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Décisions

CA Paris, 19 décembre 2019, n° 16/17024

PARIS

Arrêt

Infirmation

CA Paris n° 16/17024

18 décembre 2019

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTION S DES PARTIES

X… confiait à la société Y… ET ASSOCIES un vase DAUM-Nancy « Bleuets », en vue de sa vente aux enchères le 3 décembre 2015. La société Y… ET ASSOCIES réalisait une expertise du vase, lequel était qualifié « d'exceptionnel » et dont la valeur était estimée entre 6 000 et 8 000 euros.

Le jour de la vente, le vase était annoncé comme fêlé et ne se vendait pas au prix de réserve non modifié que voulait maintenir M X…, vase qu'il a toujours en sa possession.

Dans un courrier du 21 janvier 2016, la société MILLION ET ASSOCIES considérait que la fêlure, qui avait échappé à sa vigilance lors de l'expertise, était antérieure au dépôt.

Par acte en date du 19 avril 2016, X… assignait la société MILLION ET ASSOCIES devant le tribunal d'instance de PARIS 9ème arrondissement, aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice subi, du fait de la perte de valeur du vase.

La société MILLION ET ASSOCIES, citée en la personne d'une assistante déclarant être habilitée à recevoir l'acte, ne comparaissait pas.

Par jugement réputé contradictoire en date du 18 juillet 2016, le tribunal d'instance de PARIS, 9ème arrondissement :

- disait la société Y… ET ASSOCIES responsable de la perte de valeur du vase consécutive à la fêlure dont il était affecté, et qu'il en résultait pour X… un préjudice pouvant être évalué à la somme de 7 000 euros,

- le condamnait à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal,

- déboutait X… du surplus de ses prétentions.

Le tribunal considérait que la société Y… ET ASSOCIES n'établissait pas, puisqu'elle était absente des débats, que la fêlure litigieuse soit préexistante au dépôt et qu'elle avait échappé à sa vigilance lors de l'expertise. La juridiction estimait que la société Y… ET ASSOCIES était ainsi responsable de la perte de valeur du vase, en résultant.

Le tribunal considérait encore que rien n'établissait que le vase aurait été vendu au prix de 8 000 euros, auquel cas X… aurait dû s'acquitter de frais de vente de 12 %, de sorte qu'il convenait de lui allouer la somme forfaitaire de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par déclaration en date du 3 août 2016, la société MILLION ET ASSOCIES, prise en la personne de son représentant Y…, a relevé appel de la décision.

Dans ses conclusions sur incident en date du 22 février 2017, la société MILLION ET ASSOCIES sollicitait une expertise judiciaire portant sur l'examen du vase, à laquelle X… s'opposait dans ses écrits sur incident du 9 mai 2017.

Par ordonnance sur incident en date du 27 juin 2017, le conseiller de la mise en état ordonnait une mesure d'expertise et désignait M. B… en qualité d'expert, lequel déposait son rapport le 6 février 2018.

Dans ses conclusions sur incident du 18 juin 2018, X… estimait que le rapport ne correspondait pas entièrement à la mission confiée à l'expert, et sollicitait auprès du conseiller de la mise en état un complément d'expertise nécessitant la désignation d'un maître-verrier, auquel la société MILLION ET ASSOCIES s'opposait dans ses écrits sur incident du 16 août 2018, estimant que le principe du contradictoire était respecté par l'expert judiciaire.

Par ordonnance sur incident en date du 18 décembre 2018, le conseiller de la mise en état ordonnait un complément de mesure d'expertise et désignait C… en qualité d'expert, lequel déposait son rapport le 14 juin 2019.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 31 juillet 2019, la société MILLION ET ASSOCIES demande à la cour de :

- juger l'appel de la société Y… & ASSOCIES recevable et fondé,

- en conséquence, infirmer le jugement du tribunal d'instance du 9ème arrondissement de PARIS du 18 juillet 2016 en ce qu'il a :

- dit que la société Y… ET ASSOCIES est responsable de la perte de valeur du vase consécutive à la fêlure dont il est affecté, et qu'il en est résulté pour X… un préjudice pouvant être apprécié à la somme de 7 000 euros,

- l'a condamné à lui payer cette somme à titre de dommages-intérêts, outre intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

- l'a condamné à lui payer la somme de 750 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre infiniment subsidiaire, juger que la société Y… & ASSOCIES ne peut pas être condamnée à payer à X… une somme supérieure à 2 520 euros à titre de dommages et intérêts,

