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Décisions

CJUE, 8e ch., 4 mai 2023, n° C-78/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

ALD Automotive s.r.o

Défendeur :

GEDEM-STAV a.s

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Safjan

Juges :

M. Piçarra (rapporteur), M. Jääskinen

Avocat général :

M. Rantos

Avocat :

Me Melkus

CJUE n° C-78/22

3 mai 2023

LA COUR (huitième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ALD Automotive s.r. o. (ci-après « ALD ») à DY, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de GEDEM STAV a.s. (ci-après « Gedem »), la société débitrice, au sujet d’une demande d’indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement exposés par ALD en conséquence de retards de paiement afférents à cinq contrats à exécution successive conclus entre cette société et Gedem.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 3 et 19 de la directive 2011/7 énoncent :

« (3) Dans les transactions commerciales entre des opérateurs économiques ou entre des opérateurs économiques et des pouvoirs publics, de nombreux paiements sont effectués au delà des délais convenus dans le contrat ou fixés dans les conditions générales de vente. Bien que les marchandises aient été livrées ou les services fournis, bon nombre de factures y afférentes sont acquittées bien au-delà des délais. Ces retards de paiement ont des effets négatifs sur les liquidités des entreprises et compliquent leur gestion financière. Ils sont également préjudiciables à leur compétitivité et à leur rentabilité dès lors que le créancier doit obtenir des financements externes en raison de ces retards de paiement. [...]

[...]

(19) Il est nécessaire de prévoir une indemnisation équitable des créanciers pour les frais de recouvrement exposés en cas de retard de paiement de manière à décourager lesdits retards de paiement. Les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement, pour lesquels la présente directive devrait fixer un montant forfaitaire minimal susceptible d’être cumulé aux intérêts pour retard de paiement. L’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement. [...] »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Le but de la présente directive est la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises et en particulier des [petites et moyennes entreprises (PME)].

2. La présente directive s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales. »

5 Aux termes de l’article 2 de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “transactions commerciales”, toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération ;

[...]

4) “retard de paiement”, tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal et lorsque les conditions spécifiées à l’article 3, paragraphe 1, ou à l’article 4, paragraphe 1, sont remplies ;

[...]

8) “montant dû”, le montant principal, qui aurait dû être payé dans le délai de paiement contractuel ou légal, y compris les taxes, droits, redevances ou charges applicables figurant sur la facture ou la demande de paiement équivalente ;

[...] »

6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Transactions entre entreprises », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, dans les transactions commerciales entre entreprises, le créancier soit en droit de réclamer des intérêts pour retard de paiement sans qu’un rappel soit nécessaire quand les conditions suivantes sont remplies :

a) le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales ; et

b) le créancier n’a pas reçu le montant dû à l’échéance, sauf si le débiteur n’est pas responsable du retard. »

7 L’article 6 de la directive 2011/7, intitulé « Indemnisation pour les frais de recouvrement », dispose :

« 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales conformément à l’article 3 ou à l’article 4, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 [euros].

2. Les États membres veillent à ce que le montant forfaitaire visé au paragraphe 1 soit exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus.

3. Le créancier est en droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire visé au paragraphe 1, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur. Ces frais peuvent comprendre, notamment, les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances. »

8 L’article 7 de cette directive, intitulé « Clauses contractuelles et pratiques abusives », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prévoient qu’une clause contractuelle ou une pratique relative à la date ou au délai de paiement, au taux d’intérêt pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, ne soit pas applicable, ou donne lieu à une action en réparation du dommage lorsqu’elle constitue un abus manifeste à l’égard du créancier.

Pour déterminer si une clause contractuelle ou une pratique constitue un abus manifeste à l’égard du créancier, au sens du premier alinéa, tous les éléments de l’espèce sont pris en considération, y compris :

[...]

c) si le débiteur a une quelconque raison objective de déroger [...] au montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1.

