Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 31 mai 2011, n° 10/16540

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Asterop (SA), Alto Invest (Sté), Jet Innovation I (Sté), Jet Innovation II (Sté), Trinova (Sté)

Défendeur :

Air Liquide Ventures, Selafa MJA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maestracci

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

T. com. Paris, du 5 août 2010, n°2009002…

5 août 2010

Vu le jugement rendu le 5/8/2010 par le tribunal de commerce de Paris qui a rejeté l'exception de sursis à statuer, condamné, en ordonnant l'exécution provisoire, solidairement, la société Asterop, Messieurs Joseph C., André M., Renaud F. de V., les sociétés Jet Innovation-I et Jet Innovation II, Air Liquides Venture et Trinova, à verser à Monsieur Christophe G., la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts pour révocation abusive de son mandat d'administrateur et, par voie de conséquence, de son mandat de Président Directeur Général ainsi que celle de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les appels interjetés, le 6/8/2010, par la société Asterop et, le 17/8/2010, par les sociétés Trinova, Alto Invest, Jet Innovation I et Jet Innovation II, Messieurs André M., Joseph C., Renaud F. de V., à l'encontre de ce jugement et l'ordonnance de jonction rendue le 7/9/2010 par le magistrat de la mise en état ;

Vu les conclusions signifiées le 21/3/2011 par la société Asterop et par Maître Michel C., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Asterop, en sauvegarde, qui demandent à la cour, de dire et juger, vu l'article L 622-21I du code de commerce, que Monsieur G. ne peut solliciter de condamnation à paiement à l'égard de la société, mais uniquement, le cas échéant, la fixation de sa créance au passif, dans tous les cas, d'infirmer le jugement déféré et de condamner Monsieur G. à payer à la société la somme de 12.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 4/1/2011 par la Selafa MJA, en la personne de Maître Frédérique L., prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Asterop en sauvegarde, qui demande à la cour de dire et juger que le jugement dont appel est non avenu et inopposable à la procédure collective, en tout état de cause, d'infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Asterop à payer des dommages-intérêts à Monsieur G., au titre de sa révocation ;

Vu les conclusions signifiées le 15/3/2011 par les sociétés Trinova, Alto Invest, Jet Innovation I et Jet Innovation II, ainsi que par Messieurs André M. et Joseph C., qui demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré, d'ordonner à Monsieur G. de restituer la somme de 100.000 € indûment perçue et de le condamner à leur payer, chacun, la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 's'ajoutant aux sommes déjà ordonnées à ce titre par le jugement entrepris' ;

Vu les conclusions signifiées le 9/12/2010 par Monsieur Renaud F. de V. qui demande à la cour de dire et juger Monsieur G. irrecevable en ses demandes dirigées contre lui, d'infirmer le jugement déféré, de le mettre hors de cause et de condamner Monsieur G. à lui payer 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 24/1/2011 par Monsieur Christophe G., qui demande à la cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il lui a simplement alloué la somme de 100.000 € de dommages-intérêts, statuant à nouveau, de condamner les appelants à lui payer la somme de 200.000 € en réparation de l'atteinte à son image, à sa réputation et à son honneur et de son préjudice moral, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux ou revues spécialisées de son choix et aux frais des appelants, de condamner ces derniers au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

