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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1 et 2, 2 mai 2019, n° 18/11939

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Touvier

Conseillers :

Mme Perez, Mme Ouvrel

TGI Marseille du 29 juin 2018, n° 18/725

29 juin 2018

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par acte notarié du 4 juin 2008, monsieur Jean-Claude C. a fait procéder au nantissement des 50 parts sociales détenues par monsieur Hubert A. dans la SCI A. en garantie d'engagements pris.

La SCI A. est propriétaire de deux biens immobiliers : une maison située [...].

Le 21 décembre 2013, un protocole d'accord transactionnel a été régularisé entre monsieur Hubert A. et monsieur Jean-Claude C. aux termes duquel le premier reconnaît devoir au second la somme de 177 271,40 euros.

A la suite de la vente du bien de Marseille en 2014, monsieur Jean-Claude C. a été partiellement désintéressé.

Par courriers recommandés des 23 et 27 janvier 2017, monsieur Jean-Claude C. a mis monsieur Hubert A. en demeure de lui régler la somme de 121 900 euros sur la base du protocole existant.

Le protocole transactionnel a été homologué par le président du tribunal de grande instance de Marseille le 22 mars 2017.

Par ordonnance en date du 29 juin 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille a :

rejeté l'exception d'incompétence,

ordonné une expertise comptable judiciaire afin d'évaluer les 50 parts sociales détenues par monsieur Hubert A. dans le capital de la SCI A., ce aux frais avancés de monsieur Jean-Claude C.,

dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus,

dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

laissé les dépens à la charge de monsieur Hubert A..

Selon déclaration reçue au greffe le 16 juillet 2018, monsieur Hubert A. et la SCI A. ont interjeté appel de la décision, l'appel portant uniquement sur le rejet de l'exception d'incompétence, la décision de mise en oeuvre d'une expertise et sur le rejet des demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions transmises le 10 septembre 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, monsieur Hubert A. et la SCI A. demandent à la cour de :

les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,

réformer l'ordonnance entreprise sur les points dont appel,

À titre principal :

se déclarer incompétent au profit du président du tribunal de grande instance de Marseille,

A titre subsidiaire :

' se déclarer incompétent, et en tant que de besoin débouter monsieur Jean-Claude C. de toutes ses demandes fins et conclusions en l'absence de motif légitime,

A titre plus subsidiaire encore :

' prendre acte des protestations et réserves de monsieur Hubert A. et la SCI A. sur cette demande d'expertise, et dire que son coût sera supporté exclusivement par le requérant,

En tout état de cause :

' condamner monsieur Jean-Claude C. à leur verser respectivement la somme de 2 000 euros à chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile,

' condamner monsieur Jean-Claude C. aux entiers dépens distraits au profit de la SCP B. S. T. & J., avocats aux offres de droit.

Les appelants soutiennent que la demande d'expertise de monsieur Jean-Claude C. relève par nature de la procédure spéciale de l'article 1843-4 du code civil et ressort donc de la compétence exclusive du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés et non du juge des référés, ce dernier étant dès lors incompétent.

Par ailleurs, les appelants contestent l'existence d'un motif légitime justifiant l'organisation de l'expertise ordonnée en ce que l'attribution des parts sociales nanties n'est pas subordonnée à leur valorisation et en ce que la solution du litige, liée au simple recouvrement d'une créance, n'en dépend pas. Sur le fondement des articles 144 et 147 du code de procédure civile, la mesure d'instruction est inutile. Enfin, les appelants assurent que le nantissement est dépourvu d'objet dès lors que les 50 parts sociales garantissaient le paiement d'une créance de 456 271 euros dont monsieur Jean-Claude C. a déjà été désintéressé lors de la vente de l'immeuble de Marseille.

Par dernières conclusions transmises le 17 septembre 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, monsieur Jean-Claude C. sollicite de la cour qu'elle :

confirme l'ordonnance rendue par le tribunal de grande instance de Marseille le 29 juin 2018 dans toutes ses dispositions,

déboute monsieur Hubert A. et la SCI A. de leurs demandes,

condamne monsieur Hubert A. à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamne monsieur Hubert A. aux dépens de l'instance distraits au profit de maître M. sur son affirmation de droit.

