CA Agen, ch. civ. sect. com., 8 décembre 2021, n° 20/00469
AGEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
DISTRIBUTION CASINO FRANCE (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. GATÉ
Conseillers :
Mme BENON, M. FAURE
Avocat :
SELARL ACTION JURIS
Jean-Louis, Christiane et Marie-France S. sont propriétaires indivis d'un bien immobilier à usage d'habitation et de commerce situé [...].
Par bail conclu le 22 décembre 1922, ce bien immobilier avait été donné à bail à la société la Ruche Méridionale, aux droits et obligations de laquelle se trouve aujourd'hui la SAS DISTRIBUTION CASINO FRANCE (ci-après CASINO).
Ce bail a été régulièrement renouvelé, le dernier renouvellement est intervenu le 1er avril 2003 moyennant un loyer annuel de 8 500 euros, porté à compter du 1er avril 2009 à 11 135 euros par l'effet d'une révision triennale légale.
Le bail est venu à expiration le 31 mars 2012 et s'est poursuivi par tacite reconduction depuis cette date.
Par acte extrajudiciaire du 28 janvier 2015 les consorts S. ont donné congé à la locataire pour le 1er octobre 2015, avec offre de renouvellement moyennant un loyer annuel de 25 200 euros, les autres clauses et conditions du bail précédent étant maintenues.
Le 1er décembre 2016 les consorts S. ont signifié à Casino un mémoire préalable aux fins de fixation du loyer de renouvellement à la somme annuelle de 21 200 euros hors taxes.
Les parties ne s'étant pas accordées sur le prix du bail renouvelé les consorts S. ont saisi le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance d'Auch pour voir fixer le loyer annuel à 21 200 euros et subsidiairement voir ordonner une mesure d'instruction.
Par jugement du 7 août 2018 le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise confiée à Monsieur V., en maintenant le loyer au montant actuel jusqu'à l'issue de la procédure.
Monsieur V. a déposé son rapport d'expertise le 24 décembre 2018 en proposant de fixer la valeur locative globale en renouvellement au 1er octobre 2015 à la somme de 21 330 euros, se décomposant comme suit : 14 200 euros pour les locaux commerciaux, 3600 euros pour les locaux à usage d'habitation et 3530 euros au titre du transfert de la taxe foncière à la charge du preneur.
Par jugement en date du 17 septembre 2019, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties et des motifs énoncés par le premier juge, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance d'Auch a :
' constaté le renouvellement du bail liant les parties à compter du 1er octobre 2015, aux clauses et conditions du bail renouvelé, sauf en ce qui concerne le prix ;
' fixé le prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 14 287 euros, outre les charges et taxes prévues au bail, notamment la taxe foncière
' dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné in solidum les consorts S. au paiement des dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.
Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 16 juillet 2020, les consorts S. ont relevé appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement, énumérées dans la déclaration d'appel.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 17 juillet 2021.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
I. Moyens et prétentions des consorts S., appelants principaux
Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la Cour le 25 mars 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions des appelants, les consorts S. concluent à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf celle constatant le renouvellement du bail liant les parties à compter du 1er octobre 2015 aux clauses et conditions du bail renouvelé, et demandent à la Cour :
1°) de fixer le prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 17 800 euros, outre les charges et taxes prévues au bail notamment la taxe foncière, en faisant valoir :
' que l'expert judiciaire a fixé la valeur locative à 14 200 euros pour le loyer de la boutique, soit 125 euros au mètre carré majoré de 5 % pour la clause tous commerces, et à 3 600 euros au titre du loyer de l'appartement ;
' que les éléments de référence fournis par CASINO ne sont pas pertinents ainsi que l'a justement relevé le premier juge ;
' que c'est vainement que CASINO soutient qu'il existerait un déséquilibre financier à son détriment en raison de l'obligation de supporter le coût des grosses réparations relevant de l'article 606 du Code civil, dès lors qu' il n'a jamais pris en charge de tels travaux, les seuls travaux réalisées au cours de cette période sur la toiture ayant été pris en charge par la mère des concluants ;
' que pour la période postérieure à octobre 2014 les grosses réparations de l'article 606 du Code civil ne peuvent plus être transférées au preneur et que dès lors il n'y a pas lieu à une quelconque minoration sur la valeur locative des locaux à ce titre ;
2°) de condamner CASINO à leur verser une indemnité de procédure de 3000 euros et de mettre les dépens, dont notamment les frais d'expertise à la charge de la société CASINO dès lors que c'est l'absence de réponse de celle-ci à l'offre de renouvellement qu'ils lui avaient notifié qui a rendu nécessaire la présente procédure.
