour la même durée, la société Sami prouve s'être acquittée du montant de l'indemnité d'occupation prévue par cette décision.
La condamnation prononcée par le tribunal ayant été réglée, la SCI Embe ne peut fonder la mesure d'exécution qu'elle a pratiquée sur le doublement de l'indemnité d'occupation, les pénalités de retard et l'absence de droit à restitution du dépôt de garantie pour lesquels elle ne dispose pas d'un titre exécutoire.
Il convient dans ces conditions d'infirmer le jugement entrepris et d'annuler le procès-verbal de saisie pratiquée par la SCP L. M. C. L. laquelle devra procéder à sa main levée.
Il n'ya pas lieu de condamner la SCI Embe à procéder sous astreinte à cette main levée.
La société Sami ne fournit dans ses conclusions aucune précision pour ce qui concerne les modalités de calcul du préjudice commercial de 65.000 € qu'elle prétend avoir subi et dont elle réclame le paiement à la suite de la saisie de ses véhicules.
Elle ne fournit en outre aucun justificatif probant à ce titre, la seule estimation qu'elle a établie de sa propre initiative, qui n'est confirmée par aucun autre élément, ne permettant pas d'établir qu'elle a effectivement subi un manque à gagner ou une perte de valeur.
Il convient par conséquent de la débouter de cette demande.
Il sera fait application à son profit des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau :
Annule le procès-verbal de saisie ou d'indisponibilité des immatriculations établi par la SCP L. M. C. L. en date du 11mai 2017 ;
Dit que la SCP d'huissiers L. M. C. L. d'huissiers devra, dès la signification du présent arrêt ; procéder à la main levée de cette saisie aux frais de la SCI Embe.
Déboute la société Sami Aquitaine de sa demande en paiement de dommages intérêts.
Condamne la SCI Embe à verser à la société Sami Aquitaine une indemnité de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.