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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 15 janvier 2019, n° 16/02218

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ossi Sécurité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Jeorger-Le Gac, M. Garet

CA Rennes n° 16/02218

14 janvier 2019

FAITS ET PROCEDURE

Suivant protocole d'accord en date du 31 décembre 2012, Alain C., actionnaire de la société anonyme OSSI SECURITE, s'engageait envers Nicolas B., agissant en qualité de représentant légal de la société OSSI SECURITE ainsi que de la SARL NBGH, elle-même actionnaire de OSSI SECURITE, à céder aux deux sociétés la totalité des actions qu'il détenait au sein d'OSSI SECURITE et ce, moyennant un prix total de 313.500 € payable par mensualités de 5.000 € chacune à compter du 5 juin 2013, l'intégralité du prix devant être réglé au plus tard pour le 5 septembre 2015'; Monsieur C. s'engageait également à céder aux deux sociétés l'unique part sociale qu'il détenait au sein de la SARL LES CHEVALIERS au prix de 160 €.

De leur côté, les deux cessionnaires s'engageaient solidairement envers Monsieur C. à acquérir ses actions et à en payer le prix, se réservant ensuite la faculté de les répartir librement entre elles, le protocole précisant que la cession au profit de OSSI SECURITE pourrait se faire au moyen d'une réduction de son capital social moyennant l'annulation à due concurrence des actions du cédant et le paiement de celles-ci, le règlement effectif du prix convenu constituant une condition suspensive de la promesse de cession, alors enfin que Monsieur C. s'engageait à voter favorablement lors des assemblées appelées à statuer sur les réductions de capital.

Après un premier règlement de 5.000 € effectué par MBGH le 5 juin 2013, plus aucun règlement ne devait ensuite intervenir.

Par jugement du 10 juillet 2013, le tribunal de commerce de Nantes ordonnait la liquidation judiciaire de la société OSSI SECURITE et désignait Maître Cécile J. (SCP M.-J.) en qualité de liquidateur.

Le 4 septembre 2013, Monsieur C. procédait à la déclaration de sa créance, d'un montant de 308.660 €, auprès du liquidateur.

Maître J. ès-qualités ayant contesté cette créance, l'affaire était portée à l'appréciation du juge-commissaire qui, par ordonnance du 2 mars 2016, admettait la créance de Monsieur C. à titre chirographaire.

Suivant déclaration reçue au greffe le 18 mars 2016, Maître J., agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société OSSI SECURITE, interjetait appel de cette décision.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, la SCP M.-J. ès-qualités demande à la cour de réformer l'ordonnance en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de':

- rejeter la créance déclarée par Alain C. au passif de la liquidation judiciaire de la société OSSI SECURITE ;

- condamner Alain C. à payer à la SCP M.-J. la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Alain C. aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses demandes, l'appelante fait essentiellement valoir :

- que par principe, une société anonyme ne peut pas racheter ses propres actions sauf dans un certain nombre de cas limitativement énumérés par la loi, notamment par réduction du capital social, opération qui suppose, afin de ne pas porter atteinte à l'égalité entre les actionnaires, non seulement d'être approuvée par l'assemblée générale, mais également d'être préalablement portée à la connaissance de l'ensemble des actionnaires afin qu'ils puissent tous, le cas échéant, demander le rachat de leurs propres actions';

- qu'or, il n'est justifié en l'espèce d'aucune délibération de l'assemblée générale de la société OSSI SECURITE ni d'aucune information donnée à ses actionnaires pour les inviter à faire valoir leurs droits';

- que dans ces conditions, c'est à tort que le juge-commissaire, pour admettre la créance de Monsieur C. au passif de la procédure collective, a validé l'opération de rachat des actions par OSSI SECURITE dans les conditions prévues au protocole d'accord, alors même qu'aucune des règles impératives encadrant une telle opération n'a été respectée';

- qu'à tout le moins, cette opération est inopposable aux organes de la procédure collective qui ne sauraient être engagés par un protocole d'accord qui, faute d'avoir été conclu dans le respect des règles précitées, porte finalement atteinte à l'égalité entre les créanciers dont la liquidation judiciaire est censée garantir le respect.