- en tout hypothèse, constater que le vase litigieux a été restitué à X…,

- condamner X… à lui payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, l'appelante fait valoir que les deux experts judiciaires ont affirmé que la fêlure était sans aucun doute ancienne et antérieure au dépôt du vase DAUM à l'Etude de la société Y…, et que celle-ci ne pouvait en aucun cas être à l'origine du maquillage de la fêlure, de sorte que la responsabilité de l'appelante ne saurait être engagée. Subsidiairement, l'appelante soutient

qu'elle ne saurait être condamnée à payer à X… une somme supérieure à 2 520 euros, eu égard aux constatations de l'expert.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 10 octobre 2019, X… demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Y… & ASSOCIES à payer à X… la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 avril 2016, ainsi qu'une indemnité d'un montant de 750 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- y ajoutant, condamner la société Y… & ASSOCIES au paiement d'une indemnité complémentaire en cause d'appel d'un montant de 6 000 euros, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l'intimé fait valoir que le commissaire-priseur est légalement contraint à un devoir de vigilance, que l'expert de l'appelante a reconnu son erreur lors de la seconde expertise, ce qui revient à admettre qu'elle aurait pu bâcler sa première expertise, et produire une fausse annonce de vente annonçant un « produit exceptionnel » et que si un simple client amateur a constaté l'existence d'une fêlure la veille de la vente, un expert ne pouvait manquer, dès le premier examen, de la déceler. X… expose que pendant deux mois, le vase s'est trouvé à la merci des allées et venues du personnel de la société Y… & ASSOCIES, et que rien ne permet d'inverser la charge de la preuve pour alléguer qu'il appartiendrait à l'intimé de justifier du bon état de son vase lors de la remise au commissaire-priseur.

X… soutient que les deux rapports des experts désignés ne sont quant à eux pas convaincants, le premier rapport étant incomplet et nécessitant l'intervention d'un second expert, lequel a dressé un rapport qui comporterait des contradictions évidentes, dont le fait que si la fêlure litigieuse était parfaitement visible, il l'était aussi bien par l'une que par l'autre des parties, de sorte qu'il conviendrait ainsi de prendre du recul à la lecture de ces deux rapports dressés par des professionnels compétents, mais visiblement dans l'incapacité de fournir un avis précis. L'intimé soutient que ces rapports d'expertise n'ont pas de force probante suffisante pour renverser la charge de la preuve résultant de la requête de vente, sans réserve établie par l'Etude Y… & ASSOCIES, lors du dépôt du vase, ainsi que l'annonce de la vente publiée sur catalogue.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 octobre 2019.

SUR CE,

Sur la responsabilité de la société Y… et ASSOCIES :

L'article 9 du code de procédure civile dispose que : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Il est rappelé que le juge de première instance a, dans son jugement réputé contradictoire, tiré les conclusions de l'absence d'explications de la société Y… et ASSOCIES, quant à la préexistence d'un fêle affectant le vase DAUM que X… lui avait confié pour sa vente aux enchères publiques, et qui aurait échappé à la vigilance de son expert, A….

Cette dernière avait en effet présenté ce vase comme étant en parfait état : « Exceptionnel haut vase multicouche, ... décor couvrant de tiges, feuilles,... » jusqu'à ce que, le 2 décembre 2015, jour de l'exposition des objets devant être présentés aux enchères, A…, en présence de plusieurs enchérisseurs potentiels et spécialistes de ce type de vase, a constaté l'existence de ce fêle ainsi que sa dissimulation par maquillage.

En effet, un amateur intéressé s'est emparé du vase, y a introduit une lampe et a constaté un grand fêle, qui suit selon un camouflage habile, la décoration du vase.

Par attestation du 27 octobre 2016, A… écrit qu'elle : « certifie que le vase de Daum... présente un fêle non visible de l'extérieur et manifestement camouflé sur la longueur par un apport de résine simulant une tige. Je jure sur l'honneur qu'en aucun cas ce fêle aurait pu être occasionné après le dépôt du vase entre nos mains. Il s'agit bien d'une restauration faite pour tromper ».

X… a souhaité cependant maintenir le prix de réserve initial, le vase n'a pas été vendu et son propriétaire l'a récupéré.

En présence de la seule expertise de A… lors du dépôt du vase, parfaitement claire quant à la qualité de l'objet, il appartenait en effet à la société Y… et ASSOCIES de prouver que cette expertise était erronée parce que le vase présentait en réalité, lorsqu'il lui était confié, un fêle bien dissimulé.

C'est sans renverser la charge de la preuve, mais au contraire en l'assumant, que la société Y… et ASSOCIES produit à hauteur d'appel le rapport de l'expert judiciaire M. B…, désigné par ordonnance du conseiller de la mise en état du 27 juin 2017, ainsi que le rapport d'un second expert judiciaire, C…, pour un complément d'expertise, désigné par ordonnance du 18 décembre 2018.

