Livv
Décisions

Cass. crim., 26 avril 2017, n° 17-80.806

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Raybaud

Avocat général :

M. Salomon

Avocat :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Caen, du 10 janv. 2017

10 janvier 2017

Sur la recevabilité du mémoire personnel :

Attendu que ce mémoire, qui n'offre à juger aucun moyen de droit, ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 590 du code de procédure pénale ;

Qu'il est, dès lors, irrecevable ;

Moyens

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, l'article préliminaire, 137 à 148-4 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de mise en liberté de M. A... ;

"aux motifs que, sur le délai raisonnable de la durée de la détention provisoire, M. A..., placé sous mandat de dépôt le 19 mai 2008, a été condamné par arrêt la cour d'assises de Seine-Maritime du 22 novembre 2013 à la réclusion criminelle à perpétuité ; qu'il a interjeté appel ; que, par arrêt du 26 février 2014, la Cour de cassation a désigné la cour d'assises de l'Eure pour statuer en appel ; qu'il a présenté une demande de mise en liberté le 30 décembre 2015 dans l'attente de sa comparution devant la juridiction d'appel ; qu'au moment de cette demande de mise en liberté la date de sa comparution devant la cour d'assises de l'Eure n'était pas encore fixée ; qu'à ce jour, cet appel est toujours pendant devant la cour d'assises d'appel de l'Eure ; qu'au moment de cette demande de mise en liberté, il s'était écoulé un délai de sept ans, sept mois et onze jours depuis son placement en détention provisoire et un délai de deux ans et huit jours depuis la décision de la cour d'assises de la Seine-Maritime ; qu'il s'était écoulé un délai de un an, dix mois et quatre jours depuis la désignation de la cour d'assises d'appel par la Cour de cassation ; qu'il appartient à la chambre de l'instruction de dire si, au moment de la demande de mise en liberté du 30 décembre 2015, la durée de la détention provisoire excédait le délai raisonnable prévu par l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'à cet égard, la cour retient les circonstances de fait suivantes :
- la complexité de l'affaire, eu égard au très nombreux crimes et délits reprochés à l'accusé, aux nombreux plaignants ou parties civiles, circonstances qui ont nécessité de très nombreuses investigations : expertises médico-légales, auditions des plaignants, expertises des plaignants, interrogatoires de l'accusé, confrontations entre l'accusé et les plaignants, auditions de témoins, expertises de l'accusé ;
- la mise en perspective de la durée de la détention provisoire par rapport à l'importance de la peine encourue par l'accusé, la réclusion criminelle à perpétuité, peine déjà prononcée par la cour d'assises de Seine-Maritime ;
- il résulte de la fiche pénale de l'accusé transmise par l'établissement pénitentiaire que depuis le placement en détention provisoire de M. A... le 19 mai 2008, plusieurs peines privatives de liberté prononcées à son encontre ont été mises à exécution, ce qui a eu pour conséquence de suspendre les effets du mandat de dépôt délivré le 19 mai 2008 ;
- à partir du 12 novembre 2008, réclusion criminelle à perpétuité prononcée le 22 novembre 1973 par la cour d'assises de l'Eure suite à la décision du tribunal d'application des peines d'Evreux du 10 novembre 2008 de révoquer totalement la libération conditionnelle du 16 novembre 2001, décision confirmée par la chambre d'application des peines de la cour d'appel de Versailles le 27 janvier 2009, le pourvoi ayant été déclaré non admis par un arrêt de la Cour de cassation, en date du 28 octobre 2009 ;
- à partir du 15 avril 2009, peine de deux mois d'emprisonnement prononcée le 15 avril 2009 par le tribunal correctionnel de Rouen ;
- à partir du 16 avril 2009, peine de six mois prononcée le 25 mars 2009 par la cour d'appel de Rouen ; qu'il s'ensuit que M. A..., au moment de sa demande de mise en liberté du 30 décembre 2015, exécutait la peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée le 22 novembre 1973 par la cour d'assises de l'Eure, sans que la détention provisoire ne courre plus ; que cette circonstance explique que les autorités judiciaires compétentes n'aient pas fait le choix d'audiencer cette affaire en priorité devant la cour d'assises de l'Eure ; que la cour considère qu'en raison de toutes ces circonstances particulières, la durée de la détention provisoire de M. A... au moment de sa demande de mise en liberté du 30 décembre 2015 n'excédait pas le délai raisonnable prévu par l'article susvisé ; que sur le respect du droit à la vie privée et familiale, l'avocat de M. A... soutient que la détention provisoire de son client, âgé de 70 ans, père d'une fille née [...] , injustement privée de lui depuis plus de 8 ans, porte une atteinte disproportionnée au droit à une vie familiale normale, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que l'ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue la détention provisoire est prévue par la loi ; qu'elle est nécessaire pour assurer la tenue d'un procès devant la cour d'assises d'appel en dehors de toute pression sur les témoins, sur les plaignants ou sur leur famille et également pour éviter de nouveaux passages à l'acte criminels ou délictuels eu égard aux précédentes condamnations prononcées à l'encontre de l'accusé pour des faits d'atteintes à l'intégrité de la personne et aux conclusions de l'expert psychiatre ;que sur la présomption d'innocence, ce principe proclamé par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, par l'article 11-1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme élaborée en 1948, par l'article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article préliminaire du code de procédure pénale, est à l'origine de l'affirmation que la charge de la preuve appartient à l'accusation, mais ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de mesures coercitives à l'encontre d'une personne contre laquelle il existe des charges suffisantes laissant présumer qu'elle a commis les faits qui lui sont reprochés, si ces mesures coercitives sont rendues nécessaires au vu des critères prévues par la loi, en l'occurrence l'article 144 du code de procédure pénale ; qu'il existe des charges suffisantes contre M. A... laissant présumer qu'il a commis les faits qui lui sont reprochés, charges exposées dans l'arrêt de mise en accusation du 20 septembre 2012 et dans l'arrêt pénal de la cour d'assises de la Seine-Maritime du 22 novembre 2013 ; que la mesure coercitive qu'est la détention provisoire est nécessaire pour les motifs qui vont être développés ci-dessous ; que sur les critères de maintien en détention provisoire, eu égard aux condamnations figurant au casier judiciaire de M. A..., en particulier pour des faits de violences, aux déclarations de nombreuses personnes le décrivant comme un homme violent, comme un homme inspirant la peur de telle sorte que, par crainte de représailles, certains témoins ont au départ refusé de déposer par écrit ou que certains plaignants n'ont dénoncé les faits que tardivement, le risque que l'accusé exerce des pressions sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille est avéré ; que les nombreuses condamnations figurant au casier judiciaire de M. A..., en particulier pour des faits d'atteintes à l'intégrité des personnes, les décisions de révocation des mesures de libération conditionnelle dont il avait bénéficié après une première condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité le 22 novembre 1973, les conclusions de l'expert psychiatre qui décrit la personnalité pathologique de type narcissique de l'accusé qui peut présenter une dangerosité criminologique, sont autant d'éléments qui permettent de caractériser un risque de renouvellement de l'infraction ; que dans ces conditions, le maintien en détention est l'unique moyen d'éviter une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille et de prévenir le renouvellement de l'infraction, objectifs qui ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique, mesures de sûreté qui ne suffisent pas à assurer la contrainte nécessaire à leur réalisation ; qu'il convient en conséquence de rejeter la demande de mise en liberté présentée par M. A... le 30 décembre 2015 ;