II. Moyens et prétentions de la société Distribution Casino France, intimée sur appel principal et appelante incidente
Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la cour le 6 janvier 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'intimée, la société Distribution Casino France conclut :
1°) à la confirmation des dispositions du jugement entrepris constatant le renouvellement du bail le 1er octobre 2015 aux clauses et conditions du bail renouvelé
2°) à l'infirmation des dispositions du jugement relatives à la fixation du prix du bail renouvelé et à la fixation de celui-ci à la somme de 13 572,65 euros à compter du 1er octobre 2015 en faisant valoir :
- que s'agissant d'un bail commercial de plus de douze ans la variation de l'indice n'est pas plafonnée ;
- que la pondération de la surface du local opérée par l'expert judiciaire pour aboutir à une surface pondérée de 183,30 m² de la majoration de la valeur locative de 5% en raison de l'existence d'une clause "tous commerces "sont justifiées ;
-que le transfert au preneur d'obligations incombant normalement au bailleur sans aucune contrepartie constitue une clause exorbitante du droit commun justifiant une diminution de la valeur locative ;
- qu'en l'espèce le transfert des gros travaux de l'article 606 du code civil au preneur, constitue une clause exorbitante du droit commun justifiant un abattement de la valeur locative, peu important que du fait des dispositions d'ordre public de la loi PINEL, cette clause du bail ne puisse plus recevoir application à partir du 1er octobre 2014, l'abattement ayant seulement pour objet de rétablir le déséquilibre engendré dans les 12 ans passés par l'existence de cette clause ;
- que la clause du bail prévoyant que le preneur devra supporter sans aucune indemnité les grosses réparations quelle que soit leur durée, constitue également une clause exorbitante du droit commun, qui prévoit selon l'article 1724 du code civil que le bailleur est tenu d'indemniser le préjudice subi par le preneur lorsque la durée des travaux excèdent 21 jours ;
- que ces deux clauses justifient un abattement de 5 % de la valeur locative ;
- que la clause du bail transférant au preneur la taxe foncière, dont le payement incombe légalement au preneur constitue, elle aussi, une clause exorbitante du droit commun,
- qu'elle justifie la déduction du montant de la taxe foncière (3977 euros en 2015)de la valeur locative, peu important que la plupart des baux des locaux commerciaux avoisinants comportent eux aussi une telle clause de refacturation de la taxe foncière au preneur ;
3°) à la condamnation des consorts S. aux entiers dépens d'instance et d'appel, y compris les frais d'expertise, et à lui verser une indemnité de procédure de 5 000 euros.
MOTIFS
A titre liminaire il convient de relever que la disposition par laquelle le premier juge a constaté le renouvellement du bail liant les parties à compter du 1er octobre 2015 aux clauses et conditions du bail renouvelé, sauf en ce qui concerne le prix ne fait l'objet ni d'un appel principal, ni d'un appel incident. Il n'y a donc pas lieu de la confirmer mais de constater qu'elle est définitive faute d'avoir été frappée d'un recours et que la Cour n'est saisie que du litige relatif à la fixation du prix du bail renouvelé.
I. SUR LA FIXATION DE LA VALEUR LOCATIVE
Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative ; à défaut d'accord cette valeur est déterminée d'après les caractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties, les facteurs locaux de commercialité, les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Selon l'article R. 145-6 du même code, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
L'article R 145-8 du dit code dispose enfin que les restrictions à la jouissance des lieux et des obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative et qu'il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages.