[...] »

Le droit tchèque

9 L’article 2, paragraphe 3, du zákon č. 89/2012 Sb., občanský zákoník (loi no 89/2012 établissant le code civil) dispose :

« L’interprétation et l’application d’une disposition légale ne doivent pas être contraires aux bonnes mœurs, ni conduire à un acte de cruauté ou à une injustice qui heurte les sentiments d’une personne ordinaire. »

10 L’article 3 du nařízení vlády č. 351/2013 Sb., kterým se určuje výše úroků z prodlení a nákladů spojených s uplatněním pohledávky, určuje odměna likvidátora, likvidačního správce a člena orgánu právnické osoby jmenovaného soudem a upravují některé otázky Obchodního věstníku, veřejných rejstříků právnických a fyzických osob a evidence svěřenských fondů a evidence údajů o skutečných majitelích (décret gouvernemental no 351/2013 fixant le montant des intérêts de retard et des frais de recouvrement d’une créance, établissant la rémunération des liquidateurs et du membre de l’organe de la personne morale nommés par le juge et précisant certaines questions ayant trait au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales et aux registres publics de personnes morales et physiques, des fonds fiduciaires et de l’information sur les propriétaires réels ; ci-après le « décret no 351/2013 »), prévoit :

« En cas d’obligation réciproque des entrepreneurs ou si l’obligation réciproque entre l’entrepreneur et le pouvoir adjudicateur en vertu de la loi régissant les marchés publics a pour objet la livraison de biens ou la prestation de services à titre onéreux au pouvoir adjudicateur, le montant minimal des frais de recouvrement de chaque créance s’élève à 1 200 [couronnes tchèques (CZK) (environ 50 euros)]. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 ALD et Gedem, des sociétés de droit tchèque, ont conclu cinq contrats ayant pour objet la location de biens meubles (ci-après les « contrats en cause au principal »). En vertu des conditions générales applicables à ces contrats, ALD était tenue d’émettre des factures distinctes pour les montants dus en rémunération des prestations fournies à Gedem en exécution de ces contrats. Gedem devait s’acquitter de ces montants à l’échéance indiquée dans les factures.

12 Aux échéances fixées, Gedem ne s’est toutefois pas acquittée de 25 montants dus au titre des contrats en cause au principal, correspondant à un total de 206 799,13 CZK (environ 8 750 euros), pour des périodes comprises entre le 27 avril 2016 et le 30 septembre 2016.

13 Par une ordonnance du 12 avril 2017, le Krajský soud v Hradci Králové – pobočka v Pardubicích (cour régionale de Hradec Králové – antenne de Pardubice, République tchèque) a constaté l’insolvabilité de Gedem, l’a déclarée en faillite et a désigné DY comme administrateur judiciaire de celle-ci.

14 Dans le cadre de cette procédure, ALD a demandé le paiement de sa créance, assortie d’intérêts de retard, ainsi que, au titre de frais de recouvrement, un montant forfaitaire de 1 200 CZK pour chacun des 25 montants dus en vertu des cinq contrats en cause au principal, soit 30 000 CZK (environ 1 250 euros) au total, sur le fondement de l’article 3 du décret no 351/2013.

15 À la suite d’une opposition formée par DY contre le paiement de ce montant forfaitaire, ALD a introduit un recours devant le Krajský soud v Hradci Králové – pobočka v Pardubicích (cour régionale de Hradec Králové – antenne de Pardubice), tendant à faire constater son droit à une indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement exposés pour chacun des 25 montants dus en vertu des cinq contrats en cause au principal.

16 Par un jugement du 28 mai 2018, cette juridiction a fait partiellement droit à la demande d’ALD, en accordant à celle ci une indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement d’un montant de 1 200 CZK pour les créances découlant de chacun des cinq contrats, soit 6 000 CZK (environ 250 euros) au total, et a rejeté le recours pour le surplus.

17 ALD a interjeté appel de ce jugement devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague, République tchèque), la juridiction de renvoi, qui a confirmé ledit jugement. Cette juridiction a considéré que, en l’occurrence, l’indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement n’était due qu’une seule fois pour chacun des cinq contrats, indépendamment du nombre de paiements non effectués à l’échéance.

18 ALD a formé un recours contre ces jugements devant l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque), qui, par un arrêt du 24 novembre 2020, a annulé l’arrêt du Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague) et lui a renvoyé l’affaire, tout en rejetant ce recours pour le surplus. L’Ústavní soud (Cour constitutionnelle) a estimé que, en n’ayant pas examiné la nécessité de saisir la Cour d’une question préjudicielle sur le fondement de l’article 267 TFUE, alors qu’ALD avait invoqué la nécessité d’interpréter la réglementation nationale de manière conforme au droit de l’Union, la juridiction de renvoi a violé le droit de cette société à un procès équitable, garanti par la Constitution tchèque.