SUR CE

Considérant que la société Asterop est une société anonyme à conseil d'administration qui a été créée, en février 1999, à l'initiative de Messieurs Christophe G., Gérard D. et Luc C., pour exercer une activité de création, édition, commercialisation de systèmes d'informations et d'analyses et de tous services associés ; qu'elle est spécialisée dans les systèmes d'information dédiés aux problématiques de marketing stratégique de points de vente ; qu'à sa constitution, Monsieur Christophe G. a été nommé Président Directeur Général, Messieurs Luc C. et Gérard D. exerçant, respectivement, les fonctions de directeur de la technologie et de directeur commercial ; qu'entre 1999 et 2001, la société a ouvert son capital à des investisseurs financiers, Trinova d'abord, puis Air Liquides Ventures et Turenne Associés, enfin Accenture Technology Ventures ; qu'ainsi, elle a levé des fonds pour près de 12.450.000 € ; qu'à ces occasions, et compte tenu des perspectives de chiffre d'affaires considérable attendu (plus de 200 millions de dollars annoncés à court terme) et de l'objectif de cotation en bourse de la société, deux pactes d'actionnaires ont été successivement souscrits, et, notamment, le dernier, le 9/4/2001 ; qu'au cours de l'assemblée générale du 30/6/2008, ayant pour objet l'approbation des comptes 2007 de la société et la nomination éventuelle d'un nouvel administrateur en remplacement des deux ayant démissionné, le représentant de la société Trinova, Monsieur André M., a proposé, sans que ce point figure à l'ordre du jour, que soit mise aux votes la révocation de Monsieur Christophe G. de son mandat social d'administrateur de la société ; que cette résolution a été adoptée ; que Monsieur G. a ainsi été révoqué ; que le 1/7/2008, le conseil d'administration a pris acte de la révocation du mandat d'administrateur de Monsieur G., a constaté qu'en conséquence de la révocation de son mandat d'administrateur de la société, Monsieur G. était réputé démissionnaire de ses fonctions de président de conseil d'administration, et, à l'unanimité, a mis fin également à son mandat de directeur général ; que Monsieur Gérard D. a été nommé, à l'unanimité, en qualité de président du conseil d'administration chargé d'assumer la direction générale de la société ;

Considérant que Monsieur G. a assigné la société Asterop et ses actionnaires devant le tribunal de commerce de Paris, le 30/12/2008, pour demander leur condamnation à des dommages-intérêts pour révocation qualifiée d'abusive ; que par jugement en date du 23/6/2010, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Asterop, désigné Maître Michel C. en qualité d'administrateur judiciaire et la Selafa MJA, prise en la personne de Maître Frédéric L., en qualité de mandataire judiciaire ; que Monsieur G. a déclaré une créance de 215.000 €, le 26/7/2010, au passif de la procédure collective ; que le 5/8/2010, le tribunal de commerce de Paris a rendu la décision déférée, dont les dispositions essentielles ont été ci-dessus rappelées ;

Considérant que selon les articles L 622-1, L 622-22 et R622-20 du code de commerce, l'instance en cours est interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; qu'elle est reprise par la justification de la déclaration de créance dans le cadre de l'instance en cours et la mise en cause du mandataire judiciaire ; qu'elle ne tend alors qu'à la constatation de la créance et à la fixation de son montant, à l'exclusion de la condamnation du débiteur ; qu'aux termes de l'article 372 du code de procédure civile, les actes accomplis et les jugements même passés en force de chose jugée, obtenus après l'interruption de l'instance, sont réputés non avenus, à moins qu'ils ne soient expressément ou tacitement confirmés par la partie au profit de laquelle l'interruption est prévue ;

Considérant que l'instance engagée par Monsieur G. à l'encontre de la société Asterop et de ses actionnaires est incontestablement une instance en cours au sens des textes précités ; qu'aucune des diligences prescrites par ceux-ci n'a été accomplie ; que le tribunal, qui avait clos les débats le 3/5/2010 et avait mis l'affaire en délibéré, a été tenu dans l'ignorance de l'ouverture de la procédure collective ; qu'ainsi que s'en prévalent la société et ses mandataires judiciaires, la décision qu'il a rendue est, dès lors, réputée non avenue à leur égard ;