Au contraire, aux termes de ses dernières conclusions auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses demandes et argumentations, Alain C. demande à la cour de :

- constater que la vente de ses droits aux sociétés OSSI SECURITE et NBGH a été formée dès la signature du protocole d'accord, soit dès le 31 décembre 2012 ;

- constater que la cession des droits sociaux est opposable à la société OSSI SECURITE ;

- constater que les sociétés OSSI SECURITE et NBGH ont la qualité de débiteurs solidaires à l'égard de Monsieur Alain C. au titre de cette cession ;

- constater que Alain C. est créancier de la société OSSI SECURITE pour une somme de 308.660 €;

En conséquence :

- déclarer la société OSSI SECURITE et la SCP M. J. es-qualités non fondées en leur appel et en leurs contestations et demandes, et les en débouter ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 2 mars 2016 ;

- condamner la société OSSI SECURITE à payer Alain C. une somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société OSSI SECURITE et la SCP M. J. aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

Monsieur C. fait en effet observer':

- que le protocole d'accord du 31 décembre 2012, en ce qu'il constitue une promesse de vente de ses actions au profit des sociétés OSSI SECURITE et NBGH, vaut vente définitive des titres, ce protocole ne faisant en effet nullement obstacle à la mise en oeuvre des procédures prévues en cas de réduction du capital social, aucune clause n'y ayant d'ailleurs été insérée pour empêcher les autres actionnaires de faire valoir leurs droits, notamment au rachat de leurs propres actions'; qu'ainsi, OSSI SECURITE était en mesure de mettre en oeuvre les procédures adéquates, son dirigeant étant seul responsable de ne pas l'avoir fait'; en toute hypothèse, la vente est devenue parfaite et, dès lors, engage la société, aujourd'hui prise en la personne de son liquidateur, dans un rapport d'obligation contractuelle à l'égard de Monsieur C., qui est fondé à s'en prévaloir pour obtenir le paiement de sa créance selon les règles applicables en cas de procédure collective';

- que le non-respect éventuel des règles de la procédure de réduction du capital n'affecte pas la validité de l'acte de cession lui-même, ainsi qu'il en a déjà été jugé à plusieurs reprises';

- que dans la mesure où les deux sociétés OSSI SECURITE et NBGH se sont mutuellement portées garantes l'une de l'autre du respect de leurs obligations, Monsieur C. est fondé à réclamer le paiement de sa créance à la débitrice de son choix, en l'occurrence à OSSI SECURITE prise en la personne de son liquidateur.

* * * * *

La mise en état du dossier a été clôturée par ordonnance du 18 octobre 2018 et l'affaire renvoyée à l'audience de jugement du 19 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article L 225-206.II du Code de commerce, applicable aux sociétés anonymes, l'achat par une société de ses propres actions est autorisé dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L 225-207 à L 225-217, notamment dans le cadre d'une réduction de capital non motivée par des pertes, cette opération supposant, conformément à l'article L 225-204, de réunir l'assemblée générale extraordinaire pour l'autoriser et ce, après communication aux actionnaires, dans un délai réglementairement fixé, d'un rapport établi par les commissaires aux comptes sur l'opération projetée, laquelle ne doit en aucun cas porter atteinte à l'égalité des actionnaires, l'offre d'achat devant ainsi être faite à tous les actionnaires qui peuvent y prétendre dans les mêmes conditions conformément aux articles R 225-153 et R 225-155.

Le rachat par la société anonyme de ses propres actions peut aussi intervenir dans la perspective d'une attribution d'actions aux salariés pour les faire participer aux résultats (article L 225-208) ou encore, s'agissant des sociétés cotées, afin de favoriser la liquidité des titres (article L 225-209).

L'article L 225-214 dispose que les actions possédées en violation des articles précités doivent être cédées dans un délai d'un an à compter de leur souscription ou de leur acquisition et qu'à l'expiration de ce délai, elles doivent être annulées.

Pour autant, le rachat des actions destiné à satisfaire à un engagement pris par la société à l'égard de l'un de ses actionnaires n'est pas sanctionné par la nullité de l'acquisition, du moins dès lors que l'opération est suivie de la procédure prévue en cas de réduction du capital, l'annulation des titres devant en effet être pratiquée dans le respect de l'égalité entre les actionnaires.