C… a été désigné pour départager l'avis de M. B… et celui de D…, sculpteur sur verre et pâte de verre, qui avait été sollicitée par l'avocat de X…, M. B… estimant que le fêle est dû à une malformation à la fabrication et D… estimant qu'il est dû à un choc.

M. B…, qui évoque les circonstances, susmentionnées, de la découverte du fêle, conclut dans son rapport que : « Ce fêle n'est pas visible à l''il nu par un profane. Un examen plus approfondi d'un professionnel est nécessaire. Le vase en question n'a fait l'objet d'aucune restauration. C'est un fêle, mal formation, à la fabrication du vase... je confirme et j'affirme qu'il est impossible que ce soit la SAS Y… et ASSOCIES qui ait fêlé le vase... de plus je ne vois pas comment en si peu de temps, il aurait pu être maquillé de telle façon...La seule thèse possible est qu'à la fabrication, il a eu une malformation qui est ensuite passée au martelage puis au sablage et le décorateur a décoré le vase extérieurement en fonction du fêle intérieur postérieurement ».

C… conclut quant à lui dans son rapport que : « Il est impossible de dater précisément ce camouflage. Il est certes ancien, difficile d'apporter la preuve qu'il soit de l'époque de la fabrication du vase, mais quoiqu'il en soit ce camouflage est antérieur au dépôt à l'Etude Y… en octobre 2015. Le délai relativement court entre la remise du vase (2 octobre) à sa présentation publique (2 décembre) avec des manipulations successives par divers intervenants... peut difficilement s'intercaler avec une restauration rapide de qualité - consécutive à un accident interne dans la maison Y…. Quel restaurateur contemporain serait aujourd'hui habile à ce point de créer et concevoir une telle dissimulation... et qui plus est dans un délai très court ».

C…, au contraire de son confrère M. B…, déclare que le fêle est visible à l''il nu, sans besoin d'examen plus approfondi et que l'accident est dû à un choc intérieur, qui a nécessité une restauration attentionnée à l'extérieur, jouant avec les sinuosités des tiges et herbacées.

Les deux experts judiciaires affirment donc, sans ambiguïté, que le fêle est ancien, et nécessairement antérieur à son dépôt auprès de la société Y… et ASSOCIES, qui n'aurait eu ni les compétences

ni le temps de procéder à un tel camouflage, si le vase avait subi un accident après lui avoir été confié.

Les déductions de X…, qui se veulent logiques mais qui sont en réalité hâtives, pour ne se fonder que sur la première appréciation de A…, afin de conclure que le vase a été endommagé après le dépôt, ne résistent pas par conséquent à la preuve contraire désormais apportée quant à l'antériorité du fêle par rapport au dépôt, qui a surpris tout le monde d'après C…, qui déclare à la fin de son rapport : « Autant les légèretés de la maison Million sont réelles, autant sa bonne foi ne peut être suspectée : l'enjeu n'en valait pas la chandelle, et le jeu des assurances est là en cas de sinistre ! L'Etude Million est reconnue et appréciée pour son sérieux. Cette même bonne foi ne peut être enlevée à X… qui conservait ce vase à son domicile parmi d'autres nombreux objets d'Art Nouveaux et Déco. Sa surprise est compréhensible de posséder un vase accidenté, fortement déprécié. Paradoxalement, les parties n'ont pas plus porté d'attention à l'état de ce vase l'une que l'autre ».

Il convient par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société Y… et ASSOCIES responsable de la perte de valeur du vase consécutive au fêle dont il est affecté, et en ce qu'il l'a condamnée par conséquent à payer la somme de 7 000 euros, somme forfaitaire du vase en bon état, à X….

Il convient à ce sujet de constater que X… a souhaité conserver le prix de réserve initiale correspondant à la valeur d'un objet non abîmé, alors même qu'il savait que ça n'était pas le cas.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

X…, qui succombe en appel, sera condamné aux entiers dépens.

En équité, il convient de condamner X… à payer à la société Y… et ASSOCIES la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, et il sera également condamné à lui payer les frais d'expertise de MM. B… et C…, qui entrent dans les frais irrépétibles.

X… sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- Dit que la société Y… et ASSOCIES n'est pas responsable de la fêle affectant le vase DAUM que X… lui a confié en octobre 2015,

- Déboute X… de toutes ses demandes

Y ajoutant,

- Condamne X… à payer à la société Y… et ASSOCIES la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les frais d'expertise de MM. B… et C…,

- Déboute X… de sa demande relative à l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne X… aux entiers dépens, qui pourront être directement recouvrés par Maître HENRY, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.