Monsieur Jean-Claude C. soutient, d'une part, que son action était recevable devant le juge des référés sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que lui-même n'est pas un associé de la SCI A. et qu'il n'est pas question de cession de droits sociaux. Monsieur Jean-Claude C. fait d'autre part valoir qu'avant d'engager une action au fond aux fins de faire réaliser le nantissement consenti, il lui est indispensable de connaître la valeur des parts sociales nanties, de sorte qu'il existe un motif légitime à la réalisation de l'expertise. Il indique effectivement en avoir besoin pour apprécier l'opportunité de solliciter par la suite la réalisation du nantissement , et, pour connaître le montant de la créance qu'il détiendra encore sur monsieur Hubert A. une fois les 50 parts attribuées, ainsi que pour envisager d'autres actions contre lui. Il estime que le nantissement garantit toujours sa créance et que les dispositions des articles 144 et 147 du code de procédure civile sont inopérantes. Monsieur Jean-Claude C. demande la confirmation en tous points de l'ordonnance querellée.

L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 25 février 2019.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'exception d'incompétence

En application de l'article 1843-4 du code civil, dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d'une cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties.

Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur ne soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa.

L'expert ainsi désigné est tenu d'appliquer, lorsqu'elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

En l'espèce, l'action intentée par monsieur Jean-Claude C. a pour but l'évaluation des 50 parts sociales détenues par monsieur Hubert A. dans le capital de la SCI A., celles-ci étant apportées en gage à monsieur Jean-Claude C. afin de garantir le paiement de créances. Or, ce nantissement n'a pas pour effet de conférer la qualité d'associé de la SCI A. à monsieur Jean-Claude C.. Il ne s'agit donc pas de la cession de droits sociaux entre associés, ce dernier n'en ayant pas la qualité, ni de la cession de ceux-ci à la société concernée.

Dès lors, les dispositions de l'article 1843-4 du code civil, d'application stricte et qui supposent que des dispositions légales ou conventionnelles y renvoient expressément, ne sont pas concernées en l'espèce. Il ne saurait cependant être fait interdiction au bénéficiaire d'un nantissement de parts sociales de solliciter une expertise sur un autre fondement, et notamment sur celui de l'article 145 du code de procédure civile.

L'exception d'incompétence soulevée au profit du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés n'est donc pas fondée et l'ordonnance entreprise doit être confirmée à ce titre.

Sur la demande d'expertise

En vertu des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Aux termes de l'acte du 4 juin 2008, le nantissement consenti par monsieur Hubert A. à monsieur Jean-Claude C., constitué des 50 parts sociales détenues par monsieur Hubert A. dans la SCI A., pour un montant de 456 271 euros, avait pour but de :

- garantir la valeur de souscription par monsieur Jean-Claude C. de 3 332 actions de la société H2A Holing et l'acquisition par ce dernier de 64 actions de cette société appartenant à monsieur Hubert A., à hauteur de 177 271,40 euros,

- contre-garantir le nantissement par monsieur Jean-Claude C. d'un contrat d'assurance-vie lui appartenant au profit des banques BNP Paribas et Crédit du Nord, donné en garantie d'un prêt d'un montant de 330 000 euros, consenti par ces banques à la société H2A Holding, ce à hauteur de 279 000 euros.

La convention de nantissement était prévue pour demeurer en vigueur jusqu'au complet remboursement du prêt, et la cession des titres d'H2A Holding ou la liquidation d'H2A Holding générant pour le bénéficiaire une valeur au moins égale à son investissement.

L'actif de la SCI A. était constitué de deux biens immobiliers : une maison située [...].

Par acte notarié du 9 avril 2009, monsieur Jean-Claude C. a cédé à monsieur Hubert A. la créance qu'il détenait sur la société H2A Holding au titre du solde créditeur de son compte courant d'associé, pour un montant de 337 000 euros, cette somme apportée par l'intimé à la société H2A Holding provenant de la réalisation du contrat d'assurance-vie précité outre d'un apport en numéraire. Monsieur Hubert A. a financé cette opération au moyen d'un prêt que lui a consenti l'intimé, mentionné dans l'acte notarié, prévoyant un remboursement au 31 mars 2014 et une hypothèque étant prise en garantie sur le bien de Marseille, propriété de la SCI A..

