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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 5 janvier 2023, n° 20/00349

CAEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

SBCMJ (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Noel, Me Marguerie

T. com. Coutances, du 17 janv. 2020, n° …

17 janvier 2020

La SARL cabinet [R] [N] a été l'expert-comptable et le conseil, de 2006 à septembre 2012, du groupe familial [O], constitué par les parents, [B] et [J] et leurs enfants, [G] et [W].

Le groupe était constitué de trois sociétés de bijouterie horlogerie joaillerie :

- SARL Joaillerie GM à Cherbourg au capital de 16.000 euros dont les parents détenaient 62,50 %, le reste étant détenu par leurs enfants,

- SARL Cotentin Bijoux à La Glacerie au capital de 34.800 euros dont les parents détenaient 86 %, le reste étant détenu par leurs enfants,

- SARL [O] Bijoutier à La Haye du Puits, détenue par les enfants à hauteur de 50% chacun.

En 2010/2011, le cabinet [N] les a accompagnés dans l'opération de transmission du capital des sociétés à leurs enfants, [G] et [W], les parents souhaitant prendre leur retraite.

Il a conseillé et mis en oeuvre le montage suivant, ayant pour objet la réorganisation juridique, comptable et fiscale des trois sociétés du groupe [O]:

- création d'une société holding Groupe [O] dont le capital était détenu par [G] et

[W] [O] à égalité,

- apport par le frère et la soeur des parts qu'ils détenaient dans les trois ' filiales ',

- rachat immédiat pour 210.000 euros des parts détenues par les parents dans Cotentin

Bijoux au moyen de trois emprunts pour un montant total de 351.000 euros, l'excédent devant financer le fonds de roulement,

- rachat ultérieurement des parts détenues par les parents dans Joaillerie GM, les enfants n'ayant pu obtenir le financement à l'époque,

- prise en location gérance par la holding des fonds de commerce des trois filiales.

Le rachat des parts détenues par les parents dans Joaillerie GM n'est jamais intervenu.

En septembre 2012, le cabinet [N] a mis fin à sa mission envers toutes les sociétésliées au groupe [O], invoquant les conditions de travail dégradées depuis la reprise de leur direction par [W] [O] en 2009.

Le cabinet [N] a été remplacé par le cabinet [V] [I] à compter du 1er septembre 2012.

Les sociétés [O] Bijoutier et Cotentin Bijoux ont fait l'objet d'un contrôle fiscal respectivement en 2013 et 2014, ayant entraîné un redressement de TVA sur le transfert de leur stock à la société Groupe [O].

Par ordonnance de référé du 31 mars 2015, le président du tribunal de commerce de Cherbourg a désigné M. [Y] [P] en qualité d'expert judiciaire à l'effet, notamment, d'examiner et de donner un avis sur la mise en oeuvre du montage juridique en cause et la comptabilisation des opérations correspondantes.

Le rapport a été déposé le 19 octobre 2015.

La société Groupe [O] a fait l'objet d'un contrôle fiscal en 2016 qui a donné lieu à un redressement de TVA et d'impôt sur les sociétés mis en recouvrement le 30 juin 2017 à hauteur de 261.573 euros.

Par jugement du 17 juillet 2017, le tribunal de commerce de Cherbourg a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Groupe [O] et nommé la SELARL [M] [C], prise en la personne de Maître [M] [C], en qualité de mandataire liquidateur.

Le tribunal de commerce de Cherbourg s'est ensuite dessaisi dans la mesure où M.[B] [O] avait été juge consulaire au tribunal de Cherbourg et l'affaire a été renvoyée devant le tribunal de commerce de Coutances.

Par jugements du 27 février 2018, le tribunal de commerce de Coutances a étendu la procédure de liquidation judiciaire aux sociétés [O] Bijoutier, Joaillerie GM et Cotentin Bijoux.

