CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 3 février 2021, n° 19/812
BASTIA
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gilland
Conseillers :
Mme Deltour, Mme Molies
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon un protocole d'accord du 6 mai 2011, M. Charles M. reconnaît, notamment, devoir à M. Pascal M. la somme de 1 372 000 euros.
Statuant sur requête du 3 avril 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bastia a, par ordonnance du 9 avril 2018, autorisé M. Pascal M. à pratiquer entre les mains de la société Figaco, laquelle garantie les sommes dues par M. Charles M., une saisie conservatoire à concurrence de 1 372 000 euros.
Par requête du 27 septembre 2018, M. Charles M. a sollicité du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bastia :
- la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 20 avril 2018 entre les mains de la société Figaco sur le fondement d'une ordonnance du juge de l'exécution du même tribunal de grande instance en date du 9 avril 2018 ;
- la condamnation de M. Pascal M. à la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts :
- la condamnation de M. Pascal M. à la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement contradictoire du 18 juillet 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bastia a notamment :
'- déclaré recevable la contestation de M. Charles M. ;
- ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur la requête de M. Pascal M. le 20 avril 2018 entre les mains de la société Figaco et au préjudice de M. Charles M. ;
- condamné M. Pascal M. à payer à M. Charles M. la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- débouté les parties pour le surplus et autres demandes différentes ou contraires ;
- condamné M. Pascal M. à payer à M. Charles M. la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'
Par déclaration du 2 septembre 2019, M. Pascal M. a interjeté appel du jugement sur l'ensemble de ses dispositions.
Par dernières conclusions, régulièrement notifiées le 21 avril 2020, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. Pascal M. demande à la cour de :
'- le juger recevable en son appel et le dire bien fondé ;
- infirmer le jugement entrepris :
Statuant à nouveau,
- constater l'apparence de fondement de la créance de M. Pascal M. au titre du protocole transactionnel du 06 mai 2011 ;
- constater que les plaintes multiples déposées par M. Charles M. ont été classées sans suite le 14 mai 2019 ;
- constater que pour autant M. Charles M. n'a pas hésité ni craint de se prévaloir dans le cadre de la première instance alors qu'il ne pouvait ignorer, ès qualité de partie civile constituée ;
en déduire,
- constater l'existence d'un péril dans son recouvrement ;
- juger régulière et bien-fondée la saisie conservatoire pratiquée le 20 avril 2018 ;
- la confirmer
- condamner M. Charles M. à payer à M. Pascal M. la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens.'
Il expose que :
- M. Charles M. ne saurait se prévaloir d'une action intentée devant le tribunal de commerce de Saint-Denis pour contester la réalité du protocole d'accord du 6 mai 2011 ;
- le premier juge a statué ultra petita en opérant compensation sans que cela soit demandé par les parties. Il ajoute que si la compensation devait avoir lieu, il faudrait tenir compte du fait que le paiement opéré par la société Figaco à l'administration fiscale doit s'imputer sur les intérêts et non sur le capital dû et le crédit effectué auprès de la banque avait pour finalité de couvrir les dépenses de Charles M. de sorte que cette somme ne peut être imputée au capital dû ;
- M. Charles M. a déclaré ne pas avoir de patrimoine immobilier en première instance et s'il déclare en avoir désormais un, il n'est pas acquis que ce dernier ne soit pas grevé d'hypothèques. De plus, selon Pascal M., son frère a des dettes fiscales qui s'alourdissent et il ne cesse d'engager des procédures aux fins de ne pas s'acquitter de sa dette. Ainsi, il fait valoir que le recouvrement de sa dette est mis en péril ;
- il a été condamné à payer des dommages et intérêts au motif que les versements de la société Figaco étaient les seuls revenus de Charles M., ce qu'il conteste.
Par dernières conclusions, régulièrement notifiées le 25 février 2020, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, M. Charles M. demande à la cour de :
'- dire et juger M. Charles M. recevable et bien fondé en ses observations ;
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- débouter M. Pascal M. de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions ;
Y ajoutant,
- condamner M. Pascal M. à la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entier dépens.'