Considérant que Monsieur G. explique que la question de la révocation n'avait pas été mise à l'ordre du jour et n'avait fait l'objet d'aucune concertation préalable ; qu'il n'en était pas informé ; qu'il expose qu'il a été totalement surpris d'entendre les actionnaires, devant statuer sur le quitus, proposer un vote séparé pour chaque administrateur, stupéfait de constater qu'il était le seul à ne pas obtenir ce quitus, abasourdi de voir mettre au vote sa révocation ; qu'il prétend que la brutalité de cette révocation, qui à l'évidence était préméditée, l'absence de motifs et de griefs, l'ont empêché de présenter des observations ; qu'il ajoute que l'attitude des actionnaires, qui lui ont refusé le quitus sans explication et de façon déloyale, a été délibérément vexatoire ; qu'il décrit le traitement particulièrement inhumain qu'il a subi après sa révocation, puisqu'il a dû remettre, sur le champ, les clés de l'entreprise, son ordinateur personnel, quitter immédiatement les lieux, escorté par le directeur général, sans emporter le moindre effet personnel, ni saluer ses collaborateurs, ; qu'il déclare qu'après ce 'calvaire ....les nouveaux dirigeants d'Asterop (lui ont imposé) une nouvelle épreuve, celle de la communication publique relative à sa révocation qui va porter un coup terrible à son image et ruiner sa réputation lui causant ainsi un préjudice considérable'; qu'il évoque, là, le communiqué annonçant la révocation et les articles de presse qui l'ont suivi ; qu'il soutient qu'il est bien fondé, non seulement, à diriger ses demandes contre la société, mais aussi à rechercher la responsabilité personnelle de chacun des actionnaires qui ont voté sa révocation pour réclamer leur condamnation solidaire avec la société Asterop ; qu'il expose que les fonds d'investissement, Monsieur Joseph C., Monsieur André M. ainsi que Monsieur Renaud F. de V. ont agi dans l'intention de lui nuire, d'une part, par leur attitude au cours de l'assemblée, et, plus encore, par leur décision de violer les dispositions du pacte d'actionnaires dont ils étaient tous signataires ; qu'il précise, à cet égard, que la décision de révocation est contraire à l'article 11 de cet acte qui prévoyait que toutes les décisions stratégiques, dont la nomination et, par parallélisme des formes, la révocation, des 'personnes clés', dont il faisait partie, s'opérerait à la majorité des 8/10èmes des administrateurs composant le conseil d'administration et qu'en optant pour sa révocation en assemblée générale de son poste d'administrateur, sans avoir soumis auparavant cette question au conseil d'administration, en respectant les règles de majorité qualifiée prévues pour les 'personnes clefs', les investisseurs financiers ont délibérément contrevenu aux dispositions du pacte relatives à la nomination et à la révocation des dirigeants, ce qui est constitutif d'une faute engageant leur responsabilité personnelle, cette faute étant détachable de leur fonction d'administrateur et de leur qualité d'actionnaire ;

Considérant qu'aux termes des articles L 225-18 du code de commerce, les administrateurs peuvent être révoqués à tout moment par l'assemblée générale ordinaire, que leur nomination résulte des statuts ou d'une assemblée ; que selon l'article L 225-105 alinéa 3 du même code, l'assemblée peut révoquer un ou plusieurs administrateurs en toutes circonstances et procéder à leur remplacement sans que la question de révocation et de remplacement soit inscrite à l'ordre du jour ; que selon l'article L 225-47 alinéa 3 du même code, le conseil d'administration peut révoquer le président à tout moment ; que le droit de révocation ad nutum a pour seule limite le cas où la révocation est abusive, c'est à dire lorsqu'elle intervient dans des circonstances révélant une faute ouvrant droit à la réparation du préjudice conformément au droit commun de l'article 1382 du code civil ; que les motifs n'ont pas à être énoncés par l'assemblée générale qui la prononce ; que seuls peuvent être incriminés la violation des principes du contradictoire et des droits de la défense, le caractère vexatoire et injurieux, l'atteinte à la réputation de la personne révoquée ;