Cet engagement n'était pas honoré à la date convenue. Aussi, la SCI A. a procédé en 2014 à la vente de l'immeuble de Marseille au prix de 920 000 euros.

Sur ce prix, une somme de 438 100 euros a été attribuée à monsieur Jean-Claude C. le 23 mai 2014. Un litige existe entre les parties sur la détermination des créances exactes ainsi désintéressées compte tenu des divers engagements liant les parties.

En parallèle, le 21 décembre 2013, un protocole transactionnel était signé entre monsieur Hubert A. et monsieur Jean-Claude C. qui stipule que le premier est redevable envers le second d'une somme de 177 271,40 euros au titre de la moins-value réalisée par monsieur Jean-Claude C. dans le cadre de l'acquisition des titres de la société H2A Holding. Monsieur Hubert A. s'est engagé à rembourser monsieur Jean-Claude C. à hauteur de 67 271,40 euros au plus tard le 31 mars 2014, et à hauteur de 110 000 euros, outre intérêts à régler selon modalités précisées, au plus tard le 31 décembre 2016.

En exécution de ce protocole, homologué par ordonnance du 22 mars 2017, monsieur Jean-Claude C. revendique auprès de monsieur Hubert A. la somme de 121 900 euros.

Il appert de la chronologie des faits et de la succession des engagements pris, que la seconde cause du nantissement de 2008 n'existerait plus, à savoir la contre-garantie du contrat d'assurance-vie appartenant à monsieur Jean-Claude C. au profit des banques BNP Paribas et Crédit du Nord, donné en garantie d'un prêt d'un montant de 330 000 euros, depuis la vente de l'immeuble de Marseille.

En revanche, l'acte de nantissement n'est a priori pas expiré, et, la première cause du nantissement , à savoir la souscription par monsieur Jean-Claude C. au sein de la société H2A Holding et ses conséquences, est mise en avant par l'intimé comme n'étant pas désintéressée.

Au vu de ces éléments, force est de constater qu'une discussion subsiste sur l'existence et l'objet du nantissement en cause, contestation qu'il appartiendra au juge du fond d'arbitrer le cas échéant. Pour autant, il n'est en rien manifeste que ce nantissement serait dépourvu d'objet comme le soutiennent les appelants.

Dès lors, monsieur Jean-Claude C. démontre un intérêt légitime à la réalisation de l'expertise portant sur la valorisation des parts sociales , afin de déterminer l'opportunité de réaliser le nantissement , et d'établir le solde potentiel de la créance qu'il pourrait conserver à l'encontre de monsieur Hubert A. après attribution des parts sociales , quand bien même cette attribution n'est pas en soi subordonnée à leur valorisation. Le but recherché par l'intimé dans le cadre de la présente instance tient en l'obtention du paiement de sa créance. Dans ce cadre, la valorisation par expertise des parts sociales objet de la garantie de cette créance présente donc nécessairement un intérêt pour lui, et pour la solution du litige existant entre les parties, susceptible de donner lieu à une instance au fond.

En conséquence, l'ordonnance entreprise doit être confirmée en totalité, étant observé que ce n'est pas au stade des référés qu'il est statué sur la charge définitive de l'expertise, qui, en l'état et comme l'a justement retenu le juge de premier degré, doit être laissée à la charge de la personne qui la demande et qui y a intérêt.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Monsieur Hubert A. et la SCI A. qui succombent au litige seront déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de monsieur Jean-Claude C. les frais, non compris dans les dépens, qu'il a exposés pour sa défense. L'indemnité qui lui a été allouée à ce titre en première instance sera confirmée et il convient de lui allouer une indemnité complémentaire de 2 500 euros en cause d'appel.

Les appelants supporteront en outre les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne monsieur Hubert A. et la SCI A. à payer à monsieur Jean-Claude C. la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute monsieur Hubert A. et la SCI A. de leur demande sur ce même fondement,

Condamne monsieur Hubert A. et la SCI A. au paiement des dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.