Par acte d'huissier du 30 mars 2018, la SARL Groupe [O] a fait assigner la SARL Cabinet [R] [N] devant le tribunal de commerce de Coutances aux fins de la voir condamner au paiement des conséquences du redressement fiscal en matière de TVA à hauteur de 232.747 euros et d'impôt sur les sociétés à hauteur de 24.705 euros.

Par jugement du 17 janvier 2020, le tribunal de commerce de Coutances a :

- dit que la SARL Cabinet [R] [N] a manqué à ses obligations contractuelles,

- condamné la SARL Cabinet [R] [N] à verser à la SELARL [M] [C], ès qualités de liquidateur de la société Groupe [O] la somme de 47.691 euros en principal, majorations et pénalités de retard, au titre du redressement de TVA,

- condamné la SARL Cabinet [R] [N] à verser à la SELARL [M] [C], ès qualités de liquidateur de la société Groupe [O] la somme de 16.473 euros en principal, majorations et pénalités de retard, au titre du redressement d'impôts sur les sociétés,

- condamné la SARL Cabinet [R] [N] à verser à la SELARL [M] [C], ès qualités de liquidateur de la société Groupe [O] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la SARL Cabinet [R] [N] aux entiers dépens de l'instance dont les frais de greffe de la présente décision liquidés à la somme de 77,08 euros TTC mais dit qu'ils devront être avancés par la SELARL [M] [C], ès qualités.

Par déclaration au greffe en date du 12 février 2020, la SARL Cabinet [R] [N] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt avant-dire droit du 10 février 2022, la cour d'appel de Caen a :

- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 16 mars 2022 aux fins de production par l'une ou l'autre des parties de la lettre de mission les liant ;

- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 25 juin 2020, la SARL Cabinet [R] [N] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'il ne peut être reproché à la SARL Cabinet [R] [N] un manquement à son devoir d'information dans le montage juridique préconisé par la SARL Cabinet [R] [N],

- Réformer en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la SARL Cabinet [R] [N] avait manqué à ses obligations contractuelles,

- Constater l'absence de démonstration du lien de causalité entre les fautes reprochées à l'expert-comptable et le préjudice résultant du contrôle fiscal,

- Exonérer la SARL Cabinet [R] [N] de toute responsabilité dans les conséquences du contrôle fiscal résultant de l'avis de mise en recouvrement du 30 juin 2017,

Statuant à nouveau,

- Dire et juger que l'action engagée par la SARL Groupe [O] à l'égard de la SARL Cabinet [R] [N] n'a été faite que dans le but de masquer les fautes de gestion et la violation des règles fiscales par les dirigeants de celle-ci,

- Condamner la SARL Groupe [O] à lui vverser la somme de 30.000 euros au titre du préjudice de notoriété,

- Condamner la SARL Groupe [O] à lui verser la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 5 août 2020, la SARL Groupe [O] représentée par la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la SARL Cabinet [R] [N] avait manqué à ses obligations contractuelles à l'égard de la SARL Groupe [O],

- Réformer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de la liquidation judiciaire de la SARL Groupe [O],

En conséquence, statuant à nouveau,

- Condamner la SARL Cabinet [R] [N] au paiement à la SELARL [M] [C], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] des indemnités suivantes :

*232.747 euros au titre des conséquences du redressement fiscal en matière de TVA selon avis de mise en recouvrement notifié le 30 juin 2017,

*24.705 euros au titre des conséquences du redressement au titre de l'impôt sur les société (location de parts sociales) selon avis de mise en recouvrement notifié le 30 juin 2017,

- Condamner la SARL Cabinet [R] [N] au paiement à la SELARL [M] [C], ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O], d'une indemnité de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

- Condamner la SARL Cabinet [R] [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Dorel-Lecomte-Marguerie, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 septembre 2022.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS

I. Sur les demandes de la SARL Groupe [O]

La SARL Groupe [O] soutient que le cabinet [N] a commis des manquements qui sont à l'origine du redressement fiscal subi en matière de TVA pour un montant total de 232 747€ et au titre de l'impôt sur les sociétés pour un montant total de 24 705€, selon avis de mise en recouvrement notifié le 30 juin 2017, et sollicite l'indemnisation de ces préjudices.