19 Dans la mesure où les contrats en cause au principal impliquent le versement de rémunérations successives, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, pour atteindre la finalité de la directive 2011/7, le créancier doit obtenir le montant forfaitaire prévu à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive pour chaque retard de paiement intervenu dans le cadre de l’exécution d’un seul contrat, y compris lorsque les paiements non effectués à l’échéance portent sur de faibles montants, voire inférieurs à ce montant forfaitaire, ou s’il suffit que ce créancier obtienne un seul montant forfaitaire pour tous les retards de paiement intervenus dans le cadre de l’exécution de ce contrat. Cette juridiction s’interroge également sur la possibilité, pour le juge national, de rejeter une demande fondée sur la première interprétation, dans l’hypothèse où cette demande serait « contraire aux bonnes mœurs (article 2, paragraphe 3, [de la loi no 89/2012]) ».

20 Dans ces conditions, le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Quels sont les critères à remplir pour pouvoir prétendre, au moins, au montant forfaitaire de 40 euros visé à l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2011/7] dans le cas de contrats portant sur des prestations récurrentes ou continues ?

2) Les juridictions des États membres peuvent elles, par référence aux principes généraux du droit privé, refuser de faire droit à une demande au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2011/7] ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, dans quelles conditions les juridictions des États membres peuvent elles refuser d’accorder le montant de la créance visée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2011/7] ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec l’article 3 de cette directive, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un seul et même contrat prévoit des paiements à caractère périodique, chacun devant être effectué dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimal de 40 euros, prévu à cet article 6, paragraphe 1, est dû, à titre d’indemnisation du créancier pour frais de recouvrement, pour chaque retard de paiement, ou si ce montant forfaitaire est dû une seule fois dans le cadre de l’exécution d’un seul contrat, indépendamment du nombre de paiements non effectués dans ce délai.

22 En premier lieu, le paragraphe 1 de l’article 6 de la directive 2011/7 impose aux États membres de veiller à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales, au sens de l’article 2, point 1, de cette directive, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 euros. En outre, à son paragraphe 2, cet article 6 fait obligation aux États membres de veiller à ce que ce montant forfaitaire minimal soit dû automatiquement, même en l’absence d’un rappel au débiteur, et à ce qu’il vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement encourus. Enfin, à son paragraphe 3, ledit article 6 reconnaît au créancier le droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire minimal de 40 euros, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur.

23 La notion de « retard de paiement » qui est à l’origine du droit du créancier à obtenir du débiteur non seulement des intérêts, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2011/7, mais aussi un montant forfaitaire minimal de 40 euros, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, est définie à l’article 2, point 4, de ladite directive comme étant tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal. Dès lors que la même directive couvre, conformément à son article 1er, paragraphe 2, « tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales », cette notion de « retard de paiement » est applicable à chaque transaction commerciale considérée individuellement (arrêt du 1er décembre 2022, DOMUS-Software, C 370/21, EU:C:2022:947, point 21 et jurisprudence citée).

24 En deuxième lieu, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 définit les conditions d’exigibilité du montant forfaitaire minimal de 40 euros en renvoyant, pour ce qui est des transactions commerciales entre entreprises, à l’article 3 de cette directive. Ce dernier prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres veillent à ce que, dans ces transactions commerciales, un créancier qui a rempli ses obligations et qui n’a pas reçu le montant dû à l’échéance soit en droit de réclamer des intérêts pour retard de paiement, sans qu’un rappel soit nécessaire, sauf si le débiteur n’est pas responsable de ce retard (arrêt du 1er décembre 2022, DOMUS-SoftwareSoftware, C 370/21, EU:C:2022:947, point 22 et jurisprudence citée).

25 Il s’ensuit que, à l’instar du droit à obtenir des intérêts pour retard de paiement, prévu à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2011/7, le droit à un montant forfaitaire minimal, prévu à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, qui naît également d’un « retard de paiement », au sens de l’article 2, point 4, de ladite directive, s’attache à des « transactions commerciales » considérées individuellement. Ces intérêts, tout comme ce montant forfaitaire, deviennent exigibles automatiquement à l’expiration du délai de paiement prévu aux paragraphes 3 à 5 de l’article 3 de la même directive, pourvu que les conditions figurant au paragraphe 1 de celui-ci soient satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2022, DOMUS-Software, C 370/21, EU:C:2022:947, point 23 et jurisprudence citée).

26 L’article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive 2011/7 doit ainsi être interprété en ce sens que le montant forfaitaire minimal de 40 euros est dû, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, à un créancier qui a rempli ses obligations pour chaque paiement non effectué à l’échéance en rémunération d’une transaction commerciale, attestée dans une facture ou demande de paiement équivalente, y compris lorsque plusieurs paiements à caractère périodique en exécution d’un seul et même contrat sont en retard, à moins que le débiteur ne soit pas responsable de ces retards (arrêt du 1er décembre 2022, DOMUS-Software, C 370/21, EU:C:2022:947, points 24 à 26 et jurisprudence citée).

