CA Grenoble, 1re ch. civ., 6 juin 2011, n° 09/01120
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Landoz
Conseillers :
Mme Kueny, Mme Klajnberg
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur C. gynécologue obstétricien a eu des difficultés financières à la suite d'investissements immobiliers hasardeux et a souscrit le 14 octobre 1988 auprès de la BRA un emprunt de un million de Francs remboursable en sept ans, son épouse commune en biens n'ayant pas concouru à l'acte.
Cet emprunt était garanti par une hypothèque sur un immeuble situé [...] et par le nantissement de 4426 actions détenues dans le capital de la Clinique de Montplaisir à Lyon.
Monsieur C. n'a pas honoré les échéances de ce prêt et par jugement du 11 décembre 1997 confirmé par un arrêt du 16 novembre 2000 le Tribunal de Grande Instance de Lyon l'a condamné à payer à la BRA la somme de 494.365,27 F outre intérêts au taux de 8 % à compter du 14 septembre 1994 et a ordonné une mesure d'expertise confiée à Monsieur B. afin d'évaluer les titres nantis au profit de la BRA lors de la souscription du prêt.
L'expert a déposé son rapport le 27 juillet 1999 évaluant les titres à 1.796.953 F ou 273.944 euros pour 4426 actions et a constaté qu'ils avaient été cédés à des tiers par Monsieur C. au cours de l'année 1994.
La BRA a soutenu, après reprise de l'instance, que Monsieur C. avait commis une faute à son égard en cédant les titres nantis sans son accord et par jugement du 21 décembre 2000, le Tribunal de Grande Instance de Lyon a retenu la responsabilité délictuelle de Monsieur C. et l'a condamné à payer à la BRA la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts.
La Cour d'appel de Lyon a confirmé cette décision par arrêt du 30 janvier 2003.
La BRA a poursuivi le règlement de cette condamnation sur les biens communs et Madame C. estimant que la SA Cabinet Jacques B., avocat, qui effectuait pour le compte de la clinique Montplaisir une mission de séquestre des titres détenus par Monsieur C. avait commis une faute en oubliant de les inscrire en nantissement , ce qui a permis leur revente à un tiers sans que la BRA en soit informée, a fait assigner ce cabinet d'avocat en responsabilité et indemnisation de son préjudice, résultant de la poursuite sur les biens communs.
Par jugement du 04 décembre 2008, le Tribunal de Grande Instance de Bourgoin Jallieu a débouté Madame Hélène C. de ses demandes et l'a condamnée à payer 2.000 euros à la SA Cabinet Jacques B. en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Hélène C. a relevé appel de ce jugement le 02 mars 2009 demandant à la Cour :
' de l'infirmer,
' de condamner la SA Cabinet Jacques B. à lui payer 76.224,51 euros outre intérêts au taux légal à compter du jugement du 21 décembre 2000 ainsi que les frais et accessoires réclamés par la BRA en réparation de son préjudice,
' de la condamner à lui payer 136.972 euros au titre de la perte de sa part indivise des actions de la société clinique de Montplaisir outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
' et de la condamner à lui payer 10.000 euros en réparation de son préjudice moral et 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose :
' que la société clinique de Montplaisir assurait juridiquement la tenue de ses propres comptes de titres,
' que cette tâche était toutefois déléguée au Cabinet Jacques B.,
' qu'il appartient au teneur de la comptabilité d'une SA de faire mention dans la comptabilité titres (tant dans le registre de mouvements que dans les fiches individuelles d'actionnaires) des restrictions pouvant affecter la disponibilité des titres,
' que le cabinet Jacques B. a omis d'inscrire le nantissement dans le registre de comptabilité titres de la société,
' que l'acte de cession d' actions du 18 mai 1994 au profit du docteur D. a été rédigé par le cabinet Jacques B. et que l'exécution de cette convention a été réalisée par la cession de 3320 actions de la société clinique de Montplaisir au profit de Monsieur D. suivant un ordre de mouvement du 08 juillet 1994 qui indique que les titres en question ne sont affectés par aucune restriction de disponibilité.
Elle souligne :
' que l'expert B. a précisé que l'omission du nantissement des titres au profit de la BRA n'a pu être découverte puisque sur le compte actions , aucune restriction de disponibilité n'avait été mentionnée alors que ce compte avait été ouvert au moment du nantissement en 1988 et qu'il y avait eu erreur quant au suivi juridique.
Elle précise :
' que les fautes du cabinet Jacques B. sont de ne pas avoir inscrit le gage sur le registre des mouvements de la clinique de Montplaisir alors qu'il en connaissait l'existence, de ne pas avoir mentionné ce nantissement sur l'acte de cession au profit du docteur D. en sa qualité de teneur de la comptabilité titres de la clinique et relève que l'attestation de virement en compte qu'il avait adressée au Crédit du Nord le 29 novembre 1988 portait la mention de ce nantissement et que l'absence de réponse aux interrogations de l'expert est également fautive.