Considérant que la lecture du procès-verbal des délibérations de l'assemblée générale ordinaire du 30/6/2008 démontre que le président, Monsieur G., a commencé par présenter le bilan de l'activité de 2007 et les perspectives de l'année 2008 ; que des questions lui ont été posées sur la composition de l'accroissement du compte de la société mère sur sa filiale US et sur le niveau de la trésorerie, sur la situation à la fin du premier semestre 2008, sur l'existence de signes éventuels de tassement de l'activité ; que la première résolution portant sur l'approbation du bilan, du compte de résultat et de l'annexe pour l'exercice social clos le 31/12/2007, l'affectation du résultat, a été adoptée à l'unanimité ; que la deuxième résolution portant sur le quitus donné aux administrateurs a fait l'objet d'un vote séparé, à la demande de Messieurs Joseph C. et André M. ; que tous les administrateurs ont obtenu le quitus, à l'exception de Monsieur G., et ce avec un vote contre de 57.276 voix , 75 abstentions ( Monsieur Renaud F. de V. ) et 41236 votes pour ; qu'interrogés, les actionnaires ont revendiqué n'avoir aucune raison à fournir pour expliquer leur vote ; qu'une suspension de séance de 10 minutes a été autorisée ; qu'à 20 heures la séance a repris pour l'examen de la troisième résolution relative à l'approbation des conventions visées aux articles L 225-38 et L 225-42 du code de commerce ; que celle-ci a été adoptée à l'unanimité ; que la cinquième résolution a abouti au rejet de la nomination en qualité d'administrateur de Monsieur Olivier A. ; que la raison suivante a été donnée de ce refus : 'nonobstant (ses) qualités, le conseil ne refléterait pas au mieux la composition de son actionnariat dans le cas de sa nomination' ; que le procès-verbal est ensuite ainsi rédigé : ' Monsieur André M. , représentant Trinova, propose de mettre aux votes une nouvelle résolution relative à la révocation de Christophe G. en tant qu'administrateur. Monsieur P. propose au Président de s'exprimer avant que cette résolution ne soit mise au vote. Le Président répond qu'il s'interroge sur les raisons qui motivent cette demande de révocation, il demande également à Messieurs M. et P. s'ils entendent s'associer à ce vote. Monsieur P. répond qu'il n'entend pas répondre à cette question et que tous les actionnaires s'exprimeront lors du vote. Le Président renouvelle sa question et obtenant les mêmes réponses demande une nouvelle interruption de séance qui est accordée par le bureau pour une heure. A 20h 48 la séance est reprise. Le Président explique aux actionnaires qu'il souhaite une nouvelle interruption de séance car il souhaite s'entretenir avec certaines personnes, compte tenu des circonstances. A la demande des actionnaires, le Président propose une reprise à 21h50. La séance reprend à 22 heures et le Président demande une quatrième interruption de séance, en indiquant que, compte tenu des circonstances, il entend lui-même et à la demande des actionnaires qu'il représente rédiger une déclaration importante aux actionnaires avant que ne soit mise aux votes la résolution proposée par M. M. ... La séance reprend à 23 heures. Le Président, comme il l'avait annoncé, lit une déclaration écrite qu'il remet à chacun des actionnaires et qu'il demande à voir annexée au PV de l'assemblée générale. Le Président donne alors la parole à Olivier A. qui exprime son inquiétude quant à l'avenir de la société, en son nom, et en celui du comité de direction de l'entreprise, dans le cas où Monsieur G. serait révoqué. Le Président reprend à nouveau la parole pour indiquer, en tant qu'actionnaire et au nom de tous les actionnaires qu'il représente, qu'il considère cette demande de révocation contraire aux stipulations du pacte d'actionnaires qui lie les actionnaires financiers. Il indique que, si elle venait à être votée, cette révocation serait parfaitement contraire aux intérêts de l'entreprise, notamment dans le contexte difficile qu'elle traverse dans cette période. Il invite les actionnaires, avant leur vote, à prendre connaissance à nouveau de sa déclaration qu'il a remise à chacun d'eux. Le Président, en tant qu'actionnaire, tout en rappelant qu'il considère cette demande de révocation comme une prise de contrôle de fait de l'entreprise par les investisseurs, demande à Messieurs M., P., C. et M., de faire connaître clairement leurs intentions quant aux mesures qu'ils entendent prendre pour assurer la gestion de la société à très court terme, dès lors que le Président cesserait d'exercer ses fonctions le jour même de sa révocation. Il rappelle qu'il s'agit là, selon lui, d'une exigence de clarté et de transparence pour permettre à tous les actionnaires, en particulier les minoritaires, de se déterminer sur la révocation du Président. Monsieur M. répond qu'il appartiendra au prochain conseil de proposer une stratégie pour l'entreprise. Le Président s'étonne de l'absence de réponse des investisseurs financiers et réitère ses vives inquiétudes quant aux conséquences de cette éventuelle résolution comme dans l'impréparation des mesures visant à assurer la continuité dans la direction de l'entreprise... Le Président met alors aux votes la résolution proposée par Monsieur M.... la résolution est adoptée. Le Président explique que, compte tenu des circonstances, il exige que sa déclaration soit annexée au PV de l'AG' ; que cette demande a été satisfaite ;