L'engagement de la responsabilité contractuelle du cabinet [N] suppose la démonstration par la SARL Groupe [O] d'une faute dans l'accomplissement de la mission confiée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.

Il est constant que la SARL cabinet [R] [N] est à l'origine de la restructuration du groupe [O], qu'il a assuré la constitution de la SARL Groupe [O] entre M. [G] [O] et Mme [W] [O] et régularisé les contrats de location-gérance avec les filiales.

Aucune lettre de mission n'est produite concernant ces prestations.

La lettre de mission, communiquée par l'appelante le 10 mars 2022 à la demande de la cour, datée du 12 juillet 2012 et prenant effet le 1er septembre 2011, a pour objet le suivi comptable, fiscal et social de la SARL Groupe [O] nouvellement constituée.

Il convient de rappeler que dans ses rapports avec son client, l'expert-comptable est tenu d'une obligation de moyens.

Il doit mettre en œuvre toutes les diligences qui lui sont dictées par les normes professionnelles'mais également toutes celles que l'on est en droit d'attendre d'un professionnel normalement diligent.

L'expert-comptable a le devoir de conseiller son client non seulement dans le cadre des missions qui lui ont été contractuellement confiées, qu'elles soient strictement comptables ou plus larges, mais il a un devoir général d'information qui dépasse le cadre strict des obligations contractuellement convenues.

Il est par ailleurs tenu de garantir l'efficacité des actes qu'il rédige.

1. Sur le redressement au titre de la TVA

La SARL Groupe [O] reproche au cabinet [N] un défaut de conseil et d'information sur les conséquences fiscales d'une opération de restructuration complexe, concernant la TVA consécutive au transfert de propriété des stocks des trois sociétés filiales à son profit en sa qualité de société holding locataire-gérante.

Plus précisément, elle fait grief à l'appelante :

- de ne pas l'avoir informée, préalablement à la signature des contrats de location-gérance, des modalités de transfert des stocks : financement, incidence fiscale, impact sur la trésorerie, nécessité d'établir un inventaire ;

- de ne pas avoir avisé ou exigé des sociétés filiales cédantes l'émission des factures de cession des stocks, condition essentielle du droit à déduction en matière de TVA ;

- d'avoir déduit une partie de la TVA déductible sans les factures correspondantes ;

- d'avoir manqué à son obligation de résultat quant à l'efficacité juridique des actes de location-gérance.

La SARL cabinet [N] réplique notamment que l'établissement des inventaires et des factures de cession des stocks relevait de la seule responsabilité des dirigeants qui étaient parfaitement informés de leurs obligations; qu'en tout état de cause, il n'existe aucun lien de causalité entre les fautes reprochées et le redressement incriminé dès lors que l'incidence fiscale de l'opération devait ête neutre et que les dirigeants et leur nouvel expert-comptable n'ont jamais voulu régulariser la situation alors qu'ils en avait la possibilité avant et même pendant le contrôle fiscal.

Il résulte du rapport d'expertise de M. [Y] [P] et des pièces du dossier que dans le cadre du montage mis en oeuvre, destiné à assurer de manière définitive la transmission des parts sociales détenues par M. [B] et [J] [O] à leurs enfants :

- M. [G] [O] et Mme [W] [O] ont constitué une société holding dénommée SARL Groupe [O] dont les statuts ont été signés le 4 mars 2011 et à laquelle ils ont apporté les parts sociales qu'ils détenaient dans le capital de la SARL [O] Bijoutier ;

- la société holding Groupe [O] a pris en location-gérance les fonds de commerce des trois sociétés de bijouterie joaillerie, suivant contrats :

° du 31 août 2011 à effet du 1er septembre 2011 pour la SARL Joaillerie GM

° du 22 septembre 2011 à effet du 1er septembre 2011 pour la SARL [O] Bijoutier

° du 27 décembre 2011 à effet du 1er décembre 2011 pour la SARL Cotentin Bijoux ;

- un contrat a été signé le 25 mai 2011 par lequel M. [B] [O] a donné en location à la SARL Groupe [O] les 500 parts sociales de la SARL Joaillerie GM à compter du 1er juillet 2011 pour une durée de 5,5 années moyennant un loyer annuel de 30 000€, compte tenu de l'impossibilité financière de procéder au rachat de la totalité des parts sociales détenues par les parents [O] dans l'immédiat ;

Le contrôle fiscal a été effectué en 2016.