La société cabinet Jacques B. sollicite la confirmation du jugement et l'allocation d'une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose :
' que Madame C. ne démontre pas que la société clinique de Montplaisir lui avait confié le soin de conserver et de mettre à jour le registre des mouvements de titres en fonction des opérations effectuées par les actionnaires,
' que la preuve de l'existence d'un tel mandat spécifique fait défaut,
' que les éléments que l'appelante tire de certains documents ne sont pas probants,
' que la mention dans le contrat de prêt du 14 octobre 1988 qu'elle serait 'tiers dépositaire des actions ' n'est d'aucun interêt étant précisé qu'elle n'était pas partie à cet acte,
' que la transmission qu'elle a faite le 11 octobre 1988 à Monsieur C. d'un relevé de son acompte actions n'apporte pas la preuve recherchée, de même que l'attestation de virement à compte spécial des actions nanties, cette attestation n'étant que la conséquence de la notification par la banque à la société clinique de Montplaisir du nantissement constitué à son profit.
Elle précise :
' qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir relaté l'existence d'un nantissement qui n'était pas révélé par le registre des mouvements de titres.
Elle soutient enfin :
' que le préjudice allégué résulte des fraudes de Marc C. qui a déclaré faussement être marié sous un régime de séparation des biens et que tant que la communauté n'est pas dissoute, le préjudice n'existe pas, Madame C. n'ayant pas vocation à recevoir à titre personnel la moitié du prix, le bénéficiaire étant la communauté et elle seule.
MOTIFS ET DÉCISION
Aucun élément ne démontre que la société cabinet B. était mandatée par la société clinique de Montplaisir de la tenue et de la mise à jour du registre des mouvements de titres et qu'elle serait responsable de l'absence de mention du nantissement des actions du docteur C. au profit de la BRA.
Cependant, il est établi que la société cabinet B. savait que les actions du docteur C. étaient nanties dès lors que dans le courrier qu'elle a adressé au Crédit du Nord le 29 novembre 1988 il est mentionné 'Aff docteur C. - Nantissement d' actions clinique Montplaisir'.
Le cabinet B. a écrit le 18 mai 1994 à la clinique de Montplaisir pour l'informer du projet de vente de ses actions par le docteur C., afin que cette question soit portée à l'ordre du jour du conseil d'administration et il n'est pas contesté qu'il a rédigé la promesse de cession d' actions du 18 mai 1994 au profit du docteur D. et l'acte de cession du 08 juillet 1994.
Le cabinet B. a en conséquence commis une faute en omettant de signaler l'indisponibilité des actions , alors qu'il savait qu'elles étaient nanties.
Ces actions qui appartenaient à la communauté existant entre les époux Marc C. - Hélène A. épouse C. avaient été affectées par Marc C. au règlement d'une dette personnelle, à savoir un emprunt souscrit pendant la communauté sans l'accord de son épouse, de façon frauduleuse à l'aide d'un mensonge sur leur régime matrimonial.
Marc C. a en effet déclaré être marié sous le régime de la séparation des biens de sorte que l'accord de son épouse n'a pas été requis par la banque.
Le jugement du 21 décembre 2000 confirmé par un arrêt du 30 janvier 2003 a condamné Marc C. à payer à la BRA la somme de 500.000 F à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier et cette condamnation est également pour lui une dette personnelle.
Si aux termes de l'article 1413 du Code civil'le paiement des dettes dont chaque époux est tenu pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs...' c'est à charge de récompense.
En effet, l'article 1412 précise 'Récompense est due à la communauté qui a acquitté la dette personnelle d'un époux'.
La communauté C. / A. n'est pas dissoute et la vente d' actions dépendant de cette communauté est présumée lui avoir profité, aucune preuve de l'utilisation des fonds n'étant d'ailleurs versée aux débats.
Madame C. prétend avoir perdu sa part indivise des actions cédées ce qui est inexact, une indivision ne pouvant naître qu'après dissolution de la communauté.
La faute du cabinet Jacques B. n'a eu aucune incidence sur le prétendu appauvrissement de la communauté, laquelle était tenue soit en vertu du nantissement , soit à défaut d'inscription du nantissement en vertu de la condamnation prononcée par le jugement du 11 décembre 1997 et l'arrêt du 16 novembre 2000.
Par ailleurs, la condamnation prononcée par un jugement du 21 décembre 2000 confirmé par un arrêt du 30 janvier 2003 n'est pas due au comportement fautif du cabinet B. mais à la déclaration mensongère de Marc C. dans l'acte de prêt.
Le préjudice allégué par Madame C. n'est pas établi, étant précisé qu'il lui appartiendra de faire établir les récompenses dues à la communauté par Marc C. en cas de dissolution de celle-ci.
Il ne sera pas fait application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré,
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Hélène C. aux dépens.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau code de procédure civile.