C'est d'ailleurs ce qu'avaient envisagé les parties au protocole d'accord du 31 décembre 2012 qui stipule en effet que la cession des actions de Monsieur C. «'pourra être réalisée, au choix des cessionnaires, sous forme de réduction du capital'» (cf l'article 1er du protocole), ou encore que «'la cession des actions pourra aussi se faire au moyen de la décision régulière de la société OSSI SECURITE de réduire son capital social, au moyen de l'annulation à due concurrence d'actions appartenant au cédant, moyennant remboursement de celles-ci au prix convenu'» (cf l'article 3), et enfin que «'Monsieur Alain C. s'engage de façon irrévocable à voter favorablement lors des assemblées appelées à statuer sur les réductions de capital'» (cf l'article 5).

C'est pour cette raison que le juge-commissaire a validé la créance de Monsieur C., le magistrat ayant en effet retenu qu'il n'y avait pas de doute sur la capacité des actionnaires à voter cette réduction compte tenu de l'engagement pris par le cédant de voter en faveur de cette mesure.

Mais c'était oublier l'existence d'autres actionnaires, certes minoritaires mais dont la liste est mentionnée dans le préambule du protocole, dont il n'est pas établi qu'ils aient été informés du projet de cession des actions de Monsieur C. sous la forme d'une réduction du capital social d'OSSI SECURITE.

Il n'est pas davantage justifié ni même allégué qu'il ait été procédé à la convocation de l'assemblée générale extraordinaire appelée à en délibérer, ni à la communication du rapport destiné à informer l'ensemble des actionnaires sur le projet de réduction du capital, ceux-ci n'ayant pas, dès lors, été mis en mesure de faire valoir leurs droits au rachat de leurs propres actions.

De même et en l'absence de dépôt au greffe du tribunal de commerce du procès-verbal de délibération de l'assemblée générale validant la réduction du capital, la société a porté atteinte aux droits de ses créanciers en les privant de la possibilité d'y former opposition conformément à la procédure prévue à l'article L 225-205, étant en effet rappelé que la réduction du capital social a pour effet de diminuer le gage général des créanciers.

Le liquidateur judiciaire de la société est d'autant plus légitime à contester cette opération qu'il a pour mission d'assurer, sous réserve des privilèges dont tel ou tel d'entre eux peut se prévaloir, le désintéressement égalitaire de la collectivité des créanciers.

En d'autres termes, si la promesse de rachat des actions de Monsieur C. par la société OSSI SECURITE n'est pas nulle, pour autant elle n'a jamais acquis son caractère définitif faute d'avoir été régularisée par l'assemblée générale.

Si Monsieur C. reproche à la société OSSI SECURITE, plus précisément à son représentant légal, de ne pas avoir mis en oeuvre la procédure de régularisation qui s'imposait, pour autant ce reproche, serait-il même justifié, n'est pas de nature à fonder la créance contractuelle dont il se prévaut aujourd'hui.

De même, le fait que les deux cessionnaires (OSSI SECURITE et NBGH) se soient portés «'garants solidaires'» des engagements pris envers Monsieur C. ne dispensait pas du respect de la procédure imposée en cas de réduction du capital; dès lors, la solidarité dont il se prévaut n'est pas non plus de nature à fonder un droit de créance à son profit.

Il s'ensuit que la créance invoquée par Monsieur C., contestable dans son principe même, ne peut pas être admise au passif de la procédure collective de la société OSSI SECURITE, l'ordonnance déférée devant être infirmée en ce qu'elle l'y a admise.

Le contexte de l'affaire justifie de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur de l'appelante.

Partie perdante, Alain C. supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour :

Infirme l'ordonnance déféré en toutes ses dispositions';

Statuant à nouveau, déboute Alain C. de sa demande tendant à l'admission de la créance qu'il a déclarée au passif de la liquidation judiciaire de la société OSSI SECURITE';

Y ajoutant,

- déboute la SCP M.-J. (Maître Cécile J.), ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société OSSI SECURITE, de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';

- condamne Alain C. aux entiers dépens de première instance et d'appel.