Considérant que l' absence d'inscription de la révocation à l'ordre du jour ne suffit pas à rendre cette mesure brutale et clandestine, de nature à entraîner l'octroi de dommages-intérêts ; que force est de constater que le document ci-dessus visé ne contient aucun passage injurieux ou vexatoire envers Monsieur G. ; qu'il ne fait état d'aucun propos malveillant ou blessant ; qu'il atteste que ce sont produites de nombreuses suspensions de séances, dont la durée totale dépasse 3 heures, à la demande de Monsieur G., qui était le président de séance, afin de permettre à celui-ci de contacter des tiers, de faire part de ses observations et de rédiger un communiqué de 2 pages ; qu'il est constant que la révocation n'a été mise aux votes qu'une fois que les observations écrites et orales de Monsieur G. ont été présentées ; qu'elle n'a pas été préalablement décidée avant qu'il ne soit invité à s'expliquer ; que la désignation du nouveau dirigeant n'était pas déjà faite avant la révocation ; que la révocation peut être décidée à tout moment sans préavis ni précision de motifs, lesquels n'ont pas à être communiqués préalablement ; que le principe de la contradiction suppose seulement que l'administrateur ait été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision de révocation, ce qui a été le cas en l'espèce ;

Considérant que Monsieur G. ne prouve pas non plus qu'une publicité externe ait été donnée à la mesure prise à son encontre ; qu'il s'avère plutôt, ce qui exclut tout abus, que la révocation, décidée à une très forte majorité, a été entourée de toute la discrétion nécessaire ;

Considérant que Monsieur G. s'appuie, pour démontrer le contraire, sur les attestations de deux de ses proches collaborateurs ; que Monsieur Etienne R., qui explique avoir été présent une grande partie de la soirée, indique avoir été le témoin auditif de propos choquants, qu'il a pu entendre compte tenu du fait que les portes de la salle de réunion étaient restées ouvertes ; qu'il ajoute que Monsieur D. lui a demandé de porter dans sa voiture les dossiers de Monsieur G. et son ordinateur ; qu'il déclare que Monsieur G. a été sommé de remettre les clefs de l'entreprise et qu'il n'a pu récupérer ses effets personnels que sous la surveillance de Monsieur A., agissant à la demande de Monsieur D. ; que Madame S. N. évoque, quant à elle, les réflexions désobligeantes, les rires entendus lors des suspensions de séances, l'absence de préavis, l'humiliation subie lors de la restitution des effets et documents personnels ;

Considérant que les deux attestations susvisées font l'objet d'une plainte pénale et sont contredites par le témoignage qu'apporte Monsieur A. ; que la cour relève, tout d'abord, qu' à supposer même que les faits relatés soient exacts, ils sont insusceptibles de caractériser l'abus ; qu'en effet, ainsi que cela vient d'être rappelé, le principe, d'ordre public, de révocabilité ad nutum de l'administrateur interdit de qualifier de fautive l'absence de préavis ; que, d'autre part, la décision de révocation est, par essence, brutale ; qu'elle implique nécessairement l'éviction de la société et la rupture de tous liens entre la personne révoquée et l'entreprise ; qu'il n'apparaît pas, dans le cas d'espèce, que la mise en oeuvre de la décision prise par l'assemblée générale ait été accompagnée de gestes ou de commentaires générateurs d'un traumatisme supplémentaire ; qu'il y a lieu, en outre, de noter que les propos de M. P., dont le ton et la véhémence ont choqué Monsieur R., sont ceux relatifs au refus d'indiquer les motifs de la révocation et à l'opposition aux interruptions de séances, qui ne sont en tout état de cause pas incriminables ; qu'il doit être ensuite noté que Monsieur A., est un témoin très fiable ; qu'il a assisté à l'assemblée générale en tant que secrétaire et candidat administrateur proposé par Monsieur G. ; qu'il s'est d'emblée mis dans son camp ; que, dès le refus de quitus, et lors de toutes les interruptions de séance, il s'est concerté avec celui-ci, les fondateurs de la société, des avocats, et des salariés actionnaires proches, pour chercher des recours et élaborer une stratégie de défense ; qu'il a participé à la rédaction de l'écrit annexé au procès-verbal et a pris la parole, en faveur de Monsieur G., au cours de l'assemblée générale ; que Monsieur A. affirme que les portes de la salle de réunion où se déroulait l'assemblée générale étaient fermées, sauf lors des interruptions de séances ; qu'il précise que 'certains échanges ont été très vifs et (que) le ton est parfois monté dans les débats de la part de l'ensemble des acteurs sans toutefois qu'il n'atteigne le registre de l'insulte ou de manque de respect' ; qu'il indique, qu'après le vote, Monsieur Hubert M. a dit, au nom des investisseurs, qu'il était ouvert à une discussion visant à permettre de trouver des solutions pour que le départ de Monsieur G. s'effectue dans des conditions acceptables et que ' Monsieur Christophe G. lui a alors adressé une fin de non-recevoir en des termes très vifs' ; qu'il insiste sur le fait que la révocation est intervenue à une heure où les lieux étaient pratiquement déserts ; qu'il déclare que, dès le lendemain, de nombreux contacts téléphoniques et physiques ont eu lieu entre Monsieur G. et ses collaborateurs ; qu'il souligne qu'il n'a assisté à la récupération de ses affaires par Monsieur G., que parce que celui-ci était arrivé en retard au rendez-vous fixé par Monsieur D. qui n'avait pas pu attendre ; qu'il insiste sur le fait qu'aucun refus n'a été opposé à Monsieur G., qui en outre a pu s'entretenir avec ses collaborateurs ;

