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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 25 juin 2013, n° 12/04505

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Controlclick (SAS)

Défendeur :

Marillier (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avocats :

SCP Philippe Senmartin et Associés, Me Greciano, Me Aussilloux, Me Vedel-Salles

T. com. Narbonne, du 27 mars 2012, n° 20…

27 mars 2012

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La société Controlclick a été constituée en 2002 sous la forme d'une SAS et exerce une activité d'éditeur de sites Internet dans le domaine de la publicité et du marketing.

En décembre 2007, par le biais d'une augmentation de capital, la SA Séquoia Network est devenu propriétaire de 270 des 1270 actions de la société Controlclick d'une valeur nominale de 124 €.

A la fin de l'année 2008, la société Séquoia Network, souhaitant se retirer de la société Controlclick, a entamé des négociations avec Philippe Coupez, son président.

Au terme de celles-ci, un protocole d'accord a été signé, le 16 septembre 2009, par lequel la société Séquoia Network a promis de céder à M. Coupez et/ou à la société Controlclick ou à toutes personnes morales qu'ils désigneront, la totalité des actions détenues dans le capital de la société au prix unitaire de 660 €, soit 178 200 € pour les 270 actions cédées.

Il était convenu que M. Coupez, en sa qualité de président, convoque une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Controlclick appelée à voter le principe de la réduction de son capital social suite au rachat des 270 actions détenues par la société Séquoia Network, que la valeur d'annulation de 152 des 270 actions, soit la somme de 100 320 €, fasse l'objet d'un règlement par la société Controlclick à l'expiration du délai d'opposition des créanciers sociaux et que la valeur d'annulation des 118 actions restantes soit réglée en deux échéances, la première au plus tard le 30 septembre 2010, à hauteur de la somme de 38 940 €, la seconde au plus tard le 30 septembre 2011, à hauteur de la somme de 38 940 € (article 3.1) ; en outre, il était prévu que les sommes payées suivant cet échéancier seront productives d'intérêts au taux de 5% l'an, que tous intérêts non payés à leur échéance se capitaliseront de plein droit et qu'à défaut de paiement à bonne date d'une seule échéance, elle sera immédiatement et de plein droit majorée d'un intérêt supplémentaire de 2% par mois de retard, sans que cette majoration puisse faire obstacle, si bon semble à la société Séquoia Network, à l'exigibilité anticipée des sommes dues (article 3.2).

Conformément aux dispositions de ce protocole d'accord, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Controlclick s'est réunie le 29 octobre 2009, qui a décidé, sous la condition suspensive de l'absence d'opposition des créanciers ou, en cas d'oppositions, du rejet de celles-ci par le tribunal de commerce, de réduire le capital social d'un montant de 33 480 € pour le ramener de 157 480 € à 124 000 € par voie de rachat, en vue de leur annulation, des 269 actions de catégorie A et de l'action de catégorie C de la société, appartenant à la société Séquoia Network.

Par jugement du 14 décembre 2009, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de la société Séquoia Network et désigné Mme Marillier en qualité de liquidateur.

Celle-ci a adressé à la société Controlclick deux mises en demeure successives, les 22 décembre 2009 et 18 février 2010, de s'acquitter des sommes exigibles au titre du prix de cession des actions dû à la suite du retrait de la société Séquoia Network ; la société Controlclick a réglé, le 6 mai 2010, la somme de 100 320 € correspondant à la valeur d'annulation des 152 premières actions, mais n'a pas procédé au règlement des deuxième et troisième échéances, représentant la valeur d'annulation des 118 actions restantes.

Par acte du 2 juin 2010, Mme Marillier ès qualités a fait assigner la société Controlclick devant le tribunal de commerce de Narbonne lequel, par jugement du 27 mars 2012, a notamment :

-déclaré irrecevable la demande de la société Controlclick en nullité du protocole d'accord du 16 septembre 2009 pour violation de l'article L. 225-210 du code de commerce,

-rejeté la demande de celle-ci en nullité du protocole d'accord sur le fondement de l'article 1116 du code civil,

-débouté la société Controlclick de sa demande d'exception d'inexécution concernant le même protocole,

-condamné celle-ci à payer à Mme Marillier :

' les intérêts de retard au taux de 2% par mois à compter du 8 décembre 2009 jusqu'au 6 mai 2010 sur la somme de 100 320 €,

' la somme de 38 940 € avec intérêts au taux de 5% l'an à compter du 8 décembre 2009, ainsi que les intérêts de retard de 2% par mois à compter du 30 septembre 2010,

' la somme de 38 940 € avec intérêts au taux de 5% l'an à compter du 8 décembre 2009,