"1°) alors qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. A... a été placé en détention provisoire le 19 mai 2008 et qu'il a interjeté appel de l'arrêt de la cour d'assises de la Seine-Maritime du 22 novembre 2013 ; qu'ayant constaté qu'il était ainsi détenu depuis plus de huit ans et demi, la chambre de l'instruction ne pouvait affirmer que la durée de l'incarcération n'excédait pas le délai raisonnable ;

"2°) alors qu'en toute hypothèse, il appartenait à la chambre de l'instruction d'apprécier le délai raisonnable au jour où elle statuait, le 10 janvier 2017, et non, comme elle l'a fait, au jour de la demande de mise en liberté du 30 décembre 2015 ;

"3°) alors qu'en s'abstenant de caractériser les diligences particulières ou les circonstances insurmontables de nature à justifier, au regard de l'exigence conventionnelle du délai raisonnable, la durée de la détention provisoire de M. A... entre la décision de première instance et sa comparution devant la juridiction d'appel, la chambre de l'instruction, qui a au contraire constaté que l'appel de l'arrêt de la cour d'assises du 22 novembre 2013 était "toujours pendant" et que "les autorités judiciaires n'avaient pas fait le choix d'audiencer cette affaire en priorité devant la cour d'assises de l'Eure" désignée pour statuer en appel, et s'est fondée sur des considérations inopérantes relatives à la complexité de l'affaire, à l'importance de la peine encourue et aux autres condamnations infligées à M. A..., n'a pas légalement justifié sa décision ;

"4°) alors qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. A... invoquait l'atteinte à son droit à la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et faisait valoir qu'il était âgé de 70 ans et avait une fille née [...] , dont il était privé depuis plus de 8 ans ; qu'en se bornant à écarter ce moyen en affirmant que la détention provisoire est nécessaire pour éviter toute pression sur les témoins, sur les plaignants ou sur leur famille, et pour éviter de nouveaux passages à l'acte criminels ou délictuels, sans apprécier concrètement l'atteinte à la vie privée et familiale ni effectuer, sous cet angle, un examen de proportionnalité, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale" ;

Motivation

Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder un délai raisonnable, lequel doit être apprécié à la date à laquelle la juridiction statue ;

Attendu que, selon le second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Exposé du litige

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. A..., placé sous mandat de dépôt le 19 mai 2008, a, par ordonnance du juge d'instruction du 16 mai 2012, été mis en accusation des chefs susvisés ; qu'il a été condamné le 22 novembre 2013 par la cour d'assises de la Seine-Maritime à la réclusion criminelle à perpétuité ; que, par arrêt du 26 février 2014, la Cour de cassation a désigné la cour d'assises de l'Eure pour statuer en appel ; que M. A... a présenté le 30 décembre 2015 une demande de mise en liberté dans l'attente de sa comparution devant la juridiction d'appel ; que les deux arrêts rejetant cette demande, en date du 26 février 2016 et du 11 juillet 2016, ont été cassés par la chambre criminelle ;

Attendu que, pour dire que la détention provisoire n'excède pas un délai raisonnable et rejeter la demande de mise en liberté, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen, en retenant notamment qu'il convient de statuer au moment de la demande de mise en liberté du 30 décembre 2015 ;

Motivation

Mais attendu qu'en se situant, pour apprécier le caractère raisonnable du délai, à la date du dépôt de la demande et non pas à la date à laquelle elle statuait, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Dispositif

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, en date du 10 janvier 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil, qui statuera dans le plus bref délai ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.