Considérant que le communiqué de presse incriminé est paru le 8/9/2008, c'est à dire plus de deux mois après la révocation ; qu'il est ainsi rédigé : 'nouvelle équipe dirigeante chez Asterop : Gérard D. Président Directeur Général, Luc C. Directeur Général délégué, Olivier A. Directeur scientifique. Asterop qui s'est imposée en quelques années comme acteur majeur sur le marché des solutions décisionnelles en ligne pour le marketing stratégique des entreprises à réseaux de vente aborde cette rentrée 2008 avec une nouvelle équipe dirigeante. Suite à la révocation par l'assemblée générale de son ancien PDG, les actionnaire majoritaires d'Asterop ont demandé aux deux cofondateurs, Gérard D. et Luc C. de prendre la direction de l'entreprise' ; que la cour ne peut constater que le nom de Monsieur G. n'est même pas cité ; que seule y est livrée une information objective, sobre, discrète, neutre, dénuée de tout commentaire et de publicité malveillante ; que compte tenu du principe de libre révocabilité, la simple mention de la révocation ne peut, en soi, faire suspecter l'existence d'une faute ; que l'article de presse versé aux débats, daté du 25/9/2008, émanant du site Sport guide.com (pièce 10) ne comporte aucun dénigrement de la part de la société Asterop et de ses actionnaires auxquels les écrits du journaliste ne peuvent être imputés ; que ceux -ci, au surplus, sont favorables à Monsieur G., qui a été 'débarqué de l'entreprise on se demande pourquoi' et à propos duquel il est question 'd'un coup d'état', 'd'exécution sommaire sans communication préalable ni motivation de la part des actionnaires' ;

Considérant en définitive que les circonstances ayant entouré la révocation de Monsieur G. ne peuvent être qualifiées de fautives et sont donc insusceptibles de justifier l'allocation de dommages-intérêts par la société Asterop ;