27 En troisième lieu, cette interprétation de l’article 6 de la directive 2011/7 est confirmée par la finalité de celle-ci. Il résulte, en effet, de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière du considérant 3 de celle ci, qu’elle vise non seulement à décourager les retards de paiement, en évitant qu’ils soient financièrement intéressants pour le débiteur, en raison du faible niveau ou de l’absence d’intérêts facturés dans une telle situation, mais aussi à protéger efficacement le créancier contre de tels retards, en lui assurant une indemnisation la plus complète possible des frais de recouvrement qu’il a exposés. À cet égard, le considérant 19 de ladite directive précise, d’une part, que les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement et, d’autre part, que l’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement (arrêt du 1er décembre 2022, DOMUSSoftware, C 370/21, EU:C:2022:947, point 27 et jurisprudence citée).

28 L’accumulation, dans le chef du débiteur, de plusieurs retards dans les paiements à caractère périodique, en exécution d’un seul et même contrat, ne saurait donc avoir pour effet de réduire à un montant forfaitaire unique le montant forfaitaire minimal dû à titre d’indemnisation des frais de recouvrement pour chaque retard de paiement. Cette réduction reviendrait à priver d’effet utile l’article 6 de la directive 2011/7, dont l’objectif est, ainsi qu’il a été souligné au point précédent du présent arrêt, non seulement de décourager ces retards de paiement, mais aussi d’indemniser, par ces montants, « le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus », ces frais tendant à augmenter à proportion du nombre de paiements et des montants dont le débiteur ne s’acquitte pas à l’échéance. Ladite réduction équivaudrait, en outre, à accorder au débiteur une dérogation à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, qui reviendrait à l’exonérer d’une partie de la charge financière découlant de son obligation de verser, au titre de chaque paiement non réglé à l’échéance, le montant forfaitaire de 40 euros, sans que cette dérogation soit justifiée par une quelconque « raison objective », au sens de l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de ladite directive (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2022, DOMUS-Software, C 370/21, EU:C:2022:947, point 28 et jurisprudence citée).

29 Dans ses observations écrites, le gouvernement tchèque fait toutefois valoir que le cumul, par le créancier, de plusieurs montants forfaitaires, lorsque plusieurs paiements périodiques découlant d’un seul et même contrat sont en retard, serait contraire à la finalité de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7, qui est d’offrir une indemnisation équitable des frais réellement encourus par ce créancier, de manière à décourager des retards de paiement. Selon ce gouvernement, un tel cumul reviendrait à accorder au créancier, pour des coûts globaux exposés en cas de recouvrement de plusieurs créances auprès d’un seul débiteur et découlant du même contrat, une indemnisation forfaitaire allant au-delà des coûts administratifs et internes réellement exposés et liés au recouvrement. Or, l’indemnisation par un montant forfaitaire, prévue à cette disposition, viserait à refléter les frais réellement encourus par le créancier et serait dépourvue de caractère punitif.

30 À cet égard, la Cour a déjà précisé que le droit à une indemnisation « raisonnable », prévu à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 « pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus du montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur », concerne les frais de recouvrement, quels qu’ils soient, qui dépassent le montant minimal de 40 euros auquel le créancier a droit, de manière automatique, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles pour une transaction commerciale, en vertu notamment de l’article 3 de ladite directive. Une telle indemnisation ne peut donc couvrir ni la partie de ces frais qui est déjà prise en charge par le montant forfaitaire minimal de 40 euros ni des frais apparaissant comme excessifs au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce (arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C 585/20, EU:C:2022:806, point 39).

31 Il s’ensuit que l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 ne saurait être invoqué pour limiter le droit du créancier à recevoir le montant forfaitaire prévu à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive. Cependant, il est possible de prendre en considération, dans les limites exposées au point précédent du présent arrêt, notamment le fait que les rémunérations pour des transactions commerciales que le débiteur n’a pas payées à l’échéance ont donné lieu à une réclamation unique, aux fins d’apprécier le caractère raisonnable de l’indemnisation des autres frais de recouvrement encourus à la suite du retard de paiement du débiteur (arrêt du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C 585/20, EU:C:2022:806, point 40).