Il fait valoir que :
- la créance n'est pas fondée en son principe dans la mesure où il a sollicité la nullité du protocole du 6 mai 2011 et que les créances mentionnées dans ledit protocole sont prescrites. En tout état de cause, il dit qu'il y a lieu à compensation ;
- qu'au regard de sa situation patrimoniale il n'existe aucun péril concernant le recouvrement de la prétendue créance. Il précise qu'il est propriétaire d'une maison d'habitation évaluée à 1 200 000 euros et qu'il s'est acquitté de toutes ses dettes fiscales.
Par ordonnance du 22 avril 2020, le conseiller de la mise en état a clôturé l'instruction et renvoyé l'affaire pour plaidoiries à l'audience du 5 novembre 2020.
Le 5 novembre 2020, la présente procédure a été mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe le 6 janvier 2021 ; le 6 janvier 2021, le délibéré a été prorogé au 3 février 2021.
La cour, pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait, en application de l'article 455 du code de procédure civile, expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions notifiées par les parties.
SUR CE,
* Sur la créance issue du protocole du 6 mai 2011
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement
(al. 1). La mesure conservatoire prend la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire (al 2) ».
¤ Sur son caractère fondé
En l'espèce, il est acquis que, le 6 mai 2011, M. Pascal M. et M. Charles M. ont signé un protocole d'accord aux termes duquel M. Charles M. reconnaît devoir à M. Pascal M. la somme de 1 372 000 euros, somme qui devra être acquittée en une seule fois lors de la cession des parts de la société STHCR. D'autres modalités de remboursement de la dette sont précisées au sein du protocole.
De plus, suivant acte du 4 novembre 2011, M. Charles M. a délégué à son frère Pascal une partie de la créance qu'il détient sur la société Figaco à concurrence de la somme due au titre du protocole d'accord préalablement signé.
Contrairement à ce qu'indique M. Charles M., celui-ci ne saurait se prévaloir d'une action devant le tribunal de commerce de Saint-Denis-de-la-Réunion pour dire que la créance est infondée en son principe, ce d'autant plus qu'il ressort du jugement du tribunal de commerce de Saint-Denis du 12 novembre 2014 qu'il a été sursis à statuer dans l'attente de la suite donnée à la plainte déposée par Charles M. le 11 juin 2013. De surcroît, à l'inverse de ce que déclare M. Charles M., constitué partie civile dans la procédure pénale en question, l'affaire a été classée sans suite le 14 mai 2019.
Ainsi, aucun élément ne permet de dire que la créance est infondée en son principe.
¤ Sur la détermination du montant de la créance
M. Charles M. déclare que le montant de la créance n'est plus de 1 372 000 euros mais, tout au plus, et comme indiqué dans le jugement de première instance, de 277 54 euros, ce en raison du fait que la société Figaco a acquitté des dettes que M Pascal M. avait auprès de l'administration fiscale et de la banque SGBA.
Toutefois, il convient de rappeler qu'en application de l'article 9 de l'ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, lorsqu'une instance a été introduite avant l'entrée en vigueur de la présente ordonnance [soit le 1er octobre 2016], l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne.
En l'espèce, la présente action a été intentée par M. Charles M. le 27 septembre 2018. Dès lors, il y a lieu d'appliquer l'article 1347 du code civil selon lequel la compensation s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies.
Or, il est établi qu'en première instance M. Charles M. a sollicité du juge de l'exécutiondu tribunal de grande instance de Bastia :
- la mainlevée de la saisie conservatoire ;
- la condamnation de M. Pascal M. à la somme de 20 000 euros au titre des dommages et intérêts ;
- la condamnation de M. Pascal M. à la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour sa part, M. Pascal M. a sollicité du juge de l'exécution la confirmation de la saisie conservatoire et qu'il déboute M. Charles M. de ses demandes.
En conséquence, le premier juge ne pouvait d'office opérer compensation pour déterminer le montant de la créance dûe pas Charles M. à son frère Pascal M.. Enfin, de manière surabondante, il sera précisé que M. Charles M. ne peut solliciter pour la première fois en appel une compensation qui serait constitutive d'une nouvelle demande.