Considérant que les actionnaires rappellent à bon droit que le droit de vote est un attribut essentiel de l'action ; qu'étant d'ordre public, aucune disposition statutaire ou conventionnelle ne peut l'écarter même temporairement ; que la liberté de vote étant fondamentale, seuls ses excès peuvent être sanctionnés en application de la théorie de l'abus de droit; que le principe de la révocation ad nutum, c'est à dire sans qu'elle soit justifiée par un motif quelconque, ne souffre aucune limitation et que seraient nulles toutes les clauses des statuts qui tendraient à la réduire ; qu'ils soutiennent, à juste titre, qu'aucun des griefs avancés par Monsieur G. ne saurait caractériser un abus dans la décision de révocation ; qu'ils étaient parfaitement en droit de refuser d'accorder le quitus, qui est une approbation de sa gestion ; que l'assemblée générale appelée à approuver des comptes d'un exercice est le moment adéquat pour prononcer une décision de révocation, qui peut intervenir à tout moment ; que chaque actionnaire étant libre d'exercer son droit de vote, n'a pas à s'expliquer sur celui-ci ; qu'il n'est pas prouvé que la décision de révocation soit contraire à l'intérêt social et n'ait été prise que dans l'intérêt des actionnaires majoritaires ; qu'ils ajoutent que c'est de manière tout à fait légitime que les actionnaires , inquiets de voir s'accumuler les pertes de la filiale américaine et s'aggraver les engagements de la maison mère ont choisi de mettre fin à une hémorragie et de remplacer Monsieur G. par un autre des fondateurs; qu'ils expliquent que l'assemblée générale s'est tenue dans un contexte humain, social, économique et financier totalement dégradé ; qu'ils décrivent Monsieur G. 'enfermé dans un mode de gestion opaque et tyrannique, n'écoutant personne, dédaignant tout le monde, abreuvant administrateurs et actionnaires de démonstrations inutiles et d'analyses erronées, fuyant la réalité des chiffres, trouvant dans les conjectures le remède à son impuissance, dissimulant ses échecs répétés derrière des prévisions de plus en plus extravagantes'; qu'ils soulignent qu'il a pu présenter ses observations, les débats ayant eu lieu dans un cadre fermé et sans aucune manifestation excédant les conditions habituelles de tels débats ; qu'ils rappellent que les motifs de la révocation ad nutum n'ont ni à être justes ni à être communiqués ni même à être énoncés ; qu'ils font valoir qu'aucune publicité malveillante n'a précédé, accompagné ou suivi la révocation de Monsieur G. qui n'a fait l'objet d'aucun dénigrement auprès de salariés ;

Considérant qu'en soutenant de tels moyens et arguments, qui sont étayés par des faits objectivement exacts, les actionnaires démontrent qu'aucune faute personnelle, qui doit être distincte de l'exercice du droit de vote puisque cet exercice constitue une liberté fondamentale d'ordre public, ne peut leur être reprochée ; qu'en effet aucun agissement personnel et fautif se caractérisant par un dépassement de pouvoir, une incompatibilité avec l'exercice normal des fonctions d'actionnaire n'est démontrée pas plus que leur volonté malveillante ou leur intention de nuire ; que les actionnaires ne sauraient donc engager leur responsabilité à l'égard de Monsieur G. pour une décision prise en assemblée générale ;

Considérant que le pacte invoqué définit les modalités de mouvements de titres détenus par les signataires du pacte, au nombre desquels ne figure pas Monsieur F. de V., et formalise très précisément les règles de gouvernance en matière de composition du conseil d'administration et de nomination des dirigeants, dont Monsieur G., dénommés 'personnes clés'; que l'article 11 (c) de ce texte prévoit que 'les parties s'engagent à faire en sorte qu'aucune décision ne soit prise, ni aucune action entreprise par la société concernant les questions énumérées ci-dessous (et notamment la nomination ou la désignation des personnes- clés et les conditions de leur emploi ) sans l'autorisation préalable du conseil d'administration décidée à la majorité des 8/10 èmes des administrateurs alors en fonction'; qu'il sera relevé, tout d'abord, qu'aucune disposition contractuelle n'évoque expressément la révocation d'une des personnes-clés et qu'en tout état de cause le droit, pour l'assemblée générale, de révoquer à tout moment un administrateur ne saurait être limité par un pacte quelconque entre les actionnaires ;

Considérant, en conséquence, que le jugement déféré doit être infirmé ;

Considérant que la restitution des sommes versées en exécution de jugement déféré doit intervenir de plein droit ; que la cour n'a pas à statuer de ce chef ;

Considérant que compte tenu de la solution donnée au litige, Monsieur G. doit être débouté de toutes ses demandes ; que l'équité commande qu'il soit condamné à verser la somme de 8.000 € à chacun des appelants ;

PAR CES MOTIFS

Dit non avenu, à l'égard de la société Asterop, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris, le 5/8/2010,

Déboute Monsieur G. de ses demandes formées à l'encontre de la société Asterop,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions relatives aux actionnaires,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute Monsieur G. de toutes ses demandes,

Le condamne à payer la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun des appelants,

Rejette toutes autres demandes des parties,

Condamne Monsieur Christophe G. aux dépens de première instance et d'appel et admet pour ces deniers l'avoué concerné au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.