Le redressement notifié au titre de la TVA se décompose comme suit :

° droits dus sur la période de mars 2011 à juin 2015 ........... 154 652€

° majorations......................................................................... 58 977€

° intérêts de retard................................................................. 19 118€

° total : 232 747€

Comme exactement relevé par le tribunal, le redressement de TVA lié à la cession des stocks invoqué par l'intimée, se limite en principal à la somme de 97 074€ (16 201€+32 799€+10 074€+38 000€) à laquelle s'ajoute la majoration de 40% et les intérêts de retard correspondants.

La cause de cette rectification réside dans le fait que la SARL Groupe [O] a procédé à la déduction de la TVA correspondant au rachat des stocks des filiales en l'absence de toute facture de cession.

Or, selon l'expert judiciaire, le montage juridique mis en oeuvre, s'agissant de l'assujettissement à la TVA, était totalement neutre financièrement car la TVA déclarée par la société cessionnaire du stock était immédiatement récupérée par le groupe [O] à la date d'entrée en jouissance.

C'est donc uniquement à raison de l'absence de justificatif et notamment de facture que l'administration fiscale a rejeté les déductions de TVA effectuées par la holding.

Il incombe aux dirigeants et non à l'expert-comptable d'établir les factures et les inventaires permettant d'établir les factures.

De plus, les dirigeants des sociétés du groupe [O] étaient parfaitement informés de cette nécessité par la clause figurant à l'article 9 des différents contrats de location-gérance : 'Les marchandises en stock à la date d'entrée en jouissance seront reprises par le Gérant au vu d'un inventaire contradictoire entre les parties. La cession des marchandises sera effectuée au prix de facture et payée selon les modalités à définir entre les parties.'

Il en résulte, conformément à ce que souligne l'expert judiciaire, que la TVA afférente aux cessions de stocks aurait dû être déclarée à la date d'entrée en jouissance (correspondant au jour de la prise d'effet des actes de location-gérance), date à laquelle elle devenait exigible.

Par ailleurs, dans un mail du 21 février 2013, Mme [W] [O] reconnaît que lors de la préparation de la holding, le cabinet [N] avait envisagé la cession des stocks en mettant les dirigeants en garde sur l'incidence de la TVA.

Elle ajoute qu'il avait été convenu de laisser les stocks dans les structures jusqu'à apurement naturel. Cette allégation n'est pas justifiée et est en contradiction avec les termes clairs et précis des contrats de location-gérance signés.

Il ressort des échanges de mails versés aux débats et du rapport d'expertise que le cabinet [N] n'a pu obtenir les inventaires des stocks qu'un an après la conclusion des locations-gérance, après plusieurs relances, alors qu'il n'existait pas de contrainte particulière pour les éditer à la date de prise d'effet des conventions puisque les sociétés disposaient d'un inventaire permanent.

Le cabinet [N] a ensuite comptabilisé les opérations d'acquisitions des stocks dans la SARL Groupe [O] à la date du 1er septembre 2011 pour les trois sociétés et a établi la déclaration de TVA du mois d'août 2012 sur laquelle il a déduit une partie de la TVA récupérable sur les achats de stocks, à hauteur de 49 000€ (16 201€+32 799€), avant de mettre fin à sa mission en septembre 2012 compte tenu des difficultés à obtenir les informations.

Le cabinet [I] a succédé à l'appelante le 1er septembre 2012, a établi les comptes annuels de la SARL Groupe [O] pour l'ensemble des exercices clos en 2012, 2013, 2014 et 2015, et établi les déclarations de TVA sur lesquelles ont été déduites en 2014 et 2015 les sommes de 10 074€ et 38 000€.