-condamné la société Controlclick à payer à Mme Marillier ès qualités la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La société Controlclick a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour (conclusions reçues par le RPVA le 3 août 2012) de prononcer la nullité du protocole d'accord du 16 septembre 2009 et de condamner Mme Marillier ès qualités à lui payer la somme de 100 320 € en conséquence de la nullité ainsi prononcée, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 avril 2010 ; elle soutient à cet égard que la cession par la société Séquoia Network des actions, qu'elle détenait dans son capital social, ne pouvait avoir pour effet d'abaisser ses capitaux propres à un montant inférieur à celui du capital augmenté des réserves non distribuables, en sorte que le protocole d'accord encourt la nullité pour violation de l'article L. 225-210 du code de commerce, le montant des capitaux propres inscrit au bilan de l'exercice clos le 31 décembre 2009 ressortant, en effet, à 42 644,42 € pour un capital social de 124 000 € et des réserves non distribuables s'élevant à 2557,86 € ; elle prétend également que la société Séquoia Network a commis des manœuvres dolosives ayant vicié son consentement au sens de l'article 1116 du code civil, en gardant le silence sur son état de cessation des paiements, qui constituait pourtant un élément d'information déterminant.

Subsidiairement, elle fait valoir que la société Séquoia Network n'a pas exécuté ses propres obligations découlant du protocole, notamment celle consistant à obtenir la démission des commissaires aux comptes, qu'elle avait imposé lors de son entrée dans le capital social ; invoquant une exception d'inexécution, elle conclut donc au rejet des prétentions émises à son encontre par Mme Marillier ; plus subsidiairement encore, elle affirme que Mme Marillier ne peut réclamer le paiement d'intérêts au taux de 5% sur la somme de 100 320 € à compter du 29 octobre 2009, d'autant que la date d'exigibilité de ce versement était celle du 8 décembre 2009, date d'établissement du certificat de non-opposition par le greffe du tribunal de commerce, et que l'exigibilité des deuxième et troisième versements prévus par le protocole est celle du 23 avril 2010, soit 60 jours après la mise en demeure.

Enfin, elle réclame l'allocation de la somme de 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Formant appel incident, Mme Marillier ès qualités demande à la cour de déclarer la société Controlclick irrecevables en ses prétentions en vertu de la règle de l'Estoppel puisque après avoir demandé au tribunal de constater qu'elle avait procédé au paiement de la somme de 100 320 € dont elle était redevable, elle a, dans ses dernières conclusions devant le tribunal, contesté le principe même de ce paiement en sollicitant la nullité du protocole d'accord, adoptant ainsi une position contraire à celle initialement soutenue.

Subsidiairement, elle conclut à la confirmation du jugement et réclame, en toute hypothèse, la condamnation de la société Controlclick à lui payer la somme de 3500 € à titre d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 30 avril 2013.

MOTIFS de la DECISION :

Pour conclure à l'irrecevabilité de la demande de nullité formée par la société Controlclick, Mme Marillier, invoquant le principe d'Estoppel, soutient que la position de cette société a été modifiée de manière radicale, puisqu'aux termes de ses premières écritures devant le tribunal de commerce, elle demandait à celui-ci de constater qu'elle avait procédé au règlement de la somme de 100 320 €, dont elle était redevable, tandis que dans ses dernières conclusions devant le tribunal et la cour, elle conteste le principe même d'un quelconque paiement en sollicitant la nullité de la convention, objet du litige.

Pour autant, si la société Controlclick a d'abord conclu devant le tribunal au rejet des prétentions de Mme Marillier ès qualités en faisant seulement valoir que la somme de 100 320 € avait été réglée à celle-ci en avril 2010, elle a, par la suite, présenté une demande nouvelle, fondée sur les moyens de droit distincts, aux fins d'annulation du protocole d'accord du 16 septembre 2009, qui ne heurte pas, de façon flagrante, la position procédurale initialement adoptée ; c'est donc à juste titre que le premier juge a rejeté la fin de non recevoir soulevée par Mme Marillier.

L'article L. 225-210 du code de commerce, après avoir énoncé que la société ne peut posséder, directement ou par l'intermédiaire d'une personne agissant en son nom propre, mais pour le compte de la société, plus de 10% du total de ses propres actions, ni plus de 10% d'une catégorie déterminée, dispose que l'acquisition d'actions de la société ne peut avoir pour effet d'abaisser les capitaux propres à un montant inférieur à celui du capital augmenté des réserves non distribuables ; cette disposition n'est pas cependant applicable en l'espèce, dès lors qu'il était expressément prévu, dans le protocole d'accord du 16 septembre 2009, que l'acquisition par la société Controlclick des 270 actions détenues par la société Séquoia Network serait immédiatement suivie de leur annulation, dans le cadre d'une opération de rachat des actions et de réduction du capital social, dont le principe devait être voté par l'assemblée générale extraordinaire ; il résulte, en effet, de l'article L. 225-207, combiné avec l'article L. 227-1 applicable à la SAS, que l'assemblée générale peut décider une réduction de capital non motivée par des pertes et autoriser le président à acheter un nombre déterminé d'actions pour les annuler.