En l'espèce, il convient à titre liminaire de rappeler, d'une part, que le prix du bail à renouveler s'apprécie à la date du renouvellement et que le bail litigieux étant d'une durée supérieure à 12 ans, la variation du loyer n'est pas plafonnée, d'autre part, que le montant du loyer proposé par l'expert judiciaire pour les locaux à usage d'habitation, soit 3 600 euros, n'est remis en cause ni par les bailleurs, ni par le preneur.
De même les parties s'accordent pour accepter la surface pondérée des locaux à usage commercial, arrêtée à 108, 20 m² par l'expert judiciaire.
C'est ensuite par des motifs pertinents, que la Cour s'approprie, que le premier juge :
- a retenu un prix unitaire de base au m² de 120 euros, aboutissant à un loyer de 12 960 euros,
- a relevé que les parties étaient d'accord pour appliquer à ce loyer une majoration de 5% en raison de la présence dans le contrat d'une clause tout commerce ;
- a retenu que la clause du bail mettant, sans contrepartie, à la charge du preneur la taxe foncière constitue, en application de l'article R 145-8 précité, une clause exorbitante du droit commun et donc un facteur de diminution de la valeur locative, pour un montant égal à la taxe foncière dont le locataire reste in fine tenu.
Par contre c'est à tort qu'il a énoncé que la clause mettant à sa charge les grosses réparations constituait une clause exorbitante justifiant, elle aussi, une diminution de la valeur locative dès lors qu'en vertu des dispositions d'ordre public de la loi PINEL du 18 juin 2014 interdisant une telle clause, celle -ci n'est pas susceptible d'une quelconque application.
C'est vainement que CASINO soutient qu'il y aurait lieu d'opérer néanmoins une telle diminution pour compenser le déséquilibre provoqué par l'existence de cette clause durant le bail expiré. En effet, CASINO n'a en réalité subi aucun préjudice durant cette période puisque cette clause n'a jamais été mise en oeuvre et que le nouveau loyer n'est pas fixé par référence au précédent mais en fonction de la valeur locative.
Seule la clause du contrat de bail obligeant le bailleur à supporter les travaux urgents dans les locaux loués sans aucune contrepartie, même s'ils excèdent 40 jours constitue une clause exorbitante du droit commun justifiant en application de l'article R 145-8 du code de commerce une diminution de la valeur locative . Compte tenu de la nature de cette clause cette diminution sera évaluée à 2 % de la valeur locative.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, le loyer doit être chiffré à [12 960 + 5% de 12960 - 2% de 12960 - 3530 +3600 = ] 13 418,80 euros.
La Cour ne pouvant statuer infra petita et CASINO demandant seulement que le prix du bail renouvelé soit fixé à 13 572,65 euros à compter du 1er octobre 2015, le jugement entrepris sera réformé en ce sens.
II. SUR LES FRAIS NON- RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
La procédure de fixation du bail renouvelé a été rendue nécessaire par le silence observé par CASINO à réception du congé avec offre de renouvellement sur le montant du loyer, mais le loyer proposé par les consorts S. excédait largement la valeur locative du bien loué. Dès lors il y a lieu de partager par moitié les frais et dépens de première instance, y compris les frais d'expertise.
Par contre la succombance des consorts S. est dominante à hauteur d'appel, de sorte que les dépens d'appel seront laissés à leur charge.
L'équité justifie la condamnation des consorts S. à payer à CASINO une indemnité de procédure de 2000 euros, par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de l'appel, contradictoirement, par arrêt rendu par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort
INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions frappées d'appel
statuant à nouveau de ces chefs ;
FIXE le prix du bail renouvelé à compter du 1er octobre 2015 à la somme de 13 572,65 euros, outre taxes et charges prévues au bail ;
CONDAMNE les consorts Jean-Louis, Christiane et Marie-France S. , d'une part, la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE, d'autre part , à supporter chacun par moitié les frais et dépens de première instance, y compris les frais d'expertise judiciaire ;
CONDAMNE les consorts Jean-Louis, Christiane et Marie-France S. à payer à la société DISTRIBUTION CASINO FRANCE une indemnité de procédure de 2 000 euros ;
CONDAMNE les consorts Jean-Louis, Christiane et Marie-France S. aux entiers dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente de chambre, et par Nathalie CAILHETON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.