Il ressort de ce qui précède que la conception du montage juridique n'est pas remise en cause et que la dirigeante de la future SARL Groupe [O] et des filiales a été parfaitement informée, au préalable par l'expert-comptable, de la fiscalité afférente à la cession des stocks, de la date de prise d'effet du transfert de propriété des marchandises et de la nécessité d'établir les inventaires puis les factures de cession, condition pour récupérer la TVA.

Sur ces points, l'appelante a rempli son obligation d'information et de conseil.

Le financement des achats de marchandises et les modalités de paiement n'ont certes pas été définis en amont mais ce défaut n'a pas de rapport direct avec le redressement fiscal litigieux qui est dû à l'absence de facturation.

On peut néanmoins retenir à l'encontre du cabinet [N] un manquement contractuel pour :

- ne pas avoir exigé les factures d'achat des stocks,

- avoir comptabilisé ces achats dans la comptabilité de la SARL Groupe [O] et déduit une partie de la TVA récupérable dans la déclaration du mois d'août 2012 sans disposer des factures justificatives correspondantes, comme justement rappelé par le tribunal.

Cependant, contrairement à ce qu'il a jugé, les circonstances de fait conduisent à exclure tout lien de causalité directe entre la faute de l'expert-comptable et le redressement fiscal.

En effet, il ressort des échanges de mails entre l'appelante et l'intimée et de la réponse du fisc aux observations du contribuable en date du 4 novembre 2016, que le groupe [O] et son nouveau cabinet comptable [I], non seulement se sont délibérément abstenus de régulariser la situation, ce qu'ils avaient tout le loisir de faire avant le contrôle intervenu quatre ans plus tard, mais, au surplus, ont réitéré le manquement en 2014 et 2015 en déduisant une partie de la TVA sans plus de justificatif.

La dirigeante du groupe (holding et filiales), qui n'a fourni au cabinet [N] que très tardivement les éléments de valorisation des stocks, s'est ensuite volontairement gardée pendant plus de trois ans et sur quatre exercices d'établir les factures de cession, formalité qu'elle savait pourtant devoir accomplir, et qui aurait permis d'éviter le redressement. Les factures ne seront émises qu'en 2016 à l'occasion du contrôle fiscal, soit trop tard pour pouvoir être prises en compte.

Ce comportement a conduit l'agent des impôts à appliquer la majoration de 40% en la motivant comme suit dans sa réponse du 4 novembre: 'L'absence de toute régularisation pendant toute la période vérifiée (...) montre le caractère délibéré de l'entreprise à ne pas vouloir régulariser sa situation. (...) Le principe selon lequel une TVA déductible ne peut être récupérée que si elle est appuyée de document justificatif ne pouvait être non plus ignoré du gérant de l'entreprise. Le caractère conscient de l'attitude adoptée, le caractère répétitif de ces manquements, et la nature même du procédé utilisé de minoration de la TVA collectée et de majoration de la TVA déductible sont des critères objectifs de l'intention délibérée de l'entreprise d'éluder une partie importante de la TVA à payer.'

Au vu de ces éléments, en particulier du refus persistant et en toute connaissance de cause des dirigeants du groupe [O] d'établir les factures de transfert des stocks, ce au mépris des stipulations contractuelles, la cour considère que leur seule carence est à l'origine du préjudice subi par leur société lié au contrôle fiscal.

Il convient donc d'écarter la responsabilité du cabinet [N] et de débouter la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] de sa demande à ce titre.