¤ Sur l'existence éventuel d'un péril dans son recouvrement
Pour justifier de la mainlevée de la saisie conservatoire, le premier juge a retenu que M. Charles M. ne disposait d'aucun patrimoine immobilier et que la vente de son dernier bien n'avait permis de désinteresser les services fiscaux que de façon partielle.
En cause d'appel, M. Charles M. fait valoir qu'en raison de son patrimoine, il n'existe pas de menace dans le recouvrement de la créance invoquée par son frère. Il justifie être propriétaire d'une maison d'habitation évaluée, selon attestation notariale, à 1 200 000 euros et il déclare avoir acquitté ses dettes fiscales.
Toutefois, la cour observe que si M. Charles M. produit un document aux termes duquel il ne serait redevable d'aucun impôt au 8 octobre 2019, ce dernier étant ni signé ni tamponné par l'administration fiscale, il ne saurait suffire à rapporter la preuve de l'absence de dette fiscale.
De plus, il ressort d'un courrier du 30 octobre 2006, adressé au président du conseil d'administration de la société STHCR, que M. Charles M. reconnait avoir effectué des prélèvements, à des fins personnelles sur le compte de ladite société, pour un montant total de 407 618,60 euros. De surcroît, selon le décompte effectué par la société Figaco, laquelle intègre le remboursement des dettes acquittées pour le compte de M. Pascal M., la créance dûe par M. Charles M. à M. Pascal M., en tenant compte des intérêts, s'élève au 20 mai 2019 à la somme de 1 438 537,79 euros. Son patrimoine immobilier, évalué à 1 200 000 euros, est donc insuffisant pour couvrir la somme due à son frère.
En outre, si M. Charles M. déclare que les actions intentées par ses soins n'ont pas vocation à faire obstacle au paiement de sa dette, il y a lieu d'observer qu'elles ont toutes pour finalité soit d'en diminuer le montant soit de la voir annuler. Enfin, et comme cela a déjà été souligné, M. Charles M. a prétendu, dans la présente procédure, que l'instruction de l'affaire suite à sa plainte était toujours en cours alors que l'affaire a été classée le 14 mai 2019 au motif que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée, information qu'il ne pouvait ignorer en sa qualité de partie civile régulièrement constituée.
Au regard de l'ensemble de ces éléments et des pièces versées au débat, il y a donc lieu de considérer qu'il existe, au sens de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution, une menace dans le recouvrement de la créance de M. Pascal M..
En conséquence, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a déclaré recevable la contestation de M. Charles M. et a ordonné la main levée de la saisie conservatoire.
La demande de M. Charles M. sera déclarée irrecevable et il sera dit qu'il n'y a pas lieu à ordonner une mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée sur requête de M. Pascal M. entre les mains de la société Figaco le 20 avril 2018, ce en application de l'ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bastia du 9 avril 2018.
* Sur les dommages et intérêts
Le premier juge a alloué à M. Charles M. des dommages et intérêts au motif que la saisie conservatoire lui avait causé un préjudice, les sommes versées par la société Figaco constituant son seul revenu.
Toutefois, tout en soulignant qu'il n'est pas rapporté la preuve que les sommes versées par la société Figaco sont constitutives de son seul revenu, la cour infirmant le jugement en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire, il y a lieu d'infirmer, également, le jugement en ce qu'il a condamné M. Pascal M. à payer à M. Charles M. la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Ce dernier doit être déboutée de toutes demandes en ce sens.
* Sur les autres demandes
L'équité justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile et, à ce titre, M. Charles M. sera condamné à payer à M. Pascal M. la somme de 5 000 euros.
M. Charles M. succombant, il supportera la charge des entiers dépens de la présente instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
- Infirme le jugement querellé en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- Déclare irrecevable la contestation de M. Charles M.,
- Déboute M. Charles M. de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
- Condamne M. Charles M. à payer à M. Pascal M. la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contradictoires,
- Condamne M. Charles M. au paiement des entiers dépens, tant ceux de première instance qu'en cause d'appel.