32 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec l’article 3 de cette directive, doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un seul et même contrat prévoit des paiements à caractère périodique, chacun devant être effectué dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimal de 40 euros, prévu à cet article 6, paragraphe 1, est dû, à titre d’indemnisation du créancier pour frais de recouvrement, pour chaque retard de paiement.

 Sur la deuxième question

33 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article et l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale refuse ou réduise le montant forfaitaire prévu à la première de ces dispositions, sur le fondement des principes généraux du droit privé national, lorsque les retards de paiement, survenus dans le cadre d’un seul et même contrat, portent notamment sur des montants faibles, voire inférieurs à ce montant forfaitaire.

Sur la recevabilité

34 La Commission européenne émet des doutes quant à la recevabilité de la deuxième question, au motif qu’elle serait de nature hypothétique. En effet, dans l’affaire au principal, le montant total de la créance principale serait bien plus élevé que le montant total de l’indemnisation forfaitaire demandée au titre de l’article 3 du décret no 351/2013 qui transpose dans le droit national l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7.

35 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêt du 8 décembre 2022, Google (Déréférencement d’un contenu prétendument inexact), C 460/20, EU:C:2022:962, point 41 et jurisprudence citée].

36 Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées [arrêt du 8 décembre 2022, Google (Déréférencement d’un contenu prétendument inexact), C 460/20, EU:C:2022:962, point 42 et jurisprudence citée].

37 Certes, en l’occurrence, ainsi que la Commission le fait observer, le montant total de la créance principale est plus élevé que le montant total de l’indemnisation forfaitaire demandée. Il n’en découle pas pour autant que la question posée est de nature hypothétique. En effet, il ne saurait être exclu, en l’absence d’une indication expresse dans la décision de renvoi sur ce point, que, parmi les 25 paiements en cause dans l’affaire au principal qui n’ont pas été effectués à l’échéance, certains soient faibles, voire inférieurs au montant forfaitaire fixé à l’article 3 de ce décret, en conformité avec l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

38 Partant, il y a lieu d’examiner cette question au fond.

Sur le fond

39 Il importe de rappeler d’emblée que le principe de primauté du droit de l’Union impose notamment aux juridictions nationales, en vue de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, d’interpréter, dans toute la mesure possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union (arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C 106/89, EU:C:1990:395, point 8, et du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, point 26).

40 Plus particulièrement, une juridiction nationale, saisie, comme en l’occurrence, d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées aux fins de transposer une directive, de les interpréter à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution conforme à l’objectif de celle-ci, sans préjudice de certaines limites dont, notamment, l’interdiction d’interprétation contra legem du droit national (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2022, Thelen Technopark Berlin, C 261/20, EU:C:2022:33, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

41 En l’occurrence, si la juridiction de renvoi a évoqué des principes généraux du droit privé national, dont notamment celui qui interdit d’interpréter et d’appliquer une disposition légale de manière contraire aux bonnes mœurs, elle n’a pas indiqué que ces principes font obstacle à ce qu’elle interprète les dispositions du droit national applicables de manière conforme au paragraphe 1 de l’article 6 de la directive 2011/7, lu en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article et l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de cette directive.

42 Dans ces conditions, admettre qu’une juridiction nationale puisse refuser ou réduire le montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 reviendrait à lui permettre de déroger à son obligation de donner plein effet à cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour dans les arrêts du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia (C 585/20, EU:C:2022:806) et du 1er décembre 2022, DOMUS-Software (C 370/21, EU:C:2022:947).

43 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article et l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale refuse ou réduise le montant forfaitaire prévu à la première de ces dispositions, sur le fondement des principes généraux du droit privé national, y compris lorsque les retards de paiement, survenus dans le cadre d’un seul et même contrat, portent notamment sur des montants faibles, voire inférieurs à ce montant forfaitaire.

 Sur la troisième question

44 Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

45 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

1) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, lu en combinaison avec l’article 3 de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

lorsqu’un seul et même contrat prévoit des paiements à caractère périodique, chacun devant être effectué dans un délai déterminé, le montant forfaitaire minimal de 40 euros, prévu à cet article 6, paragraphe 1, est dû, à titre d’indemnisation du créancier pour frais de recouvrement, pour chaque retard de paiement.

2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu en combinaison avec le paragraphe 3 de cet article et l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de cette directive,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale refuse ou réduise le montant forfaitaire prévu à la première de ces dispositions, sur le fondement des principes généraux du droit privé national, y compris lorsque les retards de paiement, survenus dans le cadre d’un seul et même contrat, portent notamment sur des montants faibles, voire inférieurs à ce montant forfaitaire.