2. Sur le redressement au titre de l'impôt sur les sociétés

Le redressement d'un montant de 24 705€ dont la SARL Groupe [O] sollicite l'indemnisation se décompose comme suit :

- principal dû sur la période du 1er août 2012 au 30 juin 2015 . ...16 649€

- majorations 6654€

- intérêts de retard 1402€

Comme exactement rappelé par le tribunal, l'administration fiscale a rejeté les déductions opérées au titre des charges de location des parts sociales de la SARL Joaillerie GM au motifs suivants :

- absence de justification des charges (pas de quittance, de facture ou de contrat)

- non respect des dispositions des articles L 239-1 et suivants du code de commerce : les statuts de la SARL Joaillerie GM n'autorisent pas la location des parts sociales composant son capital, les parts sociales d'une SARL ne peuvent être données en location qu'au profit d'une personne physique et le contrat de location obéit à un formalisme dont il n'est pas justifié,

- les charges ne sont pas exposées dans l'intérêt direct de l'exploitation et ne se rattachent pas à la gestion normale de l'entreprise.

Le contrat du 25 mai 2011 par lequel M. [B] [O] a donné en location à la SARL Groupe [O] les 500 parts sociales de la SARL Joaillerie GM a été rédigé par le cabinet [N].

Cette convention est nulle puisque la location de parts sociales n'est pas autorisée par les statuts de la SARL Joaillerie GM et qu'elle a été consentie au profit d'une personne morale en violation de l'article L 239-1 du code de commerce.

Le cabinet [N] a ainsi commis une faute contractuelle à l'égard de ses clients en régularisant un acte dépourvu d'efficacité juridique.

Si l'appelante n'avait pas soumis cette opération à la signature de la SARL Groupe [O], cette dernière n'aurait pas déduit les charges de loyers litigieuses ni par voie de conséquence subi le redressement fiscal.

Le cabinet [N] fait valoir que ce n'est pas lui mais son successeur, le cabinet [I], qui a validé les écritures comptables relatives à cette location de parts sociales et aux loyers versés.

Cette affirmation est exacte mais à supposer que le cabinet [I] ait lui-même agi fautivement en ne s'assurant pas de la déductibilité des loyers payés, une telle faute ne serait pas susceptible d'exonérer le cabinet [N] de sa responsabilité dans ses rapports avec la SARL Groupe [O] dans la mesure où le manquement de ce dernier a contribué à l'entier dommage de l'intimée.

Par ailleurs, dès lors que la violation de l'article L 239-1 du code de commerce a été retenue par l'administration comme étant l'une des causes du rappel d'impôt, rien ne permet d'affirmer qu'elle aurait exempté la SARL Groupe [O] du redressement ou réduit la sanction si celle-ci lui avait présenté le contrat de location.

Il s'ensuit que le lien de causalité entre la faute et le dommage est suffisamment démontré et que la SARL cabinet [R] [N] est tenue d'indemniser la SARL Groupe [O] de l'entier préjudice subi.

Au vu de ces éléments, la SARL cabinet [R] [N] est condamnée à payer à la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] la somme de 24 705€ correspondant au redressement.

II. Sur la demande reconventionnelle de la SARL cabinet [R] [N]

Au regard des fautes commises par la SARL cabinet [R] [N], telles que retenues ci-dessus, et du caractère partiellement fondé de l'action en responsabilité de la SARL Groupe [O] à son égard, la demande indemnitaire formée par l'appelante à hauteur de 30 000€ pour préjudice de notoriété a été justement rejetée par le tribunal.

Le jugement est confirmé de ce chef.

III. Sur les demandes accessoires

Les dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.

La SARL cabinet [R] [N] succombant partiellement, est condamnée aux dépens de l'appel, à payer à la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] la somme complémentaire de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et est déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a dit que la SARL cabinet [R] [N] a manqué à ses obligations contractuelles et sauf en ce qui concerne les frais irrépétibles et dépens ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,

CONDAMNE la SARL cabinet [R] [N] à payer à la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] une indemnité de 24 705€ en réparation du préjudice lié au redressement de l'impôt sur les sociétés ;

CONDAMNE la SARL cabinet [R] [N] à payer à la SELARL [M] [C] ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL Groupe [O] la somme complémentaire de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL cabinet [R] [N] aux dépens de l'appel avec droit de recouvrement direct au profit des avocats constitués en la cause qui en ont fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.