La société Controlclick fait ensuite valoir que la société Séquoia Network lui a dissimulé, lors de la signature du protocole d'accord, son état de cessation des paiements existant, selon elle, depuis le début de l'année 2009, alors que si elle en avait été informée, elle n'aurait pas accepté un prix de cession de 178 000 €, soit 660 € l'action ; elle se fonde notamment sur le rapport du commissaire aux comptes de la société Séquoia Network en date du 23 juin 2009, ajoutant qu'en application de l'article 15 des statuts, la société aurait été exclue comme associé du fait de l'ouverture d'une procédure collective et contrainte au rachat de ses titres aux conditions prévues par ce texte.

Les comptes de la société Séquoia Network, clos les 31 décembre 2007 et 31 décembre 2008, font état de pertes en fin d'exercices

(- 547 183 € - 708 977 €) et dans son rapport du 23 juin 2009, le commissaire aux comptes de la société indique que l'absence d'une confirmation formelle du soutien financier de l'actionnaire principal, évoqué dans l'annexe des comptes annuels, est de nature à remettre en cause le principe de continuité d'exploitation, tel que retenu pour l'établissement des comptes (sic).

Il s'avère cependant qu'à la date de signature du protocole d'accord, le 16 septembre 2009, la société Controlclick ne pouvait ignorer la situation, largement obérée, de la société Séquoia Network, dont les comptes de l'exercice 2008 et le rapport du commissaire aux comptes avaient été déposés, le 29 juillet 2009, soit un mois et demi auparavant, au greffe du tribunal de commerce de Paris, lieu de son siège social ; au surplus, rien ne permet d'affirmer que lors de la signature du protocole, la société Séquoia Network se trouvait effectivement en état de cessation des paiements, alors que le jugement de liquidation judiciaire a fixé provisoirement au 5 novembre 2009 la date de cessation des paiements, laquelle n'a apparemment pas été modifiée depuis, après avoir relevé que le passif exigible de la société était alors de 275 555 € pour un actif de 194 106 €, qu'elle n'avait plus d'activité depuis le 31 octobre 2009 et qu'elle ne disposait plus de soutien financier.

Non seulement la société Controlclick ne pouvait ignorer la situation financière de la société Séquoia Network, lors du rachat en vue de leur annulation des 270 actions qu'elle détenait dans son capital, mais elle n'établit pas l'existence d'un état de cessation des paiements de celle-ci et sa dissimulation, dans des conditions de nature à la tromper sur la valeur réelle des actions cédées.

C'est également à juste titre que le premier juge l'a déboutée de sa demande d'annulation du protocole tant pour violation de l'article L. 225-210 du code de commerce, qu'en raison du dol, prétendument commis, sur le fondement de l'article 1116 du code civil.

A titre subsidiaire, la société Controlclick invoque l'inexécution par la société Séquoia Network de son obligation, prévue par l'article 2.6 du protocole, d'obtenir l'accord de principe du commissaire aux comptes titulaire et du commissaire aux comptes suppléant de la société, de leur démission inconditionnelle ; en l'occurrence, même si « l'accord de principe » du cabinet Deloitte et associés, commissaires aux comptes, pour une démission avant le terme de sa mission n'a pas été obtenue, comme le prouve les factures d'honoraires de ce cabinet relativement aux exercices comptables 2009 et 2010, il n'en demeure pas moins que l'obligation faite à la société Séquoia Network, dans l'article 2.6 susvisé, ne peut être regardée comme une obligation essentielle du protocole, de nature à justifier l'inexécution par la société Controlclick de sa propre obligation de payer le prix des actions cédées.

Le premier juge a, enfin, appliqué à bon escient les dispositions des articles 3.1 et 3.2 du protocole en allouant à Mme Marillier ès qualités des intérêts de retard au taux de 2% sur la somme de 100 320 €, valeur de 152 des 270 actions annulés, du 8 décembre 2009, date d'expiration du délai d'opposition des créanciers sociaux, au 6 mai 2010, date du règlement effectué, et en condamnant la société Controlclick au paiement des deux échéances des 31 décembre 2010 et 31 décembre 2011 égales, chacune, à 38 940 €, valeur d'annulation des 118 actions restantes, assorties des intérêts au taux de 5% à compter du 8 décembre 2009, ainsi que des intérêts de retard sur la somme de 38 940 €, correspondant à la première échéance, à compter du 30 septembre 2010.

Le jugement entrepris doit, en conséquence, être confirmé dans toutes ses dispositions.

Succombant sur son appel, la société Controlclick doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à Mme Marillier ès qualités la somme de 1500 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Narbonne en date du 27 mars 2012,

Condamne la société Controlclick aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à Mme Marillier, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Séquoia Network, la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.